Une autre facette de Franck
Ecrit par lpbk
Depuis ce repas, samedi dernier, cette
ultime phrase d’Olivia tourne en boucle dans ma tête.
« André est, et a toujours été, amoureux de toi. »
Nous avons été amoureux, c’est vrai. Mais
cette histoire remonte à tellement d’années.
Ce soir, j’ai décidé de me changer des
idées. Je revois Franck pour la première fois depuis notre désastreuse soirée
de la semaine précédente.
Pas de robe cette fois. J’ai sauté dans un
pantalon de costume bleu cobalt froncé à la taille, enfilé un top blanc et des
escarpins de la même couleur : je suis parée pour mon rendez-vous.
J’enfile mon blazer et attrape ma pochette au passage. Me voilà partie pour mon
rencard.
Franck a proposé de venir me chercher. Il
doit, normalement, m’attendre en bas de mon immeuble.
Lorsque je sors, il est effectivement là,
en train de contempler son téléphone tranquillement. Il relève la tête à mon
approche, me sourit et vient à ma rencontre, légèrement gêné. Je préfère
dissiper le malaise entre nous et m’avance pour lui faire une accolade.
— Je suis contente de te voie, annonçai-je. Comment
vas-tu ?
— Très bien, merci. Je suis heureuse que tu aies accepté
de me revoir. Nous y allons ? Le taxi nous attend, continue-t-il en me
montrant notre chauffeur qui s’impatiente déjà.
— Oui. Dépêchons-nous avant que notre taxi ne nous
plante ici, lançai-je avec un clin d’œil.
Nous embarquons à bord du véhicule.
— Où m’emmènes-tu ? finis-je par demander,
curieuse.
— Au 99, tu connais ?
Je suis née à Douala mais je ne peux pas
me targuer de connaitre toutes les adresses de la ville.
— C’est un petit bar caché du côté d’Akwa. Je pense que
tu seras agréablement surprise en arrivant.
Quelques minutes plus tard, nous arrivons
à destination. Franck sort et me tend la main. Je le suis et contemple les
devantures qui s’étalent sous mes yeux. D’un ample mouvement de la main, mon
partenaire déclare :
— Et voilà !
Je fronce les sourcils, sceptique car nous
entrons dans une espèce de galerie d’art. Une foule de personnes se pressent
pour admirer les œuvres « inspirée
par Les têtes brûlées, un groupe de Bikutsi des années 1980. » Merci
le flyer à l’entrée !
Des murs violets d’un côté et blanc de
l’autre dévoilent des tableaux de taille diverses. Des estrades accueillent des
sculptures. N’étant pas amatrice d’art, ce spectacle ne retient pas
particulièrement mon attention mais je pense qu’il plairait beaucoup à ma mère,
je note donc de lui en parler. Voyant que je traine un peu, Franck s’empare de
ma main et accélère le mouvement.
— C’est par ici, m’annonce-t-il.
Une petite porte, au fond de la galerie,
est presque dissimulée sur le fond blanc du mur. Franck s’en approche et
l’ouvre, avant de s’esquiver pour me laisser passer.
— Bienvenu au 99, l’un des bars les plus secrets de
Douala ! présente-t-il tel un prestidigitateur.
La pièce, qui s’offre désormais à ma vue,
est totalement différente de celle que je viens de quitter. L’espace est
chaleureux et joliment aménagé ; j’ai l’impression d’être dans un ancien
salon avec le bois sombre qui recouvre le sol, les lustres en perles qui
touchent presque les tables et les innombrables bougies disséminés dans tout le
bar.
Le comptoir en lui-même est en bois noir. Des
tabourets et des chaises de couleur noire ont été installés tout autour pour
permettre aux clients de s’y accouder, pour regarder le barman faire le show ou
tout simplement déguster l’un de leurs cocktails.
Ici aussi, la foule est dense. Nous nous
frayons un chemin parmi tout ce monde et finissons par dénicher une table. Je m’installe sur la banquette
blanche qui ressemble tant à un canapé tandis que Franck prend place sur un
tabouret en face de moi, tournant, par la même occasion, le dos à la salle.
Nous nous emparons d’une carte et la
détaillons avant de faire notre choix.
Franck choisit un « Slow Learner »,
mélange de cognac et de whisky ; je lui préfère un « Rose Selavy »
qui me semble plus frais avec son gin et son sirop de rose.
Mon partenaire semble toujours à l’aise ;
visiblement, il veut me dire quelque chose mais ne semble pas trouver les bons
mots.
— Je… commence-t-il, hésitant. Je voudrais te réitérer
mes excuses pour l’autre soir. Je me suis comporté comme le dernier des
imbéciles et…
— Je te dois, moi aussi, des excuses, je l’interromps. Je
me suis comportée… A mon tour d’être à court de mots : je t’ai séduite, ce
qui est normal, tu as répondu à mes signaux. J’étais ivre, je voulais m’amuser
pour une fois. Lâcher la bride de ma réelle personnalité. Arrêter de toujours
vouloir tout contrôler. Et…
C’est alors que Franck éclate de rire. Un rire
grave, bruyant et surtout contagieux. Je m’arrête dans ma dissertation et m’esclaffe
à mon tour. Nous rions à gorges déployées. Notre gêne se dissipe enfin.
— Je pense que nous devrions repartir à zéro,
propose-t-il lorsque nous réussissons enfin à reprendre notre souffle.
— Kamdem Mélanie, enchantée, dis-je en lui tendant la
main par-dessus la table.
— Ndongo Franck, me répond-il en l’attrapant, ravi de
faire ta connaissance.
Une douce chaleur se répand en moi à ce
contact. Je souris à mon interlocuteur, soudainement intimidée, et sens le
rouge me monter aux joues.
Le serveur arrive à ce moment-là, coupant
court à ce moment troublant.
— Alors, Mélanie, parle-moi un peu de toi, me demande
Numéro 5.
— Que veux-tu savoir ? rétorquai-je, avant de boire
une gorgée de mon cocktail qui est absolument divin.
— Pourquoi as-tu choisi de t’inscrire sur un site de
rencontres ?
— Pour faire des rencontres, plaisantai-je, gauchement.
Les lèvres de mon compagnon se relèvent en
un léger sourire en coin mais il ne dit rien, attendant ma véritable raison. Je
me trémousse sur la banquette, indécise face à la réponse à lui donner. J’opte
finalement pour l’honnêteté, la vérité brute et nue.
— J’ai décidé de m’inscrire car mes amies, Astride et
Coralie, nous avons fait un pari.
— Un pari ? s’étonne-t-il. Qui est… ?
— Tu vas le trouver bête et ridicule, bredouillai-je,
embarrassée.
— Laisse-moi me faire ma propre idée, objecte-il,
doucement.
— J’ai toujours déclaré que je me marierais avant mes
trente ans. D’ici quelques semaines, je vais entrer dans la trentaine
justement.
— Mais tu n’es toujours pas mariée, continue-t-il pour
moi.
— Exact. C’est pourquoi Astride a proposé que nous
fassions un serment inviolable.
— Comme dans Harry Potter ? s’esclaffe-t-il.
— Oui. Astride est une vraie fan, souris-je.
— Donc ce pari ?
— Oui, d’où ce pari. Nous nous sommes jurées de nous
aider mutuellement à nous marier avant notre trentième anniversaire.
— Et quand avez-vous fait ce pari ? me
questionne-t-il à nouveau.
— Il y a un peu plus d’un mois maintenant.
J’avoue que ce n’est pas tout à fait vrai
sur ce coup là. Il me reste à peine un mois pour trouver mon prince charmant
mais je ne sais pas pour quelle raison, je préfère passer cette information
sous silence ; ou plutôt ne pas dire toute la vérité cette fois. Je ne
veux pas qu’il pense que je suis désespérée et puis de toute façon, il faut que
je parle aux filles. Ce délai de trois mois était bien trop bref !
— Le délai est un peu court, non ? Enfin, il te
faut trouver le gars, qu’il te corresponde et que ce soit réciproque,
énumère-t-il en levant un doigt à chaque étape. Que tu réussisses à le
convaincre de te passer la bague au doigt. Organiser la cérémonie. Et seulement
te marier. En si peu de temps, ce pari me parait intenable.
— D’où les sites de rencontres, rétorquai-je. Je me suis
dit que cela me permettrait de faire une petite sélection et de gagner du
temps.
— Bonne idée, je dois dire. Donc, enchaine-t-il, je suis
l’un de tes prétendants au mariage.
— Tu as tout compris, répliquai-je, avec une moue gênée.
— Tu m’en vois flattée, commente Franck, avec un large
sourire.
— Et toi, embrayai-je, qu’est-ce qui t’a poussé à t’inscrire
sur un site de rencontres ?
— La même chose que toi, répliquai-t-il
— Tu as fait un pari ? m’enquis-je, surprise
— Non, rit-il mais je cherche la femme de ma vie j’ai
trente-quatre ans et je pense qu’il est temps pour moi de fonder une famille
— Je n’aurais pas trop de mal à te convaincre de me
passer la bague au doigt dans ce cas, gloussai-je, sottement
— Absolument aucun, acquiesce-t-il, sérieusement
La soirée se prolonge dans cette ambiance
décontractée mais pleine de sous-entendus finalement, Franck me plait bien il
est gentil, prévenant, charmant son petit sourire canaille me fait complètement
craquer.
Nous sommes mal à l’aise, ensemble. Et nous
apprenons à nous connaitre.
Nous sommes à l’aise, ensemble. Et nous
apprenons à nous connaitre.
Nous avons quelques points en commun. Nous
aimons cuisiner, même si je lui avoue que je suis un piètre marmiton, ce à quoi
il affirme pouvoir m’apprendre quelques petites astuces qu’il tient de sa
grand-mère. Nous rêvons de voyager.
J’apprends qu’il aime visiter les musées ;
je lui propose de l’emmener dans la galerie de ma mère et lui fais même la
promesse de l’y emmener après la fermeture lorsque tout est calme et que l’on
peut se poser pendant des heures devant une œuvre pour l’écouter nous raconter
son histoire.
— Ma mère dit toujours qu’une œuvre d’art a toujours des
secrets à dévoiler ; mais qu’elle prend son temps pour le faire, pour
donner envie aux visiteurs de venir chaque jour la contempler à nouveau.
Franck semble réfléchir à mes paroles, il
savoure une dernière gorgée de son cocktail avant de me répondre.
— Ta mère doit être une femme pleine de sagesse. je n’avais
jamais vu les choses de cette manière. Mais, en effet, si une œuvre ne nous cache
rien, nous n’aurions plus de raisons de retourner la voir.
Nous papotons un long moment encore, jusqu’à
ce que nos ventres se rappellent à nous.
— Nous y allons ? me propose-t-il.
— Volontiers.
Il m’aide à enfiler mon blazer et paie nos
consommations. Nous quittons le 99 et arpentons tranquillement les rues de
Douala, toujours aussi animées à cette heure.
— Tu as faim ? m’interroge alors Franck.
— Je suis affamée, exagérai-je.
— Viens, je connais un endroit tout près d’ici où la
cuisine est tout simplement délicieuse, m’affirme-t-il, enthousiaste.