Partie X

Ecrit par Ornelia de SOUZA

Inès marchait d'un pas lent le long du couloir de l'hôpital. Elle appréhendait son entrevue avec le jeune médecin. Elle savait que c'était un rendez-vous. Elle ne se leurrait pas. Elle ne nécessitait plus de soins réguliers et le fait que le docteur passe la voir à la maison n'avait rien de professionnel. Elle y avait bien réfléchi et certes elle ne voulait pas se bercer d'illusions mais elle ne voulait pas non plus rater l'amour de sa vie. Elle avait toujours cru qu'elle finirait avec un beau jeune homme avant que tous ses rêves ne s'effondrent. En même temps, c'est le rêve de toute jeune fille. Tomber amoureuse d'un jeune homme et fonder sa propre famille. Elle avait vu tout ce mirage disparaître lorsqu'elle avait appris qu'elle devait épouser le vieux Degla. Et pourtant à aucun moment, elle n'avait contredis son père. Peut-être que si elle l'avait fait, elle n'en serait pas là aujourd'hui. Elle ne serait pas défiguré et seule au monde mais bon, il n'y aurait pas non plus Safi, la prunelle de ses yeux. C'était un bien pour un mal, finit-elle par conclure.


Elle ne s'en était même pas rendu compte mais elle était déjà devant le bureau du médecin. Son cœur fit un énorme bond dans sa poitrine. Est-il là ou s'occupe t-il d'un patient ? Elle n'avait pas prévenu de sa visite. Va t-il bien la recevoir? Trop de questions... Elle prit son courage à deux mains, expira puis toqua à la porte. Presque aussitôt, une voix à la fois grave et suave lui ordonna d'entrer. Ce qu'elle fit. Il était là, installer derrière son bureau, les yeux rivés sur des documents. Il leva la tête et dès qu'il perçut Inès, il se leva.


-Inès, mon Dieu! Entre je t'en prie.


Elle s'exécuta un fois de plus et s'assit sur l'une des chaises en face du docteur, comme n'importe quel patient.


-Bonjour Carin; lança t-elle.


Vu de l'extérieur, elle reflétait un air serein mais à l'intérieur, elle avait émis un effort surhumain pour pouvoir l'appeler par son prénom. Ce qui fit plaisir à Carin qui sourit presque instantanément. Il se rassit et plongea ses yeux dans ceux d'Inès.


-Bonjour Inès... Alors et ta journée?

-Ça va,et la tienne ? demanda Inès

- Maintenant ça va; fit Carin avec un clin d'œil. Je suis heureux que tu ais tenu ta promesse. Je ne l'espérais pas.

- Mais si je ne l'avais pas fait, tu serais revenu chez moi n'est-ce pas? questionna Inès pour se donner une contenance.

-Oui, autant de fois qu'il aurait fallu pour que tu m'accordes ce rendez-vous.


Un silence gêné s'installa entre les deux individus. Inès prit alors l'initiative de continuer la discussion.


-Alors voilà ! Je suis là! Qu'est-ce que tu me veux ?

- Je veux t'inviter à manger; lança Carin. D'ailleurs ça tombe bien. J'allais prendre une pause.


Inès sourit.


- On ne dirait pas. Tu travaillais à ce que j'ai vu.

- Non, je revoyais juste ces quelques dossiers. Ce n'est pas si important. Cela peut attendre...


Soudain la porte s'ouvrit brusquement coupant le docteur. Mélaine fit son apparition dans l'entrebâillement avec un énorme sourire. Sourire qui se dissipa lorsque son regard tomba sur Inès. Mais elle n'en fit pas cas car elle entra.


- Mélaine, pourquoi est-ce que tu ne frappes jamais à la porte? fit Carin.

- Parce que je n'ai pas à frapper quand je viens chez mon mec; répondit-elle en lorgnant Inès.


Ces mots resonnèrent comme un son de cloche dans les oreilles d'Inès. Quoi?! Son mec? Et pourquoi est-ce que cet homme insistait tant pour la voir s'il sortait déjà avec Mélaine?


-Mélaine ! la réprimanda Carin.

-Oh je blague; dit-elle en riant. Je blague voyons... Inès, que fais-tu ici?

-Je suis venu voir Carin; murmura Inès un tant soit peu dérouté par l'apparition de Mélaine .

-Et nous allions manger; continua Carin.

-Oh parfait! s'exclama Mélaine en hurlant presque. Je meurs de faim aussi alors on y va?


Elle venait de prendre de court Inès et Carin. Aucun des deux ne voulait d'elle à ce déjeuner et si Carin avait dit cela, c'était uniquement pour se débarrasser d'elle. Mais voilà qu'elle voulait venir avec eux.


-Allez levez-vous ! insista t-elle


Inès et Carin se levèrent et se firent à l'idée d'aller déjeuner avec cette jeune fille trop vulgaire. Carin échangea un regard désolé avec Inès qui sourit légèrement lui signifiant que ce n'était pas grave.


Une fois installés dans un restaurant deux rues plus loin de l'hôpital, Mélaine était la seule à parler. Elle ne semblait pas vouloir s'arrêter. Carin lui répondait d'un "oui" ou d'un "ok" de temps à temps et c'était tout. Inès quant à elle demeurait silencieuse.


-Alors tu retournes quand dans ton village? demanda brusquement Mélaine à Inès.


Inès n'en revenait pas qu'elle lui parle comme ça. Et puis comment savait-elle qu'elle venait d'un village. Carin non plus ne le savait pas vu comme il écarquilla les yeux. Le sujet l'intéressait. Mais Inès resta muette. Mélaine l'avait prise de court.


-Pardon si tu penses que ça ne me regarde pas mais la sœur Mina m'avait fait comprendre que tu n'avais pas vécu en ville. Et que tu venais d'un village.

-Oui, je viens d'un village ! lança Inès sur la défensive. C'est un crime?

-Non mais bon ça explique beaucoup de choses...


Mais comment oses-t-elle cette pouf? Inès l'avait pensé si fort qu'elle craignait que ce soit sorti de sa bouche. Carin aussi n'en revenait pas vu comme il scrutait les deux femmes.


-Qu'est-ce que ça explique ???

-Ben tes manières et ton style vestimentaire...

-Quoi?! s'offusqua Inès

-Ça signifie la manière dont tu t'habilles ma chère ; fit Mélaine avec un grand sourire hypocrite.


Elle allait trop loin. Inès en avait les larmes aux yeux. Comment pouvait-elle l'humilier ainsi.


-Je sais ce que ça veut dire Mélaine mais sache que je suis à la ville depuis cinq ans et que même avant ça, je n'étais pas...

-Quoi? Une villageoise ?


Mélaine éclata de rire de ses propres mots puis s'adressant à Carin.


-Chéri, tu sais nous devons l'aider à prendre ses marques en ville... Ce n'est pas facile pour une fille comme elle d'apprendre à être civilisé.

-Mélaine voyons! cria presque Carin

-Non Carin; cria à son tour Inès. Dis moi Mélaine! C'est quoi une fille comme moi?

-Enfin tu sais bien... Une villageoise ! Une malpropre! Ce n'est pas mal tu sais. Nous venons tous d'un village mais bon certains comme toi ont besoins de quelques leçons pour s'en sortir en ville.


Inès tremblait de tout son corps. Elle était au bord des larmes et elle n'arrivait plus à réfléchir. Et Carin qui restait silencieux. Est-ce qu'il pensait comme elle? Sûrement ! Mais alors pourquoi l'avoir invité s'il la pensait villageoise ? Une fois de plus, elle s'était bercée d'illusions.


-Mais bon je pense que tu dois y retourner; continua Mélaine l'air de rien. La ville n'est pas faite pour tout le monde. Mais je peux aussi parfaitement comprendre que tu veuilles rester ici et te faire entretenir par la sœur Mina. Et puis avec cette face, qui pourrait encore te reconnaître dans ton village?!


Elle ponctua tous ces horribles mots d'un rire aigu. Inès ne se rendit même pas compte du geste mais sa main s'abattit sur la joue de Mélaine. Carin s'était levé soudainement. Inès était allée trop loin. Tout le monde l'observait dans ce restaurant. Elle prit peur et s'enfuit en courant et en pleurant. Elle ne s'arrêta que pour monter sur un "zem" et rentrer à l'appartement de la sœur Mina. Elle avait confié Safi à la voisine mais elle ne voulait pas la récupérer tout de suite. Elle voulait juste se blottir contre une couverture et dormir. Ce qu'elle fit.

Cris de femmes