Partie 16 : Bizarre
Ecrit par labigsaphir
[ BLESSING ]
- Où allons-nous, Myriam ?
- A l’hôpital Général, répond-elle en hâtant le pas.
- Qu’y a-t-il là-bas ?
- Isaac et Omar y sont.
- Pourquoi ?
- Elle m’a juste fait comprendre qu’il est malade et qu’elle n’arrive pas à joindre son père.
- Mon Dieu !
Elle stoppe un taxi, j’admire son sang-froid et fais une petite prière pour le petit Isaac, un enfant si gentil et frêle. Je repense au jour où Malik avait donné une fête pour me présenter à la famille et aux amis. Isaac m’avait paru si timide, réservé et très fragile. Je me rappelle aussi combien sa petite-sœur le couvait. Comment oublier la petite distance qu’il y avait entre Aisha et ces deux-là ?
Je fais rapidement un signe de croix, récite le « Notre Père », « Je vous salue Marie » et d’autres psaumes durant tout le trajet. Tellement concentrée à ma tâche, je me rends compte de notre arrivée, seulement lorsque Myriam me bouscule.
- Blessing, nous y sommes !
- Je priais pour le petit.
- J’avais remarqué et le Seigneur te le revaudra, ma chère. Pour l’instant, allons-y !
Elle paie le taximan, nous descendons et courrons vers le portail. Nous nous dirigeons sans peine vers l’accueil où Myriam appelle Aisha, elle répond après trois essais et nous indique finalement où les trouver. Nous empruntons un dédale de couloirs et arrivons enfin à la chambre trois minutes plus tard. Dounia est à la porte, pleurant en silence et tenant le tasbi entre ses mains.
- Dounia que se passe-t-il ? Demande Myriam.
- Allez-y, répond-elle simplement.
- Ok. Courage, fais-je en suivant Myriam.
Le petit a été installé dans une salle commune, d’autres malades, grands comme petits sont couchés dans leur lit ; l’intimité est créé par un simple drap. Certains malades sont reliés à des appareils que je ne saurais identifier. J’ai un nœud dans le ventre en pensant à féfé qui pourrait aussi être dans cette situation. Je rends grâce au Seigneur de nous avoir donné la santé. Nous ne sommes pas riches mai avons l’essentiel ; c’est dans ces instants que je m’en rends vraiment compte, la santé est tout.
- Que se passe-t-il, Aisha ? Demande Myriam en se précipitant vers Isaac et elle.
- Myriam, tu es là ? Fait Aisha en levant la tête, les yeux remplis de larmes.
- Je ne pouvais pas rester à la maison alors qu’un de nos enfants souffrent.
- Ain…Amin… Je ne sais plus quoi faire et son père qui n’est pas là. Son père est injoignable.
- Calme-toi, nous allons prendre soin de lui en attendant leur retour.
- Merci d’être là.
- Bonjour Aisha, fais-je en me joignant à elles.
- Ah, Blessing, tu es aussi là.
- Oui, je le suis. Tu sais, je suis une mère comme toi et comprends parfaitement ce que tu vis.
- Merci.
- Que s’est-il passé ? Poursuit Myriam en s’approchant du lit.
Isaac est rattaché à quelques fils et l’odeur d’urine régnant dans la chambre, rentre dans mes poumons avec violence. Je me pince le nez, espérant mentalement m’y habituer pour ne pas froisser les uns et les autres.
- En fait, cela a commencé il y a quelques mois, explique Aisha en bougeant sur la chaise devant le lit.
- Qu’est-ce qui a commencé ?
- Isaac est tombé malade, il y a de cela quelques mois. Il avait de la fièvre, mal aux reins, un problème de tension. Nous pensions que cela passerait mais nous avons quand même vu un médecin.
- Et ?
- L’on nous a dit qu’il avait des calculs rénaux. Il a donné des conseils et prescrit quelques médicaments. La situation s’est calmée durant quelques temps, puis…Sniff…sniff…
- Ca va aller, dit Myriam en posant sa main sur celle d’Aisha.
- La maladie a recommencé de plus belle, nous avons été obligés de voir des spécialistes qui ont dit qu’il a la maladie de CACCI RICCI.
- La maladie de CACCI RICCI, qu’est-ce ?
- C’est une maladie des reins encore appelée « Rein en éponge ». C’est une maladie congénitale rénale qui se révèle par des coliques néphrétiques et des épisodes urinaires infectieux.
- Mais c’est une enfant, fais-je remarquer.
- C’est aussi ce qui nous a choqués, Blessing ; sa voix est brisée.
- Les voies du Seigneur sont insondables ; j’ai du mal à reconnaitre ma voix.
- Il nous avait été dit que cette maladie pourrait dégénérer et obliger Isaac à se faire dialyser pour survivre. Nous avons tant espéré ne pas arriver à ce stade mais nous y sommes, nous y sommes.
- Mon Dieu ! S’exclame Myriam en prenant la main du petit.
- Il se fait dialyser depuis deux mois, nous pensions que tout allait mieux mais plus rien va depuis quelques jours.
- Je ne comprends pas, Aisha, dis-je en contournant le lit et posant ma main sur son front ; il a les yeux clos et l’air famélique.
- L’on a l’impression que la dialyse de ne l’aide plus. Il a juste 9 ans, juste 9 ans.
- Mon Dieu ! Ne l’oubliez pas, murmurai-je les larmes aux yeux.
- As-tu pensé à appeler un membre de sa famille maternelle ? S’enquiert Myriam.
- Non, répond-elle en se tournant vers moi.
- Pourquoi ?
- Omar m’a interdit de le faire.
- Pourquoi ? Insistai-je, surprise par la réponse.
- Entre la famille maternelle d’Isaac et Omar, c’est la guerre.
- Mais il y a un enfant malade au milieu en plus de Samira, ils peuvent déposer les armes.
- Omar, après la mort d’Abiba, avait interdit à la famille maternelle d’approcher les enfants.
- Oh !
- Oui, cela peut paraitre méchant mais il avait raison, c’était toujours les problèmes ; Ils ont manqué de respect.
Myriam se tourne vers moi, son regard est énigmatique. Elle se tourne vers le mur durant quelques instants et pose à nouveau son regard sur moi ; je crois y voir une lueur mais dois surement me tromper.
- Un souci, Myriam ? M’enquis-je en regardant Isaac.
- Non, aucun. Pourquoi ?
- Je ne sais pas.
- Blessing, je n’ai aucun souci.
Le regard D’Aisha passe de Myriam à moi, elle est sur le point de dire quelque chose mais se ravise. Isaac se met à tousser à cet instant, Aisha se précipite vers elle et pose sa main sur son torse.
- Ça ira, Isaac. Ouvre bien la bouche pour tousser.
- Cette odeur d’urine, fais-je remarquer.
- Issac a une sonde urinaire mais tous ne l’ont pas ici.
- Oh ! Je comprends.
- Excusez-moi, je vais essayer de joindre Moktar, dit Myriam.
- Je t’accompagne ; je la suis et balaie la salle du regard en m dirigeant vers la porte.
Dounia est assise non-loin de là, dans le couloir et semble être en train de prier. Myriam pose la main sur son épaule, elle ouvre les yeux et lève la tête vers nous.
- Ça ira, fait Myriam, ça ira.
- Tel que c’est parti, je ne pense pas. Réplique Dounia en se levant.
- Qu’en sais-tu, Dounia ? Dis-je en talonnant Myriam et Dounia.
- Ah oui, tu n’étais pas là, répond-elle mystérieusement.
- Etre là à quoi ?
- J’ai l’impression de revivre la mort du fils de …
- Dounia ! Fait une voix derrière nous ; Nous nous retournons, c’est Omar.
- Brahim, il va vraiment falloir que tu dresses ta femme, gronde Moktar. Je ne sais pas ce qu’elle a à raconter comme ineptie à des étrangers à la famille.
- Blessing, Dounia n’a pas toute sa tête, continue Malik.
- Mon fils est malade et toi, tout ce que tu trouves à faire, se résume à déblatérer contre cette famille, poursuit Omar en colère.
- Tu as la chance que nous soyons dans un hôpital, lâche Brahim les poings serrés.
- Pardon, Brahim, dit Dounia les larmes aux yeux.
- Sais-tu ce que ça fait de voir son fils dans un lit d’hôpital et se retrouver impuissant ? Demande Omar.
- Calme-toi, Omar, calme-toi. Tu sais comment sont les femmes. Elles disent tout et rien sur le coup de l’émotion ; Malik pose la main sur l’épaule de son frère.
- Qui es-tu pour venir dire que je n’aime pas mon enfant ? Qui es-tu pour prétendre tout et rien ? Poursuit Omar en tremblant.
- Excuse-moi, je ne savais plus ce que je disais. Lâche Dounia en pleurant.
- Il est temps de nous en aller, annone Brahim en prenant sa femme par le bras.
- Nous te tiendrons au courant, le rassure Malik.
Malik prend Omar par l’épaule et le pousse vers le bâtiment, abritant la salle où Isaac est hospitalisé. Myriam et moi, sommes comme tétanisées par tout ce qui vient de se passer. Nous suivons sans faire de bruit ou dire un mot. En moins de cinq minutes, nous nous retrouvons autour du lit du petit. Omar est dévasté et se retient pour ne pas pleurer.
- Qu’ai-je fait pour mériter, ça ? Demande-t-il en prenant la main de son fils dans la sienne.
Isaac ouvre les yeux, regarde son père un bref instant avant de les refermer et pencher la tête sur le côté. Il se met à respirer difficilement et avec du bruit. Aisha se lève en courant, quitte la salle et revient quelques minutes plus tard avec un médecin.
- Veuillez-vous éloigner, je vous prie. Ordonne-t-il en s’approchant du malade.
Seuls Aisha et Omar, restent au près du petit qui se met à tousser. A chaque fois qu’il le fait, mon cœur tressaute dans ma poitrine. Myriam et moi, préférons aller rester dehors.
- Le pauvre petit, murmurai-je les larmes aux yeux.
- D’abord sa mère et puis, lui. Tout me ramène au jour où j’ai perdu Selim. Alors que j’étais en train de discuter avec des amies venues me rendre visite, mon petit mourrait dans une piscine.
- …
- Mon petit est mort, tout seul, comme un orphelin. Il a eu mal et froid pendant que moi, sa mère, je riais aux éclats avec des amies.
- Myriam, te torturer ne servirait à rien.
- Je vais avec ce poids depuis toujours, toujours. Je m’en voudrais toute ma vie.
- Myriam,
- A chaque fois qu’un enfant meurt, je revis la mort de mon fils. C’est le prix à payer pour n’avoir pas fait attention.
- Non, Myriam, ce n’est pas ta faute.
- Blessing, tu ne peux pas comprendre.
Je la prends dans mes bras, la console du mieux que je peux et sursaute en entendant le bruit des pas de Malick et Moktar. Un coup d’œil à Moktar, il parait lui aussi touché mais fait tout pour ne pas le montrer. Mon regard croise celui de Malik, il me fait un petit sourire puis se tourne vers son frère.
- Venez ! Venez ! Venez ooooo, fait une voix derrière nous.
Nous nous tournons tous tel un homme, c’est Aisha toute paniquée. Malik se précipite vers elle et prend sa main.
- Que se passe-t-il, Aisha ?
- La grand-mère maternelle d’Isaac, ses tantes et ses oncles sont là.
Moktar et Malik, talonnés par Aisha se précipite vers le bâtiment. Myriam et moi, nous regardons puis courrons après eux.
- Vous n’avez pas le droit d’être ici, hurle Omar.
- Dans ce cas, mets-nous à la porte, réplique une dame d’un certain âge ; elle enlève le foulard sur la tête et l’attache aux reins.
- Mama Evelyne, fait de suite Malik, tu ne peux pas rester ici.
- Jeune homme, restez à votre place ! rétorque-t-elle la mien serrée.
- Maman, le petit n’est pas bien, fait une jeune femme derrière elle.
- Laura, laisse-moi tranquille ! Nous avons assez supporté cette situation. Depuis la mort de ta sœur, nous n’avons pas vu ses enfants.
- Ce n’est pas ici que tu viendras revendiquer ce droit alors que le petit est malade, intervient Omar.
- D’abord ma fille, Leona et maintenant mon petit-fils.
- Leona, murmurai-je en me tournant vers Myriam.
- Le nom civil d’Abiba, m’informe-t-elle.
- Ma fille est morte, je n’ai même pas pu voir son corps parce que vous l’avez enterré quelques heures après sa mort.
- Comme le demande la religion musulmane, explique Omar.
- Maman Evelyne, je comprends ta peine mais tu ne peux venir faire le bruit ici, supplie Malick.
- Je ne fais pas de bruit, je veux voir mon petit-fils !
- Non ! Tonne Omar en prenant position devant le lit.
- Dans ce cas, tu nous chasseras tous, continue la dame en s’avançant vers le lit.
Les deux autres jeunes femmes et le jeune homme qui étaient en retrait, en font de même. S’en suit une confrontation physique, des cris et des objets déplacés tombant.
- Omar, tu as tué ma fille, Leona mais mon petit-fils, tu n’y arriveras pas.
- Pardon, maman, supplie Laura.
- Oui, écoute ta fille, dit Omar les yeux révulsés.
- Si quelques chose arrive à mon petit-fils, Omar, tu sauras que les Bafia sont aussi des camerounais.
- Maman, tu ne peux pas dire ça, intervient Malick choqué.
- Des bassas musulmans, foutaise ! Lâche une personne dans l’assistance.
- Une bande de sorciers ! En fait un autre.
PAF !
Une gifle est partie de je ne sais où, c’est la bagarre générale. Les médecins et les infirmières arrivent, essaient de calmer tout le monde mais rien n’y fait. Les agents de sécurité sont appelés en renfort, ils réussissent à maitriser le beau monde.
- Si mon petit-fils meurt lui aussi, Omar, tu ne l’emporteras pas au paradis ! Hurle la grand-mère maternelle d’Isaac.
- C’est vrai. Bande sorciers ! lâche Laura en suivant sa mère.
- Il a notre sang, que vous le vouliez ou non ! Fait une voix.
- Merci docteur, remercie Omar.
- Nous allons partir, annonce Moktar en prenant la main de Myriam.
- Nous aussi, fait Malik en me regardant.
- Merci à vous, d’être passés.
Nous quittons la salle en rangs serrés sous le regard des infirmières, agents de sécurité et des médecins. J’avoue avoir été choquée par tant de violence dans un hôpital et l’attitude de la famille Badjeck. Nous nous séparons devants les véhicules respectifs de Moktar et Malick.
- Désolé que tu ais du assister à tout ceci, dit-il en démarrant.
- Non, tu n’as pas à t’excuser. Cela peut arriver.
- Dans chaque famille, il y a des soucis.
- C’est vrai, fais-je pensive.
- A quoi penses-tu ?
- Cela ne me regarde pas, Malick.
- Je t’autorise à poser des questions, tu fais déjà partie de cette famille.
- Pourquoi Omar ne peut-il autoriser la grand-mère à vois son petit-fils ?
- En fait, elle n’a jamais été d’accord que sa fille rentre dans notre famille. Sa mort a été la goutte d’eau qui a débordé le vase.
- Pourquoi s’y opposait-elle ?
- Il y a eu des histoires comme quoi, le marabout qu’elle avait vu lui avait dit qu’Omar n’est pas un homme bien et d’autres petites choses.
- …
- Tu sais, en fait, je me dis que l fait que nous soyons des musulmans a participé à créer une certaine psychose dans l’esprit de cette famille.
- …
- A chaque fois qu’elle visitait sa fille, il y avait des problèmes dans le foyer de mon frère. Il a donc été obligé de prendre des décisions radicales.
- Comme ?
- Interdire à sa femme de revoir sa famille.
- Quoi ?
- Oui, il a été obligé puisqu’à chaque fois qu’elle y allait, ils réussissaient à lui farcir la tête de bêtises. Abiba était une femme influençable, je te laisse imaginer ce que cela a pu engendrer dans le foyer de mon frère.
- …
- Il a été obligé d’interdire à sa belle-famille de mettre les pieds chez lui et à sa femme d’aller rendre visite à sa famille.
- Oh non !
- Et ce, jusqu’à sa mort brutale.
- Issac a bien une famille maternelle et n’était en rien concerné par les soucis entre sa famille maternelle et son père.
- Nous sommes des hommes et emmenés à prendre certaines décisions, Blessing.
- …
- Alors, à pert cet épisode, comment a été ta journée ?
- Superbe. Et la tienne ?
- Ça peut aller.
- Où étais-tu ?
- Je ne comprends pas, chérie.
- Où étiez-vous, Omar, Moktar, Brahim et toi ?
- Nous étions là.
- Non, à un certain moment nous n’arrivions à joindre aucun de vous.
- En fait, nous avions une réunion de famille concernant Mourad.
- Le fils de Selim, votre grand-frère du Nord.