Polygame

Ecrit par RIIMDAMOUR

- Madame Aïdir, la commande de fruits est arrivée.


Sheut !!! Qu'est-ce qu'ils ont tous à m'appeler Madame Aïdir tout d'un coup ?

J'affiche un faux sourire et remercie ma nouvelle serveuse.


- Khadija ! Tes pieds de mon canapé tout neuf s'il te plait !

Ma cousine lève les yeux au ciel avant de s'exécuter.

C'est comme ça depuis une semaine, elle squatte chez moi, mon bureau et même ma chambre, prétextant qu'elle ne veut pas me laisser seule face à mon malheur, mais je crois que la vérité est que c'est pour fuir le sien qu'elle refuse de rester seule, puisqu'elle est en vacances. Elle aurait pu rentrer chez elle, ou faire un stage, aller flanner à la plage, avec ses copine... n'importe où pourvu qu'elle me fiche la paix.

Vivement qu'elle reprenne les cours rekk, en attendant, elle salit le canapé tout neuf en cuir noir qu'un de mes client m'a offert.


- Sérieux Milou, tu devrais songer à prendre des vacances, tu es trop tendue en ce moment ! Me répond-elle en venant s'asseoir sur le fauteuil en face de mon bureau.


Cette fois-ci c'est moi qui lève les yeux au ciel. Elle ne peut pas me foutre la paix un peu celle là ?


- Combien de temps faudra t-il que je te le répète ? Je me porte à merveille ! Tu devrais m'aider à trier mes factures plutôt que de piailler nii ! Tu ne m'es d'aucune utilité.


Déjà que j'ai une tonne de paperasse dont je dois m'occuper, je dois me taper ma cousine qui agit comme une ado, plus que d'habitude.

Franchement, merci Tala.


- C'est ça ! Fuis la discussion ! Murmure t-elle avant de reprendre sa place sur le canapé. Et je ne suis pas folle, tu sais. Je vois bien que tu te retiens, mais tu ne vas pas bien, ça c'est moi qui te le dis !

J'aimerai bien savoir depuis quand elle est psy.


- Il y a un vol pour Banjul prévu Dimanche, je réserve trois billets pour toi, moi et Josée ! OK ?

Sérieusement...


- Ok Khadija ! C'est toi qui va payer j'espère ?


J'aurai bien aimé m'énerver contre elle, mais c'est que je suis tellement fatiguée de cette fille !


- Oui mais... avec ta carte de crédit.

Je ne réponds même pas, et m'en vais pour mon rendez-vous avec mon avocat. De toute façon, j'aurai beau m'énerver contre elle, elle ne changera pas d'avis. Personne ne gagne contre cette tête de mule...

Sauf Tala peut-être...

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Khadija a peut-être raison, j'aurai bien besoin d'un peu de repos. Je suis crevée au plus haut point.

Et puis m'éloigner ne me fera pas de mal, c'est peut-être ce qu'il me faut après tout. Mais je ne peux pas me permettre de quitter le restaurant en me déchargeant sur Alain et Ma Diouma encore une fois. Je les fatigue assez ces derniers temps, ils ne sont plus tout jeunes.

L'une des raisons principales pour lesquelles j'aurai besoin d'une pause loin de tout et tous, c'est que je ne peux plus supporter les regards des gens, la pitié, c'est tout ce que j'y lis.

On me témoigne tout le temps de la pitié, au restaurant, chez les membres de ma famille, même chez moi avec Fatou et Khadija qui sont aux petits soins.

Tout cela est bien gentil, mais ça me gave, on ne m'a pas annoncé ma mort prochaine, seulement que mon mari a pris une deuxième femme.

C'est sûre que ce n'est pas très plaisant, mais je n'y peux rien, je ne suis pas la première à qui cela arrive, et puis j'aurais dû m'y attendre en épousant un musulman.

Il en a parfaitement le droit.

Ta Sokhna est convaincue que c'est un des effets secondaires de cet « envoutement ». Mon avis est tout autre.

Que nenni ! Tout ce qu'il a fait, il l'a fait de son plein gré.

Yoro Baba est venu à la maison il y a trois jours.

Contrairement à ce dont je m'attendais, il n'était pas un vieux monsieur en grand boubou en bazin super amidonné, avec un chapelet kilométrique, qui ne touche pas les femmes et qui murmure tout seul dans son coin.

Yoro Baba Sow est arrivé chez moi dans sa rutilante Touareg, en smoking, un attaché case à la main. Le plus surprenant est qu'il est le portrait craché de mon père. J'ai été chamboulée quand je l'ai vue, croyant une apparition. J'en ai presque versé de chaudes larmes.

Il a été extraordinairement adorable avec moi. On a parlé de philosophie ; un débat très passionnant ; avant qu'il ne demande à Khadija de nous laisser parler.

Il m'a avoué avoir été surpris de recevoir mon message, qu'il a fait une prière de consultation pour moi. C'est en Casamance qu'il a été cherché la solution à notre problème, chez un guérisseur Diola.

Il a fait bruler quelques feuilles de je ne sais quoi et m'a demandé de me laver la bouche, les pieds et la tête trois fois avec une toute petite bouteille de parfum qui contenait un liquide tout à fait normal, qui sentait bon.

J'avoue que j'ai été un peu réticente au début, ces choses là...

J'ai commencé à saigner du nez dès que j’eus fini de me laver les pieds, une très forte douleur est venue s'ajouter à tout cela et j'ai fini évanouie sur la moquette du salon.

A mon réveil, il y avait toute la maisonnée au dessus de moi, et mon oncle m'a dit que c'était fini.

C'est vrai que je me suis sentie bien mieux, j'étais plus légère, et j'avais quitté l'état d'énervement dans lequel j'étais plongée depuis plusieurs jours.

Je n'avais plus envie de tuer Amine.

C'était déjà ça.

Le seul hic dans toute cette histoire est que, mon oncle m'a dit qu'Amine aussi devait se laver les pieds, la bouche et la tête avec cette mixture.

Je crois que je n'avais pas bien réfléchi avant de lui dire que oui, je le ferai.


Comment donc vais-je faire pour qu'il se lave avec, moi qui refuse de prendre ses appels, de lire ses messages et même de penser à lui.

Penser à lui reviendrai à me torturer le cœur et le cerveau, me demandant se qui cloche, alors sachant que rien ne cloche, à quoi bon ?

Il a juste fait ce qu'il a voulu, sans penser à moi, liko nekh rekk leu deff !


Alors, s'il a quelque chose à me dire, qu'il se présente devant moi et agisse en homme.

Il n'a pas daigné me dire lui-même qu'il s'est marié, c'est son père qu'il a envoyé à sa place, c'est même lui qui a réglé le problème de « tour » qui s'est imposé, me demandant quel jour me conviendrait.

Il venait juste de m'annoncer que mon mari, le seul homme que j'aie jamais connu, à qui j'ai donné mon cœur ; mon innocence ; mon âme, la personne que j'aimais plus que moi-même, venait d'épouser son ex.

Comme si ce n'était pas suffisant, il me demandait quels jours de la semaine je comptais avoir « notre » mari pour moi ? Alors, je dois le laisser à une autre femme les autres jours ?

Ça doit être comme ça maintenant ?

Je crois que je ne réalise toujours pas, car jusqu'à présent je n'ai été que calme, zen, posée.

Pas une seule fois je n'ai pleuré, j'ai refusé de me laisser envahir par la tristesse ou autre forme de désespoir.

En fait, je crois que c'est pour cela que Khadija refuse de me quitter d'une semelle, pour ne pas louper le moment où je craquerai, peut-être que cela la rassurerai un peu.

Il y a que je n'ai aucune envie de pleurer pour lui, pour ça...

Surtout que tout le monde est au courant, comme j'aurais pû m'y attendre, les médias ce sont saisi de la nouvelle et les magasines people en ont parlé pendant des jours.

J'ai reçu plusieurs propositions de magazines qui voulaient l'exclusivité de l'histoire.

J'ai aussi reçu des appels tout le monde qui me témoignait sa tristesse.

Tala est en voyage d'affaire hors du pays et Mansour est dans la sous région, mais ils prennent tous les jours de mes nouvelles et Mansour m'a promis de régler le problème de mon mari en rentrant.

Lui régler son problème ? Et comment ?

Ce n'est même pas la peine.

J'ai demandé à mon oncle Yoro Baba quel était le but de la personne qui nous a fait ça.

Cet envoutement.

Il m'a expliqué que ça devait agir comme une sorte de philtre d'amour, mais inversé.

Qu'on aurait envie de s'entretuer mon mari et moi, à chaque fois qu'on était l'un en présence de l'autre.

Il m'a dit que ce genre de truc était démoniaque car beaucoup de personnes s'entretuaient sans raison car ils avaient été « maraboutés » de cette manière.

J'en ai profité pour lui demander si cela pouvait être la raison pour laquelle Amine a fait ce qu'il a fait, mon oncle m'a répondu qu'il n'en savait rien.

Moi j'en sais quelque chose. Sincèrement, je ne vois pas quel argument il pourrait avoir pour se justifier.

En attendant, j'ai recommencé à courir, il fallait bien que je me défoule par un moyen ou un autre.

J'ai besoin d'extérioriser, mes larmes refusent de couler.

Je ne sais pas pourquoi, peut-être bien que je refuse tout simplement de pleurer sur mon sort.

Je ne veux pas me rendre triste pour une cause aussi perdue qu'Amine.

Toute ma dévotion, mon amour, mon admiration, mon respect, mon amour et ma considération pour lui ont disparu, fondu comme neige au soleil.

Plouf !

Mon attitude détachée a énervé Josée, elle m'a hurlé dessus pendant plusieurs minutes et a fini par me parler d'un avocat, ami de Kevin, qui était spécialisé en divorce.

Je lui ai promis d'aller le voir, même si pour moi, le divorce est inconcevable.

Je ne sais pas pourquoi je n'y ai pas pensé, pas une seule fois.

Mais bon... en ce moment, tout est mélangé.

Je ne sais pas...

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- ...J'ai aussi pensé qu'on devrait ajouter des plats plus...carnivores, à la carte. Du genre, un assortiment de charcuterie...


- Hum humm ! Je réponds distraitement à Alain.

Cette réunion tire vraiment en longueur, je ne tiens plus en place.

Aujourd'hui, j'ai des fourmis dans les jambes, tout ce que je désire, c'est d'aller à la plage, je ne sais pas pourquoi.

La première odeur que j'ai ressenti ce matin à mon réveil, c'est celle de la mer, alors que je vis à une vingtaine de kilomètres d'elle.

Cela fait plusieurs mois que je n'y ai pas posé les pieds, elle me rappelait trop de mauvais souvenirs, liée à ma mésaventure qui s'était déroulée à la résidence de mes parents de Toubab dialao.

Et puis Amine n'aime pas la mer, donc...

Me revoilà qui pense à lui !

Zut !

La réunion se termine vingt bonnes minutes plus tard, je m'éclipse discrètement vers la sortie, pour éviter que ma folle de cousine ne me suive.

Malheureusement je la trouve dans la voiture, entrain de discuter avec mon chauffeur, Alpha.

Comme prévu, elle insiste pour venir avec moi.

Elle me suit partout comme mon ombre, c'est un peu irritant faut dire.

Mais puisque je n'ai pas le choix...

Je ne veux pas la blesser d'avantage, derrière ses sourires et ses délires de petite fille, il y a une grande peine.

Dès fois elle a l'ai complètement absente, d'autres fois je l'entends pleurer dans le salon, toute seule, la nuit, quand elle croit que je dors.

Elle est complètement brisée à l’intérieur, jusqu'à présent je ne sais pas ce qui s'est passé entre elle et Tala, mais il est évident que ça l'a marqué à jamais.

J'évite de lui en parler pour ne pas la voir de nouveau plongée dans la tristesse, m'emportant avec elle.


Une fois à la plage, j'étends un pagne sur le sable et Khadija court tremper ses pieds dans l'eau.

C'est très agréable, Il doit faire tout au plus vingt cinq degrés en cet après midi de Mai.

Il y a un peu de soleil et la plage est presque vide à cette heure.

Je m'allonge et ferme les yeux, Youssou Ndour qui chante Salimata dans mes oreilles.

Cette chanson me fait toujours rire, comment peut-on tomber amoureux de quelqu'un juste en la croisant dans la rue ?

Amine et moi, il nous a fallu deux ans pour ressentir ne serait-ce qu'un peu d'attirance l'un pour l'autre.

Dès fois je me demande si l'évolution de notre relation était juste une conséquence de nos deux ans de cohabitation , ou bien c'était simplement quelque chose qui devait nous arriver.

Étions nous destinés à tomber amoureux, était ce notre destin ?

En tout cas, entre nous, ce n'était pas un coup de foudre, comme dans la chanson, puisque la première fois que je l'ai vu, je l'ai de suite détesté, c'était dans le bureau de Safiètou.

Mais seulement... était-ce le cas entre Amine et Taloula, était-ce un coup de foudre ?


Il ne m'a jamais vraiment raconté leur histoire, tout ce que je sais, c'est qu'ils sont sortis ensemble pendant plusieurs années, que Taloula était son premier amour et qu'il l'a aimé comme un fou.

La question reste à savoir s'il est jamais arrivé à l'oublier, ne serait-ce qu'un peu.

On dit que le premier amour d'une personne la marque à jamais. C'est sans doute le cas de Amine et de...elle.

Les fois où j'ai été en présence des deux, dans une même pièce, c'était flagrant que cette femme crevait d'amour pour lui, et lui, il semblait vouloir être partout sauf là.

Il mourrait de colère.

J'en ai conclu qu'il ne l'aimait plus, qu'il la détestait.

Mais peut-être qu'il l'aimait toujours.

Me revoilà qui cogite .

Double zut !

Je me relève brusquement.

Chassons les idées noires...


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#Bonsoir la famille!

Votre suite comme promis.


Pardon mais...je t'a...