Partie 6

Ecrit par Ornelia de SOUZA

Comme tous les matins, cette bonne sœur rangeait ses effets dans son énorme sac à main avant de se rendre à l'hôpital. D'habitude, je dormais ou je feignais de l'ignorer jusqu'à ce qu'elle ne soit hors de la maison mais ce matin, je m'étais réveillée particulièrement tôt parce que j'avais dans la nuit d'hier établie un nouveau plan pour me rapprocher du beau Carin. Je ne l'avais pas revu depuis ce déjeuner gâché exprès par ce lourdaud de Roland. L'excuse que j'avais utilisée la fois passée pour lui rendre visite ne pouvait plus tenir. On ne peut pas remercier une personne autant de fois. La sœur Mina par contre était l'excuse parfaite pour retourner à l'hôpital. Celle-ci écarquilla même les yeux en me voyant debout aussi tôt.


-Mélaine! s'exclama t-elle. Que fais-tu debout à cette heure-ci?

-Je suis fatiguée de déprimer ma sœur ; repondis-je ayant établie à l'avance ce que j'allais lui dire. J'ai envie de reprendre ma vie en main. Je ne peux continuer à souffrir pour ce que ces gens m'ont fait. Je veux revivre ma sœur.

-Très bonne décision ! me lança la sœur avec un sourire ravi

-C'est pour cela que je veux me rendre à l'hôpital avec vous! dis-je. J'aimerais vous aider dans votre mission.

-Oh Mélaine tu es sûr ? C'est pesant comme travail tu sais?


Vieille bique! Si c'était si pesant, pourquoi le faisait-elle? J'avais besoin de voir Carin pour que les choses puissent évoluer entre nous. Elle n'allait pas m'empêcher de la suivre et je savais exactement quoi dire pour cela.


-Ma sœur, laissez-moi vous aider je vous en prie! Il en va de mon épanouissement personnelle. Je ne peux plus rester enfermée ici.

-Très bien; murmura la sœur après un moment d'hésitation. Je te laisse te préparer alors pour qu'on y aille.


En dix minutes, j'étais déjà prête. Encore quelques petites minutes sur deux zem(taxi-motos) et nous nous sommes retrouvées devant la bâtisse de l'hôpital. La sœur Mina se dirigea vers les infirmières présentes dans le hall pour prendre quelques renseignements. Je l'ecoutais d'une oreille distraite. Elle se renseignait sur les nouvelles admissions pour savoir si une autre jeune femme avait été admise. Selon l'infirmière, aucune jeune femme mal en point n'avait été admise. La sœur Mina s'enquit alors des femmes dont elle s'occupait déjà. L'infirmière lui notifia deux départs, ce qui alarma immédiatement la sœur Mina.


-Pourquoi sont-elles parties? Elles n'étaient pas encore sur pied. Des gens sont-ils venus faire pression sur elles?

-Je ne saurais vous le dire; répondit l'infirmière

-Et...


Le reste de la discussion me parvint très faiblement. Sans au préalable prévenir la sœur Mina, j'avancai dans le hall vers l'unique endroit qui m'intéressait. Je ne tenais pas à perdre du temps au risque d'être accaparé toute la journée par la sœur Mina. Il fallait impérativement que je voie Carin et que je lui fasse un peu de charme. Notre relation stagnait un peu trop à mon goût.

Je poussai lentement la porte de son bureau sans toquer. Je voulais le surprendre. Effectivement à son expression il fut surpris. Il était là la tête relevé et les yeux interrogateurs. À ma vue, il lâcha un soupir qui en disait long. Visiblement, il n'était point enthousiaste de me voir. J'entrai sans y être invité.


-Désolée Mélaine; me dit-il froidement. J'ai du boulot! Je ne vais pas tarder dans ce bureau alors on se verra plus tard. Merci de le comprendre.


Il ne m'avait même pas laissé la possibilité d'ouvrir la bouche. Il était d'une froideur sans égal. Qu'à cela ne tienne, je ne m'avouerai pas vaincu. J'avancai malgré sa demande.


-Je suis venue avec la sœur Mina ; dis-je. Je tenais juste à m'informer que je suis là pour t'aider si tu en...


Le regard glacial qu'il me lança me dit perdre mes moyens. Quel bel homme! 

Il était sûrement surpris que je le tutoie alors qu'il ne me l'avais jamais permis mais je voulais faire avancer notre histoire et cela passait aussi par les petites choses.


-Très bien! murmura t-il plongeant la tête dans ces papiers

-Je tenais aussi à ce que l'on se voit...

-MAIS DEHORS!


il venait de se lever et de taper du poing sur la table à la grande stupeur. Je ne l'avais jamais vu réagir ainsi.


-Pardon! se rattrapa t-il presque immédiatement. Sortez je vous en prie! J'ai beaucoup trop de travail et cela me stresse.


J'acquiesçai d'un mouvement de tête et je m'executai. Maintenant, cela avait le mérite d'être clair. Je ne l'attirais pas le moins du monde.

En refermant la porte de son bureau, je tombai nez à nez avec le ventripotent Roland. Il jeta un rapide coup d'oeil dans le couloir de l'hôpital encore vide à cette heure-ci puis sans se gêner, il me prit dans ses bras et il me tapota rapidement les fesses. Qu'il pouvait être agaçant celui-là!


-Je ne te permets pas! sifflai-je prête à lâcher la frustration que Carin m'avait causé sur quelqu'un d'autre

-En voilà des manières Mélaine! On ne dirait pas que tu as besoin d'aide pour conquérir ton cher et tendre. Tu sais, il t'a hurlé dessus tellement fort que je l'ai entendu distinctement.


Il me provoquait visiblement mais je savais qu'il n'avait pas tort. Rien n'avançait avec Carin. Bien au contraire, il était clair que je l'agaçais

Je devais changer de technique immédiatement au risque de ne jamais atteindre mon but. Roland me scrutait comme s'il cherchait à lire dans mes pensées. Comment un homme marié pouvait-il se comporter de la sorte? Désirer d'autres femmes à ce point et passer par tous ces stratagèmes pour les avoir. Je n'étais pas clean non plus mais cet homme était un sale porc.


-Tu n'as pas tort! finis-je par lâcher. Je n'arrive à rien avec Carin et c'est le moment pour toi d'accomplir ta part de notre marché si tu veux que j'accomplisse ma part.


Il émit un petit rire gras. Oh combien sa manière de rire pouvait m'agacer!


-Ta part du contrat n'est pas très difficile à accomplir jeune femme! Te coucher et écarter...

-Ça suffit! dis-je en suivant le geste à la parole. On peut se passer des paroles grossières. Tout ce que je veux, c'est que tu l'aides comme tu l'avais promis. Alors tu le fais ou pas?

-Bien-sûr que je vais le faire mais on ne peut pas en parler ici et encore moins devant le bureau de Carin. N'importe qui pourrait nous surprendre en pleine discussion. Il faut qu'on se voie ailleurs...

-Tu rêves si tu penses l'attirer chez toi ou dans un hôtel ; rétorquai-je rapidement

-Non, tu peux choisir l'endroit si tu veux! Un bar, un endroit discret où personne ne pourra nous surprendre parce que comme tu le sais je suis marié et je gère aussi plusieurs autres femmes.


Sale porc! Je n'étais pas non plus un modèle de droiture mais lui, il me répugnait au plus haut point. Je n'arrivais pas à croire que certaines femmes sortaient volontairement avec lui. Je serrai mon poing puis je lui indiquai un petit bar que j'avais localisé non loin de chez la sœur. Celle-ci dormait relativement tôt alors je lui avais donné rendez-vous à une heure plus ou moins tardive pour que je puisse me glisser hors de la maison sans avoir à répondre à un interrogatoire.

Après avoir indiqué assez clairement l'endroit de la rencontre au porc, je me faufilai rapidement dans le couloir pour rejoindre la sœur Mina. Elle était toujours dans le hall absorbé par sa discussion avec l'infirmière.


*******

(Mélaine)


J'avais le regard rivé sur l'horloge attendant qu'il ne sonne 23h. La sœur Mina s'était retiré dans sa chambre depuis au moins une heure ou une heure et demi. J'avais sous-estimé le travail qu'elle accomplissait dans cet hôpital. Toute la journée, nous avions trimé de chambre en chambre essayant de venir en aide à toutes ces jeune filles. Certaines avaient à peine l'âge de la puberté et pourtant elles étaient loin de toute famille et avaient été abusées par des animaux. Oui, animaux car il n'y a pas d'autres termes pour nommer ces chiens. D'autres étaient enceintes, mal en point. Bref aujourd'hui j'ai eu à faire connaissance avec toute la misère du monde et je suis exténué. Ma vision s'embrouillait mais je devais rester éveillée. Je ne tenais pas à manquer ce rendez-vous.

J'expirai un coup et je constatai qu'il était 22h55. Il ne restais plus que cinq minutes. Maintenant je pouvais y aller. Je me relevaient lentement et je me dirigeai vers la porte et là horreur, la clé n'y était pas. Je soupirai en balayant la salle de séjour d'un coup d'oeil. Je n'avais pas prévu cela. La sœur avait sûrement la clé avec elle dans sa chambre. Je m'assis un instant lasse sur le point d'abandonner tellement j'étais épuisée. Un dernier coup d'oeil au minable canapé sur lequel j'etais assis me déprima. J'enfouis entièrement mon visage dans les paumes de mes deux mains. Je ne pouvais me contenter de ça. J'avais goûter à la vie de luxe avec Kayodé et je comptais tout faire pour que cela devienne mon quotidien. J'en avais marre de trainer de buvette en buvette et d'écarter mes jambes au premier venu pour être sûr de m'en sortir. J'avais eu une vie difficile à l'instar de toutes ces filles que j'ai rencontré aujourd'hui. Je n'ai pas connu mon père et je doute que ma mère aussi connaisse son identité. Elle était une femme de peu de vertu, pire que moi. Je souris à cette idée. Elle le faisait tout de même pour m'offrir un semblant de vie. Elle m'avait inscrite dans une école privée mais tout ces hommes qu'elle ramenait à la maison ont tout gâché. Certains profitaient de moi une fois ma mère inconsciente, shootée aux cochonneries qu'ils lui offraient. J'avais beau crier mais personne ne me venait à l'aide. Ma mère ne s'était jamais levée pour me défendre. Imaginez-vous un enfant de 10 ans obligé de supporter les assauts d'hommes de 30, 40 ou même de 50 ans? Je souffrais intérieurement. La première fois que cela s'était produit, il s'agissait d'un fidèle client à ma mère.  Un illustre homme d'État si je m'en rappelle bien. Je crois même que parfois ma mère se berçait d'illusions oubliant que cet homme "bien sous toutes les coutures" n'était qu'un client. Il la traitait si bien qu'elle se disait sûrement qu'ils entretenaient une relation autre que celle d'une prostitué et de son client. Quand j'y repense, il me traitait extrêmement bien aussi. Des petites attentions, des petits cadeaux. Je pense que je rêvais tout autant que ma mère. En effet, il aurait été le père idéal mais tout s'est effondré cette fameuse nuit lorsqu'il a ma mère dans la chambre pour me rejoindre dans le canapé au salon où j'avais l'habitude de dormir lorsqu'elle recevait ses clients. Je me rappelle lui avoir demandé de me laisser dormir car j'avais école le lendemain... Il a été d'une brutalité sans nom. Je n'étais pourtant qu'un enfant de 10ans, bordelle. J'avais beau hurler, ma mère n'est jamais venue me secourir. Il a volé mon innocence de la manière la plus brutale qu'il soit.

J'avais pleuré toute la nuit en sang. Le lendemain, il s'est levé et m'a posé un baiser sur le front me promettant de m'offrir un présent en échange du cadeau que je lui avais fait cette nuit puis il a quitté notre minable appartement. J'ai bien essayé de réveiller ma mère mais elle était juste inconsciente. Elle avait fini par émerger de son état presque comateux aux alentours de 10h. Immédiatement, je me souviens de l'avoir informé de ce qui s'était produit cette nuit et je n'oublierai jamais la débrouillée qu'elle m'a infligé me traitant de menteuse, de briseuse de rêve. Au contraire, elle m'avait battu, enfermé, affamé. Tout pour que j'avoue que c'était un des jeunes garçons du quartier qui m'avait pris ma virginité. Je ne lui ai jamais donné satisfaction car malgré mon jeune âge, j'étais pourvue d'une grande force mentale. Au fond, elle savait sûrement que je ne lui mentais pas et c'est justement pour cela que je lui en veux encore aujourd'hui. J'ai appris à me taire après cet épisode. Me taire lorsqu'un de ses amants poisseux me grimpait dessus. C'est même à cette époque que j'ai appris à gagner des choses avec mon corps. Pour payer mon silence, ils m'offraient toutes sortes de cadeaux et je m'étais finalement habitué à ce mode de vie. À mes quinze ans, ma mère s'est réveillé au milieu de la nuit et m'a surprise en plein acte avec son petit ami/client du moment. Le lâche s'est enfui m'abandonnant à la colère de ma mère. Elle m'a alors giflé et je le lui ai rendu sur le coup. Pour moi, il était inacceptable qu'elle me batte pour quelque chose qu'elle avait permis, favorisé. Elle ne m'avait jamais protégé et elle se donnait le droit de me battre comme si tout cela était de ma faute. Je lui ai donné deux gifles bien sonnantes et j'ai pris le premier pardessus qui trainait par là et je suis sorti de la maison. Jusqu'à ce jour, je n'ai plus jamais revu ma mère.


Du revers de la main, je nettoie ma joue humide à cause des larmes. Tous ces souvenirs étaient trop douloureux. Bizarrement à chaque fois que j'étais confronté à une échec imminent, je ne pouvais m'empêcher de me remémorer ces souvenirs. Le bon côté des choses, c'est que cela me boostait. Grâce à mon passé, je suis toujours déterminée à aller de l'avant. Et c'est exactement ce que je fis en me levant et en me dirigeant vers la chambre de la sœur Mina d'un pas silencieux. Lorsque je poussai la porte, tout était plongé dans la pénombre. Allumer la lumière serait risqué de réveiller la vieille dame. Mais bienheureusement mon regard notifia la présence du trousseau de clé sur la table de nuit. Victoire! Je m'en emparai rapidement et je sortis de la chambre.

Je mis cinq minutes maximum à arriver à l'endroit du rendez-vous. J'étais en retard et j'espérais que ce débile ne soit pas parti à force de m'attendre. Je soufflai de soulagement lorsque je l'aperçus qui me faisait un signe de la main assis à une table. L'endroit était un bar discret dissimulé dans un quartier pas très fréquenté. Roland était attablé et avait deux grandes bouteilles de bières face à lui. L'une était finie et la seconde à moitié vide. Un grand buveur en plus. La proéminence de son ventre s'expliquait. Je m'avancai, le laissant poser deux smack sur mes joues pour me souhaiter la bienvenue. Il m'invita à prendre place d'un geste de la main. Ce que je dis relâchant au même moment la pression.


-Tu es en retard très chère...

-Je le sais... Tu sais je vis en ce moment chez cette sœur là... Et je ne peux pas sortir sans au préalable fournir une demande si tu vois ce que je veux dire.

-Déménage voyons! lança t-il d'un ton nonchalant

-Je n'en ai malheureusement pas les moyens...

-A moins que tu ne veuilles...


Je roulai les yeux pleine de sous-entendu.


-Oh non! m'arrêta t-il. Je ne vais pas installer une femme dont je n'ai jamais vu les sous-vêtements. Par contre, ta sœur là elle a assez de fonds pour le faire.

-Comment ça ? questionnai-je en riant

-Il te suffit de lui dire que c'est pour ton évolution, ton épanouissement où je ne sais quoi du genre. Dis-lui que tu ne peux pas te relever si tu as l'impression de dépendre d'elle. Dis-lui de t'avancer de l'argent et que tu vas le lui rembourser mais crois-moi, elle ne te laissera jamais la rembourser.


Je notai cette bonne idée dans un coin de ma tête en baillant.


-Tu es fatiguée à ce que je vois!

-Tu ne sais pas à quel point. Cette sœur m'a fait bosser comme une dingue toute la journée.

-Ah ça ! dit-il en laissant échapper un de ses affreux rires gras. Je suis quand même heureux que tu ais pu venir en espérant que nous allons prolonger cette soirée ailleurs qu'ici.


Cette fois-ci, c'est moi qui éclata de rire. Quel persévérance !


-Roland, tu sais parfaitement pourquoi nous sommes là alors arrête un peu de te disperser.

-Très bien... Je capitule pour l'instant mais ma chère tu finiras dans mon lit je te l'assure...


Je choisis délibérément d'ignorer cette phrase que je juge un tantinet menaçante. Je préfère recentrer la discussion sur le sujet principal.


-Roland, je te prie de me parler de Carin...

-Carin... Pour le séduire, crois le ou non mais il va falloir que tu t'en éloigne.


Entre coups et amour