Partie 7

Ecrit par Ornelia de SOUZA

Allongée dans l'obscurité, je me tourne et me retourne dans mon lit. Cela faisait à peu près deux mois que je m'étais installé ici. Suivant à la lettre les conseils de Roland, j'avais pu convaincre la sœur Mina d'investir sur ma personne. Elle m'avait trouvé ce petit appartement qui n'avait rien de bien luxueux, un simple deux pièces mais qui était absolument suffisant pour l'instant. Je l'avais aménagé à mon goût. En échange, j'étais supposée trouvé un emploi et repartir de zéro mais jusqu'ici je ne m'étais même pas penché sur la question. Au contraire je m'étais appliqué à faire les boutiques et à acquérir de nouvelles toilettes avec le peu d'argent que la sœur m'avait donné pour ma survie. Cet argent était censé couvrir toutes mes charges le temps que je trouve cet emploi que je n'avais même pas cherché mais me voilà avec presque rien. Contrairement à ce qu'on peut penser, je n'étais pas inconsciente. Je calculais chacune de mes moindres actions. Roland m'avait conseillé de m'éloigner de Carin car comme tout les hommes, il n'était pas attiré par une femme trop facile. Je devais changer selon ses mots, devenir plus raffinée, être plus indépendante pour lui plaire. Il m'avait plus ou moins décrit les femmes de la famille de Carin, sa mère et ses deux sœurs. Des femmes très élégantes et très posées. En somme, tout le contraire de moi.

Cela faisait donc deux mois que je n'avais eu aucun contact avec Carin. J'avais consacré tout ce temps à mon "éducation". J'avais changé et maintenant que je n'avais presque plus de sous, j'étais prête à refaire surface. Ce matin la sœur Mina était d'ailleurs passé me voir et elle m'avait conté l'horrible histoire d'une de ses protégée qui était identique à la mienne au détail prêt qu'elle avait été défigurée. Elle m'avait demandé de passer la voir pour la réconforter. En temps normal, j'aurais refusé en prétextant avoir à faire mais c'était l'occasion pour moi de revenir sur la scène, de revoir Carin.


Je me redressai sur le lit et je jetai un coup d'œil au vernis que j'avais posé sur mes ongles quelques minutes plus tôt. Mes ongles étaient parfaits. Je délaissai le lit pour le miroir de ma salle de bain. J'inspirai un coup face à mon visage totalement dépourvu de maquillage. Je détestais me voir ainsi. Rapidement, je rectifiai le tir et j'enfilai la robe que j'avais choisie plus tôt. Une dernière retouche à mon maquillage et je sortis de l'appartement prête à affronter mon destin. Cette fois-ci, ça passe ou ça casse.


*******

(Mélaine)


L'infirmière me donna le numéro de la chambre où la soeur Mina se trouvait après s'être épanché sur l'histoire de la nouvelle patiente. Visiblement tout l'hôpital était au courant car elle avait tenté de s'échapper en matinée. L'infirmière, la mine triste m'informa que la soeur Mina la veillait attendant qu'elle se réveille. Voulant éviter un autre monologue, j'affichai un demi-sourire et je la remerciai entre mes dents avant de m'éloigner sans crier gare. Plus j'avançais, plus mon cœur se déchaînait. Je risquais de tomber face à face avec Carin à n'importe quel moment. Je devais me contenir, ne pas lui sauter dessus. Facile à dire et difficile à faire mais j'étais très forte pour arriver à mes fins. Et si je devais oublier mes manières d'aguicheuse pour signer ce fichu papier devant le maire, je le ferai.


Je me trouvais déjà face à la porte de la chambre attribué à la malade. Je n'avais qu'une envie, me retourner et aller cogner à la porte du bureau de Carin puisqu'il n'y avait que lui qui m'intéressait dans cet hôpital. Au lieu de ça, j'allais devoir supporter les éternels sermons et prières de la soeur Mina ainsi que les jérémiades d'une gamine défigurée. Je soupirai totalement agacée. Au moment où j'avançai la main pour saisir la poignée de la porte, elle s'ouvrit grandement tiré vers l'intérieur. Mon coeur fit un bond. 

Là devant moi, se dressait Carin. Il avait toujours sa petite barbe habituelle de trois jours et ses lèvres roses fremirent de surprise face à ma personne. Je ne m'attendais pas à le voir là alors je restai tétanisé un instant le scrutant comme si je venais de découvrir un trésor.


-Salut! dit-il plongeant son regard brun clair dans le mien

-Hééé....


J'avais sortis ça nerveusement en m'arranchant à son regard. Récupérant mes esprits et désireuse de prendre le dessus, j'entrai dans la pièce le bousculant légèrement au passage. À ma grande surprise, il continua son chemin sans même se retourner. Cela faisait deux mois qu'il ne m'avait pas vu et il ne tentait rien de plus qu'un "salut". Je l'observait passionnément alors qu'il disparaissait dans le couloir. J'étais à la fois déçu et un peu désabusée. Je ne m'attendais pas à ce qu'il me reçoive en fanfare mais j'aurais cru que mon absence lui aurais fait entrevoir ce qu'il pouvait rater. Je constatai tristement que non. 

Je détournai finalement le regard et je croisai immédiatement le regard d'une jeune femme allongée sur le lit d'hôpital la tête relevé. Elle eut l'air de juger le long regard que j'avais lancé à Carin. Je notai rapidement en plus de la moitié de son visage qui était couvert de bandage, qu'elle n'avait pas apprécié cela. J'avançai notifiant par la même occasion ma présence dans la pièce à la soeur Mina. Une expression de fille pieuse accrochée au visage, je saluai et j'embrassai la soeur Mina puis je me retournai vers la jeune femme qui n'était pas aussi jeune que je le pensais. Nous étions clairement de la même génération. Et à notre âge, on sait se défendre. Je me fis rapidement une opinion sur la personne. Je l'aurais crû plus jeune comme moi à 10 ans lorsque je ne pouvais me défendre des attaques des amants de ma mère mais là il était plus que clair qu'elle se tapait un homme marié et qu'elle mentait comme moi pour ne pas être mal perçut.


-Petite sœur, est-ce que tu vas bien? lui demandai-je le visage plus triste que jamais.


Elle m'observa silencieusement de manière très impolie me jaugeant du regard. Elle ne répondit pas à ma salutation, ce qui eut le don de m'agacer. Pour qui se prenait cette petite pouf?! Si je n'avais pas à faire bonne figure devant la sœur Mina, je l'aurais déjà planté là. J'avais hâte que cette fausse entrevue prenne fin.


Devant le silence de la jeune femme, la soeur Mina s'empressa d'intervenir et de faire les presentations m'évitant d'ouvrir à nouveau la bouche pour réitérer mes salutations. Elle précisa que j'avais été aussi abusée sûrement dans le but de faire baisser sa garde à la jeune femme. Visiblement, elle obtint l'effet escompté parce que l'autre se dérida.


-Salut! murmura t-elle

-Mon prénom, c'est Mélaine.

-Moi, c'est Inès; continua timidement la jeune femme

-Très bien les filles ! s'exclama la sœur Mina en me faisant un clin d'oeil. Je vous laisse entre vous. Mélaine, je te prie de bien prendre soin d'Inès.


La sœur Mina m'avait missionné de ramener un temps soi peu de la joie dans la vie de cette jeune femme et pour ça elle devait nous laisser seules alors je ne fus guère étonner. Au contraire, je fus soulager qu'elle se retire car j'en avais un peu marre de jouer à la jeune femme catholique modèle. Celle qui était allongée dans ce lit n'avait pas tellement l'air d'avoir besoin d'un quelconque soutien non plus et je n'allais pas me gêner. Elle avait été hautaine et pour m'être déjà comporté comme elle, j'étais sûre qu'elle était tout sauf une victime. 

La sœur Mina posa un baiser sur nos fronts respectifs avant de s'en aller. Je soufflai un coup puis je pris place dans un siège qui bordait le lit de la malade et je croisai élégamment mes jambes. J'avais pris cette habitude depuis que j'avais décidé de me comporter comme une femme distinguée. Cependant ce que j'osai exprimer ensuite était tout sauf distingué.


-Ah cette "sainte" bonne sœur ! Je suis sûr qu'en cachette de tous, elle se fait bien plaisir si tu vois ce que je veux dire...

-Non; me répondit la petite effrontée me défiant presque du regard.

-Bon quoiqu'il en soit, ce ne sont pas nos affaires. L'important, c'est l'aide qu'elle nous apporte et tout l'argent qu'elle a; persistai-je déterminée à révéler le vrai visage de l'arrogante.


Elle demeura silencieuse me fusillant du regard. Décidément, il s'agissait d'une jeune femme pleine d'hypocrisie mais je n'allais pas abandonner en si bon chemin.


-Oh mais elle t'a salement amoché cette pute! m'exclamai-je. Elle ne t'a pas raté.


Je ponctuai mes mots d'un rire qui se voulait déstabilisant. Et je réussis mon coup parce que l'autre évita mon regard gênée.


-Oh ne crois pas que je me moque de ton malheur; continuai-je. Juste que j'imagine la tête de cette femme lorsqu'elle t'a surprise avec son mari. Elles méritent bien ça ces sorcières... Alors le tien, il était quoi? Riche, beau ou tu voulais juste faire chier cette femme?


Je venais de la piquer. Elle releva rapidement la tête m'adressant un regard à la fois confus et rempli de rage.


-Moi, j'ai vraiment été abusée ! me lança t-elle

-Oh arrête ma chère ! renchéris-je. On dit toutes ça mais si on ne le désire pas vraiment, rien ne peut se passer non?

-Je te dis que j'ai vraiment été abusée ! hurla t-elle

-Eh bien d'accord ! soupirai- je finalement feignant d'abandonner. Le mien, c'était parce qu'il avait beaucoup d'argent et qu'il me traitait comme une déesse et j'aimais être dans ses bras. Ce n'était pas de l'amour mais...

-Mélaine ; m'interrompit-elle. Je n'ai pas envie de parler.


Touché ! Rien que le fait qu'elle refuse d'en parler prouvait que je n'avais pas tort. Espèce d'hypocrite! Elle ne méritait rien de plus que ce visage détruit par sa rivale. J'allais respecter ses désirs car moi non plus au début, je ne voulais pas lui parler et encore moins maintenant que je savais de quelle genre de demoiselle il s'agissait.


-Très bien! Dans ce cas, je vais voir le mignon docteur. À plus!


J'allais succomber à la tentation. Je ne comptais pas rester sur ce mini-échec alors j'allais faire une entorse à la règle qui voulait que je me fasse désirer.


*******

(Carin)


Un regard vers l'horloge et je retirai ma blouse. Ma mère m'attendait pour le déjeuner et je lui avais promis d'être présent alors je comptais tenir ma promesse. Je décidai de m'échapper immédiatement de l'hôpital avant qu'une urgence ne me retienne. J'avais fait le plein de patients et je manquais sérieusement de sommeil. Deux heures de sommeil par jour depuis près de deux semaines ne me suffisait plus. Auparavant cela ne représentait pas un soucis pour moi mais maintenant je pétais littéralement les plombs. Je ne savais pas exactement si cela était dû au manque de sommeil ou à autre chose mais je comptais voir ma mère aujourd'hui pour faire le plein d'affection et dormir pour faire le plein d'énergie. C'était un bon programme et cela faisait plus de trois mois que je n'avais pas goûter les bons plats de ma petite maman. J'avais hâte de la revoir ainsi que mes sœurs.


-Je peux? questionna une voix à l'entrée de mon bureau


Je souris intérieurement. Je reconnaîtrais cette voix entre mille. Il s'agissait de Mélaine, cette patiente que j'avais soigné il y a près de deux mois et qui avait visiblement eu une attirance bien entendue non réciproque pour moi. Elle avait disparu à mon grand étonnement. Non pas qu'elle m'ait manqué mais j'avais effectivement noté son absence. J'ai même été déçu tout à l'heure lorsqu'elle m'a presque dépassé alors qu'elle ne m'avait pas vu depuis plus de deux mois. Je m'étais peut-être trompé sur la nature de ses sentiments pour moi. J'avais même été vexé parce que je pensais avoir plus de charme que cela. Je n'avais pas l'habitude que les femmes se détachent de ma personne aussi rapidement. Cela semblerait peut-être égoïste que je désire qu'elle reste attaché à moi alors que je n'avais aucune attirance pour elle mais cela me rassurerait d'un côté sur le fait que mon charme opérait toujours.


-Bien-sûr ! Entre donc!


J'avais délibérément choisi de la tutoyer à cause de notre dernière conversation. Je touchai ma cible car elle esquissa un énorme sourire révélant ses dents parfaitement blanches et bien alignées. Je remarquai par la même occasion la robe droite extrêmement bien taillée et les escarpins noirs qui lui donnaient un air de femme distingué. Elle était séduisante mais pas à mon goût une fois de plus. Ce qui ne m'empêcha pas pour autant de la complimenter.


-Tu es très belle aujourd'hui...

-Je ne le suis donc pas les autres jours? me demanda t-elle

-N...No...Non, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire! Juste que je ne t'ai pas vu par ici depuis un petit moment et tu es éblouissante.

-Merci...

-Alors où étais-tu? questionnai-je. Pourquoi as-tu disparu?

-Pour quelques raisons personnelles mais je suis ravie de te revoir.

-Moi aussi... On pourrait...

-Je suis venu te parler du cas d'Inès ; me coupa t-elle brusquement


J'accusai le coup. En vérité, je comptais l'inviter à déjeuner un de ces jours. Elle ne me plaisait pas vraiment mais je la percevais maintenant comme un petit défi. Le prénom qu'elle venait de prononcer me ramena néanmoins à la réalité. Il s'agissait de la patiente qui avait été admise ce matin dans un état critique. J'avais réussis à la stabiliser et elle était totalement hors de danger. Elle avait un je ne sais quoi de marquant. Je n'allais pas l'oublier de sitôt. Je ne savais pas exactement ce qui m'avait le plus émus entre la souffrance qui se lisait dans son regard et l'innocence qu'elle dégageait. Elle par contre était clairement mon genre de femme.


-Ne t'inquiète pas! lancai-je à Mélaine. Elle est totalement hors de danger. Encore quelques mois de soins et tout ira bien. Le reste sera un travail à cent pour cent psychologique.


Ma réponse sembla la satisfaire. Elle hocha la tête pour me signifier qu'elle avait compris puis elle se retourna sans m'adresser un mot de plus. Elle était un peu trop sûre d'elle là. Un peu trop détaché et hors de mon emprise. En vérité, cela m'agacait. Je ne supportais pas ce soudain désintérêt.


-Mélaine ! appelai-je


Elle fit volte-face et elle m'interrogea du regard.


-Si tu es libre demain, je pensais qu'on pourrait déjeuner ensemble.


Sa réponse tarda à venir puis elle hocha la tête en signe d'acquiescement. Elle sourit puis elle disparut dans le couloir. Je me frottai les yeux pour me ramener les idées en place. Bon sang! À quoi pouvais-je bien jouer? Inviter cette femme qui ne me plaisait absolument pas. Il fallait croire que j'adorais les problèmes. Un dernier soupir et je ramassai mes clés de voiture, direction le parking de l'hôpital.


Entre coups et amour