Partie 2

Ecrit par Loranna Crew

Une vingtaine de minutes plus tard, le train s’arrête. Je me dépêche de descendre et rejoins le flot des étudiants qui se pressent pour ne pas arriver en retard. 8 heures 14, ouf, c'était moins une ! Je scrute la salle à la recherche d’une tête blonde, Justine. Je la repère au troisième rang et la rejoins, elle m’a gardé une place à sa droite. 

- Panne d'oreiller ? me chuchote-t-elle pendant que je m’installe.
Je ne peux m’empêcher de ressentir de la culpabilité en percevant l'inquiétude dans sa voix. Il y a de quoi, c’est la première fois que ça arrive. Ajouté à sa forte propension à s'inquiéter pour tout et n'importe quoi, cette anomalie a dû lui faire passer des minutes pénibles. 
- Réveil difficile. dis-je, volontairement laconique.
Connaissant Justine, elle s’est sûrement imaginée que je me suis fait écraser par un train. J'ajoute pour la rassurer,
- Et non, je ne suis pas malade.
Elle me jette un coup d'œil amusé puis sourit, tranquillisée. Je souris à mon tour, attendrie ; quelle mère poule cette Justine. Le prof entre et je me concentre sur le cours. 

À la pause déjeunée, nous rejoignons Justine, Romain, Xavier, et Eléonore, alias Léo, devant le bâtiment 336. Après un bref débat, nous décidons d'aller manger au RU -restaurant universitaire- de Bures, celui d’Orsay étant assiégé à cette heure. Romain peste à cause de la montée de l’allée des Découvertes, ce à quoi Léo rétorque que ça lui musclera les jambes. La jolie brune ignore son regard torve et prend la tête de la procession. Justine et Xavier lui emboîtent le pas en souriant. Je suis à l’arrière, avec Romain. 
Nous remontons la rue André Guinier, avant de tourner à gauche, allant bravement à l’assaut du chemin pentu. Bien qu’il soit très beau, le jardin botanique dans lequel se trouve l’université présente un relief improbable, aussi beau et sauvage que les architectes ont pu se le permettre, ce qui ne nous arrange pas. 
- On aurait dû attendre le bus. maugrée Romain. 
- Allons, un peu de courage ! l’encourage joyeusement Léo. 
Loin de le mettre dans de bonnes dispositions, sa remarque l’irrite. Il se renfrogne un peu plus. Au travers de sa mèche blonde, ses yeux bleus lancent des éclairs. 
Je dissimule un rire sous une quinte de toux, mais il ne se laisse pas prendre. Il me fixe d’un regard furibond puis éclate de rire, à ma grande surprise. Nous nous arrêtons, ébahis.
- Je me comporte comme une vieille mégère hein ? nous demande-t-il, contrit.
- Mais non, seulement comme une fille qui a ses règles. le taquine Xavier. 
Placé stratégiquement à sa gauche, je lui décoche un coup de coude dans le ventre.
- Outch ! 
- On ne se moque pas des filles qui souffrent. le réprimandé-je malicieusement. 
- Mon ventre qui souffre te remercie ! rigole-t-il en se frottant le ventre. 
Pure comédie, je n’y suis pas allée assez fort. 
Nous reprenons notre ascension, de bonne humeur après cet échange. Nous coupons par les bois à droite, passons derrière la bibliothèque et rejoignons le RU. 

Après une queue impressionnante, le passage en caisse et la quête d’une table avec assez de places libres pour nous accueillir tous les cinq, nous pouvons enfin manger. Je fais un sort à mon steak haché et à mes frites, sans me préoccuper des blagues de Romain sur mon régime carnivore. 
Le repas se déroule comme d'habitude, dans une ambiance bon enfant un peu survoltée.
- Quelqu'un a des projets pour les vacances ? demande soudain Xavier. On pourrait aller passer la semaine à Prague. 
- Pourquoi pas, je n'y suis encore jamais allée. répond Justine.
- Ce n’est pas logique de quitter la grisaille de Paris pour celle de Prague. oppose Léo.
- Ça n'a rien à voir, on ira juste pour visiter. De toutes les façons, en boîte, on se fout de la météo. s'agace Romain.
- Du calme Rom', elle donne juste son avis. tente de tempérer Xavier. 
Il a raison, ces deux-là font feu de toute flamme depuis quelque temps, le moindre prétexte est bon pour se tirer dans les pattes.
- Je ne pourrais pas venir. annoncé-je. Je dois bosser sur mon manuscrit.
- Rhoo ça va l'intello, une semaine ne va pas te tuer non plus ! s’énerve Romain.
Je pose calmement mes couverts, avant de lever les yeux sur lui.
- Romain trésor, commencé-je d’une voix onctueuse, vu que je n'ai pas eu le temps de bosser dessus ces derniers temps, cette semaine est une aubaine.
Ménageant mon effet, je poursuis malicieusement, en faisant mine d’avoir eu une idée géniale,
- À moins que tu ne te dévoues pour m'aider dans mes recherches pendant le week-end ?
L’expression horrifiée qui s’affiche sur son visage ne dure que quelques secondes, il retrouve son aplomb presque aussitôt. Je suis curieuse de voir comment il va se défiler. Il prend un air sérieux.
- C’est toi qui as raison chère Lara ; un écrivain a besoin de solitude et de concentration, choses dont ma compagnie te privera. dit-il d’un ton docte. 
- On ne sait jamais, tu pourrais m'inspirer ... le taquiné-je.
Paniqué, il s’empresse de me couper la parole.
- Non-non, ce serait vraiment une mauvaise idée ! Il n'y a pas plus distrayant que moi ! 
Il semble se souvenir de quelque chose, et ses traits se détendent.
- Et puis il y a Christopher. Il vient de se faire larguer le pauvre. Je compte lui organiser une réunion de soutien. Tu me connais, je ne peux pas l'abandonner dans cet état ... poursuit-il, une expression soulagée presque comique sur le visage.
- Et elle a lieu où cette réunion de soutien, dans un club de striptease ? le coupe Justine, amusée.
Ce qui nous fait tous rire. Romain est le fêtard du groupe, il est connu pour profiter de la moindre occasion, bonne ou mauvaise, pour faire la fête.
- Ma chère Justine, tu me déçois. fait-il mine de s’indigner. J’ignorais que tu me tenais pour un être aussi peu original, poursuit-il, imitant à merveille Rodolphe dans la pièce « Séduction » de François Parot. 
- J'ose croire que je suis plus imaginatif que ça. ajoute-t-il encore.
Devant le scepticisme général, il soupire lourdement et lâche, grandiloquent :
- Oh Hommes de peu de foi, sachez que j'organise une rave party !

Âmes sœurs - tome I...