Reflexion
Ecrit par Kossilate
Chapitre 19 : Réflexions
Cela fait deux jours que j'ai passé mon entretien à NEW KEEPER’S. Nous étions donc le jour du départ de Grâce. Au cours des deux jours passés, elle avait complètement monopolisé Yelen. Un coup c'était le musée de la glace, un coup c'était la visite de la ville ou carrément elles passaient des heures au parc à « nourrir les canards » mais je les soupçonnais de courir partout comme les enfants qu'elles étaient. Il faut avouer que sur ce point Grace et Mia étaient identiques. Elles avaient cette capacité à être dotées du cerveau d'un enfant de quatre ans dès qu'elles se retrouvaient seules avec Yelen, pour le plus grand bonheur de cette dernière. Ce jour-là pourtant nous nous retrouvâmes seules à la maison. Mia était allée au bureau et Zayn avait réquisitionné Yelen pour sa surprise que je trouvais de plus en plus longue à venir. Elle avait donc dormi chez lui. En revenant de mon jogging que je faisais une fois par semaine, voire même par mois, je trouvais Grace en train de faire son petit déjeuner.
- Tu cours toi ?? Me demanda t-elle surprise après m'avoir regardé de la tête aux pieds puis des pieds à la tête une fois que j'eus refermé la porte d'entrée.
- Oui je cours, répondis-je en m’approchant de la pile de pancakes qu’elle avait faite
- Pas touche !! petite souris, dit-elle en me tapant sur la main.
- Grâce…..
- Ça ne sert à rien de rouler mon prénom comme ça, va te laver. En plus si tu manges mes pancakes ça ne va te servir à rien d'avoir fait du jogging.
- Effectivement tu as raison, déclarai-je en faisant mine de me résigner
- Quoique……ce n'est pas un jogging une fois par mois ou un régime une fois par semaine qui viendra à bout du tas de graisse que tu es affirma Grace en retournant aux fourneaux une sourire en coin plaque sur son visage.
- Ooh Grace, venant de toi, c'est bas comme insulte. Je me sens blessée dans mon égo
- Du moment que ça te garde loin de mon déjeuner, je suis prête à toutes les bassesses.
- Je suis chocqeée comme le dirait Yelen, dis-je en me dirigeant vers les chambres.
- Ça veut dire quoi ça encore ???
- Ça signifie que je suis à la fois choquée et déçue, criai-je depuis l'entrée de ma chambre pour me faire entendre
En me déshabillant pour aller prendre ma douche, je me fis la réflexion que ce jogging m'avait fait du bien mais que je ne le reprendrais pas souvent pour autant. Transpirée comme un porc en frôlant la crise cardiaque tous les deux mètres….je passe mon tour. Il faut dire que ma sinusite ne faisait pas de moi une grande athlète surtout dans les diverses catégories de courses mais je compensais avec d'autres activités sportives. Le jogging de ce mois-là, comme tous les autres d'ailleurs, avait plus un but mental que physique. En effet, l'air frais du matin cumulé à la montée du sang dans mon cerveau après un tour du parc me permettaient de réfléchir. Cela me donnait une sorte de nouveau regard sur une situation intrigante ou non résolue. Je voyais mieux mes erreurs ou je prévoyais mieux mes réactions. Ce jour-là, c'était mon entretien à NEW KEEPER’S qui était le centre de mon attention et le moteur de ce jogging matinal. Le contact de l'eau froide sur ma peau fit refluer mes réflexions et les conclusions auxquelles j'avais abouti. Je ne me voyais définitivement pas travailler avec ce monsieur IKELE mais je pense être allé un peu trop loin dans ma satyre sur sa conception de la littérature et de l'édition. « Après tout, c'est peut-être parce que sa vision des choses est « bonne » dans une certaine mesure, qu'il fait partie de l'administration de la boite », me disais-je.
Il faut dire que j'étais …je suis toujours d'ailleurs une vraie passionnée de littérature peu importe l'origine. Je lis pour apprendre et élever ma réflexion et non pour revoir ce que je vis où je connais. Je lis pour être surprise et non pour me donner l'impression d'être intelligente en prévoyant à l'avance le scénario car il est juste trop commun. Dans cette logique, j'accorde une grande importance aux maisons d'éditions car elles sont comme des passeurs, elles décident de la majorité des œuvres qu'on pourra lire ou pas. Si elles ne jouent donc pas bien leur rôle, on n’aura pas de vrais livres mais des semblants de livres qui n’élèveront nos esprits en aucun cas.
Toutefois, comme le dit quelqu'un que je connais, l'excès de zèle tue le zèle et je devais m'avouer à moi-même que j'étais plus une fanatique qu'une passionnée de littérature. Pour en revenir à ma préoccupation première, j'avais décidé d'un peu plus diluer mon vin dans mes entretiens prochains et aussi de me retenir de partir de l'entretien sans en avoir été invitée. Par ailleurs, je comptais bien faire des recherches pour savoir ce qui était à l'origine de ce remaniement administratifs à NEW KEEPER’S.
En sortant de ma chambre, je fus saisie par l'odeur des œufs frits de Grace.
- Tu prépares le déjeuner pour toute une garnison ?? Demandai -je en rentrant dans le salon.
- Hahahaha….pourquoi dis-tu ça ?? Répondit Grace en retournant l'œuf dans la poêle.
- Tu préparais avant mon arrivée et tu le fais encore bien après que je sois sortie de la douche, déclarai-je en m'installant sur l'un des tabourets hauts de la cuisine.
- Ça m'aide à réfléchir
- C'est une bien drôle de façon de réfléchir…….mais du moment qu'on se régale fait toi plaisir.
- Dis la fille qui déteste courir mais qui le fait pour réfléchir.
Je restai bouche bée devant cette phrase de Grâce. Sans plus me prêter attention, elle se retourna pour enlever son œuf de la poêle avant d'éteindre le feu. Toujours bouche bée, je la regardais ranger les ustensiles de cuisine dans le lave-vaisselle et aller s'asseoir avec son déjeuner d'orgues dans le fauteuil du salon.
- Tu me rejoins ???
- Euh…..oui…oui, balbutia-je en me demandant d'où lui était venue la certitude que je courais pour réfléchir. Même Mia et Zayn avec qui je vivais depuis deux ans l'ignoraient.
- Arrête de faire cette tête et vient manger avec moi. Je ne pense pas avoir l'appétit qu'il faut pour descendre ces montagnes de pancakes.
- Merci……Grace??
- Oui, répondit-elle en me regardant m'installer près d'elle.
- Qu'est ce qui te fait dire que je cours pour réfléchir ???
- Tu détestes courir…du moins ton corps et ton cœur détestent courir et je sais que tu n'es pas vraiment le genre de fille qui accorde une place assez importante au physique au point de « souffrir pour être belle ». D'une autre côté, tu réfléchis beaucoup ces derniers temps et on le sent dans ta façon de te couper du monde pendant un instant. Dernier point et pas des moindres, tu as une assez belle forme pour ne pas t'inquiéter de quelques kilos en trop que tu surveilles d'ailleurs avec ton alimentation, débita Grace avant d’engouffrer dans sa bouche une tranche d’œuf.
- ……..
Grâce m'avait une fois de plus cloué le bec. Ce n'était pas le fait qu'elle sache que je courais pour réfléchir qui m'étonnait…non. C'était plutôt ce que cette information signifiait. Comme elle l'avait confirmé avec son argumentaire, Grace faisait attention à chacun de mes faits et gestes comme un mère le ferai pour sa fille. Il y avait longtemps, que je ne doutais plus de sa générosité et de sa gentillesse et chaque fois, elle me prouvait un peu plus que j'avais bien fait de lui faire confiance ce soir-là à l'hôpital de Porto novo. Elle me connaissait assez pour savoir ce que je faisais et pourquoi je le faisais et ça c'était franchement déstabilisant.
- Tu vas manger ces pancakes ou non, me demanda Grace en me faisant sortir de ma léthargie.
- Euh…..ils sont super bons, dis-je en en croquant un.
- Je sais.
Au cours de notre repas, Grace me donna des nouvelles de Tati Joss et des filles du centre. Elle m'expliqua qu'elle était en voyage pour un congrès qui commençait dans deux jours et me parla de plein d'autres choses. Faut dire que depuis son arrivée, nous ne nous étions pas parlées seule à seule plus de dix minutes.
- Tu devrais réfléchir plus souvent Grâce….c'est un pur plaisir pour mon estomac, dis-je en avalant le dernier morceau de pancakes.
- Krkrkrkr, profiteuse….
- Et fière, répondis-je en bombant le torse ce qui ne fut pas abusé avec les quelques centimètres que mon ventre venait de prendre.
- Tu vas exploser comme la grenouille dans la fable de La fontaine.
- Hahahaha......
- En parlant de ma réflexion…..il y a certaines choses dont je voudrais discuter avec toi déclara Grace en se redressant dans le fauteuil.
Son visage rieur était devenu sérieux tandis qu'elle me fixait droit dans les yeux. J'ai toujours détesté ce comportement. Il me donnait l'impression d'être une enfant devant son proviseur après avoir été pris en flagrant délit de bêtises.
- Je t'écoute.
- Eh bien !!! Si je suis venue à Seattle avant mon congrès , c'est pour avoir à te parler et non uniquement pour profiter de ma filleule.
- Ah oui….. !!
- Oui….je comptais te parler du désir des jumelles de voyager, et être au courant de certains points.
Troisième fois en moins de cinq heures que Grace me coupait la chique. On pouvait lire un étonnement grandissant sur mon visage. Je ne me faisais aucun doute sur le fait que Grace allait finir par intervenir dans la situation mais j'étais loin de me douter qu'elle ferait le déplacement pour cela, d'autant plus que Kira ne m'avait pas prévenue.
- Kira m'a parlé de ton refus par rapport au voyage des jumelles…..je ne vais te faire un monologue sur ce qui est juste de faire ou pas, mais je voudrais que tu répondes à certaines de mes questions.
- Ok.
- Pourquoi ne veux-tu pas que les jumelles viennent aux États-Unis ???
- Si je veux qu'elles viennent, dis-je levant les yeux du ciel.
- Mais….
- Mais je ne suis pas pour qu'elles le fassent maintenant.
- Pourquoi ??
- Eh bien ! Parce que je ne pourrai pas les surveiller, m'exclamai je comme s'il s'agissait d'une évidence.
- …….
- Je dois composer avec mes études, mon stage et Yelen déjà…..et reconnais avec moi que sans la présence de Mia et Zayn, j'aurai du mal à m'en sortir…..
- Ok. Qu'est ce qui te dit que les jumelles ont besoin de quelqu'un pour les surveiller
- ……..
- Elles ont quand même dix-neuf ans et on du veiller sur elles à Cotonou.
- Oui peut être, déclarai je en me levant pour faire les cent pas dans le salon. Mais elles n'étaient pas seules…..Kira était là aussi…..et Cotonou c'est différent
- Je vois. Eh ben ! Si tu tiens tant à ce qu'elles soient surveillées, accepte la proposition de Kira de les accompagner…..
- Je ne peux pas lui demander de changer de vie pour ma famille….encore. D'autant plus que cette vie ci, elle l'adore.
- Mais si elle t'a proposé de venir c'est parce qu'elle sait qu'elle n'a rien à y perdre…..
- …..je n'en sais rien.
Je ne voyais pas trop où Grace voulait en venir avec ses questions mais s'il y a bien une chose dont j'étais sûre, c'est que mon refus de faire venir mes sœurs était une bonne décision. Ni les crises de colères de Kira ni son regard inquisiteur à ce moment-là ne pouvaient m'amener à changer d'avis.
- J'en ai fini avec mes questions et deux choses me sont revenues dans tes réponses. Un, tu as peur de l'influence que pourrais avoir ce pays sur tes sœurs, deux tu crois fermement que Kira en assez fait pour ta famille et que toi tu lui dois trop pour lui demander de venir.
- ……
- Est-ce vrai oui ou non ?? Demanda Grace en se levant pour me faire face.
- En fait, je …
- Oui ou non ???
- ……
- …..
- Oui, répondis-je en baissant la tête.
« Comment fait-elle pour lire entre mes mots ?? » Me demandai-je. Jusqu'à ce qu'elle le dise tout haut, je n'avais pas moi-même compris que ces deux points étaient mes véritables craintes. Grace me démontrait une fois de plus qu'elle me connaissait plus que je n'avais idée et de moi à moi cela me faisait un truc au cœur. Comme si je venais de trouver un trésor longtemps cherché.
- Vois-tu Phoebe, repris Grace. Tu es une fille divinement intelligente mais il y a de ces moments où je doute même que tu saches faire 1 + 1.
- ………..
- Pour commencer retourne t'asseoir, fit-elle en me devançant dans le canapé.
- …….
- Ok. Tu as peur pour tes sœurs, c'est normal vu le pays dans lequel elles vont vivre, mais lorsque vous avez été séparé par votre père, ne t’ont-elles pas démontrées qu'elles savaient ne pas se laisser influencer.
- …..
- Toi et moi savons qu'elles auraient pu déviés du droit chemin avec tous les coups de crasse de votre père mais elles ont préféré trouver un travail pour continuer leur étude.
Les mots de Grace me firent fermer les yeux un instant. Elle avait totalement raison les filles m'avaient déjà prouvé qu'elles avaient le sens des priorités et que pour elles, le travail passait avant tout. Pourtant je n’arrivais pas à me départir de ce sentiment de protection.
- Grace, j'ai horreur de l'admettre mais au fond de moi je sais tout ceci…..mais si mes sœurs sont près de moi, j'ai les sentiments que je dois les protéger et je ne peux bien le faire en étant occupée sur trois plans différents
- Chérie, dit-elle en se rapprochant de moi. Protéger tes sœurs est différent de les materner et c'est ce que tu veux faire. Je les connais ces filles, je suis avec elles depuis deux ans et je peux te dire qu'elles n'ont besoin de personnes pour les protéger. Elles ont plus besoin d'une sœur que d'une mère. Elles auront besoin de toi pour parler de qui les énerve ou pas et non pour traverser la route. Tu dois prendre conscience de cela.
- …….
- Et si tu as trop peur ou que tu ne sais pas comment faire, demande de l'aide à Kira….
- Il est….
- Hors de question bla bla bla avenir bla bla bla renoncer bla bla bla. Je connais déjà la chanson, me coupa Grace en me faisant un sourire. Déjà il faut que tu comprennes que Kira fait partie de ta famille. La famille n'est pas que celle du sang et Kira et toi avez traversé assez de choses ensemble pour vous considérer mutuellement comme des sœurs…..du moins elle, elle te considère comme une sœur.
- Moi aussi je la considère comme une sœur, répliquai-je avec véhémence.
- Alors pourquoi ne veux-tu pas laisser une sœur se sacrifier pour le bonheur de ses cadettes ???
- …….
- D’une, tu n'as rien demandé à Kira, elle a pris cette décision toute seule. De deux, ce que tu considères comme un sacrifice, elle le considère comme un remerciement…
- Mais pourquoi ?? Demandai-je consternée. Si quelqu'un doit remercier l'autre c'est bien moi. Elle m'a aidé à Lagos puis à Cotonou puis à Seattle que ce soit moralement ou financièrement et ce sans rien demander en retour. Elle veille sur mes sœurs comme si c'étaient les siennes. Si quelqu'un doit remercier l'autre c'est bien moi et c'est pour cela je refuse un autre sacrifice de sa part car c'est bien de cela qu'il s'agit.
- C'est que tu es plus aveugle que je ne le pensais jeune fille….
- Hein….
- Kira t'a effectivement soutenue financièrement et moralement à divers stades de ta vie mais toi et tes sœurs lui avez donné un truc qui ne s'achète pas même avec tout l'or du monde : l'amour d'une famille. Vois-tu, Kira et moi, nous sommes beaucoup rapprochées dernièrement et elle m'a révélé certains pans cachés de son passé. Ta rencontre et celle de tes sœurs, l'ont sortie d'une spirale de faux amour qui la détruisait. Tout ceux qu'elle aimait l'utilisait et la forçait à agir contre son gré, et pas que sa mère. Toi et ta famille l'avez accepté pour ce qu'elle avait à offrir et son caractère. Vous n'attendiez rien d'elle et vous l'aimiez comme une grande sœur. Ça, ça ne s'achète pas et elle tient à te le rendre ….non à vous le rendre en aidant les jumelles à réaliser leurs rêves. Le fait que tu refuses la blesse plus que tu n'imagines car pour une fois qu'elle veut donner de son propre chef, elle est rejetée et de plus tu parles comme si elle ne faisait pas partie de cette famille qui l'avait aidé à se reconstruire.
- Oh mon Dieu, m'exclamai je.
J'étais bien loin de m'imaginer tout ce que Kira ressentait. Quoi de plus normal puisqu'elle m’écoutait toujours sans parler. Je comprenais petit à petit ma bourde en m'obstinant à garder mes sœurs loin des États-Unis. Et quand je dis mes sœurs, je pensais aux jumelles mais aussi à Kira.
- Oh mon Dieu, Grace qu’ai-je fait ??? Demandai-je en sentant mes larmes coulées sur mon visage.
-
- Tu as agi en écoutant tes peurs et il n'y a rien de plus humain que cela, répondis Grace en me prenant dans ses bras. Il s’agit désormais de savoir réparer tes erreurs et de les éviter à l'avenir.
- …….
- Cesse de pleurer maintenant, ajouta-t-elle en me caressant la tête.
- Je dois appeler Kira et mettre les choses en place pour faire venir les filles et Kira, si elle veut toujours les suivre, dis-je en me redressant.
- Je suis tout à fait d'accord avec la première partie de ta phrase. En ce qui concerne la seconde, c'est ce que je voulais t'annoncer. Les filles se sont toutes inscrites à la loterie visa pour augmenter leurs chances de l'avoir.