Que dire à ses enfants?

Ecrit par Les Chroniques de Naty

Chapitre 35

****Martine****

Quand le temps est venu, ne restons pas là où nous n'avons plus notre place. Il faut avoir le courage de le reconnaitre lorsque certaines étapes de notre vie sont terminées. Si nous ne nous réalisons plus dans notre travail, et que notre motivation disparait chaque jour, si nous maintenons une relation sur le respirateur artificiel simplement parce que la peur d'être seul est plus grande que le désir d'être heureux ; Si nous nous accrochons à des biens matériels et que nous sacrifions une partie de notre temps pour les entretenir, alors que tout notre être aspire à quelque chose de plus profond.

Et puis à force d'être déçu, on décroche, sans même le vouloir. Un jour on se réveille et c'est fini, plus de douleur, plus de souvenirs, on regorge nos poumons d'air et on enlève la tumeur. La guérison arrive enfin.

Mais suis-je réellement guérie ?

Bien sûr que tu l’es. Me dit ma raison.

Ne te voile pas la face. Réplique mon cœur.

Et puis merde à la fin ! Ne suis-je pas libre de pouvoir passer à autre chose ? Les gens semblent heureux pendant que moi je suis malheureuse. Ils sont heureux pour qui ?

Pour toi bien évidemment. Ils sont contents de te voir sortir et sourire à nouveau.

C’est vrai que ces derniers mois ont été moins douloureux pour moi. Depuis l’humiliation du super marché, je n’ai plus pensée à Moctar ni à Akabla. Ce jour-là j’ai senti mon cœur se briser en mille morceaux dans ma poitrine. Entre la honte et la douleur je ne savais plus où mettre la tête. Je voulais un signe de Dieu afin qu’il me permette de passer à autre chose. Je voulais qu’il me donne un tout petit signe pour que ma douleur s’apaise. Je l’ai invoqué dans ma voiture, en larme, le cœur en lambeaux.

Un tout petit signe.

Et que m’a-t-il envoyé ? Ou mieux qui m’a-t-il envoyé ?

Monsieur Yapo.

Frank Emmanuel.

Je ne l’ai pas reconnu sur le coup. Quand il a toqué à la vitre de ma voiture, j’ai refusé d’ouvrir. J’ai eu peur que ce ne soit des voleurs ou qui sait je encore.

Comment a-t-il su que c’est moi ? Je ne saurai le dire. Moi qui le croyais en voyage ; ce n’est que plus tard qu’il m’a dit être rentré la veille. Par ailleurs son fils lui avait tellement parlé de l’anniversaire d’Orphée qu’il ne voulait rater ça pour rien au monde. Je ne m’attendais vraiment pas à lui. Mais il m’a été d’une grande aide ce jour. C’est lui qui m’a conduit à la maison. Il a pris les choses en main sous le regard interrogateur de Fatou et Nouria. Mais c’était à la grande joie de mes deux garçons qui le suivaient comme son ombre.

—Pourquoi as-tu les yeux bouffis ? demanda Fatou le regard inquiet. Ne me dis pas que c’est la vue de ce bel homme qui t’a fait pleurer comme ça.

—Je t’explique après. Ais je répondu en glissant un regard entendu vers Nouria.

Je ne voulais surtout pas parler de son frère en face d’elle. En dépit de tout qui s’est passé entre eux, je sais qu’elle le porte dans son cœur et lorsqu’on dit des choses désobligeantes sur ce dernier, et bien elle ne le supporte pas. Elle essaie de le cacher, mais elle ne le supporte pas. Alors je fais l’effort de ne jamais faire allusion à Moctar quand elle est dans les parages.

—Tu peux parler Martine. Dit cette dernière. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que cela concerne mon frère. Parce qu’il n’y a que ce gredin qui est capable de te faire pleurer.

Sa remarque m’arracha un sourire. Et je me mets à leur expliquer la scène de tout à l’heure.

—Ah Martine ! s’écria Fatou. Pourquoi Dieu t’a donné un cœur aussi mort ? À ta place je lui aurai flanqué la gifle du siècle à cette imbécile. Et Moctar ce… Elle jette un petit regard à Nouria avant de continuer. Je sais que c’est ton frère, mais faut reconnaitre qu’il n’agit pas en homme et se laisse malmener par cette moins que rien de bonne. Vraiment il me déçoit.

—Calme-toi Fatou.

—Non laisse là parler. Elle a raison Martine. Je ne sais pas quoi dire par rapport à ce qui s’est passé avec mon frère tout à l’heure. Moi il y’a tellement longtemps que je ne l’ai pas vu que je ne sais même plus à quoi il peut bien ressembler. Tout ça me fait mal et je…

Elle se met à pleurer.

Je la prends dans mes bras et essaie de la calmer du mieux que je peux. Parce que c’est son frère et je sais qu’elle doit beaucoup souffrir de cette situation. Moi je peux me trouver un autre homme, cependant, elle n’a que Moctar comme frère. Alors je peux comprendre son état d’âme.

Mais rien n’y personne ne l’a obligé à se jeter dans cette merde. Parce que oui, Moctar est dans la vraie merde. Et il y est jusqu’au cou. Sinon comment comprendre qu’un homme normal puisse se faire gifler de la sorte dans un lieu public, et qu’il plus est par sa femme ? Sa prétendue femme, devrais-je dire.

Pourquoi a-t-il fallu qu’on en arrive là Moctar ?

Tout ça est tellement dommage. Pour toi, pour moi mais surtout pour nos deux garçons qui sont les plus malheureux dans toute cette histoire. Ils n’ont pas demandé à être là et voici qu’ils ne peuvent profiter de leurs deux parents comme il se doit.

La journée d’anniversaire de mon bébé Orphée s’est passée sans encombre. Hormis la petite scène du super marché, rien ni personne n’est venue faire ombre à cette belle fête. Les enfants se sont beaucoup amusés et je ne peux qu’en être heureuse.

A part Fatou qui ne cessait de me lancer des piques quant à monsieur Yapo. Le père de Nathan. J’ai été agréablement surpris de le voir et surtout la belle coïncidence qu’il se soit retrouver au même endroit que moi ; alors que je le croyais en voyage.

Nous rangions les dernières affaires quand Fatou revient une fois de plus sur cette histoire. Je me demande ce qui ne va pas avec elle ce soir. Elle se voit une âme de cupidon et veut à tout prix que je me penche sur le cas du cher monsieur qui selon elle n’arrêtait pas de me lancer des regards enamourés.

Elle est folle celle-là.

—C’est bien qu’il soit veuf. N’est-ce pas ma chérie ?

Je ne l’écoutais pas et rangeais toujours les verres. Il ne restait plus personne à part nous trois. Les hommes étaient rentrés chez eux. Sié avait une garde et Abdoulaye est rentré avec les jumeaux. Nouria déposera Fatou en rentrant chez elle. Même si leurs maisons sont un peu à l’apposée l’une de l’autre.

—Fais comme si tu n’entends pas ce que je te dis. Ce n’est pas bien grave. Cela ne peut pas m’empêcher de te dire ce que je pense ma chère.

—Arrête Fatou et aide moi plutôt au lieu de parler. Il se fait tard et tu dois rentrer retrouver ton mari.

—Hum quel bon mari ? Je pari qu’il est dans les cuisses de sa secrétaire. Alors je vais prendre mon temps pour profiter un peu de vous. Les enfants seront endormies quand je vais rentrer. Alors je ne sais pas pourquoi je vais me presser pour partir.

—Comment peux-tu être aussi relaxe en disant que ton mari te trompe ? demanda Nouria surprise.

—Parce que je ne veux pas mourir jeune ma chérie. Mes bébés ont besoins de moi. Alors je ne me prends plus la tête avec les conneries de mon mari. Je me suis rendu compte qu’il ne changera jamais, donc je n’en parle même plus. J’attends juste qu’il se chope une MST pour rester tranquille. Ainsi il se souviendra qu’il a une bonne vieille épouse fidèle à la maison. Et il reviendra surement, si je suis gentille je l’accueille les bras ouverts, sinon ça sera sa fête.

—Fatou ! Criais-je avec une folle envie de rire.

—Quoi ma sœur ? Est-ce que j’ai mentis. Toi-même tu ne l’as pas vu tout au long de la journée entrain de pianoter sur son téléphone. A faire des sourires niais comme un pauvre con. On sentait très bien que c’est avec une autre femme qu’il discutait.

—Si mais…

—Mais quoi ma sœur ? Je ne suis pas dupe et je sais très bien ce qu’il fait. Parler et pleurer n’ont rien changé, alors je me tais et le regarde sauter dans son sac de piment. J’ai mieux à faire que de m’occuper de lui. Mes enfants sont mon repère et je me concentre sur leur éducation pendant que leur père court les jupons. Je préférais encore qu’il prenne une deuxième femme et je le verrai moins à la maison.

—Es-tu sure que tu aimes ton mari ? Désolée pour la question, mais ce que tu dis est tellement… tellement étrange venant d’une femme que je ne sais pas trop quoi dire.

Fatou éclate de rire devant la mine défaite de Nouria. Cette dernière souffla soulagée. Sa question lui a échappé et elle pensait surement que cela frustrerais Fatou. Ça se voit bien qu’elle ne la connait pas.

 —Nouria ! Nouria ! Je vois que tu es encore jeune. Surtout que tu es nouvellement mariée et je te comprends. Mais déjà, faut que tu sache que ce que tu me demande ne me frustres aucunement. Au contraire, ça me fait du bien de pouvoir parler avec vous de ces choses qui se passe dans mon couple. Je partage et j’apprends. Par ailleurs nous sommes entre femme mariées et sœurs, alors rien de ce que vous direz ne me ferra mal. Dans la mesure où je sais que cela part d’une bonne intention. Pour revenir à ta question, et pour y répondre en toute franchise, je ne sais pas si j’aime encore mon mari. Je ne sais absolument pas ce que je ressens pour lui. Il m’a fait tellement souffrir que mon cœur s’est fermé à lui. Nous avons été heureux dans les premières heures de notre mariage ; et c’était le bonheur fou ; et je sais que je l’aimais, je l’adorais même. Mais depuis qu’il a commencé à me faire boire à cette tasse de thé qu’est la douleur de la tromperie, mes sentiments pour lui se sont tassés.

—Mais pourquoi vis-tu avec lui dans ce cas ? Pourquoi ne divorces-tu pas ? Pourquoi restes-tu dans un mariage où tu n’aimes plus ton conjoint ?

—Pour mes enfants.

—Ce n’est pas une raison.

—Et pourtant ça l’est. Mais je te comprends ; tu n’as pas encore d’enfant et tu ne peux savoir ni même comprendre ce par quoi je passe. Sinon, ce n’est pas l’envie de tout foutre en l’air et me barrer qui m’a manqué et continue de me manquer. Tu vois ? Mais je ne peux pas le faire. Ou peut-être que je ne veux pas le faire… oui c’est cela, je ne veux pas le faire. A qui laisserais-je Amine et Djamila ? À qui laisserais-je le fruit de mes entrailles ? À personne. Aucune femme n’élèvera mes enfants à ma place. Ils sont miens.

—Je sais. Et je te comprends. Cependant, je me dis aussi que tôt ou tard tes enfants souffriront de cette situation. Ton manque d’amour envers leur père créera en toi une amertume qui selon moi se répercutera sur eux. Parce que l’amour qu’on a pour un homme se transmet aux enfants de ce dernier.

—Ce que tu dis est bien marrant et cela m’emmènera à te poser une question. Mais avant, laisse-moi te rappeler que je n’ai jamais dit que je n’aime pas mon mari. Je ne le déteste pas non plus. Ce que je ressens pour lui est très mitigé, et je ne saurai comment qualifier ces sentiments. Dans tous les cas, jamais je ne pourrai faire payer à mes enfants ce que leur père me fait subir. Et aucune femme ne ferrait cela. Bien au contraire, c’est auprès de ses enfants qu’elle retournera le réconfort que son mari ne lui donne pas. Ceux-ci essayeront les larmes que leur père fait naitre dans les yeux de leur mère. Ils panseront les blessures qui ont été causés par ce dernier. Et je peux te dire que c’est l’ordre des choses ici-bas. Nos enfants sont ceux pour qui nous accepteront toutes sortes d’humiliations sur cette terre ; et même dans l’au-delà si cela est possible. Par ailleurs, je ne serai jamais la cause de leur souffrance. Et toi qui dit que l’amour qu’on a pour un homme se transmet aux enfants de ce dernier, cela sous entends que si jamais Sié a des enfants en dehors de votre mariage, tu les aimeras comme s’ils étaient les tiens ?

Nouria ne put répondre à la question de Fatou. Et moi aussi j’avoue que ce qu’elle demande est très pertinent. Aimer un homme au point d’élever l’enfant qu’il a eu pendant votre mariage relève d’un courage et d’un don de soi que toutes les femmes n’ont pas forcément. Cela ne fait pas d’elles de mauvaises femmes ; loin là. Mais il est difficile de voir le fruit de la trahison et de ne pas ressentir toute une colère et une douleur. Êtres femme c’est être forte et surtout accepter de souffrir de ce que certaines personnes pensent ne pas être des souffrances.

—Je ne sais quoi répondre à cela. Fini-t-elle par dire. Toutefois, je me dis qu’une vie à deux doit être nourrie d’Amour. Sinon vous partez tout droit dans le mur. Personnellement, je ne vis que pour l’amour. Je crois en cela et sans ça pas de cohabitation possible. Aimer c’est tellement noble mais surtout on y trouve plus de bien que de mal. L’amour c’est important dans un couple. Peut-être le plus important même je dirai.

Il aurait fallu vivre à une autre époque ! Car aujourd'hui vois-tu l'amour s'est transformé et a perdu son véritable sens. Les gens s'en servent pour tromper. Pour les personnes dotées d'une âme sincère et de doux sentiments qu'ils le vivent comme un rêve. Et j’en reviens une fois de plus à ton trop jeune Age.

—Je ne suis pas aussi jeune que ça Fatou.

—Peut-être. Mais tu es bien trop naïve et c’est vraiment dommage. Essaie de ne pas trop rêver et de ne pas penser que dans cette vie, on fait et défait les liens du mariage comme les lacets d’une paire de basket. C’est bien plus complexe que ça ma chérie. Tu es une jeune sœur pour moi et je me dois de te conseiller à ne pas trop rêver. Mais aussi et surtout à savoir faire les choix qu’il faille faire. Les choix de la raison sont plus importants que les choix du cœur. Dis-moi Martine, si Moctar t’avait juste trompé et qu’il ne s’était pas marié avec Akabla, lui aurait tu pardonnes cette infidélité ? Où mieux si jamais n’il revient vers toi après tout ce qui s’est passé entre vous, lui pardonnera-tu ?

Je suis prise au dépourvue par la question de Fatou. J’avoue que je ne m’y attendais pas vraiment ?

Qu’aurais je fais si les choses s’étaient passé différemment ? Si comme les autres cas, je l’avais surpris avec Akabla et qu’il était revenu après la queue entre les jambes pour implorer mon pardon ?

Aurais-je pardonné cette humiliation ? Ou l’aurais-je quitté ? Et si jamais il revenait vers moi, pour que je puisse lui accorder une deuxième chance dans ma vie et dans mon cœur ? Que ferais-je ?

Au fond je sais déjà la réponse. Fatou a raison. On ne fait pas les choix sur un coup de tête et sur l’effet de la colère. Dans cette aventure tumultueuse qu’est le mariage, toute décision doit être murement réfléchi au risque de se casser la figure. Il faut analyser les situations ; en prenant en compte les tenants et les aboutissants d’un problème avant de trancher. C’est dur mais c’est comme ça.

Le cœur et la raison ne font pas toujours bon ménage. L’un fait taire l’autre. Et les deux ne peuvent avoir le droit de parole en même temps.

—Je crois que je lui aurais pardonné.

—Tu vois Nouria. Elle lui aurait pardonné et serait resté dans son couple, avec ses enfants et son mari.

—Mais le cas de Martine est différent du tien.

—Et pourquoi ? Parce que c’est ton frère qui était son mari et qui n’a pas hésiter à la tromper avec sa nounou allant jusqu'à la quitter pour cette dernière ? Ou bien ton frère est différent des autres hommes infidèles ?

—Non ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Se défendit Nouria. C’est juste que Moctar n’en fût qu’à sa première tromperie.

Fatou éclata de rire devant la mine déconfire de Nouria. Soit elle est trop naïve, soit elle se fou de nous. En d’autres circonstances j’aurai trouvé qu’elle pousse le bouchon trop loin. Mais c’est Nouria et je sais qu’elle dit sincèrement ce qu’elle pense. Même si cela est un peu tiré par les cheveux.

—On va de surprise en surprise. S’exclama Fatou à son tour. C’est donc toi qui détenais son carnet de fidélité non ? Ou mieux c’’est toi qui avait sa braguette en main. Et il ne t’a échappé que lorsque cette sorcière d’Akabla a commencé à travailler dans leur maison. N’est-ce pas ?

—Je me fais mal comprendre. Sinon ce n’est pas ce que j’ai voulu dire.

—Bref. Coupais-je. Parce que je sens que les esprits commençaient à s’échauffer. C’est toujours l’anniversaire de mon fils et je ne veux plus d’histoire pour cette journée. Nous allons sursoir à cette discutions mes chères. Disons qu’il ya un défaut de compréhension de part et d’autre. Vous dites les mêmes choses sans forcément vous comprendre et à force de vouloir absolument faire accepter son point de vue, cela créera des histoires qui n’ont pas lieu d’être. Donc sur cette base, je mets fin à cette séance.

—Pour ma part il n’ya pas de malentendu. Mais bon c’est toi qui a raison. Bref ! Compléta Fatou. Mais je n’ai pas encore fini avec toi. Je n’avais jamais vu ce monsieur auparavant. Comment s’appelle –t-il déjà ? Frank Emmanuel. C’est beau. Il est beau et chic comme son nom.

—Et puis quoi ? Demandais-je en sourcillant. Je te vois bien venir et sache que je n’ai ni la tête ni l’envie de faire quoique ce soit. Alors je te prie de ne pas conspirer.

—Mais rien ma chérie. Moi je n’ai rien dit du tout hein. C’est ton esprit qui s’imagine des choses qui ne tiennent pas la route. Sinon moi je suis très sereine dans ma tête.

Nous éclatons toutes de rire. Parce que la manière dont elle a parlé montre qu’elle n’est pas du tout sérieuse et qu’elle a bien une idée derrière la tête.

—Fatou a raison Martine.

—Non tu ne vas pas t’y mettre toi aussi. Dis-je en levant les yeux au ciel. Agacée.

—Mais je n’ai même pas encore parlé. Laisse-moi terminer non !

—Je ne vais pas te laisser finir. Du moment où tu as dit que Fatou raison, c’est que tu ne viendras que confirmer ce qu’elle dit depuis. Et pourtant moi je ne veux pas vous écouter. Vous êtes toutes les deux folles.

—Et n’oublie pas que seuls les fous et les enfants disent la vérité. Alors que nous ne sommes pas des enfants.

—Vous êtes folles alors.

—Soit. Cependant tu vas écouter les deux folles. Mais surtout tu vas m’écouter Martine. S’il te plait fais un effort. Tu ne peux pas nier que tu as bien vu comment le monsieur te regardait. Tu es une femme et tu sais quand tu fais de l’effet à un homme ; et je crois qu’au fond de toi, tu sais que ce monsieur a des vus sur toi. Mais aussi tu n’es pas indifférente à cela.

—Moi ?

—Oui toi. Répondit-elle en chœur.

— Alors donne-toi la chance de vivre quelque chose si jamais, il vient vers toi.  Car je sens que ça ne prendra pas beaucoup de temps avant qu’il ne vienne déclarer ses intérêts envers toi.

Je ne sais vraiment pas d’où elles sortent toutes ces théories.

En es-tu sure ? Me gronde ma conscience. Es-tu sure de ne pas avoir vu le regard qu’il te lançait ? N’as-tu pas remarqué comment il s’occupait bien de tes garçons ? Es-tu aveugle au point de ne pas comprendre ce qu’il veut réellement quand vos regards se croisaient ?

Je chasse toutes ses pensées de mes esprits. C’est trop tôt.

—C’est le père de l’ami de mon fils. Il est veuf, je suis divorcée et c’est trop tôt pour faire quoi que ce soit. Je ne veux pas m’engager dans quoique ce soit.

—Arrête de te trouver des excuses. Intima Nouria. A ta place c’est sûr que j’aurais déjà refait ma vie. Je suis la sœur de ton ex-mari, néanmoins, je serai très heureuse de te revoir à nouveau en couple. Par ailleurs il n’est pas encore question de t’engager. Mais de juste considérer ce qui se passera. Si jamais il vient vers toi, ne le repousse pas comme tu le fait. Laisse-toi aller et vis.

Laisse-toi aller et vis !

Et quelques mois plus tard, comme une injonction, j’ai respecté les prescriptions de ces deux femmes qui me connaissent mieux que quiconque. J’ai suivi leurs conseils et je ne me suis pas faite priée pour accepter les invitations à sortir de Frank Emmanuel.

J’avoue que je ne suis pas toujours habitué à cette nouvelle étape de ma vie. J’ai l’impression de tromper Moctar. C’est fou mais c’est comme ça. J’essaie de ne pas trop penser à lui. Alors je profite de cette nouvelle relation sans trop me pendre la tête. Je ne me précipite pas et je prends mon temps pour faire les choses. Je sais que mes garçons l’apprécient beaucoup mais c’est juste comme le père de leur copain. Ce qui est différent d’être l’homme que fréquente leur mère. Je ne veux rien leur imposer.

Comment le décrire ?

Je dirai que c’est l’homme qu’il faut à toutes les femmes qui renaissent de leurs cendres, pour toutes celles qui sont sorties de leurs abimes et pour celles qui sont encore en train de se battre. Pour chaque jour perdu dans un espoir vain, pour chaque nuit de pensées noyées dans une insomnie sans fin et pour chaque minute de silence et d'absence injustifiée par elles-mêmes. Pour chaque sacrifice, pour chaque geste d’amour donné en vain et pour chaque pas qu'elles ont fait envers les autres. Pour chaque claque prise par la vie ou par une personne qu'elles avaient en face d'elles. Pour chaque mort injuste, pour toute violence commise, pour chaque cri qui n'a pas été entendu, pour chaque mot perdu dans le vent et pour tous ceux qui n'ont pas été dit.

C’est ce genre d’homme dont ont besoin celles qui ont envie de se donner une nouvelle chance en amour. Parce que qu’il est de ces hommes qui viennent en récompense pour le courage qui a manqué à ces femmes de donner dos quand plus rien ne les retenaient. Ces femmes qui parfois, elles n'ont pas eu la force de trouver.

Ni notre beauté et notre grandeur, ne peuvent nous mettre à l’abri du chagrin. Alors pour chaque femme qui a détourné son monde de sa réalité, pour chacune d'entre elles qui a vu sa réalité se transformer en cauchemar et pour celles qui rêvent et qui y croient.  Les femmes qui ont l'âme propre et digne d'appartenir à cette catégorie, que nous ayons le prix qui nous revient et que nous soyons aimées comme nous le méritons.

Plus que nous ne le méritons. Au-delà même de ce que nous ne pouvons imaginer.

Je ne parle pas de perfection. Il ne l’est pas. Mais je me sens bien avec et c’est déjà un bon début. Car il ya des lustres que je ne m’étais pas sentis aussi en harmonie avec une personne du sexe opposé.

 

**** Nouria****

 

Je reçois du beau monde chez moi aujourd’hui.

Avec martine et Fatou, nous avons décidé de nous retrouver de temps à autre pour discuter de tout et de rien. Loin de la pression du travail et de la famille. C’est vrai que nous alternons et que nous ne restons qu’à la maison. C'est-à-dire nous nous recevons les unes après les autres.

Le mois dernier c’était chez Fatou. Ce mois c’est chez moi et le mois prochain, sera chez Martine. Ainsi le quatrième mois, nous ferons un voyage soit à l’intérieur du pays, ou dans un pays voisin. Mais je pense que nous prendrons plus de temps à visiter les villes de la Côte d’Ivoire avant de découvrir un autre pays.

Ces petites rencontres ont leurs avantages. Beaucoup d’avantages même je dirai. C’est le temps et l’occasion pour chacune de se libérer et surtout de ne pas se prendre la tête. Ne serait-ce qu’une journée. C’est vrai qu’une journée c’est peu, mais c’est déjà assez dans la vie d’une femme mariée. Et surtout avec des enfants.

Et quand je pense que Martine sera là, mais que je ne devrai pas lui dire que Moctar n’est plus sous l’emprise d’Akabla et que j’ai pu lui parler. Maman a été très claire sur ce point. Personne ne doit rien savoir. Mais j’avoue que ça ne sera pas facile pour moi de ne rien lui dire. Je suis tellement heureuse qu’il redevienne celui qu’il était avant la venue de cette salope de nounou. Je vais devoir être muette comme une carpe et ne pas dire ou avoir une attitude qui pourrait éveiller ses soupçons. Cependant, ce qui me chiffonne le plus, c’est qu’elle a commencé à fréquenter Frank Emmanuel. Un monsieur que j’apprécie beaucoup ; il ressemble à quelqu’un de bien et je crois que c’est ce genre d’homme qu’il lui faut à martine.

Néanmoins, j’aimerai tellement qu’elle puisse revenir avec mon frère et qu’il reprenne leur histoire là où elle s’est arrêtée. Même si je crois que cela n’est pas vraiment possible. N’empêche que je croise les doigts pour que ça se passe ainsi. Ils ont tellement de choses à rattraper ensemble.

Et j’espère que lorsqu’il ira lui demander pardon, elle acceptera pour qu’ils repartent tous les deux sur de nouvelles bases. Ensemble.

Même à Sié je n’en ai pas parlé. Je ne veux surtout pas faire capoter tout ça.

Il est bientôt 10 heures lorsqu’elles sonnent à la porte. J’ouvre le cœur heureux. Car je sens qu’on passera une belle journée. Les enfants de Martine sont à Dabou chez maman Memel. Ceux de Fatou sont aussi chez leurs grands-parents paternels. Alors, il n’ya rien qui puisse nous empêcher de rester ensemble jusqu’à X heures.

—Bienvenue dans mon humble demeure mes chères dames. Faites comme chez vous et surtout lâchez-vous.

—C’est ce qu’on compte bien faire. Dit Martine. Je vais très bien profiter de ma journée et rentrer dormir comme un bébé.

—Tu n’as pas rendez-vous avec ton bel apollon ? demanda Fatou.

—Non il est en mission.

—Hum il voyage trop hein. Et dis-moi c’est comment entre vous ? Vous passez quant à la vitesse supérieure ?

—Fatou !!!

—Mais quoi ? Tu sais ça fait combien de temps que tu n’as pas pris tes pieds avec un homme ? Ça ne mange pas du riz oh ma sœur. Donne à ton corps ses droits, sinon tu vas toujours avoir les palus ici.

—Je ne suis pas pressée. Mais surtout je ne veux pas d’abord de sexe entre nous. J’ai peur que ça ne capote après.

—Attends hein ! dit-elle en déposant son verre de jus pour mieux se mettre sur son séant. De quoi as-tu peur ? Ah ma sœur, la vie est courte et tu dois prendre tes jambes à ton cou avant qu’il ne soit trop tard oh.

Elle termine sa phrase avec un clin d’œil lourd de sous-entendu à l’adresse de Martine. Celle-ci a viré au rouge. Et moi je ne cesse de rire. Ces journées entre filles sont mes préférées. C’est fait pour se lâcher et surtout pour partager.

—Tu vas me tuer. Fini par répondre Martine.

—C’est plutôt Frank Emmanuel qui doit te tuer le bijou. Lui aussi s’amuse avec toi… et…

Elle ne finit pas sa phrase car on sonne avec insistance à la porte. Qui ça peut être ? Car je n’attends aucune visite.

—Yannick ? Comment vas-tu ?

Dis-je en ouvrant ; surprise de le voir. Je veux lui dire de ne pas parler car Martine est là. Par ailleurs nous n’étions pas censés nous voir maintenant, mais plutôt le weekend suivant afin de nous rendre chez Martine avec Moctar afin qu’ils puissent parler tous les deux.

—Ça ne va pas ma petite sœur. Ça ne va pas.

Il fonce droit au salon avec moi à ses talons. Il se passe une main tremblante sur le visage. Il transpire à grosse goutte. Mais qu’est ce qui ne va pas ? Pourquoi est-il aussi livide comme s’il avait vu un fantôme ? Et je crois que le fait d’avoir vu Martine n’a rien arranger à sa situation.  

 —Yannick ? Appela Martine. Qu’est ce qui ne va pas ? Tu te sens mal ?

Il ne nous répond pas et s’assoit sur la moquette.

—Mais parle bon sang ! Ne vois-tu pas que ton silence nous inquiète. Criais-je.

Je ne sais pour quelle raison, j’ai un mauvais pressentiment et j’ai la paupière de mon œil droit qui ne cesse de cligner.

Et contre toute attente, Yannick se mets à pleurer. Comme un enfant de surcroit. Il pleure et n’arrive pas à parler. Chaque fois qu’il veut ouvrir la bouche, les sanglots montent et cela l’empêche de parler. Nous sommes toutes les trois tétanisées en attendant qu’il daigne parler.

—Je suis tellement désolé… Moctar…. Pourquoi… que vais-je dire à la vieille…

—Quoi Moctar ? Il a fait quoi ? Pourquoi pleures-tu ? Cria à son tour Martine qui était au bord de la crise de nerf.

—Il est mort. Moctar est mort. Que vais-je dire à votre maman ?

La nounou de mon fil...