PARTIE 1 : Tout commence par une rencontre

Ecrit par Fleur de l'ogouée

Tania Boussougou

Il est 19h quand je sors enfin du boulot je suis épuisée, toujours la première à arriver et la dernière à partir, je suis incontestablement un atout majeur pour cette banque. Consciente d’avoir eu ce poste grâce à mon père, je ne me repose jamais sur mes acquis, c’est un milieu de requin donc je dois toujours me tenir sur mes gardes. Ce poste est stratégique et papa m’y a placé pour avoir un œil direct sur ses intérêts car il est l’un des actionnaires de cette banque qui est possédé par l’état et des investisseurs privés, quand il a proposé au conseil de me prendre pour ce poste de directeur personne n’a osé protester, parce que tous y voyaient un intérêt. C’est ainsi qu’à 26ans, avec quelques mois d’expérience et mon diplôme tout juste en poche je me suis retrouvée à assumer un des rôles clés de cette institution. Il est vrai que j’y ai effectué des stages volontaires pendant chacune de mes années d’étude mais rien ne m’aurait préparé à y prendre le contrôle. Ne pas avoir gravis les échelons de manière conventionnelle n’empêche pas que chaque jour je bosse dure, oui la petite princesse que je suis est certes née avec une cuillère en or dans la bouche mais mes parents m’ont appris très tôt le goût de l’effort.

D’ailleurs il en est de même pour ma petite sœur et mon petit frère. Aujourd’hui je suis directrice dans la première banque du pays, mon petit frère est dans la dernière année de ses études de médecine et ma petite sœur gère l’une des plus prestigieuses boutiques de vêtements de la ville tout en poursuivant un master en stratégie marketing, chacun de nous brille dans son domaine et permet à papa de se réjouir et de se vanter auprès de ses riches amis et collaborateurs.

En rentrant je prends une bonne douche fraîche, ensuite j’enfile mon pyjama et je retourne dans mon bureau avec une tasse de thé pour finir le tableau prévisionnel sur lequel je travail, c’est lorsque l’on sonne à la porte que je sors enfin le nez de mon travail. C’est mon meilleur ami Ben qui est devant la porte il a fait irruption avec une pizza, des beignets de crevettes et une bouteille de vin blanc, c’est vraiment le meilleur, je l’adore ce gars. J’avais encore oublié de manger comme à chaque fois que je suis absorbé par le travail, j’aurais dormi affamée s’il n’avait pas débarqué.

 Ben et moi ce n’est pas une histoire qui date d’hier, amis depuis le collège avec Carmen le dernier membre du trio infernal, nous étions inséparables et incontrôlables. L’introvertie que je suis au milieu de ces deux boules d’énergie a bien eu du mal à s’adapter au début mais le but d’une amitié c’est de se compléter et ça nous le faisons à merveille. Malheureusement ou heureusement, Carmen vit désormais en Allemagne avec son mari qu’elle a rencontré lorsque nous étions à la fac, c’est la première du groupe à s’être jeté dans le bain du mariage, Ben et moi ne sommes pas du tout des adeptes du mariage mais de mon côté je n’y suis pas totalement opposé. Quinze longues années d’amitié à supporter mes humeurs, à me faire rire et à essayer de me décoincer, ce n’est pas rien. Il s’installe et ouvre la bouteille de vin, pour moi ce sera seulement un verre, je ne bois presque pas d’alcool, je préfère les jus de fruits naturels, qui sont meilleurs pour ma santé.

-Madame coincée, tu vas passer le vendredi soir à bouquiner comme une quadra, alors que je peux t’emmener bouger tes fesses en boîte

-Mes fesses sont très bien ici, va danser avec tes différentes conquêtes, moi je dois me reposer, la semaine prochaine la banque va subir un audit, je dois être prête

-Raison de plus pour t’amuser, j’ai un allemand à te présenter. Comme tu ne sors qu’avec les blancs, lui là il est bien blanc comme le manioc

Nous avons éclaté de rire, il n’est jamais sérieux et c’est sans doute pour cela qu’il est si attachant. Il est le seul qui est aussi avenant et protecteur vis-à-vis de moi, le seul qui me connaît par cœur. Je l’aime de tout mon cœur mais il vaut mieux qu’il s’éloigne de ma vie amoureuse, dans le passé il m’a présenté pas mal de mecs douteux, même s’il a parfois fait de bon choix, je reste dubitative et un peu curieuse de savoir à quoi ressemble cet homme à qui il veut me présenter.

-S’il te plaît taninou, il faut qu’on sorte ce soir et j’ai vraiment envie que tu passes une soirée comme une fille de ton âge

-C’est bien parce que c’est toi, mais je rentre tôt et surtout pas d’alcool pour moi

Fort de cette victoire il rentre chez lui pour changer de tenue, moi aussi je me lève pour aller fouiller une tenue dans mon armoire, je me demande si je vais pouvoir trouver quelque chose de portable dans une boîte de nuit. Dans mon armoire il y a des tonnes de tailleur de tous les styles et toutes les couleurs sobres, j’en porte quasiment tous les jours. Il y a aussi quelques robes de soirées pour les invitations mondaines et des robes pour l’église. Mon style est semblable à celui des premières dames des années 80 comme le dit souvent Ben et je l’assume totalement, je suis très classique, des coupes très droites, des matières très qualitatives. Après quelques minutes de recherche, je trouve sous une pile de pantalon de sport, mon seul et unique jean. Bingo ! Associer à une chemise en soie verte et à une paire de mocassin blanche, cela fera l’affaire. Je passe un coup de brosse sur mon tissage, c’est une coupe courte comme toujours. Fin prête je me regarde dans le miroir et j’apprécie ce look très moderne. Les jeans j’ai arrêté d’en porter, il y a plus de quatre ans à la fin de mes études, je voulais un look plus mature, qui cadrait bien avec ma personnalité, d’ailleurs même plus jeune j’ai toujours eu un look un peu vintage, différente des filles de mon âge qui voulaient du court, du moulant et du très coloré. Ma montre sonne minuit quand monsieur se décide enfin à apparaître, on se met alors en route sans tarder. J’appréhende un peu l’arrivée je n’ai pas l’habitude des boîtes de nuit, je n’y suis allée que deux ou trois fois, c’est bien trop bruyant pour moi, et les hommes pleins de transpiration qui essaye de se coller à des femmes non consentantes, c’est dégoutant.

Ici tout le monde connait Benito, des portiers aux serveuses tout le monde connait son prénom, on nous installe au carré V.I.P. Ne supportant pas l’alcool donc j’opte pour un cocktail qui n’en contient pas, qui s’avère très délicieux donc je le bois sans modération, tout en écoutant la musique assise sur ce canapé très confortable.

-Boussougou doucement aka, tu es déjà à ton deuxième verre. Je ne veux pas trimballer une fille saoule toute la soirée, tu vas gaspiller mes plans drague

-Mais tu m’as qu’il n’y a pas d’alcool, dis-je étonnée

Quand il a éclaté de rire, j’ai su que la soirée prenait une tournure étrange.  J’avais commandé un cocktail et précisé à Ben que je le voulais sans alcool mais apparemment l’établissement ne vend aucun cocktail sans alcool, il s’est bien gardé de me le dire, je vais le tuer ce gar. Le gout sucré prononcé de la boisson à masquer celui de l’alcool sans que je ne m’en rende compte, donc j’en ai bu deux sans modération. Ma température corporelle ne cesse d’augmenter, je sens comme une chaleur au creux de mon abdomen, je commence réellement à être dans un état second.

Je ne sais par quel mécanisme mon corps s’est retrouvé sur la piste de danse, à bouger au son d’une musique dont je ne connais pas le genre, mes mouvements un peu désorganisés ont tout de même réussi à susciter de l’attention vu que je me suis retrouvée entouré par un troupeau d’hommes, j’ai vite fait de m’en extirper mais un des coriaces m’a entraînée sur la piste de danse. Bon danseur je dois l’avouer, corps tout en muscle, un peu plus grand que moi, avec un coup de rein à en faire pâlir une célibataire comme moi, j’essaie de suivre son rythme mais mon manque de souplesse me ramène vite à la réalité. Après avoir dansé comme deux animaux, il m’invite au bar et me commande une bouteille d’eau comme je lui ai indiqué et lui prends une bière. On passe rapidement aux présentations, il s’appelle Grégory et a 32ans, son sourire est vraiment magnifique, il n’a rien avoir avec tous les hommes avec qui je suis sortie, lui il transpire la masculinité, son teint ébène et sa coupe soignée lui donne l’air d’un mannequin tout droit sortie d’un roman photos. Après quelques minutes passées avec le beau Gregory, mon ami Ben vient me sortir de ma bulle de flirt.

-Boussougou je t’ai cherché dans toute la boite aka

-Je dansais, on est là pour ça non ?

-Ah ne me parle pas fort, viens je vais te présenter mon pote allemand là, si affinité vous rentré ensemble moi j’ai une petite là que je dois aller sauter à domicile

-Aucune chance, tu me ramène chez moi d’abord

Il m’entraine de l’autre côté de la boîte et me présente à son fameux ami, il est fade mince et grand de taille, d’une blancheur aveuglante comme si le soleil ne l’atteignait jamais, il aurait pu me plaire, mais non. L’euphorie de la soirée redescend, je fais signe discrètement à Ben et il comprend tout de suite que son ami ne me plaît pas. Trouvant une parade, nous nous en allons, il me raccompagne chez moi, avant de continuer sa route avec sa conquête du jour. Sans même prendre le temps de me débarbouiller, je me déshabille et plonge sous mes draps en satin, je règle mon réveil parce qu’il ne faut absolument pas que je rate mon rendez-vous de demain.

Ce matin j’ai la gueule de bois mais je ne peux pas me permettre de faire l’impasse sur cette partie de tennis avec un de nos plus gros clients et sa femme. Travailler dans un domaine où l’on dépend exclusivement de l’humeur de nos clients c’est être prête à tout pour trouver et garder ceux d’entre eux qui sont les plus fortunés et ma position de directrice ne me dispense pas de faire des courbettes, bien au contraire ! Après avoir enfilé une tenue digne des sœurs Williams je me dirige vers le cours de tennis du Safari hôtel, le couple et un de mes collaborateurs doué en tennis y sont déjà, nous allons jouer en duo. Après quelques agitations, des cris gênants et tout juste quelques filets de transpiration, la partie est terminé, nous avons gagné en deux sets, les clients sont contre tout attentes, heureux qu’on ne les ait pas laissés gagner et nous convenons d’un rendez-vous client dans la semaine. Mission accomplie. Ce sport matinal m’a permis de me dessoûler et être d’attaque pour la journée, après ma douche je vais pouvoir un peu bosser. Assise au volant de mon range rover, je respire un bon coup et me rend compte à quel point j’aime ce que je fais mais malheureusement au moment de partir la voiture ne démarre pas, moi qui suis souvent méticuleuse avec mes voitures, je me demande bien ce que j’ai pu rater, j’ai vérifié les eaux la veille, la pression des roues est correcte qu’est-ce qui peut bien causer un souci. J’appelle papa en catastrophe, un peu occupé il me dit qu’il va m’envoyer son chauffeur. Une trentaine de minutes plus tard ce monsieur d’un certain âge gare sa voiture près de la mienne et me dit que le garagiste ne va pas tarder, occuper à lire des articles sur la bourse je ne remarque pas que le monsieur est arrivé, quand je me redresse, mon cœur rate un battement. Qu’est-ce que le mec avec qui j’ai fricoté hier fait là, dans une tenue couverte d’huile de moteur, avec un sourire franc il me salut et me demande comment je vais, mais je suis trop traumatisé pour répondre. Je me retire un peu pour appeler Benito c’est bien de sa faute si je suis dans ce genre de situation gênante

-Ben je vais te tuer

-Quoi encore Tania la folle ?

-Le gars avec qui j’ai passé mon temps à danser hier se trouve devant moi

-Et alors ?

- C’est un putain de mécanicien, je suis vraiment tombé bas

-Je me répète et alors ?

-Comment ça et alors, j’ai donné mon temps à un vulgaire mécano, il est arrivé ici tout remplie de cambouis, Lord qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça, je pensais que tu ne fréquentais que des coins avec des gens de la haute société

-Madame la Drama Queen il est 10h, tu m’agresses comme ci danser avec un mécano c’est la fin du monde, pardon au revoir, embrasse ton chéri de ma part

-Tu vas me le payer, espèce de rat

J’ai raccroché frustrée pendant que lui rigolait à gorge déployé, purée il n’y a que lui pour me mettre dans ce genre de malaise. Je ne considère pas que c’est un sous homme mais le voir là en bleu de travail me déconcerte trop. Une personne s’éclaircit la gorge derrière moi et je me tourne pour tomber sur Grégory le mécanicien, il avance et se retrouve en face de moi, son visage n’est plus aussi souriant qu’à son arrivé, je ne sais vraiment pas où me mettre, il me demande simplement la clé de la voiture et puis disparaît quand je la lui remets. Non pas que son état d’âme pourrait me préoccuper mais j’espère au fond de moi qu’il n’a pas entendu toute la conversation, même si à son regard noir il me semble bien que oui. J’essaie de prendre une expression faciale neutre pour pas qu’on remarque mon malaise et je les rejoins devant ma voiture, il est en train d’expliquer au chauffeur de papa ce qui cloche, ensuite il s’éloigne et rejoins la voiture dans laquelle il est venu, une voiture assez moderne qui appartient à son patron d’après ce qu’il a dit en arrivant. Il revient quelques minutes plus tard avec de quoi remorquer ma voiture. Il ne regarde plus dans ma direction et fait comme si je n’existais pas, j’ai envie de me cacher dans un trou, malheur pour moi papa appel son chauffeur car il a besoin qu’il le dépose en ville, je vais me retrouver seule avec Grégory le garagiste. Je sens que le trajet sera long. 

La belle et la bête