PARTIE 6 : Encore toi ?
Ecrit par Fleur de l'ogouée
Il est 7h quand Alphonsine notre dame de ménage débarque,
alertée sans doute par le gardien elle est aussitôt venue, elle travaille ici
depuis que je suis enfant, mes frères et moi la considérons comme une tante.
-Madame il faut qu’on rentre dans la maison. Venez
Elle nous entraine dans la maison, puis nous rallions le
bureau de papa
-Tania ton père savait que ce jour pourrait arriver et je
sais que ta mère est au courant, il ne voulait pas te mêler aux problèmes
d’adultes et il nous disait toujours à nous les employés de rester sur nos
gardes et de choisir nos camps au moment voulu, il disait toujours qu’il
fallait procéder d’une certaine manière s’il venait à être arrêté.
Je n’arrive pas à comprendre où elle veut en venir, pourquoi
papa aurait prévu d’être arrêté, pourquoi ne m’aurait-il pas parler de ce genre
de cas de figure ? Je suis confuse, aînée de la famille, j’ai bientôt
30ans, je suis parfaitement en droit de savoir tout ce qui se passe au sein de ce
foyer, que ce soit les bonnes ou les mauvaises. Je fais tout pour ne pas me
fâcher ça ne ferait que croitre mon désarroi, on va régler un problème à la
fois.
-Monsieur m’a dit il y a quelques mois sans trop rentré
dans les détails qu’il subissait des tentatives d’intimidation et ce que la
situation pourrait empirer, il a dit que madame saurait précisément ce qu’il
faut faire quand cela arriverait. Tout d’abord dans son bureau tous les
documents importants y sont ranger, madame sait mieux que moi où ils se
trouvent précisément, il faut tout rassembler et partir de la maison pendant
toute cette période.
J’écoute ce qu’Alphonsine dit mais mon cerveau refuse toujours
de comprendre, j’ai l’impression d’être dans un mauvais film d’espionnage,
c’est incroyable. Maman qui a séché ses larmes et repris un peu ses esprits me
prends par les mains
-Ecoute Chinenye, ton père a toujours été un esprit libre,
ce qui n’a pas toujours plu, ceci est un plan absurde pour le déstabiliser et le
faire plier afin qu’il choisisse un bord politique précis. Dans ce pays quand
tu n’es pas avec quelqu’un, on considère que tu es contre lui mais ne
t’inquiète pas, ton père avait pris ses précautions depuis longtemps. Nous
allons aller chez mon frère l’ambassadeur, il pourra nous protéger et au cas où
il faut qu’on quitte le pays ce sera plus facile vu son statut de diplomate.
-Je n’irai nulle part maman, il faut sortir papa de là
Je tourne en rond dans le bureau pendant un petit bout de
temps, papa passait beaucoup de temps assis là, toujours en train réfléchir à
des innovations, je récupère un dossier qui pourrait le faire innocenter
d’après le nom écrit dessus, en rassemblant tout je tombe sur une lettre de
papa
‘’ Aux femmes de ma vie, si vous lisez cette
lettre c’est que quelque chose de grave est arrivé. J’ai fait des choix que
j’assume, jamais rien d’illégal mais des prises de positions radicales qui ne
m’ont pas toujours value des applaudissements, donc c’est normal que certaines
personnes m’en veuillent. Je veux que vous soyez fortes, des membres de ma
famille viendront sûrement roder comme des charognards dans l’espoir de vous
déstabiliser et vous déposséder de vos biens, mais n’ayez crainte si je suis bel
et bien mort un notaire vous contactera et viendra tout régler ne vous en
faites pas, la vie appartient aux vivants, alors je vous ordonne de vivre.
Par contre si ces fous me mettent en prison ce
qui est probable, alors le combat sera différent, ceux qui ont commandité cela,
sont certainement des proches alors je veux que vous soyez prudentes et que
vous restiez en retrait le temps que ça se tasse. Si tous mes comptes bancaires
sont gelés, chérie tu sais comment avoir accès à nos comptes qui sont domiciliés
à l’étranger, contactez aussi mon avocat Maître Faye, un de mes vieil ami de
Dakar, il est neutre et loyal, il pourra gérer, en attendant mettez-vous à
l’abri. Si je dois pourrir en prison pour que vous aillez une vie paisible je
le ferai, ne vous en faites pas pour moi, vivez !
Je vous
aime
‘’
Je pleure en lisant cette lettre, comment ai-je pu être si
naïve, j’aurais dû savoir qu’un homme aussi influent aurait forcément des
ennemis dans un pays comme le nôtre et je devrais connaître chacun d’eux afin
de m’assurer qu’aucun ne puisse s’attaquer à nous. J’aurai dû mettre mon nez
dans ces réunions d’adultes que je trouvais ennuyantes, je me sens un peu
fautive. Au firmament de ma peine je reçois un mail sur l’appli dans mon
téléphone, il est du directeur de la banque, qui m’annonce la suspension de mon
activité au sein de la banque jusqu’à nouvel ordre, mon père étant impliqué
dans une affaire criminelle, je suis jugée persona non grata jusqu’à ce que ma
non implication soit prouvée. Suivi d’un message de ma secrétaire qui me dit
que des policiers sont en train de fouiller mon bureau et qui me souhaite
beaucoup de courage. Je passe la journée la plus horrible de toute ma vie, j’ai
l’impression de vivre un cauchemar éveillé. Et quand je pensais avoir touchée
le fond, mon gardien m’appelle pour me dire que la police me cherche alors je
comprends que c’est l’apocalypse, ils disent que je suis impliquée dans une
arnaque financière et qu’ils ont un mandat d’arrêt contre moi. Il a fait
diversion en mentant aux policiers qu’il allait me chercher dans la chambre pour
pouvoir m’appeler et gagner un peu de temps. ‘’ Mettez-vous à l’abri’’ c’est la
dernière phrase qu’il m’a dite
Maman ai-je criée comme une folle
-je suis foutue la police veut m’embarquer
-Mais pourquoi s’en prendre à mon bébé, tu n’as rien à
avoir avec ces brigands, oh Seigneur j’avais bien dit à ton père quittons ce
pays, allons à Abuja, il y’a les opportunités pour nous. Je ne peux pas les
laisser t’attraper, Alphonsine emmène là je t’en prie, c’est sûr qu’ils
viendront ici pour voir si elle n’y est et qu’ensuite ils feront le tour de nos
familles
-D’accord madame, Tania vient je sais où ils ne te
chercheront même pas
J’enfile une robe en pagne et Alphonsine m’attache un
foulard sur la tête. Nous n’avons qu’une quinzaine de minutes d’avance sur eux,
il faut qu’on fasse vite. Nous prenons des chemins que je n’avais jamais
emprunter alors que j’ai grandi dans ce quartier, en quelques minutes nous
arrivons au carrefour, nous nous engouffrons dans un taxi bus plein à craquer.
La petite bourgeoise en moi suffoque mais il ne faut pas que j’attire
l’attention, alors je passe en mode survivante. Les emprisonnements abusifs sont
la spécialité des autorités ce pays, même innocente je pourrais me retrouver à
passer le reste de ma vie dans une cage alors je reste focaliser sur ma liberté
et j’oublie le reste. A notre descente, nous prenons un autre taxi bus, j’ai
l’impression de voyager tellement le trajet est fatiguant. Dans le sac à dos que
j’ai embarqué il y a que trois robes en pagnes appartenant à maman, des
sous-vêtements neufs qu’elle avait dans son placard, une brosse à dent et les fameux
documents qui peuvent sortir papa de prison en cas de procès équitable.
Nous arrivons dans un quartier où je n’aurais jamais pensé
mettre pieds, nous allons chez le neveu d’Alphonsine car chez elle aussi c’est
sûr que la police y sera, alors que rien ne me relie à son neveu, je pourrais
m’y planquer pour l’instant. Nous marchons vite et nous retrouvons dans une
cour commune, l’endroit est mal fagoté mais je n’en fais pas fi c’est une
question de vie ou de mort. Elle cogne à une porte et c’est une fille qui vient
ouvrir, son visage me semble familier et quand je me retourne mon regard croise
celui de Grégory le mécanicien, il ne porte qu’une serviette au tour de la
taille ‘’ Tata Fifi’’ dit-il étonner, il m’a regardé pendant quelques minutes
je pense qu’il ne m’a pas reconnu de prime abord puis a ouvert grand la bouche
d’étonnement.
Grégory Tchibinda
Si je ne venais pas de prendre ma douche je me croirais
dans un rêve, pourquoi je croise cette Tania un peu tous les jours depuis notre
première rencontre. Avec ce foulard et ce Kaba j’ai même failli ne pas la
reconnaître, mais son regard de félin ne trompe pas. Après que je me sois
habillée, Tata Fifi et moi nous sommes assis dans mon petit salon, pendant
qu’Ingrid à son tour est passé à la douche. J’aime beaucoup ma tante, mais
hébergé cette espèce de snob c’est au-dessus de mes forces, je compatis à sa
situation mais pourquoi c’est chez moi qu’elle doit vivre, avec les millions de
son père elle pourrait prendre un jet privé et fuir au states. Les riches et
leurs problèmes me dépassent, donc un matin on t’embarque parce que tu fréquentes
un peu trop un membre de l’opposition, est-ce que les hommes politiques de ce
pays sont normaux ?
-Ecoute si la police n’était pas à sa recherche, elle
serait chez un de ses oncles ou même chez moi, mais ce sont les premiers
endroits où ils iront la chercher, fait ça pour moi ce sont des gens qui ont
fait beaucoup pour moi tu le sais, je t’ai souvent parler de ses parents, tes
cousins peuvent aujourd’hui vivre sereinement grâce à eux
-D’accord Tata elle peut rester, on n’est pas des ingrats
dans cette famille
-J’aime quand tu parles avec sagesse comme ça et en passant
c’est qui cette fille-là, je vais dire ça à ta maman tu verras, elle va
débarquer ici pour l’interrogatoire
On éclate de rire et elle s’en va, je vais retrouver
princesse Tania deuxième du nom qui est assise dans la cour
-Viens, suis-moi
Elle me suit sans sourciller, elle est au bord des larmes.
Toute cette vulnérabilité la rend si humaine, loin du robot avec qui j’ai fait
le trajet du Safari au garage, loin de la fille snob en tenue de tennis. Mais
avant que je n’aie pu en placer une, la sangsue débarque en ne portant qu’une
serviette, elle me demande de la présenter je m’exécute en mentant que Tania
est ma cousine, la situation est tellement bizarre. A ce moment-là je prie pour
qu’elle ne se souvienne pas l’avoir croisé au glacier, apparemment elle ne se
souvient pas d’elle. Je l’entraine dans la chambre, il va falloir que je la fasse
partir d’ici
-Ecoute ma cousine est fragile, il faut qu’on évite de la
brusquer, tu dois la laisser seule pour qu’elle se repose ce serait bien
-Mais bébé je suis une femme, je peux lui donner les
conseils
-Je ne pense pas qu’elle a besoin de tes conseils, tu
pourras revenir une autre fois
Elle boude mais accepte de partir, elle fait le petit
déjeuner avant que nous partions elle et moi. Je la laisse me devancer pour que
je puisse parler à Tania sans être dérangé. Elle est assise sur mon petit
canapé, la tête entre ses mains, j’ai horreur de voir les gens pleurer
-Ecoute essaye de calmer ça ira, je ne sais pas de quoi il
en retourne exactement mais tata Fifi a dit que ton père avait tout prévu donc
ne t’inquiète pas. Moi je suis en train d’aller au garage, ici nous sommes dans
une cour commune tout le monde va vouloir savoir qui tu es, si on me demande je
vais leur dire que tu es une de mes cousines et que ton mari t’a mis à la porte
c’est pour ça que tu es ici, le temps de rebondir. Il faut te présenter sous un
faux prénom pour brouiller un peu les pistes. Reste évasive quand tu réponds
aux questions les gens de ce quartier sont si curieux.
Elle hoche la tête pour acquiescer et je lui demande quels
prénoms veut-elle emprunter, ‘’Magalie’’ réponds-t-elle. J’ai un pincement au
cœur de la laisser seule mais je n’ai pas le choix, j’ai du boulot aujourd’hui.
Avant de partir je
montre à la princesse la douche et le WC communs, son visage se fige tout
examinant le lieu, j’imagine qu’elle calcule le nombre de microbes qu’elle
devra affronter. Et l’expression de son visage à cet instant est vraiment drôle,
c’est sur cette touche d’humour que je pars bosser, j’espère que je ne vais pas
venir retrouver ma maison en feu.
17h
Quand elle ouvre la porte, ses yeux sont tout rouge, j’ai
de la peine pour elle. Les deux fenêtres sont fermées, elle a certainement passé
la journée dans le noir à pleurer, c’est vraiment triste, je ne sais même pas
quoi dire pour la consoler. Je lui demande si elle a mangé, elle me répond non
de la tête. Je réchauffe la nourriture qu’Ingrid à préparer hier pour qu’elle
mange un peu.
Tania Boussou
Quand Gregory et Ingrid sont partis, je me suis enfermée
dans la maison, j’ai essayé en vain de penser à un plan mais je n’ai pas
réussi. J’ai essayé d’appeler le numéro de l’avocat qui est marqué sur sa carte
mais la voix off m’a dit que le numéro marqué n’est plus attribué, j’ai essayé
de chercher ‘’maître Faye Sénégal’’ sur google, mais ce nom étant populaire
là-bas c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin, je commence à
perdre espoir et si on m’arrête je ne saurais même pas en mesure de me
défendre. J’aurais dû créer ma petite entreprise au lieu d’accepter ce poste à
la banque, toutes les personnes qui se sont offusquer quand j’ai été nommé
directrice doivent jubiler en ce moment, je suis dépitée.
Je me suis allongée sur le canapé et j’ai sombré dans un
long sommeil entrecoupé par des crises de panique, je ne sais pas si mon esprit
va supporter tout cela. Papa s’est volontairement mis hors de la scène
politique pour ne pas qu’on ait un jour à subir des représailles et voilà
qu’aujourd’hui tout se passe comme dans nos pires cauchemars. Je n’ai pas arrêté
de pleurer, je crois que j’évacue les larmes que j’ai gardé même quand personne
ne regardait, je me suis construit une carapace pour être pris au sérieux dans
ce monde de requin, j’ai peut-être été trop dure avec moi à toujours rester sur
mes gardes. Ce n’est que quand on a tapé à la porte que je me suis levée pour
ouvrir, mon visage doit être horrible mais je m’en fou royalement. Il est
gentil ce Grégory, accepter de m’héberger après l’antécédent que l’on a eu il y
a quelques jours à peine. En plus il est inquiet pour moi comme si je suis
réellement la cousine qui vient de se faire larguer par son mari, c’est mignon.
Je mange ce poulet frit qu’a fait Ingrid
-Elle prépare bien, c’était bon
Il hoche la tête sans rien dire, j’espère n’avoir rien dit
de bizarre. Puis il rigole, un rire franc, un rire réconfortant
-La vie est cocasse dit-il
-Je ne te le fais pas dire
-Si on n’avait pas dansé ensemble vendredi, on aurait quand
même fini par se rencontrer
-Le destin est joueur dis-je en essayant d’esquisser un
sourire mais je n’y arrive pas, la plaie est trop fraîche
Nous continuons à manger dans le silence, l’atmosphère
n’est pas aussi pesante qu’en début de repas, je suis perdue dans mes pensées
et lui a les yeux rivés sur le petit écran, la pièce éclairée par une seule
ampoule est un peu sombre mais au moins il ne fait pas chaud. Quand nous
finissons de manger, il range les assiettes et me montre la chambre, elle est
très sommaire mais je n’ai pas vraiment le choix, lui dormira au salon. Il a
changé les draps et j’ai vraiment apprécié, il est très chevaleresque et à ce
moment-là j’apprécie. J’ai peur de l’avenir incertain qui se dessine, j’ai peur
de ne pas réussir à sortir papa de prison, j’ai peur de ce que mon petit frère
et ma petite sœur vont ressentir en apprenant la nouvelle, donc si je peux
avoir un peu de répit ici je signe de suite.
N'ayant pas sommeil, je reste encore un peu devant la télé, l’image est tellement de mauvaise qualité qu’il me faudrait mes lunettes pour voir ce film, au son je sais que c’est un film de Cowboy, je n’aime pas particulièrement ce type de film mais je vais me contenter de cela. Assis par terre, très concentré sur le film comme un petit garçon, moi sur le petit canapé, nous restons en silence pendant une heure au moins. Puis voyant qu’il commençait à bailler, j’ai regagné la chambre même si pour moi dormir s’avèrerait compliqué.