Redescends sur terre

Ecrit par Aura

***************6 mois plus tard***********

« Un nom de famille est le nom d’une personne qui est transmis à un enfant par l’un de ses parents ou les deux ou donné par la collectivité selon les règles et les coutumes en vigueur » lisai-je dans le dictionnaire qui se trouvait à mes côtés. Je le referme brusquement et je me lève vivement de mon siège pour faire des pas et tenter de canaliser ma colère. Ouais je suis en colère contre moi, en colère contre eux, en colère contre tout le monde. Je me rassois et prends le papier sur lequel j’ai gravé ce nom, ce fichu nom. « LIMANI, Limani, Limani », je l’ai écrit un nombre incalculable de fois sur tout ce support écrit. Je l’ai écrit de toutes les manières possibles. C’est devenu une seconde nature de le graver partout sur tout ce qui me tombe entre les mains. L’écrire ne me suffit plus puisque je continue de ressentir la même rage, la même haine, la même colère. 

 LIMANI !!!! Oui c’est mon nom, c’est ce nom qu’on m’a donné, c’est ce nom qui a défini ma personnalité, c’est ce nom qui me donnait l’impression d’appartenir à quelque chose, c’est autour de ce nom que toute ma vie s’articulait, jusqu’à ce que tout s’écroule, jusqu’à ce que ma vie toute entière bascule du côté sombre. Un nom vous définit, un nom vous valorise, un nom est censé être votre appui, votre base solide sur laquelle vous vous reposez. Le mien n’est synonyme que du péché, il n’est synonyme que de la honte, il n’est synonyme que de la trahison. Six mois que tout m’est tombé dessus, six mois que la roue a tourné, six mois qu’enfin la vérité a enfin repris sa place en Dior et Armani. 

Six mois se sont écoulés et les choses ont beaucoup changé. Je ne peux pas dire que j’ai repris ma vie normale. La même rage au ventre m’habite, la même haine croit de jour en jour et surtout, ce sentiment de trahison me colle plus que jamais à la peau. 

 Si tout change, cela veut dire qu’on ne peut en aucun cas retourner à la case départ. Quand bien même on a eu à échouer, rien ne demeure jamais le même. Six mois se sont écoulés et jusque-là, je n’arrive pas à avancer, à tourner la page, à me donner une chance de m’en sortir. J’ai perdu toute source de motivation, je ne sais plus à quoi m’attacher. Avant, mon combat, ma victoire, mon objectif ne visait qu’à rendre ma famille fière de moi. Mais lorsqu’on connait un tel affront, lorsque la vérité vous est larguée en face comme un coup de fouet mortel par cette même famille, alors rien ne vaut plus la peine d’exister, alors l’essence même de toute une vie s’enflamme sans vous laisser une once de braise pour raviver l’espoir qui était en vous. Toutes les cartes ont été abattues au point même qu’on souhaite au fur et à mesure qu’un sentiment négatif comme la vengeance nous ravive au moins. Mais rien du tout. On est juste mort sans l’être pour autant, on demeure juste spectateur de sa propre vie, on attend juste la fin de tout sans lever le petit doigt. 

- Tu es encore pensive ? me lance-t-elle, j’ignorai à quel moment elle est entrée dans la pièce. 

- Tu es là depuis longtemps ? lui questionnai-je

- Assez pour constater que tu étais ailleurs. 

- Désolée !

- Ça va, je comprends. 

- Alors qu’est-ce que tu disais tout à l’heure ? 

- Bof, pas grand-chose. Je voulais savoir si tu venais pour aller flâner un peu. 

- Hmmmm !

- Mouais je connais cette réponse. 

- Tu sais ce que j’en pense. 

- Je sais ce que tu en penses. 

- Tu connais mes raisons. 

- Je connais ta peur. 

- Ce n’est pas ça Safiya. 

- Alors qu’est-ce que c’est ? Nous sommes à Casa bella, tu devrais relâcher la pression. 

- Je sais mais pas maintenant. 

- Si tu le dis. J’espère au moins qu’à mon retour tu mettras un peu plus d’ordre dans tes effets, parce que là, tu es sacrément horrible. 

- Ok. 

Elle met ses montures. Cette fois-ci, elle a troqué sa burqa noire contre des tenues plus joviales et gaies. Je ne savais pas qu’elle pouvait autant rayonner de bonheur. Elle porte un pantalon en toile de couleur beige, une blouse blanche et son voile beige. Elle a recommencé à se maquiller mais très légèrement. Elle est simple mais sublime, même sans artifice, elle rayonne. Et ce n’est pas le soleil de l’extérieur qui frappe fort qui en est responsable, non, ce n’est même pas le fait d’être dans un super appart, non, c’est juste la paix qu’elle a retrouvée. 

- Alors comment tu me trouves ? 

- Magnifique comme d’habitude.

- Merci. Je trouverai bien quelque chose à te dégoter. 

- Comme tu veux. 

Elle s’en va et je reste là toute seule, la tête plongée de nouveau dans ce roman « Nom de jeune fille » de Françoise Bourdin. Je suis au milieu du bouquin et j’essaies tant bien que mal de formuler des hypothèses sur la suite des événements. C’est quand même idiot de mettre sa carrière de côté pour un homme qui n’en vaut pas la peine. C’était dans le passé que nos grands-mères se sacrifiaient autant pour leurs mecs, et heureusement que cette période est révolue. Je continue la lecture et un clic venant de mon téléphone me signifie qu’un nouveau message m’est parvenu. Je parie que c’est encore l’un d’entre eux. J’attrape mon téléphone sur la table basse qui s’y trouve et consulte le SMS. C’est encore la même réplique. A cette allure ils devraient changer de disque. J’en ai marre d’entendre les « désolé, reviens, tu nous manques ». A force de les lire ou les écouter, je n’éprouve plus rien. Je laisse trainer le téléphone là et je jette un coup d’œil à l’horloge murale qui s’y trouve : il est 9 heures. Je me lève, essaies du mieux que je peux de ranger autour de moi. Je vais prendre une longue douche tout en m’évadant. Je me sèche, m’habille en optant pour un jean, un haut de couleur crème, des ballerines noires et un sac en bandoulière de la même couleur. Je balance mon portefeuille, mon téléphone à l’intérieur avant de m’en aller. Je dois me hâter pour la retrouver. Elle est de l’autre côté du squat et il me faut me dépêcher au risque de rater le rendez-vous. Ayant encore un peu de temps devant moi, je décide de marcher pour prendre un peu l’air et je me rends compte que non seulement il fait trop chaud, mais j’ai les nerfs en pétard. Je marche et je profite d’apprécier l’architecture des lieux. C’est vraiment une très belle ville. A une certaine époque je rêvais de cette vie, je serai allée faire du shopping ou du lèche-vitrine. Je prendrais bien place dans un bar ou café de la place et je profiterai du panorama qui s’y trouve. A défaut j’irai dans les musées pour apprendre davantage des vestiges de ce peuple, de sa culture. Oui, c’était à une certaine époque. Aujourd’hui j’ai d’autres chats à fouetter comme lutter contre mes nouveaux démons. Et je ne peux y arriver que grâce à cette petite décoction secrète pour laquelle je dois suer en traversant au moins 3km à pied.    

Je prends le chemin du marché et je m’y engouffre. Chaque commerçant essaye d’attirer mon attention sur l’achat d’un quelconque article, mais je continue ma route. Avant je m’arrêtai à tous les étalages pour m’acheter ce que je voulais et je rentrais complètement fauchée. Mais à présent, je ne me fais plus avoir de la sorte. Je marche encore pendant quelque minute, je tourne à gauche à droite jusqu’à ce que je tombe sur le lieu que je recherche. Je salue le marchant des caftans poliment et m’engouffre à l’intérieur où tout est tamisé, les murs sont des tissus tantôt rouges, tantôt verts, tantôt bleus. Chaque couleur étant plus sombre que l’autre donnant à la pièce un air lugubre et sinistre.

Je me souviens de la première fois que j’y suis arrivée. J’avais tellement peur qu’on ne me tue, qu’on ne me viole ou encore qu’on ne me pique mes effets. Mais à présent, je suis une habituée du coin. Je viens toujours ici complètement sonnée, et j’en ressors revigorée.  La voix me lance : 

- Tu es en retard ! balance-t-elle avec son accent arabe prédominant

C’est la propriétaire des lieux. Une marocaine âgée pratiquement d’une cinquantaine d’année. Elle est prophétesse et traditionnaliste. Grâce à ses plantes mélangées à je ne sais quoi, je redeviens moi, je redeviens complètement réparée. Je lui réponds :

- Je sais, je suis désolée. 

- L’heure c’est l’heure ! Je vais recevoir quelqu’un d’autre bientôt, je te prierai de partir. 

- Non, il n’en est pas question. 

- Tu connais les règles et la porte est juste devant toi. Je ne vais pas te raccompagner. 

- S’il vous plait. Vous savez que je ne peux pas tenir sans cela. 

- Bien reviens la prochaine fois. 

- C’est impossible et vous le savez. 

- Je le sais, mais je ne peux pas contourner les règles. Alors je te demande de t’en aller. 

- Et si je doublais la mise ? 

Elle lève vivement la tête 

- Tu plaisantes j’espère ? 

- Non ! Je suis sérieuse et risque même de tripler le montant si seulement vous n’obtempérez pas. 

- Bon ok, d’accord. Mais je te préviens que c’est la dernière fois que je flanche. Viens !

Elle m’emmène dans une pièce que je connais que trop bien, elle m’installe sur un tapis pour la circonstance, j’enlève mon haut, mon sac, mes ballerines, mon pantalon et mes sous-vêtements. Elle récupère mes effets et les place dans un coin de la pièce. Je me couche sur le dos et je regarde le plafond. Elle me couvre d’un drap totalement blanc et dépose des objets pour mieux soutenir le tissu. Elle commence à préparer la mixture tout en chantonnant dans une langue que je ne connais pas. Elle commence à déverser tout le liquide autour de moi, dès que l’odeur se répand dans toute la pièce, je tombe dans les vapes. 

Quand je me réveille et reviens à moi, je me rhabille, récupère mes effets, remercie mon hôtesse, règle ma facture et rentre chez moi. Dehors, la nuit est tombée et je meurs de faim. Je rentre dans une pâtisserie m’achètes quelques brioches et d’autres gâteaux. Je tombe sur du kébab que j’achète. J’avais oublié combien ces séances me crèvent l’estomac, mais me revigorent. 

Arrivée à la maison, je constate que Safiya est assise au salon, elle a une mine contrite. Elle a les mêmes vêtements de ce matin, mais cette fois ses cheveux sont exposés. Elle est pensive et sa joie du matin a totalement disparu. Je me demande bien quelle mouche l’a piqué. 

- Où est-ce que tu étais ? aboie-t-elle

- Oh là ! Moi qui croyais qu’on me réservait un accueil chaleureux, je vois que je me suis trompée. 

- Je t’ai posé une question et j’attends de toi que tu me répondes. 

- Ehhh quelles sont ces manières ? Calmos bella !

- Je ne plaisante pas Arielle. Où est-ce que tu étais pour rentrer aussi tard ? 

- Ah oui ? Il fait si tard ? J’ai complètement perdu la notion du temps c’est sûr ! C’est toi qui a raison de dire que Casa est une belle ville. Cette visite m’a pris plus de temps que prévue. 

- Tu vas me dire que tu es allée faire le tour de la ville ? 

- OUI ! Et c’était sympa. 

- Ah oui ? Où es-tu allée précisément ? 

- Euh bof je ne sais plus. Tu sais que l’arabe et moi nous ne sommes pas copain, donc j’ai carrément oublié. 

- Vraiment ? 

- Puisque je te le dis. J’ai une sacrée faim pas toi ? 

- Non ! 

- Et pourtant tu devrais. Je nous ai rapporté des petites merveilles qui vont te donner de l’eau à la bouche. Attends je vais prendre des assiettes pour nous servir. 

Je me dirige vers la cuisine tout en parlant et récupère les assiettes. 

- A force de rester à la maison comme tu le dis, je vais finir par moisir. En tout cas c’était une très belle journée. Je me sens vraiment bien t’as pas idée. 

Je reviens au salon, dresse la table et je constate qu’elle a son regard posé sur moi. Elle semble triste, je dirai très triste, pas pour elle mais pour moi. 

- Tu es sûr que tout va bien Safiya ? 

- Oui !

- Et pourquoi restes-tu si silencieuse ? 

- Parce que j’ai mal de savoir que me caches tes émotions alors que je suis ton amie. 

- De quoi parles-tu ? 

- DES MENSONGES QUE TU RACONTES ! 

Elle a crié, elle a haussé le ton. Elle ne cri jamais, elle reste plutôt silencieuse. Elle ne cri pour rien au monde. Mais elle l’a fait et je prends peur. 

- Safiya ! 

- La ferme Arielle !

C’est de mieux en mieux.

- Je ne sais pas ce que tu as mais tu devrais baisser d’un ton avec moi. 

- Sinon quoi ? 

- Non rien, je préfère mettre ça sur le compte d’une mauvaise journée que tu as passé. Et je ne veux en aucun cas que tu gâches ma soirée. Donc on va s’asseoir et déguster toutes ces cochonneries. 

- Tu es pitoyable Arielle. 

- Bon ça va commencer à bien faire. Tu peux me dire ce que tu as ? 

- Tu le sauras tout à l’heure. 

Ding Dong !

- Juste à temps lance-t-elle.

- Quoi c’est la pizza ? 

- Tu le sauras tout à l’heure. Elle me fait signe de ne pas aller ouvrir, elle enfile son voile et se rend à la porte pour accueillir la personne qui s’y trouve. 

- Enfin tu es là. Je commençais à m’inquiéter. 

A cet instant je remarque que Alex se trouve derrière elle. Je recrache à l’instant le Kebab que j’avais réussi à ingurgiter. 

- Prends place continue-t-elle, fais comme chez toi, je reviens. 

- Merci !

Je continue de regarder la scène encore choquée par la situation. 

- Qu’est-ce qui se passe ici ? Que fait-il là ? Safiya criais-je !!!!! Peux-tu m’expliquer tout ce cinéma ? 

- Salut Arielle me répond-t-il de sa voix suave complètement posée. 

- La fermes toi ! Je ne t’ai pas adressé la parole. Et pendant qu’on y est, prends tes jambes et casses-toi. 

Safiya revient avec ma valise. 

- Il y a presque tout. Le reste je te l’enverrai par DHL. Maintenant tu peux partir avec elle. 

- Safiya que me fais-tu comme ça ? Peux-tu m’expliquer ce qui se passe ? Je suis ton amie et tu me traites de la sorte ? 

- Oui et c’est parce que je suis ton amie que je t’évite de sombrer dans la drogue comme tu le fais. 

- Que, qu..quoi !!!

- Oui de drogue. Tu croyais que je n’allais pas le découvrir. Tu crois que j’allais me laisser berner par toutes tes scènes de théâtre que tu joues ici. Non ! j’ai fini pasr tout découvrir et crois-moi je n’adhère pas à tes stupidités, parce que tu risqueras d’y perdre la vie. 

- Mais mais pourquoi ne me l’avoir pas dit en face au lieu de prendre des mesures aussi drastiques. 

- Pour que tu te terres dans ton silence ? Non, j’ai préféré agir dans ton dos, contre ton gré, mais pour ton bien. Alors c’était peut-être extrême, mais il le fallait. Je ne t’ai pas emmené au Maroc pour te perdre, pour que tu sombres dans les stupéfiants. 

- Mais ce n’était pas de la dro…

- Qu’est-ce que tu en sais ? J’ai peut-être passé 3 ans de ma vie hors de ce pays, hors de cette ville, mais tu oublies que j’y suis née et que j’y ai grandi. Et toutes ces combines, je les connais par cœur. Alors s’il te plait arrêtes de perdre de poser les questions et vas-t-en. Merci encore pour le Kebab. 

Elle prend place au niveau de la table à manger et j’ai compris que le débat était clos. Ce couillon d’Alex a tiré ma valise et je n’avais d’autre choix que de le suivre alors qu’il me précède. Je jette un dernier coup d’œil derrière moi et je constate qu’elle est toujours restée imperturbable. Quand je réussis à me dire que la vie peut nous apporter un peu de normalité, elle vous prouve que c’est une conne, une diablesse et quoi qu’elle vous offre des opportunités, elle vous tient en laisse. Quelle garce !!!      



Cœur en chantier