Partie 81 : fragile

Ecrit par labigsaphir

Je laisse Asting porter les bagages à ma chambre et le suis en soupirant. Franchement, il faudrait que papy mette un ascenseur dans cette maison.

- Merci Asting, merci encore.

- De rien Mademoiselle Croft. C'est toujours un plaisir de vous servir.

- Jeneya, Asting...Jeneya.

- Cela me ferait bizarre...comme la femme du patron, s'appelait aussi.

- Jeneya, fais-je en souriant, je vous comprends.

- Bonne soirée, mademoiselle.

- Merci et à vous, autant.

Je rentre dans la chambre et à peine, ai-je posé le trolley sur mon lit que mon téléphone se met à vibrer. Je décroche avec ravissement en me rendant compte que ce n'est autre que Lavigna.

- Bonsoir Lavigna. Comment vas-tu ?

- Bonsoir ma petite. Il faudrait que je prenne des nouvelles par Jamice pour savoir que tu vas bien ?

- Non, non, c'est vrai que j'ai été occupée ces derniers temps.

- Tu aurais pu me passer un coup de fils, surtout que tu as cette fâcheuse manie, celle de décrocher un coup de fil sur trois.

- C'est vrai.

- Quand viendras-tu me rendre visite avec la petite ?

- Dès que j'ai un peu de temps.

- Tu es un cadre, donc peux prendre des vacances quand et comme tu veux.

- C'est vrai, c'est vrai.

- Que dirais-tu de cet été ?

- Je ne sais pas. Je vais regarder mon agenda et te dirais.

- Humm, pourquoi ai-je l'impression que tu me fuis ?

- Nooon, tu te fais des idées, je t'assure.

- Ok.

- Et là-bas, ça va ?

- Bah oui, oui. J'aimerai bien que tu découvres l'inde.

- Je te prendrais au mot, cet été, c'est certain.

- Voilà, c'est ce que je souhaitais entendre. J'attends que tu me donnes des dates.

- Ok.

- Je ne vais pas te déranger plus longtemps. Ça fait tout de même plaisir de t'entendre rire.

- C'est vrai.

- Tu étais trop triste et cela se sentait par ta voix.

- Quoi ? Qu'y a-t-il de changé ?

- Rien, rien. Je crois que le temps fait son travail, c'est tout.

- Ok. Bonne soirée, ma belle.

- Bonne soirée, tata.

Je vais prendre une douche et descends à la salle à manger, mon ventre gargouille. Arrivée sur place, j'y trouve un plateau. Le fumet caresse mes narines et semble m'interpeller. Je me rapproche en salivant, ce n'est autre que le Bongo Tchobi, un mets camerounais, accompagné de plantains murs cuits à la vapeur. Je ne réfléchis pas et m'assieds, me mets à manger. C'est délicieux et le piment, rien à dire. Dix minutes plus tard, j'entends du bruit et lève la tête, Aimé se tient devant moi. Il tient un verre, une bouteille d'eau et une autre de jus naturel. Je regarde le plat, puis sa figure et comprends que je suis en train de manger son repas.

- Ah, c'était pour toi, dis-je en posant la fourchette à regret.

- Oui, oui.

- Désolée, fais-je en repoussant le plateau. C'était tellement bon que je n'ai pu me retenir. Ceci dit, j'aurais dû demander avant de me servir.

- C'est vrai mais bon...

- Désolée, dis-je en me levant.

- Non, non, j'en ai fait assez. Je croyais pouvoir terminer cette marmite en deux jours.

- Je sais combien coûte la nourriture africaine, ici.

- Mange et bon appétit, je vais me servir.

- Merci Aimé ; il arque un sourcil et se débarrasse de tout ce qu'il tient et rentre dans la cuisine.

Il revient cinq minutes plus tard, tenant un plateau, s'assied en bout de table et se met à manger dans un silence cuisant. J'ai du mal à croire qu'il soit là, en face de moi.

- Aimé,

- Je mange, Jen, je mange, répond-il en mettant une cuillère de Bongo dans sa bouche.

- C'est très bon, repartis-je désireuse d'échanger avec lui.

- ...

- Je découvre que tu sais cuisiner ; il réagit à peine et continue à manger.

- ...

- C'est délicieux, il faudrait que tu m'apprennes.

- ...

- Le plantain mur est une réussite et le bongo, il est meilleur que celui d'Amicie.

- ...

- Et en parlant d'elle, elle est en ce moment en Afrique du Sud avec Rael.

- ...

- Tu te demandes surement qui est Rael, c'est mon cousin, du côté de l'Afrique du Sud.

- ...

- Ils semblent très amoureux. Nous souhaitons tous qu'ils se marient, cela me semblerait juste.

- ...

- Tu es devenu très beau. Non pas que tu ne l'étais déjà mais, tu l'es encore plus.

Je baisse les yeux, sentant que j'étais en train de rougir. Mais qu'est-ce qui m'arrive ? Cela m'a échappé. Il faudrait vraiment que j'arrive à me contrôler.

- Je n'ai plus eu de tes nouvelles.

- ...

- Pourquoi es-tu parti sans me donner de nouvelles ?

Il arrête le mouvement de la fourchette à sa bouche durant quelque chose, voulant surement s'exprimer, puis se ravise. Il pose son verre d'eau sur la table en faisant du bruit, comme pour me montrer que je l'emmerde mais je m'en fous. S'il faut percer l'abcès, autant le faire de suite.

- Tu es parti sans me dire au revoir en dépit de ce que nous avons vécu, Aimé. As-tu pensé à la petite ?

- ...

- Nous avons quand même eu des rapports sexuels, Aimé !

- ...

- Tout le monde a eu un mot de ta part mais moi, rien.

- ...

- Aimé, c'est à toi que je m'adresse, tu sais.

Il finit de manger, se lève sans dire mot et s'en va. Quelques minutes plus tard, papy et Jamice font leur entrée dans la salle à manger, prennent place et on leur apporte rapidement à manger.

- Je vois que tu as croisé Aymeric, commence papy.

- Oui.

- Il est très gentil, le petit.

- C'est vrai, confirme Jamice. C'est un vrai bosseur, il sait vraiment ce qu'il veut.

- Nous savons ne pas pouvoir payer ce qu'il a fait pour toi. La moindre des choses, était de lui donner du travail et faciliter l'obtention des papiers.

- Je vois, dis-je en buvant de l'eau.

- C'est un charmant garçon. Il est un brin orgueilleux mais très charmant, poursuit Jamice.

- C'est vrai, confirmai-je.

- J'espère que le fait pour lui d'habiter ici, ne te dérange pas, repart papy.

- Non. Pourquoi ?

- N'ayant aucun endroit où rester à Londres et avec un sérieux handicap, les papiers. Nous luis avons proposé, ton oncle et moi, de rester ici le temps de retomber sur ses pieds.

- C'est généreux de votre part.

- Qu'y a-t-il entre vous ? Demande froidement Jamice.

- Rien, pourquoi ? Répliquai-je en le regardant dans les yeux.

- Je ne sais pas, vous avez une relation assez bizarre, je dirais conflictuelle. J'ai du mal à comprendre, sachant ce qu'il a fait pour Athéa et toi. Ta réaction au bureau et la sienne, sont assez parlantes.

- C'est compliqué, soupirai-je en me levant et portant mon plateau.

- Tu sais que des employés sont payés pour le faire ? Demande papy de suite.

- Je sais mais cela ne me dérange pas.

- Ok, fait-il simplement.

- Bonne soirée à tous.

- Bonne soirée Jen et doucement, tous les deux, rebondit Jamice.

- Bonne soirée, ma petite, dit papy avec un sourire en coin.

Est-ce moi ou les deux autres se foutent carrément de ma gueule ? Je me dirige vers la cuisine en cogitant, et suis stupéfait en voyant les cuisinières autour d'Aimé, dans la cuisine.

- Tout réside dans l'équilibre entre le sucre et le sel. C'est là que réside toute la complexité de cette recette, explique-t-il.

- Les ingrédients ?

- Farine, sel, sucre et levure boulangère, répond Aimé en faisant le beau.

- Ok, cela parait assez simple.

- Oui, mais demande aussi de la patience. Nous allons faire la pâte ce soir et laisser gonfler toute la nuit et journée demain.

- Ok, répond la deuxième cuisinière.

Il lève la tête, me regarde une fraction de secondes et se met à mélanger les ingrédients. Je m'approche et assiste à la démonstration, en silence. J'admire la dextérité et la facilité avec laquelle, il transmet.

- Vous comprendrez qu'il est très important de fermer car la chaleur est un activateur de réaction. Si vous voulez, un catalyseur.

- C'est pareil pour les gâteaux, rétorque une des cuisinières.

- Bien ! maintenant, nous allons tremper le haricot rouge que vous appelez en Europe, cocos et le cuisinerons demain soir.

- Ok.

Il trempe, puis pose un plastique contenant des pétales de fleur d'oseille sur la table, un ananas, de la citronnelle et du gingembre.

- C'est pour quoi faire ? Demande l'une des deux femmes.

- Du jus d'oseille. Nous n'utiliserons pas la chair mais plutôt les peaux d'ananas. Non seulement, elle apporte un plus au niveau du gout mais elles ont aussi la propriété d'être diurétiques.

- Ce qui veut dire ? Demande la deuxième.

- Oblige à aller uriner.

- C'est bon pour les régimes, dit la deuxième.

- Exactement ! Bref, c'est bon pour la santé.

Il épluche l'ananas, récupère les peaux, les met dans la marmite, y ajoute l'oseille, du gingembre écrasé et la citronnelle. Il remplit la casserole d'eau et met le tout au feu.

- Il faut laisser mijoter durant une demi-heure, puis nous filtrerons et laisserons refroidir avant d'y ajouter du sure.

Dix minutes plus tard, il passe devant moi, n'a pas un seul regard et sort. J'ai le cœur gros et ne sais comment faire pour attirer son attention. Je monte après lui et me rends compte qu'il habite dans l'aile opposée du manoir ; c'est désespérant. Je vais dans ma chambre et me jette sur le lit pour un repos mérité.

SIX JOURS PLUS TARD...

Je suis fatiguée, ne sais plus quoi faire ni comment m'y prendre avec Aymeric. Il m'évite comme la peste et si par malheur, nous nous retrouvons dans la même pièce, il m'évite. Je n'en peux tout simplement plus. Il n'y a rien de plus déprimant de l'entendre rire avec les collègues et sourires à celles qui lui font des appels de balles. Pfff...Tout cela m'énerve mais ai-je donc la possibilité de m'afficher et lui remonter les bretelles ? Non, je fais partie des cadres et me dois de respecter l'étiquette. Pfff...j'en ai marre...C'est comme si ce que nous avions vécu ne représentait rien à ses yeux.

Je prends mes affaires et rentre à la maison. Demain, je dois rentrer à Limoges. A ce sujet, je dois réellement me prononcer car les voyages entre Londres et la France, commencent réellement à me fatiguer. J'arrive à la maison, vais me doucher, puis descends manger, aucune trace d'Aimé. Ok, je vais prendre le taureau par les cornes.

Je remonte à la chambre, mets ma petite robe rouge, coiffe mes cheveux et me maquille légèrement. Juchée sur des talons de dix-huit centimètres, je sors de la chambre et marche jusqu'à la chambre d'Aimé ; heureusement que je ne croise personne dans le couloir.

TOC...TOC...TOC...

- J'arrive !

Quelques secondes plus tard, il ouvre la porte, reste interdit sur le seuil durant quelques secondes, puis cligne des yeux. Yes ! Son regard se balade sur mon corps, comme s'il me caressait.

- Oui, mademoiselle Croft, fait-il sans ciller.

- Aimé, tu sais bien qu'il n'y a jamais eu de cérémonial entre nous.

- La duchesse s'est déplacée ; à ce qu'il parait. Que me vaut l'honneur de vote visite ?

- Il faut que nous discutions.

- Pourquoi ? A quel sujet ?

- De NOUS.

- Il n'y a jamais eu de nous, à ce que je sache.

- Je vais rentrer à Limoges demain, j'ai pensé que nous pourrions le faire avant que je ne parte.

- Faire quoi ? Demande-t-il les bras croisés.

- Que nous parlions.

- Je n'ai aucune envie de d'écouter. Fais ce pour quoi tu es douée.

- Pardon ?

- Envoie-moi un sms.

Il tire la porte si vite et la referme que je n'ai pas le temps d'en placer, UNE. J'ai la bouche grande ouverte durant un moment, stupéfaite par le courage et la colère qu'il a montrés. J'ai beau toquer, il n'ouvre pas la porte. Je rentre dans ma chambre, toute honteuse et de rage, me jette sur le lit. Mon téléphone se met à sonner, je décroche sans regarder l'identité de l'appelant. 

- Bonsoir bébé.

- Bonsoir Elric.

- Eh beh, tu arrives maintenant à faire une journée sans m'appeler ?

- ...

- Avons-nous dormi ensemble ?

- ...

- Même m'appeler te donne les crampes aux doigts maintenant ?

- ...

- Tu ne dis rien ?

- ...

- Si tu ne m'appelles pas, pense au moins à le faire pour tes enfants.

- Ok. Désolée, j'étais très occupée.

- Tu peux trouver le temps, si tu le souhaites vraiment.

- C'est vrai.

- Tu m'as manqué, tu sais ?

- ...

- Jen,

- Oui, Elric.

- M'aimes-tu encore ?

- ...

- Jen,

- J'ai eu une journée assez chargé, Elric.

- Ok. Bonne soirée, s'agace-t-il avant de raccrocher.

Je soupire, me déshabille et me démaquille avant de m'en dormir. Bizarrement, Elric ne me manque pas plus que cela. En fait, je ne ressens pas le manque que je devrais ressentir, loin de lui. Je peste en pensant à la veste que je viens de me prendre. J'ai vraiment la guigne, tchiiip !

DEUX MOIS PLUS TARD...

- Merci, Asting, fais-je en réajustant la sangle d'Athéa.

Il monte nos bagages, je soupire, détache Athéa qui sourit et s'accroche à moi, telle une sangsue. Je suis tout de même heureuse d'avoir pu la garder avec moi. Je n'aurais voulu pour rien au monde, la savoir avec son père. A six mois, Athéa sait sa poussée dentaire. Entre la fièvre, les joues rouges, les gencives enflées et le manque de sommeil, je ne sais plus où donner de la tête. De plus, Elric est allé rendre visite à son père en séjour en France depuis hier, avec Alden.

Nous prenons l'escalier et au moment d'enfiler le couloir, Aimé apparaît. Athéa s'excite aussitôt et tend les mains vers lui. Il sourit et la prend dans ses bras.

- Qu'arrive-t-il à ma princesse ? Pourquoi ces larmes ? Me demande-t-il en lui faisant des bisous sur les joues.

- Elle fait sa poussée dentaire.

- As-tu des hochets glacés pour elle ?

- Je n'en ai plus.

- Pourquoi ?

- Elle les a perdus dans l'avions, tellement elle était agitée.

- Nous allons en acheter, dit-il en rebroussant chemin ; je suppose pour aller chercher son porte-feuille et mettre une veste.

- Attends, il faut prendre des couches.

- Non, je vais m'en procurer. Ne t'inquiète donc pas, j'en prendrais soin.

- Je sais, répond-il en tournant les talons.

Je vais prendre une douche, une oreille tendue vers la porte. J'ai pris soin de ne pas fermer à clé, au cas où ils reviendraient rapidement. Je me pose, travaille sur mon ordinateur et m'endors en pleine activité.

TOC...TOC...TOC...

- Entrez ! Fais-je en me redressant.

Un coup d'œil rapide vers la fenêtre, il fait déjà nuit. Aymeric et Athéa rentre dans la chambre, suivi d'Asting et un employé de maison, portant des paquets ; celui-ci fait plusieurs tours entre la chambre et le couloir afin de récupérer les paquets et mettre dans la chambre.

- Pourquoi avoir acheté tout ça ? Finis-je par demander, étonnée par la quantité.

- C'est pour ma fille, répond simplement Aimé.

- Tu n'étais pas obligé.

- Tu n'as rien à dire, je m'occupe de mon enfant.

- Ok, excuse-moi. Cela a dû te coûter cher.

- L'on ne compte pas pour ses enfants et ne t'avise plus jamais de faire allusion à l'argent en ce qui concerne Athéa.

- Excuse-moi, dis-je piquée au vif.

- J'ai apporté une bassine adaptable à la baignoire pour ses bains.

- Merci.

- Pas besoin. Comme je t'ai dit, c'est aussi ma fille.

- A-t-elle été gentille ?

- Très douce, ne t'inquiète pas.

- Je vais lui donner le bain ; je suis étonnée par le fait qu'il le dise et le pense vraiment.

- Penses-tu vraiment ?

- Mais oui, Jen et ne reste pas là à me regarder bêtement.

- La salle de bain est par-là.

- Allons-y, s'impatiente-t-il.

Je le précède dans la salle de bain, il me met la petite dans les mains, place la baignoire adaptable sur la grande. Je suis perplexe et déchante lorsqu'il s'assied sur la baignoire, déshabille la petite et lui donne le bain avec un gant, comme s'il avait fait cela toute sa vie. Elle babille même si elle est fatiguée, Aimé est très souriant.

- Par ici, Aimé. Je n'ai malheureusement pas de table à langer.

- Ce n'est pas grave. En Afrique, toutes les femmes n'ont pas la possibilité d'avoir une table à langer.

- Humm.

- Elles appliquent donc, le système D. Si tu n'as pas compris D = débrouillardise.

- Ok.

Il prend soin de la petite et tient à lui donner le biberon, la fait roter et attend qu'elle s'endorme. 

- Attend, Aimé, dis-je en lui prenant la main.

- Jen, je suis fatigué.

- S'il te plait, attend.

- Non, Jen.

- Aimé, s'il te plait. Je ne sais pas pourquoi tu me détestes. Je ne sais pas ce que je t'ai fait, Aimé. 

Jeneya CROFT, l'Impé...