PARTIE 2 : Désillusion et amertume
Ecrit par Fleur de l'ogouée
Grégory Tchibinda
Mes amis du lycée que je n’ai
pas vu depuis longtemps, ont décidés qu’il était temps de se faire une soirée
spécial débauche entre mecs comme à l’ancienne. Je ne suis pas le plus grand des
fêtards mais je sais m’amuser quand il le faut malgré ma condition
socio-économique, je ne suis pas un de ses gars complexés, je sais me fondre
dans la masse pour passer une bonne soirée et ensuite retourner à ma vie dans
les bas-fonds sans regret. En rentrant du boulot à 16h je prends une douche et
je décide de recharger les batteries en faisant une bonne sieste, je suis
réveillé par une de mes voisines, une dame d’un certains âges qui nous
considère tous ici dans la cour comme ses enfants, elle m’a gardé un peu de son
repas de midi du poisson fumé dans une sauce tomate accompagné de riz blanc, je
la remercie, prend des nouvelles de sa famille puis rentre chez moi pour manger,
elle m’a sauvé car je n’aurais pas à chercher quoi manger. Je traîne un peu et c’est
à 22h que je commence à m’apprêter dans mon étroite chambre éclairée par une
ampoule bas de gamme, j’enfile un jean et chemise blanche, j’ajoute à ce style
une paire de chaussure assez classe que je me suis offert pour mes 30ans, je les
entretiens aussi délicatement qu’un bébé, ce genre de chaussure je ne pourrais
pas m’en racheter de sitôt.
Prêt, je me trouve élégant,
moi qui passe mes journées en combinaison sous les voitures, j’ai enfin
l’occasion d’être propre et présentable. Je retrouve mes frères d’armes dans un
bar populaire, à juger de l’ambiance ils semblent avoir amorcé la soirée et
s’être jeté sur l’alcool sans retenu, j’aurais peut-être dû venir plus tôt. Je
m’installe sous leurs cris et sifflements, les hommes et notre nature primitive
qui ressort quand nous sommes entre nous. C’est à 1h du matin que nous nous
retrouvons dans une boîte de nuit huppée, un coin de petits riches prétentieux,
ordinairement je ne fréquente pas ce genre d’endroit parce que les prix y sont
exorbitants et ce sont des dépenses que je juge inutiles vu mon modeste salaire,
mais aujourd’hui c’est différent, on célèbre l’amitié et aussi le futur mariage
de l’un d’entre nous. J’ai cassé la tirelire moi qui suis de nature économe, pour
participer à la cotisation que nous avons fait en amont pour qu’on puisse faire
la fête comme des rois. Ce genre de soirée n’est pas fréquente dans ma petite
vie si simple mais être tous réunis et célébrer la vie, c’est ce qu’il me
fallait, donc je me lâche. Poser dans un petit coin, nous nous amusons sans
retenu, il n’y a peu d’adolescent présent donc nous pouvons faire les idiots
sur la piste de danse sans avoir peur de retrouver des vidéos de nos pas de
danses sur les réseaux sociaux. Assis dans notre salon à siroter un verre, je me
lève précipitamment lorsque l’un de mes sons préférés passe, je me jette sur la
piste sans réfléchir, dévoré du regard par une table remplie de jolies demoiselles
je jubile, célibataire plus qu’endurci mon égo ne souffre point quand je me
sens ainsi désiré. Le DJ enchaîne avec un autre son qui me plaît tout autant,
toujours absorbé par la dance je remarque cette belle femme sculptée comme une
déesse dans son jean moulant et cette petite chemise, une déesse des temps
modernes, elle est rapidement prise d’assaut par une foule de mâle, mais s’en
dégage aussi tôt. Un peu plus loin elle continu à danser, elle n’est pas coincée
comme les autres filles qui ne sont là que pour bouger leurs popotins, elle se
dandine sans forcer, sans chercher à être la meilleure danseuse, je m’approche
près d’elle furtivement et immédiatement l’harmonie se fait, nous dansons comme
deux fous. Notre danse est digne d’un mauvais film de danse mais nous nous
amusons tellement, c’est quand nous sommes fatigués après plusieurs pas de danses
endiablées que nous allons au bar pour prendre un verre. Elle veut boire de
l’eau, je trouve cela étrange mais je commande quand même. Je crois que sa
beauté me fait perdre la tête, un économe comme moi je n’aurais jamais accepté
d’acheter une petite bouteille d’eau à 2000francs mais à croire que la jolie Tania
m’hypnotise. Alors que nous étions lancés dans les causeries et qu’on
commençait à un peu flirter, un jeune gars vient nous interrompre, ils ont
l’air de se connaître, elle s’excuse et le suis vers la zone VIP. Je suis un
peu dégouté, c’est la seule fille avec qui j’ai eu des atomes crochus ce soir,
un style sobre et sans chichis, décontracté et sympathique, j’aurai aimé
apprendre à la connaître. Refroidis, je rejoins néanmoins mes potes pour
continuer notre soirée de folie, nous nous amusons jusqu’au petit matin et c’est
à 5h que je casse l’ambiance car il faut que je rentre dormir même si c’est seulement
deux heures, je bosse tout à l’heure et il me faut un minimum de repos. Les
autres aussi décide de rentrer de toute façon nous nous sommes assez amusés,
c’est l’essentiel. Etant sur le trajet de l’un de mes amis, il me dépose au
grand carrefour, ensuite je fonce m’engouffre dans ma ruelle dépourvue de
lampadaire, pour enfin rejoindre ma chambre. Je croise quelques garçonnets du
quartier qui se prennent pour des bandits, je leur glisse 1000f, ils ne sont
pas méchants mais certains pensent que c’est la seule voie qu’ils peuvent
emprunter et comme ils me connaissent bien je n’ai pas à m’en faire pour ma
sécurité. A peine passer la porte de la chambre je m’écroule sur mon lit, non
pas sans avoir mis mon réveil.
08h00
Je me lève péniblement, je ressens toute la fatigue du
monde mais je n’ai pas le choix, je dois aller bosser. Je file à la douche
commune qui est occupé, une de mes voisines qui s’imagine être de la Beyonce de
la cour prend tout son temps, c’est quand je commence à gueuler qu’elle sort
enfin. Après la douche, j’enfile un jean et un T-shirt, j’essaye d’être propre
sur moi en allant travailler, au garage c’est combinaison et chaussures fermées
obligatoire pour tous. Je suis sur la réparation d’un moteur, quand mon patron
me rejoint pour me confier une mission, un de ses riches clients à besoin de
quelqu’un pour la voiture de sa fille qui a eu une panne dans un hôtel de la
place et il faut que ce soit réglé très rapidement. Sans perdre un instant, je
prends la voiture du patron et me mets en route pour le safari hôtel, j’ai
appris à conduire en déplaçant les voitures au garage, en faisant les tours du
quartier pour tester les moteurs et étant le second de mon patron il m’a offert
le permis pour que je puisse me déplacer sans l’embêter. J’arrive devant ce bel
hôtel, un peu impressionné je me gare dans le grand parking, un monsieur fait
signe pour que je m’approche de leur voiture. En descendant de la voiture mon
regard tombe tout de suite sur la demoiselle assise non loin de là, c’est la
magnifique Tania, je remercie le destin de m’avoir fait la revoir, moi qui m’en
voulais terriblement de ne pas avoir pris son numéro.
Assise les jambes croisées avec cette petite jupe et ce
débardeur je peux me rincer l’œil comme il faut, elle est sublime, sa peau
couleur chocolat donne envie de la lécher goulument, elle est encore plus belle
en pleine journée. Je lui demande comment elle va avant de retourner vers le
monsieur. J’aurais bien voulu discuter un peu avec elle mais je suis là pour le
travail et je ne peux pas me permettre de faire mauvaise impression, le
monsieur a jeté un coup d’œil rapide avant mon arrivé et il me donne son avis
par rapport à la panne dont il pense avoir découvert l’origine. Il me faut la
clé pour mettre le contact et voir les signaux affichés sur le tableau de bord,
je cherche la demoiselle du regard mais assise plus loin. Quand je l’aperçois
je vais à sa rencontre et j’arrive rapidement derrière elle, quelle désillusion
quand j’entends sa conversation téléphonique. Une belle déception ! Comment
une si jolie fille peut-elle dire d’aussi vilains mots ? Elle qui semblait
si terre à terre hier jouait-elle un rôle ? Celui de l’héritière riche qui
danse avec le pauvre du village prouver qu’elle a un grand cœur ? Être
mécanicien n’est que ma profession, un métier comme les autres, je ne suis certes
pas en costume cravate derrière un écran d’ordinateur mais je gagne ma vie
honnêtement comme les autres. C’est révoltant mais je suis habituée à ce que
certaines filles réagissent de cette manière en voyant où je vis et en
apprenant mon métier, on voit un bel homme qui s’entretient bien et l’on pense
directement qu’il est friqué, je devrais marcher avec une pancarte « Sexy
mais mécanicien ». Sans un mot, je prends les clés et retourne auprès de
la voiture pour découvrir l’origine de la panne, je signale au monsieur que je
pense savoir où se trouve le problème, que je ne peux rien faire ici et qu’il
va falloir qu’on aille au garage, ces voitures automatiques sont trop fragiles.
Le monsieur d’un certain âge semble être le chauffeur de son père et il s’en va
car il a été appelé par son patron, nous restons là tous deux silencieux. Je préfère
faire comme si elle n’existe pas, je ne peux pas me permettre d’être impoli
envers une cliente, je desserre le frein à main de sa voiture et je lie les
deux voitures avec le câble de remorquage. D’un geste de la main je l’invite à
s’installer dans la voiture du patron, elle monte à l’avant je pensais qu’elle
serait allée s’assoir derrière vu que c’est une princesse qui ne côtoie pas le
bas peuple. Je m’engage vite dans la circulation, mais pas de bol il y a un
embouteillage monstre, c’est vrai que le samedi à Libreville c’est jour de
mariage, il y a plein de cortège qui défile, du coup pour passer le temps j’ai
allumé la radio et mis RFI. Quand la session musique fini et que je voulais
changer de station elle m’a demandé de laisser
-Vous pouvez remettre Rfi s’il vous plaît ?
-Après la danse sensuelle d’hier, le vouvoiement n’est plus
de rigueur
-Je sais Grégory
-Ravi que vous vous souveniez de mon prénom, très chère
Je me suis reconcentré sur la route qui miraculeusement s’est
dégagé, je n’ai qu’une seule hâte rentrer au garage, me plonger dans mon boulot
et oublier cette petite prétentieuse. Après ce périple nous sommes enfin arrivées,
pendant que j’expliquais la panne au patron, le chauffeur de son père a fait
irruption, il s’est entretenu avec le patron et est reparti avec la princesse. Je
me sers de la valise de diagnostic auto pour voir si mes soupçons concernant l’origine
de la panne sont vrais, cet appareil que le patron à acheter il y a trois ans est
un must have, depuis notre clientèle est devenu différente, beaucoup plus de cadres
et des gens de la haute société, les coûts des prestations ont augmenté et les
salaires aussi. Malheureusement ou heureusement je ne saurais le dire, je suis
l’aîné de la famille, qui dois prendre en charge ses quatre petits frères et
sœurs, c’est une responsabilité qui a parfois été difficile à porter. Désormais
dans ma fratrie je compte un professeur de français il a 26ans, une future juriste
de 23ans, une lycéenne brillante en classe de première S de 18ans, un seul de
mes petits frères a décidé que l’école ne serai pas la voie qu’il emprunterait,
j’attends le moment où sa crise existentielle se terminera pour l’aider à
trouver enfin sa voie. En attendant je le laisse vadrouiller, je suis un grand
frère sévère et cool à la fois, il a 20ans et a abandonné l’UOB en pensant
connaître le monde, toujours dans les coups fourrés avec ses amis douteux, je
ne perds pas espoir qu’un jour il se ressaisira. Je me suis toujours occupé de
mes petits frères, épaulé par celui qui me suit quand il est devenu plus grand,
il a jonglé entre les cours et les petits boulots par ci par là, maman faisait
de son mieux avec son commerce et ma tante Fifi comme on aime l’appeler nous a aussi
beaucoup soutenu en travaillant pour une riche famille. J’aurais pu reprendre
mes études une fois les deux premiers diplômés mais je n’ai pas eu la force et
après 10 ans passé le nez dans les voitures, je ne saurai que faire d’autre.
Je viens de mettre la main sur le motif exact de la panne,
l’efficacité de cette machine m’étonnera toujours, je m’attèle à réparer la
panne et après l’effort la voiture ronronne à nouveau, je suis tout fier, ce
travail pour moi il est gratifiant et je me fou de ne pas être en costume
cravate chaque jour, je me fou des millions, ici je suis dans mon élément. Je
suis passionné par ce que je fais, un vrai fan de voiture je pourrais parler de
moteur toute la journée, je maitrise chaque modèle, en dépiécant une voiture je
peux savoir quels sont les pièces d’origines et celles qui ont été changées,
l’année et le pays de production, c’est tout un art pour moi, c’est loin d’être
un métier peu gratifiant, au contraire je redonne le sourire aux personnes qui
viennent avec leurs pannes, je débloque les situations complexes et rend la vie
de nos clients plus agréable, il n’y a rien de honteux à gagner sa vie
honnêtement. Je me fou que Miss Tania la prétentieuse pense que je suis moins
un homme parce que je passe mes journées, allongé sous des voitures, de toute
façon on ne comptait pas se revoir c’est tant mieux. Les filles à papa ce n’est
pas mon truc de toute façon, tu veux construire quoi avec une fille qui ne sait
pas que dans la vie l’argent se mérite, qui ne sait pas ce qu’est de se battre
pour mériter son salaire et qui de surcroît méprise les gens moins bien aisés. J’ai
toujours été approché par les femmes fortunés, beaucoup aurait voulu faire de
moi leur objet sexuel, ‘’un bel homme comme toi ne peut pas être mécanicien’’
‘’tu ne peux pas continuer à vivre ici’’, je l’avoue quelques fins de mois
difficiles m’ont fait plonger sous les draps de femmes d’hommes politique ou de
business woman pour pas mal de billets mais je refuse d’être gigolo
professionnel, quel exemple je montrerai à mes frères mais surtout à mes
petites sœurs, je me suis battue pour qu’elle ne pense pas à vendre leurs corps
au plus offrant, pour qu’elles soient dignes et qu’elles se concentrent sur
leurs études.