Période charnière
Ecrit par Farida IB
Khalil…
Nahia appel vidéo : penche-le un peu vers l’avant (parlant du cerceau qui sert à maintenir mon foulard) encore un peu…. Voilà, c’est parfait !!
Moi sceptique : tu trouves ?
Nahia : bien mieux que quand t’es en costume collet monté, tu devrais plus t’habiller de la sorte.
Moi : tu dis ça pour m’encourager.
Nahia avec un rire de gorge : et ça a marché ?
Moi : mouais, mais j’ai toujours le trac et je préfère mes costumes taillés sur mesure.
Nahia : il n’y a pas de quoi baliser, tu fais ça tout le temps.
Moi : au Moyen-Orient oui, c’est ma première fois à l’étranger.
Nahia : considère alors que tu es au Moyen-Orient, en plus le costume traditionnel émirati te donne un genre beau gosse sexy qu'on trouve aux bras des stars sur les couvertures de magazine. Tu vas seulement les mettre dans ta poche.
Moi faussement outragé : je t’interdis de fantasmer sur de présumés beaux gosses.
Elle met la paume de sa main contre son visage et lève les yeux au ciel.
Nahia : c’est tout ce que tu as retenu de ce que j’ai dit ?
Moi : pas forcément, mais je ne veux pas être comparé à une personne lambda. Je dois être l’unique beau gosse sexy à tes yeux.
Nahia : mais quel prétentieux !
On rit ensemble.
Nahia voix sensuelle : t’es mon beau gosse sexy.
Je fais un mouvement de tête vers l’avant pour m’assurer qu’on ne me surprenne pas.
Moi : tu vas me répéter ça lorsqu’on sera en train de faire notre enfant.
Elle tchipe et je ris franchement au moment où la vitre électrique de la limousine qui me conduit vers le palais de l'Elysée à Paris se baisse sur le garde rapproché de mon père. Je lève mes yeux de l’écran pour les poser sur lui.
Mehdi (le garde) : nous allons bientôt arriver mon Prince.
Moi : d’accord merci Mehdi (me tournant vers l’écran) je vais devoir raccrocher ma chérie.
Nahia : ok, j’attends ton coup de fil.
Moi : sans faute.
Elle tend la main pour raccrocher.
Moi ton pressant : aynia !
Nahia ôtant sa main : oui houbi.
Moi : je t’aime.
Nahia souriant : je t’aime aussi, tu vas assurer. Bisou !
Moi : bisou ma belle.
Nahia : clic !
Je descends de la limousine dans la cour d’honneur du palais et marche sur le tapis rouge suivi de prêt par les officiers de la garde royale.
Je suis à Paris depuis hier soir, le Cheikh m'a refilé son entretien avec le président de la République, le Premier ministre français et le ministre de la Défense du Koweït du fait qu'il nous a refait le même type de malaise qu’à Oman alors qu’il était en pleine rencontre avec les dirigeants et les gouverneurs des sept émirats. Le docteur lui a imposé un certain nombre de jours de repos complet ce qui l’empêche d’effectuer ce voyage parce qu’il faut le dire ça promet d'être accablant. En plus de l’entretien, je dois visiter son centre au musée du Louvre, rencontrer des étudiants émiriens poursuivant leurs études en France avant de signer des accords diverses par-ci par-là pour des causes humanitaires. En dehors de tout ça, j'ai prévu m'occuper de certains de nos clients résidants en France. Bref tout un programme.
Nous arrivons à l’entrée officielle où je suis accueilli par le Président lui-même. On se donne une poignée de main ferme ensuite, il garde ma main en me parlant avec sourire franc scotché sur les lèvres.
M Le Pr : soyez le bienvenu à Paris Prince Khalil, je suis très heureux de vous accueillir.
Moi : je vous remercie Monsieur le Président, je suis très honoré d’être ici et heureux d’avoir le privilège de représenter mon père pour cet entretien.
M. Le Pr : tout le plaisir est pour moi, j’espère que vous passerez un bon moment avec nous. Veuillez me suivre, je vous prie !
Il nous dirige vers le vestibule d’honneur ensuite au premier étage où nous attendaient nos deux interlocuteurs et d’autres membres du gouvernement qu’il me présente et que je salue à tout de rôle.
On s’y met et ça nous prend presque toute la journée. À 16 h, je rejoins la limousine qui doit me reconduire à mon hôtel. C’est pendant le trajet que je tente de joindre Nahia sans succès. Je me dis qu’elle serait peut être en rendez-vous donc je n’insiste pas d’avantage, je décide d’envoyer un mail à mon père pour lui rendre compte de ma première journée. Il me rappelle aussitôt.
Papa : salam fiston, j'ai suivi l'entretien en direct. Tu as fait de l’excellent travail.
Moi (avec une fausse modestie) : j’ai essayé de faire comme toi.
Papa sourire en coin : Khalil en t’envoyant là-bas, j’étais parfaitement conscient de ton talent redoutable de négociateur et de facilitateur, ne fais pas ton modeste. Tu as de la graine de Cheikh dans ton sang.
Je ris avant de changer de sujet.
Moi : en fait ça va mieux ? Tu nous as fait une frayeur.
Papa : je suis solide comme un roc.
Moi : hmmm papa qu’a dit le médecin ?
Papa : alhamdulilah je n’ai rien de grave.
Moi : mais encore ?
Papa : rien que je ne puisse supporter (changeant de sujet) l’étape suivant, c’est le Louvre n’est-ce pas ?
Moi soupir résigné : oui.
Papa : ok tu rentres directement à la maison après que tout soit terminé, je veux qu’on ait une discussion tous les deux.
Moi intrigué : puis-je savoir de quoi il retourne ?
Papa : nous en parlerons de vive voix.
Moi : papa tu m’inquiètes là.
Papa : il n’y a pas de quoi s’inquiéter (pause) ta mère veut te parler.
Moi : ok passe la moi.
Voix excitée de maman : mon chéri, je t’ai vu à la télévision. Mâcha Allah, tu avais une fière allure comme ton père.
Moi souriant : lol oumi.
Maman : parole d’une téléspectatrice.
Je ris franchement.
Maman : tu rentres à Abu-Dhabi quand ? Je vais organiser un dîner en ton honneur.
Moi : en fin de semaine inchallah toutefois ce n’est pas la peine de…
Maman m’interrompant : un petit dîner en famille, ça fait un moment que je ne vous ai pas tous eu à la maison.
Ping SMS.
Moi : pour ça, il faut que Ussama soit là. Aux dernières nouvelles, il était à Kuala Lumpur.
Maman : il sera là le week-end, il passe d’abord prendre Khadija à l’université, elle a fini ses sessions.
Moi : je vois, je te le concède alors.
Maman contente : chouette, je vais commencer par chercher les mets. Bon, je vais te laisser. Je dois superviser le dîner avec ta sœur. D’ailleurs, il faut penser à l’appeler. Elle n’a pas l’air bien, je m’inquiète pour elle.
Moi fronçant les sourcils : elle a quoi ?
Maman : je n’en sais rien, elle est plongée dans un mutisme complet et s’enferme tout le temps dans sa chambre.
Maintenant qu’elle en parle, je me souviens qu’elle répond de façon laconique à nos discussions depuis quelques jours.
Moi : je lui parlerai.
Maman : d’accord massalam.
Moi : Shukran bye.
Elle raccroche et je consulte le mail que Jemal m’a envoyé, c’est son rapport de la journée. C’est lui qui poursuit ma visite au Croissant rouge émirien, des hôpitaux de Masdar City et d’Abu Dhabi art. Je devais me rendre à la Dubai Design week après cette mission, mais il sera obligé de me représenter là-bas aussi pour que je puisse rentrer. Je lui fais part de cela et sa réponse ne tarde pas à venir.
Jemal : je veux bien, mais je vais commencer à te facturer pour mes services.
Moi : ça ne te plaît plus de rattraper mon travail ?
Jemal : pas quand je dois délaisser ma femme pendant plus d’une semaine.
Moi : il faut donc l’embarquer à Dubaï !
Jemal : je n’y avais pas pensée, yass une sorte de seconde lune de miel.
Moi : lol oui.
Jemal : cool, je vais même prolonger mon séjour. Tu ne dis rien au cheikh.
Je finis de lire le mail amusé en pensant celui-là toujours égal à lui-même. Je consulte ensuite des mails de clients et auquel je réponds en fonction de l'urgence. Je déniche quelques rendez-vous que je qualifierai d'intéressant qui vont sûrement ravir miss Adja. J’arrive dans la suite de mon hôtel et après un tour dans la salle de bain, je m’installe pour manger le repas que les valets ont pris le soin de commander et à réceptionner pendant que je prenais mon bain. C’est après avoir mangé que je tente d'appeler Nahia à nouveau. Elle ne répond toujours pas, je lui laisse un message pour lui demander de me rappeler dès qu’elle aura le temps. Je sors de son inbox pour composer le numéro d’Ussama, il répond après deux tentatives.
Moi : Monsieur le Baron,
Ussama : Monsieur le Prince-Roi,
On parle en même temps.
Moi : où est-ce que tu te caches ?
Ussama : comment s’est passé…
Il s’interrompt et rit de concert avec moi avant de reprendre.
Ussama : ça été ?
Moi : alhamdulilah, tu as les nouvelles de ta sœur ? Il paraît qu’elle va mal en ce moment.
Ussama : maman t’a appelé !
Moi : lol oui je viens de les avoir au téléphone.
Ussama : je l’ai eu ce matin également. Bof Yumna, je ne sais pas ce qu’elle a. Il y a sans doute du Cheikh là dessous.
Moi : comment ça ? C’est quoi leur problème encore tous les deux ?
Ussama : il veut l’envoyer en mariage.
Moi arquant le sourcil : c’est quoi cette histoire ? Ça ne peut attendre qu’elle finisse ses études ? Elle n’en a plus pour longtemps.
Ussama : bah, il anticipe.
Moi : en tout cas, je verrai ça une fois sur place.
Ussama : moi aussi, en espérant que tout se passe bien avec le Sultan. Il nous a convoqué d'urgence Khadija et moi.
Moi : ah tu vas voir le beau père ?
Ussama : une rencontre que j’appréhende, je ne sais pas ce qu’il va me sortir cette fois. Peut-être qu’il a changé d’avis, sait-on jamais.
Moi : krkrkr tu as peur des humeurs de ton beau père ?
Ussama : nous sommes bien d’accord qu’il est flippant.
Moi : rhooo Sama tu parles du père de ta chérie.
Ussama : quand bien même.
Moi : hmm, il vous a au moins énoncé ce pourquoi il veut vous voir ?
Ussama : non, il m’a juste envoyé un mail du genre « passe me voir avec Jeddah ».
Moi : c’est tout ?
Ussama : mouais !
Moi avec un rire de gorge : alors là bonne chance.
Ussama : rhoo Khalil arrête de te moquer.
Moi : est-ce que tu as d'autres choix ? Tu ne peux que supporter.
Brrrr-Brrrrr
C’est mon téléphone qui signale un double appel du numéro fixe de Nahia.
Moi : petit, je te laisse. À plus !
Ussama : à toute bro.
Je décroche avec enthousiasme, c’est la voix de Nabil que j’entends.
Nabil ton excité : bonsoir tonton Lil, je viens de te voir à la télévision. Wouah t’avais l’air hyper sérieux…
J’entends le bruit de la porte qui s’ouvre ensuite le ton de voix agressif de Nahia.
Nahia : Nabil tu es privé de téléphone, de tous les téléphones.
Moi (en alerte) : champion, tu as encore créé ! Qu’as-tu fait cette fois ?
Nabil zen : bah, j’ai été exclu à l’école pour trois jours.
Moi : quoi ? Que s’est-il passé ?
C’est une Nahia furieuse qui me répond, je crois qu’elle lui a arraché le téléphone de la main.
Nahia : il s’est battu avec l’un de ses coéquipiers au basket, le petit s’est retrouvé avec des points de suture à la lèvre.
Moi : oh, mais qu’est-ce qui lui a pris ?
Voix de Nabil : il m’a provoqué, il m’a traité de mauviette devant ma copine.
Nahia criant : devant qui ?
Moi : chérie calme-toi s’il te plaît.
Je l’entends soupirer.
Nahia : on parlera de ça plus tard (ton dur) dans ta chambre vite fait !!
On entend la porte claqué.
Nahia : Nabil Sollou ne me pousse à bout ce soir, ça risque de mal finir pour toi.
Moi (ton menaçant) : j’espère que c’est la colère qui te fait parler ainsi.
Elle soupire bruyamment.
Nahia : c’est le high level là, ses bêtises commencent vraiment à prendre de l’ampleur.
Moi : il nous fait une crise d’adolescence, je vais lui parler t’inquiètes. Tu as informé son père ? Il faudrait que vous en discutiez tous les deux.
Nahia : l’école nous avait convoqué tous les deux pour ce qui est de discuter avec lui, c’est prévu pour lorsqu’il sera de retour de son voyage.
Moi : ok fine.
Nahia changeant de sujet : sinon on dit quoi ? Cette histoire m’a presque gâché mon euphorie de la journée (avec enthousiasme) tu fais les gros titres des journaux. Les filles sont déchaînées ici, les coups de fils fusent de partout.
Moi sourire ravi : ah ouais ?
Nahia : tu t’es très bien débrouillé, tu m’as même épaté.
Moi : je te crois, c’est si rare que la princesse apprécie quelque chose de prime abord.
Nahia riant : ça, c’était avant. Maintenant que je te vois à l’œuvre...
Moi (l’interrompant en prenant un ton suave) : attention, tu ne m’as pas encore vu à l’œuvre miss Adja.
Nahia faussement sceptique : ah bon ?
Moi : laisse-moi rentrer et je te fais une vraie démonstration.
Nahia : krkrkr je n’attends que ça.
Moi : tu sais ce que signifie n’est-ce pas ?
Nahia riant : Ben Zayid, je te suis. Dès le moment où je t’ai vu serrer la main du Président Macron, j’ai décidé de déroger à cette règle.
Moi ton pressant : je rentre sur le champ.
Elle éclate de rire.
Nahia : attends au moins de terminer la mission de ton père, on se voit dans…
Moi la renseignant : la semaine prochaine.
Nahia : chouette alors, je viendrai t’accueillir à l’aéroport comme un héros national.
…….
J’entre dans la grande salle au palais, il y a maman, Cartia et certaines domestiques qui s’attellent à dresser des assiettes sur des tapis de différentes couleurs. Je m’approche d’elles sous les salutations des domestiques.
Moi : je pensais qu’on devait m’accueillir à l’aéroport.
Maman se relève tout sourire.
Maman : on ne s’attendait pas à ce que tu rentres si tôt.
Elle s’approche et m’enlace tendrement, je pose ma main sur son épaule et lui fais une bise sur la tempe.
Moi : je n’avais plus rien à faire donc j’ai avancé mon vol pour éviter les paparazzis.
Maman : ah je vois ! (me souriant) Puisque que tu es déjà là, je vais faire avancer les préparatifs.
Le temps de faire la bise à Cartia qui s’est approchée et de lui répondre elle est déjà à la porte.
Cartia : ça, c’est le retour !
Moi : vraiment, où est-ce que tu as laissé ma fille ?
Cartia : elle est avec son père.
Une odeur de poulet submerge la salle, je me tourne vers l’entrée pour voir Yumna et d’autres domestiques arrivées. Je dois dire qu’il y a deux jours, je lui ai promis de me pencher sur son cas. Enfin elle a confirmé la thèse d'Ussama. C’est pour ça qu’elle me sourit dès qu’elle me voit. Par contre, il y a une lueur triste à peine perceptible qui subsiste dans son regard. Elle s’avance vers nous à pas pressés et prend le soin de poser délicatement son assiette avant de se jeter dans mes bras.
Moi : ça va toi ?
Yumna : oui, mais pas autant que toi apparemment.
Moi : c’est sûr, je viens de passer une excellente semaine.
Cartia : ça se sent, dommage que Nahia ne soit pas là en ce moment pour en profiter (quittant devant nous) il faut que j’aille aider oumi dans la cuisine.
Je la regarde partir en secouant la tête pendant que Yumna rit doucement, elle veut dire autre chose lorsqu’on entend la voix de papa depuis le couloir.
Papa : j’ai entendu dire que Khalil est rentré.
Cartia : il est à l’intérieur.
Je pars à son encontre, il me harponne devant la porte.
Papa : qu’est-ce que tu fais ici à cette heure ? Et ta conférence de presse ?
Moi : bonsoir papa. J’ai reporté, je voulais d’abord te voir.
Papa : bonsoir je suis en forme comme tu le constates, tu as reporté ça pour quand ?
Moi : demain.
Papa : d’accord, suis-moi dans mon bureau.
Moi : c’est si urgent que ça ?
Papa : oui enfin une question de priorité.
Je plisse les yeux, mais le suis quand même.
Moi (pendant qu'on pénètre dans le bureau) : dois-je m’inquiéter ?
Il ne dit rien et attend de s’asseoir sur son fauteuil avant de me faire signe de m’asseoir en face de lui, ce que je fais avant de remarquer la paperasse devant lui.
Moi : je pensais que tu ne devais rien faire à part te reposer ?
Maman (qui entre en ce moment) : demande lui bien mon chéri (posant un plateau de dattes et de boissons aromatisées à base de vin sur la table) je me suis dite que vous aurez besoin de ça.
J’arque le sourcil, elle ne sort ça que pour les grands évènements.
Moi les fixant incrédule : c’est pourquoi ? Qu’est-ce qu’on fête ?
Maman : ta première mission en tant que cheikh.
Papa (coulant un regard intense à maman) : laisse nous seuls s’il te plaît.
Moi (de plus en plus intrigué) : mais dites moi ce qui se passe à la fin.
Papa : Khalil un peu de patience.
Il pause ses deux mains à plat sur la table et attend que maman referme la porte pour reprendre la parole.
Papa : je tiens d’abord à te dire que j’ai été plus que fier de toi durant cette semaine, tu as fait plus qu’assurer.
Je hausse les sourcils parce que je ne m’attendais pas à ce genre de discours, il hoche la tête en me fixant intensément.
Papa direct : en fait, j’ai pris une certaine décision au vu de ma santé…
Je me redresse et plisse les yeux.
Moi : j'étais sûr que tu ne me disais pas tout, c'est grave ce que tu as ?
Papa : Khalil laisse moi finir s’il te plaît (reprenant) je disais tantôt que vu la situation de ma santé, je ne suis plus en mesure d'effectuer des voyages dans tous les recoins du monde et je suis de plus en plus inapte à résoudre les situations de crises. Ajouté à cela, le médecin m’a prescrit un arrêt de travail définitif.
Je tique et lève le sourcil commençant à deviner où il veut en venir.
Papa continuant : je t’ai observé toutes ces années, je sais que tu maîtrises mieux que quiconque les obligations qui m’incombent. Tu m’as d’ailleurs aidé à régler un bon nombre en un tour de main et de façon plus moderne. Jemal m’a fait le rapport que le peuple te réclame pour tes exploits et ta notoriété. Ta mère aussi ne tarie pas d'éloges sur toi. J’ai eu la confirmation cette semaine. Je pense donc qu’il serait plus judicieux que tu me succèdes à présent. Je ne m’inquiète plus de savoir si tu pourras le faire ou pas, j’estime que tu as tout ce qu’il te faut pour t’en sortir.
Je bloque un moment silencieux.
Moi : si je veux bien comprendre, tu veux que…
Papa (me coupant la parole) : oui, tu as bien compris, je voudrais que tu prennes ma relève. J’ai fait mon temps et je crois que ma course est finie.
Moi : je ne peux pas le faire pour le moment parce qu'il va me falloir trouver une femme.
Papa : j’en suis bien conscient.
Moi sur la défensive : papa je te l’ai dit, je ne veux pas d’une autre femme que Nahia.
Papa me prenant de court : je ne te demanderai pas d’en trouver une autre non plus.
Je le regarde pantois.
Moi : quoi ? Enfin, je ne suis pas sûr de comprendre.
Papa (haussant l’épaule) : ton choix c'est le mien. Ce n’est pas l’idéal que je m’étais fait de la femme que tu devais épouser, mais bon, on n’a pas toujours ce qu’on veut dans la vie. Je dois reconnaître que c’est le seul sujet sur lequel tu m’as vraiment tenu tête de toute ta vie et non seulement ça, c’est la seule femme qui ait vraiment réussi à te canaliser et à te remettre sur le bon chemin. Donc s’il y a une femme qui mérite cette place, c’est bien elle.
Moi sur le cul : là, tu es en train d’accepter qu’elle soit mon épouse.
Papa : si c’est toujours ta volonté.
Moi : bien sûr que ça l’est, on peut aller voir ses parents tout de suite si tu n’y vois pas d' inconvénient.
Papa : aussitôt que le médecin me donne son autorisation, il faudrait aussi que je compose avec le programme de Sharif qui était prédisposé à nous accompagner.
Moi plissant les yeux : comment ça, il était prédisposé ?
Papa : j’avais pris cette décision avant votre départ la dernière fois, il me fallait tout de même m’assurer du bien-fondé de ma démarche.
Je le regarde simplement sans savoir quoi dire. Je suis perdu, enfin, je passe en ce moment par toutes sortes d’émotions. J’ai attendu ce moment longtemps et ça arrive sans crier gare. Je lui jette de temps en temps des coups d’œil, il garde toujours son air sérieux. Je sais qu’il n’est pas du genre à plaisanter sur certains sujets, mais je tiens tout de même à me rassurer. Je ne veux pas quitter ce bureau la tête pleine de rêve pour que demain il vienne me sortir la carte du non mariage.
Moi : on peut essayer de faire une sorte de présentation via appel vidéo avec ses parents en attendant que tu recouvres ta santé.
Papa : fiston, ça fait trois ans que tu fréquentes cette fille dans le dos de ses parents. La moindre des choses, c’est de te présenter en bonne et due forme devant eux.
Moi : je suis d’accord avec cela, mais je n'ai aucune garantie que tu ne changeras pas d’avis demain.
Il ouvre un tiroir et en sort une clé qu'il me tend.
Papa : ce sont les clés du débarras à ton étage, il y a tout ce qu’il faut pour la dot. Tu verras avec elle pour qu’elle voie avec sa famille s’il faut compléter ou retrancher quoi que ce soit.
Moi : ah, mais ?
Papa : c’est de l’argent issue de vos comptes étudiants, j’ai fait de même pour Ussama.
Moi dépassé : ah euh ok.
Il me regarde avec un sourire au coin des lèvres, je me sers la boisson de maman et le vide d’un trait. Je commence à peine me rendre à l'évidence lorsqu’on entend quelqu’un toquer à la porte ensuite Ussama entre dans le bureau.
Ussama : salam, je vous dérange ?
Papa : wassalam, pas du tout fiston. Entre !
Ussama : bonsoir,
Nous : bonsoir.
Moi (pendant qu’il s’assoit) : tu n’es plus parti à Oman ?
Ussama : si, nous venons juste d’arriver (se tournant vers papa) le sultan veut qu’on se marie très rapidement.
Moi : pourquoi ?
Papa fronçant les sourcils : c’est quoi l’urgence ?
Ussama : il n’a pas voulu nous en dire plus.
Papa : qu’est-ce que vous en pensez Khadija et toi ?
Ussama : il ne nous laisse pas vraiment le choix.
Papa (sourire en coin) : c'est à toi de voir donc ! En ce qui me concerne, c’est quand tu veux.
Ussama : ok.
Moi : mais tu devras attendre que je fasse le mien d'abord.
Il arque un sourcil interrogateur vers moi.
Ussama : quoi le tien ?
Moi : bah mon mariage avec Nahia.
Ussama : vous allez vous marier ?
Moi (coulant un regard vers mon père) : oui, papa vient de nous donner son accord.
Il nous regarde tour à tour hébété avant de lancer un regard insistant à papa qui hoche la tête.
Ussama : une très grande nouvelle mâcha Allah (je souris) c’est quand ?
Papa : bientôt (se levant) allons voir de près ces tajines aux saveurs succulent que dressaient ma femme à moi toute à l'heure. (se tournant vers nous) On dirait que mes vieux fils vont enfin convoler en juste noce.
Je tourne un regard amusé vers Ussama qui rit sous capte. On l’imite dans son geste par la suite. En sortant du bureau, je sors mon téléphone pour appeler Nahia lorsque l’idée me vient de lui annoncer la nouvelle de vive voix. Le dîner plus tard, se passe dans l’euphorie ponctué des commentaires de tout le monde par rapport à l’annonce des noces en perspectives. Maman qui a accueilli avec bonheur la nouvelle anime le repas. Elle imagine déjà les préparatifs pour les deux cérémonies et Cartia cherche les destinations pour les enterrements de vie de jeunes filles, Khadija commente de temps en temps. Yumna n’est pas très bavarde toute la soirée, elle est juste intervenue pour nous féliciter. À un moment, je lui pose des questions sur son examen pour la requinquer.
Yumna discrète : ça peut aller, les révisions suivent.
Maman : c’est dans deux mois n’est-ce pas ?
Yumna : oui, mais j’envisage de faire une hyperspécialisation de deux ans en Australie.
Maman : pour faire quoi avec ?
Papa parlant vite : il est hors de questions !
Moi : deux ans ça peut le faire je pense !
Papa catégorique : elle n’a pas besoin de faire d’études supplémentaires.
Moi : tu sais toi-même qu’on ne finit jamais d’étudier.
Papa : c’est pour faire quoi avec toutes ces études ? Et le mariage ? Elle pense à ça ?
Moi : elle a le temps d’y penser, elle est encore jeune.
Il me lance un regard en biais.
Maman : elle ne va pas rester jeune toute sa vie, il faut qu’on soit rassuré qu’il y a quelqu’un qui veuille bien l’épouser un jour.
Moi : je te le concède maman toutefois ce n’est pas la course, elle a encore du temps devant elle. A mon avis les études sont prioritaires, qu’elle profite encore tant qu’elle en a l’occasion.
Papa à Yumna : en tout cas, tu fais comme tu veux, de toute façon mon avis ne compte plus depuis belle lurette !!