Partie 13
Ecrit par Ornelia de SOUZA
Ce bedonnant de Roland croqua dans son beignet répandant de l'huile sur ses lèvres et aux alentours. Je le trouvais absolument répugnant et cette manie qu'il avait de toujours faire quelque chose lorsque je lui parlais de quelque chose d'important m'agaçait au delà de tout. Je l'observai se saisir d'un papier mouchoir et se nettoyer les doigts et les recoins de la bouche omettant la plus grande surface. Je lui lançai un de mes regards haineux que j'avais de plus en plus de mal à dissimuler en sa compagnie.
-Il couche avec cette fille tu dis? questionna t-il la bouche pleine en pouffant de rire
-Oui; repondis-je espérant de toutes mes forces qu'il ne s'étouffe une bonne fois pour toute
-Comment il peut être attiré par ça?! continua t-il. Mais ne t'inquiète pas ! Ça doit être une sorte de fantasme pour lui, rien de plus.
-Mais tu ne comprends donc pas? dis-je en me levant et en contournant mon siège. Il m'a jeté dehors et il m'a ordonné de ne plus jamais mettre pied chez lui.
-Il avait sûrement honte que tu l'ais surpris dans une telle position après la nuit que vous avez passé ensemble... Vous avez bien couché ensemble n'est-ce pas?
Stupide homme! Il venait de me rappeler mon échec. J'avais échoué là où cette défigurée avait visiblement réussie. Elle me mettait plus en danger que ce que je ne pensais. Dire que je l'avais sous-estimé et que j'avais cru que de simples menaces l'auraient éloigné.
-Non; murmurai-je. Je n'y suis pas arrivé. Il n'a pas pu...
J'eus du mal à terminer ma phrase.
-Ah! s'exclama Roland. Alors de quoi tu me parlais lorsque tu disais que tout avait fonctionné comme prévu?
-Pour lui nous avons couché ensemble vu qu'il était presque inconscient. Il n'a aucun souvenir alors je lui ai fait croire cela.
-Mélaine, tu es une femme terrible! affirma Roland m'arrachant une grimace de mécontentement face à sa remarque.
-Là n'est pas le sujet Roland. Il faut que tu m'aides. Il ne peut pas me sortir ainsi de sa vie.
-Que puis-je y faire? interrogea l'idiot. Je t'ai déjà apporté toute sorte d'aide que je pouvais. Je ne peux pas intervenir directement puisque je ne suis pas sensé être au courant de ce qui se passe entre vous.
-Tu m'es totalement inutile; lâchai-je totalement dépitée.
J'aggripais désespérément avec mes deux mains le dossier de la chaise que je venais de quitter. J'étais totalement à court d'idées et j'avais espéré qu'en venant exposer le problème à Roland, il m'apporterait son aide mais celui là n'était spécialisé que dans les débilités, les cochonneries et la goinfrerie. Je n'acceptais pas l'idée que Carin m'échappe malgré tout les efforts que je venais de fournir. Il devait y avoir une solution.
Prise dans mes réflexions, je n'entendis même pas toquer à la porte du bureau. Je me retournai pour voir entrer une magnifique femme métissée à la chevelure ondulée. Son sourire fit place à un air sévère lorsqu'elle constata ma présence. Immédiatement, j'en conclus qu'il s'agissait soi de la femme de Roland, soi de l'une de ses conquêtes. Roland se leva, contourna son bureau et vint à la rencontre de sa visiteuse. Il lui posa un baiser sur la joue et tapota discrètement son fessier. Ce qui ne m'echappa pas et confirma mes doutes.
-Ashley, comment vas-tu donc? dit Roland. Cela fait un petit moment que je ne t'ai pas vu par ici.
-Faut croire que j'étais en pleine forme! ironisa la dénommée Ashley
-Et maman? Comment se porte t-elle? Et Irina?
-Elles vont bien; répondit la femme d'un ton monocorde
-Tu es venu pour voir Carin? Il a demandé sa journée...
Toute mon attention fut soudainement attirée par le nom que venait de prononcer Roland. Cette femme était donc liée à mon cher Carin.
-Oh que Dieu me préserve de sa présence !
-Des disputes de frères ! lança Roland en partant dans un fou-rire
-C'est d'ailleurs de sa faute si je suis ici aujourd'hui; expliqua Ashley
Elle était donc la sœur de Carin si je comprenais bien. Je me raclai la gorge pour attirer l'attention de Roland vexée qu'il ne me laisse de côté au lieu de me présenter la sœur de l'être que je désirais.
-Oh! se rattrapa t-il. Mélaine, je te présente Ashley, la sœur de Carin et Ash, je te présente Mélaine...
-La petite amie de Carin! l'interrompis-je brutalement
Il écarquilla les yeux sûrement à l'ouest tandis que le visage d'Ashley s'illumina sûrement par pure curiosité. Elle avança de deux pas vers moi et me détailla du regard. J'eus l'impression qu'elle s'attardait sur mes jambes puis elle remonta et s'attarda sur mes yeux.
-La petite amie de Carin; répéta t-elle dubitative
-Oui; confirmai-je mimant l'assurance
-Et pourtant tu m'as l'air bien portante... Qu'est-ce qui cloche chez toi?
-Pardon? questionnai-je n'ayant pas compris sa phrase
-Non, ne fais pas attention...
Une infirmière apparut informant Roland d'une urgence. Celui-ci s'excusa auprès de nous avant de s'éclipser et de nous laisser seules. Je ne pouvais pas rêver mieux.
-Et pourtant c'est une autre qu'il nous a présenté hier! me lança Ashley
Je ne m'attendais pas à cela. Ainsi, Carin avait présenté Inès à sa famille. Je ne savais pas leur relation aussi avancée et cela me fit un choc que je ne pus cacher.
-Tu n'étais pas au courant visiblement...
-Il me trompe! tentai-je
-N'est-ce pas plutôt l'autre qu'il trompe avec toi? demanda Ashley en penchant sa tête de façon à me déstabiliser
-Je souffre; dis-je en me brisant volontairement la voix. Inès est entrain de me prendre mon homme.
-Tu connais donc cette miséreuse ? demanda Ashley
-Oh que oui! dis-je constatant qu'Ashley n'appréciait guère Inès
-Je t'invite à boire un pot pour que l'on fasse plus connaissance; lâcha Ashley en affichant un sourire large.
Je répondis à son sourire et je la suivis. Je venais de mettre la main sur mon passeport vers la famille de Carin et je ne comptais pas le laisser filer entre mes doigts.
*******
(Carin)
Amélie versa délicatement le thé bouillant dans la tasse que je tenais. Elle déposa la théière sur le plateau posé sur la table basse et s'affala sur le canapé près de moi.
-Je n'arrivais plus à me contrôler ; lui confiai-je avant de porter délicatement la tasse à ma bouche
Je venais de lui faire l'horrible récit de mes actes et j'attendais son avis. Amélie était mon oasis au milieu du désert. L'unique personne qui me connaissait vraiment sur cette terre et qui m'acceptait malgré tout.
-Et tu me dis que malgré tout cela, elle t'a pardonné ? me questionna t-elle
-Je lui ai fait part de mes sentiments à son égard... Mais j'ai été lâche tu sais... J'ai eu peur qu'elle porte plainte ou qu'elle raconte tout simplement ce qui s'est passé... Mais elle m'a juste pardonné tu sais? Elle est tellement...
-Naïve?
-Authentique ! rectifiai-je. Pourquoi veux-tu me faire passer pour ce que je ne suis pas ? Tu penses que je profite de sa naïveté ?
-Carin, cette femme est assez naïve pour te pardonner des actes d'une telle gravité sûrement par amour et toi tu continues à penser que tu es homme bien alors que tu ne fais pas face au vrai problème.
-Je sais de quoi tu vas parler; l'arrêtai-je. Mais je ne veux pas...
-Cette fois-ci tu vas m'écouter! dit-elle d'un ton ferme. Tu l'as dit toi-même. Tu n'arrivais plus à te contrôler et tu avais envie ou besoin de lui faire du mal. Tu penses qu'elle mérite ça? Tu penses qu'une femme qui t'aime autant mérite que tu la violes, que tu la battes?
-Je ne ferais jamais ça en temps normal; protestai-je.
-Si Carin! continua t-elle. Si! Tu le ferais Carin ! J'ose espérer que tu n'as pas oublié que tu me battais aussi.
-Mais je t'aimais et je l'aime encore plus...
-Si tu l'aimes plus que tu ne m'as aimer, tu dois faire quelque chose pour ne pas la perdre comme tu m'as perdu.
Elle n'avait pas tort.
-Tu ne m'aimais pas assez pour te soigner Carin... Et elle ? L'aimes-tu assez pour te soigner?
J'enfoui mon visage dans mes mains. Je refusais de voir la réalité en face et pourtant je savais qu'Amélie avait raison. Je l'avais perdu parce que je n'acceptais pas mon état. Je l'avais perdu parce que je ne voulais pas faire d'effort mais cette fois-ci j'étais allé beaucoup trop loin. J'aurais pu prendre la vie de la femme que j'aime dans cette phase où je n'arrivais plus à me contrôler.
-Je ne comprends pas pourquoi tu as autant de mal à accepter la situation ; poursuivit Amélie. Il est vrai que nous sommes en Afrique et qu'en Afrique la seule maladie mentale reconnue est la folie pure et simple. Je sais qu'ici être dépressif ou bipolaire, c'est être faible et ce sont des maladies de blancs mais tu ne peux pas penser comme ça. Tu es médecin et tu es bien placé pour savoir que ces maladies existent et surtout que comme toute maladie, il est primordial de se soigner alors pourquoi fuis-tu le sujet?
Une larme m'echappa et je l'essuyai du revers de la main.
-Je ne suis pas fou! murmurai-je
-Non! Comme le psychiatre te l'a diagnostiqué, tu es bipolaire et je pense qu'il est temps que tu te soignes avant de commettre l'irréparable.
Il ne servait plus à rien de nier mon problème. Mes souvenirs remontèrent soudainement à la surface. Un an plus tôt alors que j'avais une fois de plus battue Amélie à la suite d'un désaccord, elle avait fait ses valises. Sa décision était prise et j'étais prêt à tout pour lui faire changer d'avis. J'avais alors accepté sa condition de consulter un psychiatre, une connaissance à elle. Il ne m'avait pas fallu que peu de séances pour que le verdict tombe. J'étais bipolaire. J'avais refusé de me conformer aux recommandations du psychiatre et j'avais préféré perdre la femme avec qui je partageais ma vie. J'étais persuadé que je contrôlais parfaitement mes réactions. Si je m'emportais subitement, cela n'était dû à rien d'autre que la colère et la frustration. Je m'étais convaincu du fait que je n'étais pas malade et j'avais tenté de vivre ma vie normalement depuis ce diagnostic. Ces derniers temps-ci, tout s'était pourtant accéléré. J'avais attenté malgré moi à la vie d'une femme que j'aimais. Même si j'avais peur, maintenant j'étais conscient de mon état.
-Le médecin sera prêt à te recevoir dès que tu le voudras alors quelle est ta décision Carin?
-Elle ne voudra plus de moi lorsqu'elle saura; sanglotai-je malgré moi. Elle ne voudra plus de moi... Et ma famille? Cela tuera ma mère...
-Non, leur en parler c'est ton choix; affirma t-elle. Tu peux garder ça pour toi et t'éloigner de tout le monde. Tu peux prendre le temps d'aller mieux. La décision te revient!
Amélie avait toujours tenté de me convaincre de prendre le diagnostic du psychiatre au sérieux et de me soigner. Maintenant, elle me conseillait de garder ma maladie pour moi et de m'éloigner du monde le temps de me soigner. Cette femme prenait toujours d'excellentes décisions pour moi. Elle me connaissait mieux que quiconque, mieux que ma mère et malgré tout le mal que je lui avais fait, elle était toujours resté près de moi. Elle avait sûrement autant de sentiments pour moi que j'en avais pour elle, je n'en doutais pas mais toute relation entre nous était devenu impossible le jour où j'ai préféré ignoré ma maladie. Et même si aujourd'hui nous couchons encore ensemble, nos vies ont bien évoluées et je porte un amour plus grand à Inès. Je lui étais neanmoins totalement reconnaissant d'avoir toujours été là pour moi.
Je la pris dans mes bras et j'enfouie ma tête au creux de son cou. Un nouveau combat allait commencer. Un combat pour ma survie, un combat pour mon amour Inès, un combat contre la maladie que je comptais bien remporté.
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(Mélaine)
Six semaines que je n'avais pas revu Carin. Je me trouvais devant la porte de son bureau attribué temporairement à son remplaçant. On m'avait informé qu'il avait demandé des vacances. Je m'attendais à ce qu'il revienne au bout d'une ou de deux semaines mais cela faisait exactement six semaines qu'il avait disparu de la circulation. J'avais pendant ce temps développer une excellente relation avec Ashley qui ne supportait pas Inès. Nous nous voyions au moins une fois par semaine et aujourd'hui il était prévu que l'on déjeune ensemble. Elle m'avait conté la visite d'Inès dans leur maison familiale et m'avait assuré que plus jamais elle n'y mettrait les pieds, ce qui m'avait un temps soit peu rassuré. Cependant le fait de ne plus avoir de nouvelles de Carin m'inquiétait plus qu'autre chose. Mille questions fourmillaient dans ma tête. Avait-il fait fi de l'avis de sa famille? Était-il partit au loin avec cette défigurée ? Et voilà que je n'avais plus le droit de me rendre chez lui. Je n'avais bien entendu pas tenu compte de ses ordres et j'étais allé rôdé autour de sa maison mais je n'avais rien vu, rien entendu. La maison semblait presque inhabitée, ce qui m'alarma encore plus.
Je pensais une fois de plus à mes nombreuses théories lorsque dans le hall de l'hôpital une silhouette qui me faisait dos attira mon attention. Je bondis. Je reconnaîtrais cette silhouette entre mille.
-La sauvageonne! appelai-je provoquant des rires sur mon passage
Je m'avançai vers Inès qui m'ignorait délibérément.
-La sauvageonne, je te parle!
-Quoi ? demanda t-elle en se retournant sur la défensive
-Carin n'est pas là ! dis-je
-Pauvre fille! m'insulta t-elle. Je ne suis pas venu le voir. Ce qui n'est pas ton cas apparemment
-Ah! J'ai appris que tu t'étais rendu dans la maison familiale de Carin et que tu avais été égale à toi-même ; renchéris-je. Une vrai sauvage !
-Qui t'a dit ça à toi d'abord ? questionna t-elle un tantinet étonnée.
-Ashley, c'est une très bonne amie à moi; me fis-je le plaisir de lui balancer en pleine face. Elle m'a dit que tu...
-Ça suffit! m'interrompit-elle me rendant folle de rage.
Je la trouvais effrontée. Elle se laissait moins faire qu'antan et se permettait de m'attaquer. Elle avait acquis une certaine assurance et Dieu seul savait en quoi elle avait foi.
-Je vois que tu as encore chopé quelque chose la miséreuse des misereuses; dis-je en remarquant qu'elle tenait une ordonnance. C'est comme ça qu'Ashley te surnomme tu sais? Dis moi, comment tu fais pour avoir autant de malchance?
-Cela ne m'étonne pas venant d'Ashley. Vous vous êtes bien trouvé cette vipère et toi. Et j'ai envie de te dire que le vent a tourné parce que cette fois-ci c'est une bonne chose que j'ai chopé; dit Inès un sourire au coin des lèvres
-De quoi tu parles? demandai-je craignant de comprendre ce dont elle parlait
-Je suis enceinte; lança Inès avec aplomb. Enceinte de Carin.
Son sourire s'étendait d'une oreille à une autre. Le choc m'avait assommé. Tout ce que je craignais ces derniers jours s'avéraient justes. Je n'arrivais plus à respirer tellement j'avais du mal à digérer cette nouvelle. Si Inès était enceinte, cela signifiait qu'elle filait le parfait amour avec Carin et que tout était fini pour moi. Non, je ne pouvais pas l'accepter. La colère m'assaillit tellement que tout mon être tremblait. Je m'accrochai au comptoir pour éviter de tomber car j'avais l'impression que mes jambes ne me portaient plus.
-C'est fini! me lança fièrement Inès avant de se retourner et de sortir de l'hôpital.
-Ça va? me demanda une infirmière
-Oui oui; répondis-je agacée
Je ne comptais pas me laisser faire ainsi. Une idée me vint subitement lorsque je me trainais hors de l'hôpital. Ce n'était pas la meilleure idée du monde mais au moins elle me permettrait de ne pas me laisser dépasser par la situation. J'avais rendez-vous avec Ashley tout à l'heure et il ne me restait qu'une seule solution. Devancer Inès et annoncer ma grossesse. Annoncer ma fausse grossesse.