Partie 5 : l'aparté
Ecrit par labigsaphir
Papi sort de la salle la figure bien amarrée et les yeux lançant des éclairs. Tonton Jamie, quant à lui, ne dit rien, se contenant de me jeter des coups d'œil. Maman, elle est tout simplement stoïque, à la différence de tonton Dick qui n'a pu s'empêcher de balancer des piques tout au long de la réunion.
****FLASH-BACK DE DEUX HEURES****
Moi, dire que j'avais peur, serait gentil. Je tremblais carrément de tous mes membres en rentrant dans la salle ovale de l'empire STERN, prenant tout le monde au dépourvu. Papi qui était en train de parler, s'est arrêté puis tourné vers nous, surpris de nous voir là. La secrétaire dont j'ai oublié le nom, s'est levée et empressée d'accourir, nous demandant de décliner nos identités.
- Stern, Dick Stern, a tout simplement répondu Tonton.
- Madame Croft née Carla Stern, a poursuivi maman sous le regard effaré de papi.
- Et elle, continua Dick, Jeneya Croft, détentrice de 22,5%, non 20% des actions de l'empire STERN puisque sa mère que voici, ne lui a pas encore cédé les 2,5% lui revenant de droits.
La secrétaire s'est tournée vers son patron, attendant manifestement des ordres.
- Veuillez-nous laisser, dit-il sur un ton laconique.
- Oui, monsieur.
Sans un mot, salle ovale s'est vidée tandis que nous prenions place. Papi a enlevé ses lunettes et les a posés sur la table avant de lever son regard dur.
- Vous n'auriez pas dû arriver sans vous annoncer, lâcha-t-il. Cela fait plus de 40 ans que dirige cette entreprise de main de maître et vous, en arrivant et vous illustrant de la sorte, vous remettez en cause mon autorité devant mes employés.
- Nous aurions dû informer de la date du conseil d'administration, le coupa Dick.
- Vous n'êtes pas encore des membres officiels du conseil d'administration, argua-t-il.
- Oh que si, intervint cette fois maman en lui tendant une enveloppe qu'il prit avec réticence.
Pendant qu'il ouvrait ladite enveloppe, nous avons gardé le silence, attendant sa réaction avec impatience. Lorsqu'il a terminé de survoler lesdits documents, il les pose sur la table dans un bruit mat et se tourne vers ma mère et son frère, m'ignorant royalement.
- J'ai dirigé cette entreprise durant 40 ans et vous ne vous y êtes jamais intéressés.
- Papa, tu ne nous as jamais intéressés à ton entreprise, corrigea de suite maman.
- Tu es partie Carla, tu es partie en choisissant la facilité. Tu n'as en aucun cas, souhaité te battre. L'aurais-tu oublié ? Réplique-t-il l'air grave.
- Me battre contre quoi et qui ? Aurais-tu oublié qui tu étais à l'époque ? J'ai longtemps cru que tu finirais par mettre de l'eau dans ton vin, mais je me rends compte que non.
- Carla, la famille a toujours été sacrée chez nous. Toutes les décisions que j'ai prises étaient pour le bien de cette famille mais vous avez décidé de nous tourner le dos pour des raisons égoïstes.
- Papa, soupire maman, je ne vais pas rentrer dans ce jeu avec toi, ce n'est pas la raison de ma présence, notre présence en ces lieux.
- Comment réagirais-tu si des personnes venaient s'incruster et revendiquaient le droit de prendre des décisions dans une entreprise pour laquelle, tu t'es battue corps et âme ?
- Cette question, il fallait la poser à maman, de ton vivant.
- Comment as-tu pu, Carla ? Comment as-tu pu nous tourner le dos de cette façon. Pourquoi es-tu partie ? Tu as fait des choix qui ont influé sur notre famille.
- Papa, dit maman la voix chevrotante, je suis maintenant la coupable.
- Oui ! Ta mère en a souffert. Elle a souffert le martyr priant sans cesse que tu nos reviennes, que tu reviennes à la raison mais toi, toi...
- Papa, intervient Dick.
- Non, Dick, j'ai parfois tendance à oublier que j'ai un autre fils ; Dick se rembrunit, je lis de la douleur dans ses yeux. Vous nous avez lâchement abandonnés. Savez-vous que même dans son lit et dans les derniers jours, elle a toujours espéré ? Où étiez-vous ? Qu'avez-vous fait pendant que le bateau tanguait ? N'eut été la présence de votre frère, j'aurais pu mourir.
- Papa, c'est injuste, tu es injuste, fait maman les larmes aux yeux ; Dick pose sa main sur la sienne pour la réconforter.
- Papa, annonce-t-il d'une voix grave, tu es le seul responsable de cette situation et tu le sais fort bien. Nous faire culpabiliser ne servirait à rien. Il y a longtemps j'ai compris que tu n'avais pas de cœur et tirait ton plaisir de la souffrance des autres.
- Je t'interdis !
- Tu m'interdis quoi ? On prend les mêmes personnes, les mêmes lieux et les mêmes raisons pour recommencer. Tout ce que tu touches peut se transformer en or mais au niveau du relationnel, tout est à revoir. Nous avons crus et espérions que tu changerais mais non. Tu as réussi à monter la fille de Carla contre sa sœur et elle, je reconnais que ce fut une affaire rondement menée.
- Je n'ai pas monté Vanaya contre sa mère. Je me suis contenté de lui montrer la vie laquelle, elle a droit ; c'est une petite-fille Stern que vous le vouliez ou non.
- Papa, tu n'as pas de cœur, lâche ma mère exaspérée.
- Je vous prierai de ne pas faire de bruit écouter et écouter avant de maîtriser quoique ce soit.
Il se lève, va ouvrir la porte et quelques secondes plus tard, des employés rentrent. Ils nous présentent à tous les chefs de départements, puis procède à la présentation de son équipe. J'ai le tournis en prenant connaissance des titres et leur rôle dans l'entreprise. Vais-je pourvoir me trouver ? Le chargé de communication de l'empire Stern, nous résume les activités de l'entreprise tandis que le comptable donne quelques chiffres. Je me surprends à écouter et noter de temps à autres ; papi croise mon regard une à deux fois et Dick, reste Dick, il sourit et pose des questions qui finissent par agacer certains.
****FIN DU FLASH-BACK****
- Tu t'endors ?
- Eh non, non, dis-je en sursautant ; Jamice pour la première fois, m'adresse la parole.
- Bonjour Jen. Comment vas-tu ?
- Bonjour. Bien, merci et toi ?
- Ça peut aller. Depuis que tu es arrivée, je n'ai pas eu le temps de venir te voir et te souhaiter la bienvenue en Angleterre, au manoir et l'empire STERN. Je suis désolé et tiens à corriger cette faute. Bienvenue ma chère nièce ; il me prend au dépourvu en prenant dans ses bras.
- Merci, tonton Jamice.
- Carla, tu nous as fait là, une très belle Stern ; pourquoi ai-je l'impression qu'il est faux ? Tout dans son attitude est factice.
- Merci, répond sobrement maman.
- Alors, jeune fille, j'ai appris que tu prépares un MBA Banking of Finances.
- Oui, tonton.
- Tes talents nous seront utiles, c'est certain. Tu es une Stern et trouveras surement ta place au sein du groupe. N'est-ce pas, Carla ?
- Oui, oui.
- En passant Carla,
- Oui, Jamice.
- Passez donc nous voir un de ces soirs, ta belle-sœur aimerait te connaitre ainsi que tes neveux.
- Je ne sais pas, hésite maman.
- Carla, pourquoi ne pas mettre de côté le passé et résolument nous tourner vers l'avenir ?
- ...
- Je sais que papa et moi, ne t'avons pas fait bonne impression. Désolé mais comprends-nous aussi. Moi, je n'en veux plus à personne, Dieu m'est témoin. La famille a toujours été sacré et le restera, et surtout que maman est partie.
- ...
- Alors, le dîner ?
- Nous verrons, répond simplement maman.
- Dick, toi, nous devons discuter, dit-il en touchant son frère au coude.
- Ah bon ?
- Mais oui, Dick. Nous sommes des frères et non, des ennemis. Voilà, je viens d'avoir une idée.
- Dis toujours,
- Pourquoi ne pas nous réunir une fois par an, afin que nos enfants voire petits-enfants se connaissent ? Ce serait une formidable occasion de non seulement renouer les liens mais aussi les solidifier. Qu'en pensez-vous ?
- Pourquoi pas, Dick.
- Nous en reparlerons et arrangerons la première édition, je vous assure. Alors jeune fille, tu as l'air fatiguée, c'est normal. Les conseils d'administrations sont parfois barbants, que dis-je, ils sont toujours barbants.
- Ah bon ?
- Mais oui, tu verras. J'ai pensé plus d'une fois à acheter des lunettes noires et les porter afin de cacher que je dormais.
- Ha ha ha ha éclatai-je de rire.
- C'est bien de te voir sourire ou t'entendre dire. Je me suis inquiété le jour de la lecture du testament.
- Et pourquoi ne t'ai-je pas vu à mon chevet ?
- Nous avions papa et moi, des rendez-vous pris depuis des mois. Il fallait obligatoirement les honorer, tu comprendras avec le temps.
- Ok.
- Tu viens, je vais te montrer la machine à café.
- Mais l'on peut demander à une secrétaire de nous l'apporter, fait remarquer Dick.
- C'est vrai mais je tiens à habituer la petite à l'entreprise. Il est parfois recommandé de se mêler aux employés afin de s'attirer leur capitale sympathie et a ainsi les motiver.
- Jen, tu n'es pas obligé, explique maman.
- Non, ça va aller, la rassurai-je.
- Nous revenons, rien ne lui arrivera, lâche Jamice, je ne mange pas et surtout, ma nièce ; maman et Dick, affichent un sourire de circonstances.
- Alors comment vas-tu ? Demande-t-il, une fois que nous avons traversé le seuil de la salle ovale et nous engageons dans un couloir où nos pas sont feutrés, étouffés et le tapis rouge, de rigueur.
- Tout va pour le mieux, répondis-je sur la défensive.
- Tu n'as pas besoin de te crisper avec moi, je ne suis pas aussi méchante que tu le crois. Tu sais dans le monde des affaires, il est primordial de cacher ses émotions afin de ne pas donner la possibilité à l'adversaire de nous toucher.
- Ok ; cela tombe sous le sens. Il prend ma main, je suis surprise par son culot mais laisse faire.
Nous bifurquons rapidement sur la droite et empruntons un couloir assez court avant de rentrer dans la première salle à droite.
- Bienvenue à nouveau et cette fois, dans mon bureau, annonce-t-il en ouvrant la porte et ma laissant le passage.
- Mais...
- Ne t'inquiète pas, rien ne t'arrivera.
- Tu as pourtant dit...
- Il y a une théière dans mon bureau et une machine à café, derniers cris.
- OK.
- L'on a du dépeindre ma personne auprès de toi, rigole-t-il.
- Non, aurait-on du ?
- Non. Me trouves-tu antipathique ?
- Un brin antipathique voire faux, avouai-je sans réfléchir à la portée des mots.
- Tu n'as pas à en rougir, bien au contraire. Tu as dit ce que tu penses, je trouve cela admirable. Peu de personnes auraient eu le courage de faire comme toi.
- Ok.
- Viens par-là, nous allons faire du café, s'il te plait.
je le suis dans la salle attenante et tout naturellement, je me charge de préparer le plateau de biscuit pendant qu'il met les machines en marche, du café noir pour lui et moi, du thé. Quelques minutes plus tard, nous revenons dans le bureau. Il va s'asseoir derrière l'immense table en acajou ; ici, tout n'est que luxe ostentatoire. J'ai presque l'impression de faire tache dans le décor, tellement je ne me sens pas à ma place.
- Tu aimes ?
- La décoration est chargée voire désuète à mon gout. Tout ce qui est dans cette pièce doit coûter une fortune, mais c'est trop pour ne pas dire moche ; je respire en m'entendant parler.
- Tu as du caractère, Jen, c'est très bien.
- Merci.
- Dans notre milieu, les femmes peinent à trouver leur place mais toi, j'ai la ferme conviction que tu y arriveras.
- Merci.
- Ne fais pas attention à papa ou à ta sœur, Vayana, ils se calmeront seuls.
- Ok.
- Voici les photos de mes enfants et ma femme.
Il se lève et fait coulisser sa chaise vers la droite, en sort un album-photo, se lève et m'invite à le suivre dans le coin, canapé ; il m'invite à prendre place près de lui en tapotant, je m'exécute.
Durant une dizaine de minutes, il fait défiler des photos en me donnant les noms, les époques, les années, avec force et détails ; je suis touchée par la passion qu'il y met et en oublie de me méfier de lui, un bref instant.
- Attends, ne bouge pas ; il se lève et va chercher nos tasses, je suis étonnée par tant de simplicité.
- Je ne t'imaginais pas porter un plateau, tonton.
- Mais pourquoi ?
- Je ne sais pas.
- Jen, je vais te faire une confidence, les petits plaisir de la vie sont les meilleures.
- C'est vrai.
- Ma femme et moi, aimons bien pique-niquer, les pieds dans le sable chaud, la mer devant nous, le vent du large dans les cheveux. Il n' y a rien de mieux pour nous retrouver, essaie et tu verras.
- ...
- Après une semaine à voir défiler des potentiel partenaires ou à diriger les employés, rectifier certaines erreurs ou des sorties hors du pays, nous éprouvons le besoin de décompresser en plein été à la plage ou en discutant avec notre partenaire devant un feu de cheminée.
- C'est romantique.
- Je confirme. Tu sais, la vie de palace et tout le bling-bling, est un passage obligé afin de respecter certaines conventions, je veux dire celle de la haute société.
- Je comprends.
- Les soirées mondaines, il n'y a rien de plus barbants. J'ai pour habitude de dire que c'est un rassemblement de vieux schnocks et vieilles, voulant se rassurer qu'ils ne sont pas encore bons pour les maisons de retraite.
- Ha ha ha ha ha, ce n'est pas possible, tonton.
- Mais si !
- Tu es drôle, quand tu le veux.
- Jen, je ne vais pas te cacher que le milieu dans lequel tu vas rentrer, est un monde de requins. Il te faudra redoubler de vigilance, moins parler et surtout, observer afin de toujours avoir les cartes dans ta manche.
- Merci pour le conseil.
- Tu passes quand tu veux, le comptable te donnera tous les documents que tu demanderas.
- Oh, merci.
- Pas de quoi, tu as tout de même 20% de cet empire et bientôt 22,5%. Tu es ici chez toi, n'en déplaise à certains ; je ne comprends pas où il veut en venir et décide de ne pas m'y attarder.
- Un employé restera un employé, tu ne devras jamais te confier aux employés et rester professionnelle quoi qu'il arrive.
- Ok.
- Le chargé de communication te briefera.
- Ok.
- Quand termineras-tu tes études.
- L'an prochain, si tout va bien.
- D'ici là, tu devras faire de fréquents allers et retours entre Londres et Limoges. Est-ce bien cela ?
- Oui.
- J'espère que tu auras cet examen et mettras ton potentiel au service de l'entreprise familial.
- Moi aussi.
- Voilà, je sa vais que tu es une personne ayant la tête sur les épaules, en plus d'être jolie ; me passerait-il la brosse à reluire ?
- Merci tonton.
- Ecoute, Jen, m'entretenir avec toi, est une des raisons pour laquelle je souhaitais avoir un aparté avec toi mais ce n'est pas tout.
- Continue,
- Je tenais à lever toutes les équivoques possibles quand à nos possibles différends, car nous n'en avons pas. Je tenais à t'assurer que tu pouvais compter sur moi en toutes circonstances.
- Merci tonton.
- Seulement, vois-tu, j'aimerais m'assurer ton appui de temps à autres ; il lève la tête et me regarde dans les yeux.
- Je ne comprends pas.
- Je ne tiens pas à t'enlever ton libre-arbitre, rassure-toi, j'aimerai juste que tu soutiennes certains de mes projets devant papa.
- Pourquoi ?
- Parce que non seulement tu es ma nièce mais aussi parce que ton grand-père avec la vieillesse, prend souvent certaines décisions pouvant menacer la stabilité de l'entreprise. Ayant 20% de l'empire, ta voix est non-négligeable.
- Je ne sais pas, je verrai en temps et en heures.
- Ok ; il semble déçu.
Un silence gênant s'installe, je m'occupe en regardant autour de moi et sentant le regard de Jamice sur ma personne. Au bout de quelques secondes, je me lève et prends congés de lui.
- J'espère ne pas t'avoir froissé, demande-t-il avant que je ne traverse le seuil de son bureau.
- Non, j'ai vraiment apprécié ta franchis et tes conseils. Nous allons surement nous entendre, tonton Jamice.
- Merci, merci encore pour ta générosité d'âme, tu es la digne fille de Carla Croft.
- Merci.
Je rejoins les autres qui semblent en grande discussion avec les autres employés et surtout, à l'aise ; papi, lui, est invisible. Je réponds aux questions muettes de Dick et maman, les rassure et me joins à eux. J'avoue que c'est intéressant, je suis plutôt comme un poisson dans l'eau. La théorie de l'école, sera mise en pratique ici ; je vais m'y plaire, c'est certain. Je quitte la société avec une pile de documents, après avoir faire le tour des bureaux.
- Tu devrais te reposer, Jen, gronde mollement maman alors que je lis dans mon lit.
- J'ai presque terminé, maman.
- Jen, ne te sens pas obligée.
- Non, je suis dans mon milieu, maman.
- Ok. Je suis contente que ce ne soit pas une obligation. Et avec ton oncle ?
- Une discussion entre économistes ; pourquoi lui parler des détails ?
- Ok, tant mieux. Jen,
- Oui,
- Si jamais, tu trouverais quelque chose de bizarre, tu m'en parles et nous contacterons ton avocat et l'expert-comptable, avant que tu n'exposes quoi que ce soit à STERN Enterprises.
- Ok.
- Je vais dormir, je suis éreintée après une journée pareille.
- Je vais faire comme toi, dis-je en fermant le document que je lisais, mais je vais d'abord appeler,
- Odessa et Amicie, termine ma mère souriante.
- Oui, maman tu me connais si bien.
- As-tu discuté avec ta sœur ?