Qu'est-ce qui cloche ???

Ecrit par Aura

Je ferme les yeux et respire profondément. Je sens mon pouls s’accélérer. Qu’est-ce que j’ai peur ? J’ouvre les yeux et essaies du mieux que je peux de me déstresser. Mais lorsque je tombe sur les visages des personnes inconnues qui m’entourent en ce moment, mon angoisse monte en flèche. J’ai les doigts qui tremblent, mon estomac est en train de se nouer et j’ai la nette impression que je vais vomir mon petit-déjeuner d’un moment à l’autre. Oh quelle misère ! Heureusement que je suis assise sinon, j’allais me dérober sur mes hauts talons. Mais quelle idée de porter des talons vertigineux pour ce genre d’occasion ? Je savais pourtant que je n’allais pas à un défilé de mode. Alors qu’est-ce qui m’a pris de m’habiller comme un clown ? Et ces gens de la maison d’édition ? Ils m’ont vendu la poule dans le sac ou quoi ? Ils avaient prévu une cinquantaine de personnes au plus à cet événement, mais là, j’ai l’impression que c’est tout Paris qui a été ameuté. Mon Dieu ! Il y a pleins de journalistes, de critiques littéraires, de passionnés de lecture et tout autre type de ce genre. Bref, je suis dans la merde et je sens que je ne vais pas tarder à m’évanouir c’est sûr ! J’ai toujours eu à garder mes idées claires pendant ce genre d’événements, mais là étant au cœur de l’activité, je me sens comme une souris prise au piège. 

Je pose mon regard une fois de plus sur le public et je tombe sur celui de la personne qui illumine ma vie. Il me sourit de toutes ses dents et à lire sur ses lèvres, je peux deviner tout de suite qu’il me dit « sois forte, je t’aime ». Tout d’un coup, je ressens une sensation de chaleur m’irradier complètement et tout mon stress s’est envolé. Oh Marc ! Quel bonheur de l’avoir. 

J’inspire une fois encore, puis expire. Là je me cale parfaitement sur mon tabouret, me saisis du micro et me lance. Je commence par saluer le public et lancer quelques blagues question de détendre l’atmosphère et mettre une belle ambiance. Ensuite, je récupère mon livre et je commence la lecture de mon passage préféré du livre….Le roman relate l’histoire d’une veuve qui subit des tribulations de la part de sa belle-famille pendant sa période de veuvage. Elle va découvrir plus tard dans cette même période que son mari qui était un véritable saint, voir un dieu pour elle, était en fait tout le contraire de ce qu’elle pensait puisqu’il avait une autre femme, quatre autres enfants, et surtout qu’il ne lui avait rien laissé ses enfants et elle, même pas la maison dans laquelle ils avaient résidé pendant des années…Bref c’était une triste histoire qui évoque tant de réalités sur la façon dont le veuvage est vécu en Afrique et surtout sur cette question d’héritage qui a toujours posé problème. 

Au bout de quelques minutes, vient la séance de questions-réponses auxquelles je réponds.  La majeure partie des questions sont liées au roman, c’est-à-dire d’où m’est venue l’idée décrire là-dessus, pourquoi le veuvage, de quoi me suis-je inspirée, quels sont les rites de veuvage dans mon pays et bien d’autres dans ce sens. Lorsque je crois que cette séance questions-réponses touche à sa fin, je suis surprise de constater que c’est ce moment que Marc choisit pour se saisir du micro et formuler également ses questions. Je suis d’abord étonnée croyant qu’il s’agit d’une blague ou d’une pièce de théâtre. Mais lorsque les interrogations sont finalement formulées, je me rends compte de la pertinence de celles-ci, mais aussi des aspects qui y sont évoquées que je n’avais même pas pris en compte. 

- Merci Madame AJAVON pour ce beau roman commençait-il. J’ai lu votre roman en long et en large (dis plutôt que je t’en ai parlé formulai-je intérieurement), et sans vous mentir j’ai fini par m’attarder sur le personnage de Luisa et je la trouve trop naïve. Dites-moi pourquoi n’a-t-elle pas pu lire tous ces signaux d’infidélité venant de son mari ? 

- Hum…bien je ne sais pas trop quoi répondre là-dessus. 

- Oui, mais vous avez quand même écrit ce roman, non ? 

- Oui. 

- Alors ? 

Je le regarde et je me dis que là j’ai à faire à sa version d’avocat du barreau téméraire qui ne lâche rien. Et Dieu seul sait à quel point je déteste cette attitude de sa part. Alors je me décide de ne pas répondre à Marc mon mari, mais à Marc le lecteur, le critique. Je souffle un coup et je réponds. 

- Luisa est une femme qui a connu une enfance pénible. Très-tôt elle a connu le rejet et la souffrance. Elle vivait dans le déni et était sûre et certaine qu’elle ne serait jamais heureuse, ni ne connaitrait une meilleure vie. Puis vint Thomas. Un homme qui est en tout point différent d’elle. Tous les opposent selon elle, mais pas aux yeux de Thomas. Alors il le lui a prouvé, et ce tout au long de leur relation. Il l’a élevé à un rang qu’elle ne pouvait s’imaginer occuper un jour.  Alors oui elle ne pouvait pas imaginer qu’il la trahisse à ce point, car en réalité, il ne lui avait présenté aucun signe de trahison. Personnellement, j’irai à dire que cette trahison était un véritable complot de sa belle-famille. 

- Ah oui ? Donc vous croyez que cette belle-famille soit capable de cela ? 

- C’est possible, puisqu’ils avaient toujours exprimé leur animosité envers Luisa. Alors ce ne devait pas être un problème pour organiser tout cela. 

- Comment expliquez-vous que le testament ne soit pas en sa faveur ? 

- Eh bien, parce que ces gens sont allés jusqu’à le traficoter. 

- Au point de soudoyer un notaire ? 

- Cela est possible. Combien d’avocats ou d’hommes de loi comptons-nous dans nos sociétés ? Plusieurs ! Modifier un testament et en obtenir des parts, ce n’est qu’une partie de ping-pong. 

- Qu’en-est-il donc de la ressemblance frappante des enfants dits légitimes de Thomas avec leur père ? 

- Je crois qu’à ce niveau, il est possible que ce soit encore une mascarade. 

- Encore ? 

- Oui ! Ces enfants pouvaient être de son frère jumeau ou encore d’un autre membre de la famille. Et pour arriver à leurs fins, ben ils sont allés jusqu’à en attribuer la paternité à Thomas qui, mort, ne pouvait plus se justifier. 

- L’acte de mariage alors ? Pourquoi est-il faux ? 

- Comme je vous le disais, ces gens avaient pour but de nuire à Luisa pour profiter des biens de son mari. Enfreindre quelques règles de la justice en connivence avec un avocat, n’était qu’un jeu d’enfant à leurs yeux. 

- Je suis épaté. Dites-moi, si cela vous arrivait, que feriez-vous ? 

- Je ne crois pas que cela puisse m’arriver un jour. J’ai une relation fusionnelle avec mon mari, nous avons confiance l’un en l’autre alors je ne peux pas imaginer cette éventualité. 

- La relation de Luisa et Thomas n’était-elle pas fusionnelle ? 

- Si !

- Ne dialoguaient-ils pas tous les deux ? 

- Si ! 

- Et pourtant, il l’a trompé, trahie, bafouée, humiliée sans état d’âme. 

- Non, c’était un complot. 

- Pour vous oui ! Mais nous savons que dans la réalité, tout ceci est vrai. Thomas qui semblait être un saint, était en fait le diable en personne. Elle n’a pas su lire entre les lignes, lui obéissait au doigt et à l’œil, bref elle était naïve et cela lui a couté toute sa vie. La théorie du complot que vous évoquez ne tient pas la route, surtout dans ce genre de cas. On évoque ce complot que parce qu’on a plus d’autres raisons d’expliquer ce degré de trahison qui en plus venait de la personne que l’on aime le plus. 

- Tel est votre avis, pas le mien. 

- Oui, mais sachez que ce genre de choses se produisent au quotidien. Et les femmes doivent apprendre à avoir l’esprit plus éveillé. Nous les hommes, sommes bien plus dangereux que tout ce que vous pouvez imaginer. Ne vous contentez pas des sourires aux lèvres, des déclarations d’amour fou, des quelques billets qu’on vous jette pour croire qu’ils sont sincères. Ils sont bien pires que cela. Alors prenez-gardes. 

- D’accord. 

- Un conseil madame AJAVON, on écrit un livre pour éduquer, critiquer, orienter, divertir et ce que vous voulez, pas pour endormir la société, surtout pas les femmes vers qui se message s’adresse. Alors je crois que vous devez vraiment changer de raisonnement. Dans l’ensemble, ce roman était un pur régal. Je vous remercie. 

- Moi également. 

La parole est prise par l’animateur de cette séance. Je quitte précipitamment la scène et me refugies dans les toilettes. Je suis prise d’un soudain vertige que je me retrouve en train de vomir mes tripes. Après m’être épongée, je me questionne sur l’attitude de Marc. Pourquoi a-t-il plombé ma cérémonie ? Pourquoi a-t-il agit de la sorte ? Et ces mots, ces attaques ? Elles semblaient m’être directement destinées. C’est moi ou Marc me cache quelque chose ? 


Entre deux