Partie 14 : concessions
Ecrit par labigsaphir
[ BLESSING ]
- Une chose de faite, fait Faith en se levant.
- Je t’assure, c’est une très bonne idée.
- Blessing, honnêtement j’aurai souhaité que tu t’y installes au lieu de te trouver des locataires.
- Rester là-bas aurait signifié accepter toutes ses bêtises.
- …
- Je ne souhaite pas envoyer un message contradictoire à mes faits.
- Je ne comprends pas.
- Lui faire comprendre par mon comportement que je ne suis pas matérialiste et faire le contraire.
- Ok.
- Je vais chercher une petite chambre au quartier et y rester tranquillement.
- Je vois.
- Et si nous allions au marché central ?
- Pourquoi pas ?
- Ton mari ne fera pas de problème, j’espère ?
- Non. Ne t’inquiète pas.
Mon téléphone se met à sonner, je prends dans mon sac à main pendant que Faith stoppe un taxi.
- Allo,
- Bonjour Camron.
- Comment vas-tu, ma belle ?
- Bien, merci et toi ?
- Ça peut aller. J’espère ne pas te déranger.
- Je suis en train de monter dans un taxi.
- Oh ! Tu sais, je pourrais faire le chauffeur toute la journée pour toi.
- Non, Camron, merci. Je suis certaine que tu as fort faire.
- Non, la formation est terminée.
- Nous n’allons pas te déranger plus que cela, Decielle et moi.
- Mais que vient faire Decielle, ici ?
- N’est-ce pas ta copine ?
- Depuis quand ?
- Oh ! je croyais que…
- Blessing, je croyais t’avoir fait comprendre que Decielle ne m’intéresse pas.
- Mais, je…
- Blessing, que penses-tu de ma proposition ?
- Je te rappelle dans quelques heures.
- C’est parfait.
Je raccroche, remets le téléphone dans mon sac main et me tourne vers Faith qui a un sourire énigmatique.
- Camron, n’est-ce pas le gars swagg, le fils de bobo qui te court après ?
- Si, c’est lui.
- Un beau mec comme lui, ma chérie. Il a tout ce dont peut rêver une femme : un nom, une position et tu peux trouver un travail grâce à lui.
- C’est vrai. Je ne souhaite tout simplement pas abuser de sa gentillesse.
- Abuser de quoi, Blessing ? On voit que tu ne sais rien des hommes, ma chérie. Ils sont gentils, les plus doux de la terre jusqu’à ce qu’ils aient eu ce qu’ils veulent.
- …
- Ma chérie, il faut frapper avec eux. Demande tout ce que tu veux, il va donner. Quand ils donnent là, tu ne forces pas et ce n’est pas de l’escroquerie.
- Akieuuu Faith.
- Crie et reste alors là, ce sont les femmes fortes qu’ils aiment.
- Massa, avec toi, on ne rigole pas hein.
- Si si si si si.
- …
TROIS HEURES PLUS TARD…
- Blessing, sérieux, je ne comprends pas que tu continues à faire des courses au marché central alors que Malick a des sous.
- Faith, ce sont justement les sous de Malick.
- Tu es gentille parce qu’une autre aurait vidé son compte.
- Faith, j’ai peur de Dieu.
- Pense à Jack, lui, n’a pas eu peur de Dieu. Quand un homme veut te faire du mal, il ne pense qu’à lui.
- Je sais mais je ne suis pas comme lui.
- Je disais seulement. Tu as bien fait de demander à ton chérie de venir nous chercher dans une heure.
- Faith, pardon, je ne veux pas les problèmes, ce n’est pas mon chéri.
- Aka, façon il te court après.
- Il court dans le sac, ma chérie. J’ai déjà trop de problèmes pour venir en rajouter.
- Et si nous allions boire le djindja en mangeant les beignets de l’autre côté de la route ?
- Allons-y, ma chérie.
Nous traversons la route, Faith commente rapidement pendant que nous allons prendre place. Je marche sur le pied de la femme près de moi, avant de m’asseoir.
- Aïe ! Ça fait mal ; elle se masse le pied en gémissant.
- Excusez-moi, madame.
- J’aurai du mettre des tachantchouk( chaussures en plastique, argot camerounais).
- Désolée, madame, désolée.
- Ce n’est pas si grave, fait-elle en levant la tête.
J’ai instantanément le sourire en reconnaissant Dounia, cette femme ne cessera jamais de m’étonner. Je ne pensais jamais la voir dans un endroit pareil.
- C’est comment, Dounia ?
- Bien, merci et toi ?
- Ça peut aller, merci.
- Tu te fais rare.
- Oui, ça peut arriver. Et ton mari ? Les enfants ?
- Tous vont bien. Ils sont à la maison. J’avais besoin de respirer.
- Je te comprends, rassure-toi.
- Tu es bien, ta fille est avec ta mère.
- N’est-ce pas ? C’est bien mais elle me manque, Dounia.
- C’est normal, tu es sa mère. Je parie que tu ne t’en étais jamais séparée.
- Tu as tout compris.
Je suis triste et ferme les yeux durant quelques instants ; c’est difficile, féfé me manque tant.
- Du courage, ma chérie. Fait Faith en posant sa main sur mon épaule et me tendant un plat de beignets et une bouteille de djindja.
- Merci, Faith. Ah oui, Dounia, je te présente ma copine, Faith. Et Faith, Dounia, la belle-sœur de Malick.
- Enchantée ! Font-elles en chœur.
- Mmmm, c’est bon. Cela faisait longtemps que je n’en avais pas bu. Dis-je en me désaltérant.
- N’est-ce pas ? Tu étais aussi en formation, c’est normal. Réplique Faith.
- Ah, serait-elle terminée ? Demande Dounia, intéressée.
- Oui, j’en ai terminé.
- Que vas-tu faire ?
- Trouver du travail, ma belle.
- Pourquoi ne demandes-tu pas à Fatima et Lubna ?
- Non, merci Dounia.
- Cela a déjà pris feu entre vous.
- Humm, je préfère ne pas en parler.
- Assia, je te comprends. Je suis passée par là.
- Humm.
- Je puis t’assurer qu’avec toi, elles ont été douces.
- Quoi ?
- Comme je te dis là. Et comme leurs frères laissent tout faire, c’est la souffrance assurée.
- Humm.
- As-t déjà rencontré la reine-mère ?
- Non oooo.
- Celle-là, tu te plains de Fatima et Lubna ? Avec celle-là, tu vas fuir ton foyer.
- Eukieeeee ! S’exclame Faith en ouvrant grand les yeux. Fume-t-elle le fer ?
- Faith, répond Dounia, c’est une sorcière née. On dit souvent que les belles-mères sont des sorcières, celle-là est une sorcière-chef.
- Dounia, n’exagères-tu pas ? C’est quand même ta belle-mère, la coupai-je mal à l’aise.
- C’est ma belle-mère et puis quoi ? Quand elle ouvre souvent sa bouche pour me parler bizarrement, elle oublie souvent que je suis moi aussi la fille d’une femme.
- Ah ça ! Appuie Faith en avalant une gorgée de djindja.
- Faith, quand une belle-mère se comporte comme un chien, il faut la considérer comme telle.
- Dounia, tu es dure, je trouve ; je suis outrée par sa façon de faire.
- Blessing, on dirait que tu ne sais pas où tu as mis le pied.
- Ah bon ? Fait Faith, intéressée. Pardon, madame, donnez encore des beignets et du jus à Dounia.
- Merci ma fille, répond la concernée, les yeux brillants.
- De rien. Vas-y ma co’o, raconte.
Le regard échangé par Faith et Dounia ne me plait vraiment pas. Cette familiarité naissante m donnerait presque des nausées.
- Figure-toi qu’une fois, j’ai rencontré un ancien camarade de classe au marché d’Essos, commence Dounia.
- Huhumm, fait Faith.
- Lubna nous a vus, je ne le savais pas, poursuit-elle la mine serrée. Il a gentiment proposé de me raccompagner, tu connais les hommes.
- Huhum.
- J’ai d’abord refusé mais comme j’avais deux gros sacs, j’ai fini par dire oui.
- Tu n’avais rien fait de mal.
- Mais monter dans la voiture d’un homme qui n’est pas ton mari,
- Blessing, me coupe Faith, tu montes bien dans les taxis.
- Ce n’est pas pareil, Faith.
- Blessing, tu es encore une enfant, repart Dounia. Arrivés au quartier, il m’a déposé à u carrefour de la maison et j’ai pris mon pousse-pousse tranquillement. Mon mari était déjà à la maison et m’attendait de pied ferme.
- Je n’ose imaginer, murmure Fiath.
- J’ai encaissé ce jour-là et tout entendu.
- Wééééééé ma chérie, compatit Faith.
- Comme si cela ne suffisait pas, il a fallu que ma belle-mère arrive deux jours plus tard et demande à mon mari de faire un test de paternité.
- Quoi ? S’exclame Faith, choquée.
- Comme je te dis là.
- Rayaaaa juste parce qu’il t’a raccompagnée.
- Huhum.
- Je conviens que le test de paternité était de trop, dis-je soufflée. Qu’a fait Brahim ?
- Il a fait ce que sa mère lui demandait, répond-elle amère.
- Les hommes vont tout nous montrer dans ce monde ! S’exclame une femme près de nous. Pardonnez les filles, je vous ai entendues.
- Ce n’est pas grave, la mère. Fait Faith en souriant.
- Et qu’ont pensé Myriam et Aisha ?
- Tu connais Aisha, toujours aussi mauvaise. Elle était d’accord, j’avais les échos par son mari et Myrima, essayait de calmer les choses.
- Blessing, donc entre Belles-sœurs, l’entente n’est pas parfaite ? Demande Faith.
- Oh non, ma chérie ; je suis quand même attristée par la situation.
- C’est ce que tu dis doucement, Faith ? Cette Aisha a souffert quand elle est arrivée dans son foyer avec Samira et Isaac. Nous l’avons toutes soutenue mais aujourd’hui, elles a des airs.
- Attends, attends, comment a-t-elle souffert avec Samira et Isaac ?
- Que ne comprends-tu pas, Blessing ?
- Comment peut-elle souffrir avec Isaac et Samira, alors que ce sont ses enfants ?
- Blessing, quand je dis que tu es une enfant, ce n’est pas pour rien. Repart Dounia en avalant une gorgée de Djindja.
- Elle essaie de te faire comprendre que Samira et Isaac ne sont pas les enfants d’Aisha, intervient Faith.
- Minceeee ! Mais où est leur mère ?
- Elle est morte, Blessing.
- Mais de suite de quoi ?
- Elle s’est réveillée un beau matin, se plaignant du ventre. A midi, elle a fini de s’occuper de son mari et ses enfants, est partie se reposer ; son regard se voile.
- Et ?
- Blessing, elle est morte dans son sommeil ; sa voix est brisée.
- Mon Dieu !
- Comme je te dis là. C’était une femme très gentille, Blessing. Cette femme avait le cœur sur la main. Toujours un petit mot gentil pour les autres, en plus d’être serviable et travailleuse.
- Paix à son âme.
- Je te dis, paix à son âme.
- Avec Faima et Lubna ?
- C’était la guerre, tu t’en doutes.
- Si elle était si gentille, pourquoi la dérangeait-on ?
- Tu ignores quoi ? Les belles-mères et belles-sœurs, sont des vraies plaies. Elle, c’était une guerrière, elle ne se laissait pas marcher sur les pieds.
- J’imagine, murmurai-je en pensant à Oumou et Mai des Bobodioufs.
- Elle est partie et a laissé deux enfants en bas age.
- Ça se voit que tu l’aimais beaucoup, Dounia, remarquai-je.
- C’était une amie et une sœur, explique-t-elle tristement.
- La dernière fois, lorsque vous étiez chez Malick, je ne sais plus qui m’a soufflée qu’Achab n’est pas ton enfant.
- Je suis certaine que c’est Aisha.
- Je n’en suis pas certaine mais ne pense pas, Dounia.
- Je suis certaine que c’est elle. Et puis, je n’ai rien à cacher.
- …
- Oui, Achab n’est pas mon fils mais celui de Safia.
- Safia ? Répétai-je perdue.
- La première femme de Brahim, explique-t-elle en se redressant.
- Où est-elle en ce moment ?
- Décédée, Blessing, décédée.
- Eukieeee, Dans cette famille, les fils ont déjà perdu leur première femme ?
- Oui, Faith. Répond Dounia, gênée.
- De quoi est-elle morte ?
- Courte maladie, c’est ce que m’a dit Brahim.
- Dis donc, hum.
- Faith, tu ne vas quand même pas dramatiser ?
- Qu’ai-je dit, Faith ?
- Non, Blessing, il ne faut pas te fâcher. Je me suis aussi posée la même question.
- …
- Il faut laisser, ce n’est rien. Sinon, ma chérie, il faudrait que tu regagnes ton foyer.
- Pourquoi ?
- Fatima et Lubna étaient à la maison se plaindre.
- Je ne suis pas étonnée.
- Elles ont raconté avec force et détails que tu leur avais manqué de respect et humiliées. Lubna prétend que tu as porté mains sur elle.
- Ce n’est pas exactement ce qui s’est passé, me défendis-je.
- C’est aussi ce que je pensais, ma petite.
- En fait,…
Cinq minutes plus tard, lorsque j’ai terminé. Dounia pose sa bouteille de djindja et tape dans ses mains, les yeux écarquillés.