Partie 5
Ecrit par Ornelia de SOUZA
Le jeune médécin réapparut moins de dix minutes plus tard avec à ses cotés une vieille dame menue dont l'âge n'avait pas hésité à frapper le corps. Son accoutrement m'indiqua rapidement qu'elle était une réligieuse. Mon visage triste de circonstance reprit rapidement sa place lorsque l'homme et la vieille dame approchèrent de mon lit. Le médecin prit les devants et tenta de faire des présentations.
-Sœur Mina, je vous présente cette demoiselle...
-Mélaine; me hâtai-je de préciser
-OK... Mélaine, je vous présente la sœur Mina. Elle est camerounaise mais elle est ici depuis près d'une semaine maintenant et je ne peux que qualifier en bien l'aide qu'elle nous a déjà apporté en ce qui concerne les histoires comme la votre.
La nonne montra ses dents en guise de remerciements au médecin. Une camerounaise ! Je détestais l'accent camerounais. Allais-je devoir supporter ça ? Je me connaissais assez pour savoir que je perdais facilement patience lorsque je n'avais aucun intérêt en jeu. Si cette bonne femme pensait qu'elle me bassinerait avec ses prières et son chapelet, elle se trompait grandement. Bien entendue, je ne ferai rien tant que le mignon docteur sera toujours là mais dès qu'il s'en ira, je l'enverrai paître et ceci sans hésitation.
-La sœur Mina apporte de l'aide psychologique et financière aux femmes dans votre cas; continua Carin. Elle est...
Le reste de son discours m'echappa. De l'aide financière, c'était exactement ce dont j'avais besoin en ce moment. J'avais encore quelques affaires dans cet appartement malfamé que j'occupais mais toutes mes économies étaient resté chez les OLATUNDE. Étant donné les derniers mots que Kayodé m'avait lancé, il était hors de question que je retourne chez eux pour réclamer quoi que ce soit si je tenais à ma vie. C'était le retour à la case départ pour moi alors si cette religieuse avait de l'argent à partager, je le prendrais volontiers.
-Mélaine... Mélaine ! m'appelait la sœur
-Oui ma sœur ! répondis-je en revenant à la réalité.
-Le docteur vous parle
-Oui? dis-je en me retournant vers Carin
-Je vous disais que vous n'avez rien de grave. C'est juste la douleur qui vous a fait perdre connaissance. Je vous conseille d'appliquer des compresses chaudes au bas de votre dos pour éviter qu'il n'enfle ou que la douleur persiste. Vous pourriez rentrer chez vous dès ce soir.
Chez moi?! Il était hors de question que je retourne dans ce taudis après avoir goûté à la vie de luxe auprès de Kayodé même si cela n'avait duré qu'une journée. Je froncai les sourcils puis comme une poupée téléguidé, j'eclatai en sanglots. La sœur s'élança directement vers moi pour me prendre dans ses bras. Elle était douce. Elle était forcément une bonne femme mais malgré mon jeune âge, j'en avais assez vu pour savoir qu'il ne servait à rien d'être une bonne personne. Les bonnes personnes étaient justement celles dont on profitait le plus et c'était exactement ce que j'allais faire avec cette bonne sœur.
-Qu'y a t-il mon enfant? me demanda t-elle en me serrant dans ses bras
-Je suis seule ! Je n'ai personne. Je vais retourner à la rue.
-Comment ça ? s'inquiéta Carin
-J'habitais chez ses monstres ; répondis-je en mimant des soubresauts dû à mes pleurs pour être plus crédible. Et maintenant je n'ai nulle part où aller. Je vais me retrouver dans la rue de nouveau.
-Non! fit la sœur Mina en se détachant de moi
Elle sembla soucieuse un instant. Elle prit un air pensif. J'espérais secrètement qu'elle ne couvre mes frais pour un quelconque hôtel de standing mais je craignais aussi secrètement qu'elle ne m'envoie dans un refuge pour femmes en détresse. Je n'eus heureusement ou malheureusement ni l'un ni l'autre.
-Je ne fais pas ça d'habitude mais votre situation me touche chère Mélaine. J'habite seule dans un trois pièces et je serais ravie de vous accueillir.
Je grimacai plus qu'autre chose. Je ne m'attendais pas à cette décision. Vivre avec une nonne et supporter une vie de privation. Très peu pour moi. J'allais décliner l'offre lorsque le jeune médecin ouvrit la bouche.
-Oh merci ma sœur ! Tout ce que vous faites est salutaire. Grâce à vous, Mélaine ne va pas se retrouver à la rue. Elle est sûrement reconnaissante! conclut-il en se retournant vers moi
-Oui; répondis-je avec un faux sourire béat.
J'étais prise au piège. Refuser cette offre reviendrait à révéler mon mensonge et mon caractère de profiteuse. Je jetai un coup d'oeil à Carin qui semblait fort heureux de la décision de la sœur Mina. Une fois de plus, je notai son grand charme. Je n'avais jamais vraiment été attiré par un homme. Ceux que j'avais connu en arrivait même à me dégoûter. Je couchais uniquement par nécessité comme j'aimais le dire. Le médecin était sans aucun doute le premier homme dont le physique m'attirait. Il me plaisait.
-Bon, je vais m'occuper de mes autres patients. À bientôt demoiselle Mélaine!
Il s'en alla après m'avoir fait cadeau d'un sourire subtile. Je l'observai un long moment avant d'être interpellé par la sœur Mina.
-Mélaine, racontez moi un peu votre histoire. Que vous est-il arrivé ?
-Je l'ai déjà conté au docteur; répondis-je. Il n'y a rien à dire. J'étais l'employée de cette femme et son mari abusait de moi. Et lorsqu'elle l'a découvert, elle m'a battu et m'a envoyé à l'hôpital.
-Mais quelle horrible histoire! s'exclama la sœur Mina. Si tu le veux, nous pouvons porter plainte contre eux. Même si cela n'aboutit pas souvent parce que nous sommes en Afrique...
-Non! l'interrompis-je
Porter plainte et quoi encore ?Mes mensonges seraient révélés au grand jour.
-Je veux oublier ces gens et refaire ma vie; expliquai-je à la sœur Mina qui me scrutait avec des yeux ronds.
Je soupirai. Je n'étais pas au bout de mes peines avec cette sœur. Il fallait que je me hâtes de trouver un autre plan de sortie. Un autre homme riche prêt à m'offrir la lune pour m'avoir dans son lit.
********
-Toc toc
Je levai la tête. La jeune Mélaine se trouvait à l'embrasure de la porte. Je l'avais rencontré trois jours plus tôt lorsqu'un homme d'un certain âge l'avait porté à bout de bras. Elle était inconsciente et selon les dires de l'homme, on l'avait agressé alors qu'elle portait une grossesse d'à peine quelques semaines. Les débuts de grossesse étant souvent à risque, je l'avais vite pris en charge. Il s'était finalement avéré qu'elle n'avait rien de grave et que de plus elle n'était pas enceinte. Pour se justifier, elle avait conté une histoire de vie fortement rocambolesque. J'avais fait venir une sœur qui était en mission humanitaire pour l'aider. Cependant pour m'être entretenu avec l'homme qui l'avait conduit à l'hôpital, je ne croyais pas un traitre mot de la version de cette femme. Mais j'avais appris à ne pas me mêler de la vie des gens. J'avais fait mon travail et je m'étonnais encore de la voir ici.
-Entrez ! lui lancai-je pris au dépourvu
Elle avait changé. Elle était belle, plus apprêté, plus vivante. Je souris à cette pensée. Comment pouvais-je comparer une femme en pleine santé et une femme dans les pommes?
-Bonjour docteur ; fit-elle
-Carin s'il vous plaît
Elle s'avança vers moi ondulant exagérément dans une robe moulante noir qui s'arrêtait bien au dessus de son genou. Aucun doute ne subsistait sur la question. Cette femme était diablement séduisante. Sûrement le genre à faire tourner la tête à des rangées d'hommes. Mais du peu que je savais d'elle, elle n'était pas à mon goût.
-Que faites-vous ici? questionnai-je alors qu'elle s'asseyait.
-Je suis venu vous voir; me répondit-elle. Je suis venu pour vous remercier de m'avoir secouru et d'avoir mis la sœur Mina sur mon chemin.
-Je n'ai fait que mon travail, voyons! Vous n'auriez pas dû vous déplacer pour ça.
-Oh que si! Pour moi, c'est primordial d'être reconnaissante. Je viens aussi vous inviter à dejeuner.
Je ricanai intérieurement. M'inviter à déjeuner? Avec quel argent? Elle qui pleurait toutes les larmes de son corps prétextant qu'elle n'avait plus rien. À moins qu'elle n'ait fait les poches à la sœur Mina... Et même dans ce cas, elle manque cruellement de simplicité et de discrétion.
-Oh non! protestai-je. Ce n'est pas la peine de vous gêner. J'ai un programme prévu avec l'un de mes collègues pour le déjeuner.
Elle se mordit nerveusement la lèvre inférieur. Elle s'attendait sûrement à ce que je la suive comme tout les autres hommes qu'elle contrôlait. Moi, elle ne m'intéressait pas une seule seconde.
-Carin! appela une voix masculine
Roland, le gynécologue de l'hôpital venait d'entrer sans toquer car la porte était ouverte. Contrairement à moi, c'était un petit homme grassouillet. Son ventre rebondi l'empêchait sûrement d'avoir une vue nette de ses pieds. Il était néanmoins le meilleur gynécologue que je ne connaisse. Un talentueux médecin. Il était marié bien avant d'intégrer l'école de médecine. Un amour de jeunesse, une folie, m'avait-il expliqué. Il aimait passionnément sa femme, la mère de ses enfants mais cela ne l'empêchait pas d'être un incorrigible infidèle. Il collectionnait plus de femmes que moi qui était célibataire et libre de mes actions. Je ne fus donc point surpris lorsqu'il jaugea Mélaine du regard.
-Qui est donc cette sublime demoiselle? s'exclama t-il
-Quand on parle du loup... Mélaine, il s'agit de Roland, l'un des plus illustres gynécologue du pays. C'est le collègue avec qui je vais déjeuner.
-Oh c'est donc vous le fameux collègue qui me vole Carin! fit-elle en tendant une main que Roland saisit immédiatement pour y déposer un baiser.
-Quoique je vous ai volé, dites le moi et je vous le rendrai! déclara Roland
-J'ai invité Carin ici présent à déjeuner mais il m'a fait savoir qu'il avait déjà un programme avec vous.
-Mais ce n'est pas un soucis ! Joignez vous à nous et illuminez notre table belle demoiselle!
Je soupirai. Je n'étais visiblement pas au bout de mes peines avec ses deux là. Roland déployait tout ses numéros de charme et elle se laissait faire bien entendue. J'avais bien trop faim pour supporter longtemps leurs mielleuses déclarations.
-Très bien! dis-je en me levant. Nous n'allons plus tarder alors. Allons déjeuner.
*******
Le garçon de table nous servit nos plats chauds et fumants. Carin ne se fit pas prier. Il saisit sa fourchette et attaqua son plat de riz jollof. Roland, lui ne jeta même pas un regard à la nourriture occupé à déblatérer. Depuis que nous avons mit pied dans le restaurant, il n'avait cessé de me parler. Je voyais bien que je lui plaisais. D'une part, j'étais flattée et d'autre part, j'étais fortement agacée. Il parlait, parlait et parlait sans retenue m'empêchant d'entamer une discussion avec celui qui m'intéressait vraiment: Carin. Celui-ci n'avait ouvert la bouche qu'une ou deux fois pour acquiescer ou désapprouver les choses que Roland avançait. Dès que je tentais de prendre mes couverts, Roland me prenait la main et me sortait pour la énième fois un compliment. Mon plat refroidissait et Carin terminait le sien. Il me lança un sourire satisfait en tapotant son ventre. Je n'arrivais pas à croire que ce balourd bavard m'avait empêché de manger et de discuter avec Carin.
-Oh la la! s'écria Carin. Vous êtes tellement absorbé par votre discussion que vous n'avez pas touché à vos plats. Moi j'ai fini.
-Je vois ça; sifflai-je en colère
-Bon comme il n'est pas trop bon qu'un médecin traîne parce qu'il y a toujours des vies à sauver, je vais retourner à l'hôpital.
-Non; dis-je. Rester un peu avec nous.
-Oh non, je dois y aller chère Mélaine mais j'ai été ravie de partager ce laps de temps avec vous. Je vais régler la facture pour nous trois...
-Non; intervint Roland. Je t'invite toi et la charmante demoiselle. Je vais m'occuper de ça, ne t'inquiète pas. Allez file! Tes patients t'attendent!
Imbécile ! Il encourageait Carin à partir. Tout ce que j'avais prévu en me levant ce matin tombait à l'eau. J'observai Carin sortir du restaurant et je soufflai de colère. Il me plaisait vraiment mais il semblait indifférent à mon charme. Pas comme ce ventru de Roland.
-C'est un bon garçon ; me lança t-il en suivant mon regard.
-Quoi? dis-je en revenant sur terre
-Je te parle de Carin
Il venait de me tutoyer, ce qu'il s'était abstenu de faire en présence de Carin.
-Je constate qu'il t'intéresse énormément; continua t-il
-Ce ne sont pas vos affaires!
-Oh tu peux me tutoyer ma belle ; fit-il en me posant une main sur le haut de la cuisse
-Restez poli! criai-je en retirant sa main sans aucune douceur.
-De quoi tu parles chérie ? Les filles comme toi, moi je les connais. Tu as sûrement appris que Carin est un bon parti. Qu'il est pleins aux as et que sa famille est fortement aisée et tu veux en profiter.
-Je ne sais pas de quoi vous parler!
Et cette phrase était fortement vrai. Je ne savais pas à cet instant précis de quoi il parlait mais j'avais vite compris. Mon esprit fit un calcul rapide. J'étais attiré physiquement par Carin mais d'autres part, je recherchais un homme riche pour m'entretenir. Et Roland venait de m'informer que Carin pouvait occuper les deux rôles.
-Arrête tout de suite de jouer à la sainte! Moi je suis le meilleur ami de Carin en ce sens qu'il n'a aucun ami alors je peux t'aider à le conquérir.
-Ce que tu dis m'intéresse; dis-je en me penchant vers lui
-Ah enfin tu me tutoies! Je savais où je t'aurais ! dit-il en replaçant sa main au dessus de ma cuisse. Je ne veux pas passer par quatre chemins parce que je n'aime pas beaucoup parler et nous sommes tout les deux des grandes personnes alors nous n'avons pas besoin d'être hypocrites.
Je souris. Lui qui n'avait pas fermé sa bouche une seule fois depuis notre rencontre osait maintenant dire qu'il n'aimait pas parlé. Je l'avais laissé délibérément me peloter. Je voulais savoir ce que je pouvais en tirer. L'aide qu'il pouvait m'apporter.
-Carin est beaucoup plus riche que tu ne le penses; continua t-il. Je suis aussi très riche mais je suis déjà marié. Je veux bien t'aider à mettre la main sur Carin et crois moi, je peux le faire parce que je maîtrise tout de lui. Je suis même souvent invité dans sa maison familiale.
-Et que veux-tu en échange ? demandai-je bien qu'étant déjà au courant de la réponse.
-Je voudrais voyager entre tes cuisses; répondit-il sans gêne en me pinçant légèrement l'entre-jambe.
Il était culotté mais j'appréciais cela. Personne n'avait jamais été aussi directe avec moi. J'avais beaucoup à gagner dans ce marché. Et mon corps, je l'avais déjà donné pour moins que ça alors je ne fus nullement dérangé par sa demande mais je n'étais pas idiote. J'étais assez aguerrie pour savoir que les hommes mentaient uniquement dans le but de profiter de nous. Je n'avais pas confiance.
-Je ne coucherai avec toi qu'une fois que je serai marié légalement à Carin; murmurai-je à Roland en retirant sa main.