Une opportunité de rêve
Ecrit par Farida IB
Salifou DIOMANDE…
J’attends que les enfants se mêlent à la foule devant les classes pour démarrer en trombe. J’ai rendez-vous ce matin avec un agent du service de renseignements Burkinabé, il m’a été présenté par l’un de mes proches collaborateurs en vue de m’aider à approfondir les recherches pour retrouver Mariam. Il faut noter qu’à part quelques messages que nous avons eu à échanger, elle ne m’appelle que pour parler aux enfants. Elle ne se trouve nulle part, le fait que son numéro passe encore me rassure qu’elle est bien au pays, mais dans quelle partie du pays ? Je ne saurai le dire. Depuis, je suis dans tous mes états, je dors peu, je me nourris à peine, par contre je m’assure que les enfants se sentent bien et qu’ils ne soupçonnent rien sur l’escapade de leur mère. Je leur ai fait croire qu’elle était en vacances pour éviter leurs nombreuses questions.
Je gare plus tard devant l’agence Nationale des renseignements sur les indications de l’agent de sécurité et me rends directement au bureau de M TIDIANI. Il m’accueille avec déférence et me demande de prendre place après les salutations d’usage. Il attend de se poser sur son siège avant de rentrer dans le vif du sujet.
M TIDIANI : alors M DIOMANDE, j’ai ici tout ce dont vous avez besoin pour retrouver la personne. (me tendant un classeur) Il y a dedans sa fiche d’appel ainsi que les embarquements enregistrés dans les gares routières, aérodromes et aéroports ces quatre dernières semaines.
Moi (souriant de satisfaction) : c’est parfait, je crois qu’il y a tout ce que j’avais demandé. Je vous en suis très reconnaissant, Laurent n’a pas tort à votre sujet. Vous avez été rapide et très efficace.
M TIDIANI (sourire ravi) : ça été plus que facile de convaincre mes supérieurs avec le gros pourboire que vous avez laissé.
Moi (sortant une enveloppe de la poche intérieure de ma veste) : ça, c’est votre cadeau spécialement.
M TIDIANI (avec émerveillement) : merci bien M DIOMANDE, je suis à votre entière disposition si vous avez besoin de moi pour une autre affaire de ce genre.
Moi : j’aime bien faire affaire avec les hommes qui ont le sens du devoir comme vous.
M TIDIANI : que voulez-vous ? Nous sommes dans le pays des hommes intègres n’est-ce pas ?
Moi (serrant le poignet de main qu’il m’a tendu) : tout à fait M TIDIANI, passez une agréable journée.
Je ressors du bureau revigoré après cet échange, j’ai le sentiment d’avoir pris une longueur d’avance sur l’avenir. À moins qu’elle ne se soit rendue sur la lune, je finirai par la retrouver. C’est sur cette conclusion que je redémarre ma CX pour mettre le cap sur mon domicile. Je desserre ma cravate dès que je franchis le seuil de la maison et me jette sur le sofa avant de sortir le classeur du sac. Je fouille ligne par ligne les documents, je m’attarde peu sur le listing des appels puisqu’il n’y figurait rien d’extraordinaire. Je m’attaque ensuite aux embarquements en priorisant les gares routières, je me retrouve face à d’interminables listes et toujours aucune trace de Mariam. Finalement pris d’angoisse, je me lève et me sers un verre de jus que je bois goulûment avant de me lancer à nouveau dans ma recherche.
Une quarantaine de minutes à lire des noms totalement inconnus à destination de lieux jamais encore connue de toute ma vie, je tombe sur un bus qui l’a enregistré pour Le Loroum (province), point de départ sur Biediokro. En un éclair, tout me semble très évident, c’est bien le dernier endroit où j’aurais pensé à la retrouver !!
Je range toute la paperasse, l’enfourne dans mon sac avant de sortir de la maison d’un geste précipité lorsque je m’aperçus sur la grande montre muraille du salon que j’ai accusé trente minutes de retard pour aller chercher les enfants. Je conduis tout de même à une vitesse raisonnable en réfléchissant sur la manière dont je procéderai pour ramener ma femme à la maison, il va y avoir du sport. Je peux trouver tous les arguments pour convaincre Mariam de mon innocence, mais jamais aucun argument ne serait de taille pour convaincre son père de me laisser repartir avec elle. Enfin, en espérant qu’elle soit vraiment retournée chez lui et qu’il ait accepté lui pardonner après toutes ces années, même s’il est très probable que ce soit le cas. Ça devient intenable avec les enfants déjà que j’ai la peine à m’occuper de moi-même. C’est dans ces moments que l’utilité d’une femme dans un foyer nous renfloue à la surface et l’on constate avec amertume que par opposition à bon nombre de croyances, la femme est plus le pilier de la famille que l’homme.
Brrrr. Brrrrr.
C’est mon téléphone qui vibre sur le rebord du tableau de bord, j’appuie sur le kit oreillette sans regarder l’écran avant de parler.
Moi (d’entrée) : allô Mariam, je suis en route pour chercher…
Voix de Fatim : tu me confonds maintenant avec ta villageoise ?
Je prends un grand souffle pour ne pas péter un câble, pendant ces quelques secondes il eu comme un flottement.
Fatim hurlant : allô, allô ? Non mais je parle à un sourd ?
Moi : bonjour Fatim, qu’est-ce que tu me veux ?
Fatim (ton agacé) : comment ça qu’est-ce que je te veux ? Tu me prends pour ta poubelle, c’est cela ? Celle qu’on jette en pâture pour des miettes ?
Moi : qu’est-ce que tu sous-entends par miettes ? J’ai fait virer dix millions sur ton compte il y a une semaine pour les besoins primaires de Maï.
Fatim : et tu penses que c’est suffisant pour envoyer ton avocat me raconter des sornettes ?
Je passe une main sur le visage en sentant ma colère monter.
Moi : tu me prends pour qui en fin de compte ? Pour un distributeur automatique de billets ? (haussant le ton) Si je t’ai fait virer dix millions, c’est pour que tu ne viennes plus me saouler avec tes histoires, tu comprends cela ? (criant) Bon sang !! C’est quoi ton problème à la fin ?
Fatim (ricanant) : dix millions, ton avocat et toi pensez me duper aussi facilement hein ? Je n’ai pas besoin d’avoir un doctorat en droit pour connaître les dispositions légales qui s’appliquent à un cas d’abandon et de discrimination d’un enfant. MA FILLE a le même droit que TES ENFANTS, rien que pour leur éducation, tu dépenses près de dix millions par an donc ne vient pas me prendre pour UNE IDIOTE. Dès la semaine prochaine, je te l’envoie pour que tu t’en occupes pleinement, les dix millions, je les prends en compensation de ce que j’ai dépensé pour elle toutes ces années durant lesquelles tu as disparu de mon champ de vision. Elle a le droit de jouir des mêmes avantages que tes enfants, elle a besoin de SON PERE !!
Elle raccroche sans me laisser ajouter quoi que ce soit, qu’est-ce que je ne donnerai pas pour ne pas avoir cette femme dans mon collimateur ? (soupir)
Je rentre avec les enfants après les avoir amené manger au restaurant. Nous sommes mercredi et vu qu’ils n’ont pas classe dans l’après-midi, je décide de les amener dans une aire de jeux après une légère sieste. Alors que j’attends assis sur le divan dans le grand salon qu’ils finissent de se préparer, mon téléphone sonne à nouveau et c’est Mariam pour mon plus grand bonheur.
Moi d’entrée : bonsoir mon amour, comment tu vas ? Tu rentres quand s’il te plaît ? Tu me manques, tu manques aux enfants.
Mariam : bonsoir Salifou, je vais bien. Passe-moi les enfants s’il te plaît.
Moi soupirant : Mariam donne moi l’opportunité de m’expliquer s’il te plaît, tu pourras prendre toutes les décisions que tu veux après cela. Je t’en prie, je mérite une présomption d’innocence.
Mariam : pardon, ne me sors pas le gros Français. Je veux parler aux enfants, ils sont là non ? Aujourd’hui c’est mercredi, ils n’ont pas cours cet après-midi.
Moi : Mariam chérie, pour l’amour de Dieu arrête de nous torturer. Ce n’est pas à moi seul que tu fais subir cette torture, les enfants n’ont rien fait pour mériter cela.
Kismat (déboulant avec enthousiasme) : c’est maman ?
Je hoche la tête.
Je lui passe le téléphone et pendant qu’elle parle, les autres accourent et c’est parti pour la dispute entre Islam et Kismat vu que cette dernière essaie de monopoliser l’appareil.
Islam (euphorique après l’appel) : whoupieee, maman dit qu’on ira la voir chez mamie et papi dès que nous aurons fini l’école.
Kismat : moi, je veux qu’elle revienne ici, je ne connais pas papi et mamie.
Fayez : papa, comment se fait-il que nous n’ayons jamais entendu parler d’eux ?
Moi (pour couper court) : vous êtes prêt pour la sortie ? (ils répondent.) Alors allons-y, je vous raconterai toute l’histoire autour d’une bonne glace.
Islam : ohh yess papa, papa, c’est le meilleur !!
Kismat : non, c’est maman !!
Islam : je te dis que c’est papa !!
Moi intervenant : Islam arrête.
Islam : mais pourquoi, c’est toujours moi qu’on gronde ?
Kismat (lui tirant la langue) : c’est parce que tu as été adopté !!
Moi (la grondant) : Kis arrête toi aussi, (à Islam) c’est parce que tu es le plus grand.
Kismat (faisant la moue) : mais papa !
Moi catégorique : fin de la discussion, tout le monde dans la voiture.
Ils s’exécutent en silence puis nous mettons le cap sur le centre-ville.
*
*
Annick ANJO…
Je me décale légèrement du torse d’Emmanuel et m’assois sur le rebord du divan en m’étirant. C’est là que nous avons fini, après une redoutable partie de jambe en l’air qui a commencé dans les escaliers. Nous avions rendez-vous ce matin avec une connaissance à moi qui a accepté de le prendre sous ses ailes. Il ne gagne trois fois rien, mais cela lui permettra de s’occuper et moi, je pourrai reprendre par ricochet mes activités. Est-ce qu’il est au courant de ça ? Ce n’est pas la peine de poser la question. La réponse, vous la connaissez de toute façon (rire.). Convenez avec moi que j’ai fait de gros efforts pour m’adapter à cette vie qu’il cherche à m’imposer mais c’est tout simplement au-dessus de mes moyens. D’autant plus qu’il y a de fortes chances que nous nous retrouvions très bientôt sur la paille entre nos escapades en amoureux à travers le pays et les factures extravagantes dans des hôtels de luxe de Cotonou. Il faut dire que c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour mettre le piment dans la sauce.
Je débranche mon téléphone et le rallume, je reçois sur-le-champ plusieurs notifications de messages dont le bruit tire Emmanuel de son sommeil. Il se lève à son tour avant de s’asseoir à côté de moi en jetant un coup d’œil autour de lui.
Emmanuel (s’étirant) : j’espère que le divan est encore en bon état.
Moi lol : il faut se lever pour constater les dégâts.
Il se lève en souriant, ramasse ses vêtements sur le sol avant de se diriger tout nu vers la chambre. Je me concentre à nouveau sur mon téléphone pour lire les messages que les filles ont laissé sur notre forum. Les trois-quarts de leur discussion sont constituées des plaintes de Cholah, ensuite il y a une liste des nouveaux clients et des nouvelles demandes. Et parmi ces demandes, il y a une en particulier qui attira mon attention, il s’agit du directeur de cabinet d’un ministre. C’est une grande figure du pays dont le charisme suscite le respect et l'admiration, malgré qu’il soit un vrai obsédé en vrai. C’est toujours un réel plaisir de faire affaire avec lui, nous ne comptons jamais CFA, mais en Euro. Il y a vraiment de quoi parce que souvent, nos séances se terminent toujours de la même manière, « un mois complet de soins hospitaliers ». Des positions les plus improbables aux fantasmes les plus délirants, la bonne nouvelle, c’est que plus il est satisfait des prouesses, plus les lots de billet affluent. Il me faut trouver un moyen pour m’éclipser en douce ce soir, je ne vais pas laisser les petites gagner l’Euro million alors que j’en ai plus besoin qu’elle en ce moment.
C’est le message d’Asanda qui vient d’arriver dans le groupe qui me sort de mes pensées.
Asanda : Nicko, j’espère que tu as vu hein, on fait comment ?
Cholah : demande-lui bien !
Asanda : elle nous répondra une fois qu’elle sera en ligne.
Cholah : je viens de la voir en ligne, elle nous suit même en ce moment.
Moi : Cholah change un jour !! J’ai vu les filles, je réfléchis à un plan.
Asanda : il n’est pas obligé de te suivre partout où tu vas nan ?
Cholah : tu blagues, la colle forte même a menti. Ils sont collés dallés partout on dirait des Siamois.
Asanda : eetèè kadiéé les amoureux, nous avons sérieusement besoin de toi. C’est un groove qu’il donne à l’honneur de la mutation de son ministre en tutelle au trésor public, tu comprends que ce soir sa générosité montera non d’un cran, mais de plusieurs étages.
Cholah : qu’est-ce que tu dis même ? Le type n’a jamais eu de raisons valables pour dilapider l’argent du pauvre contribuable !!
Moi : ça c’est sûr, bon les filles, je ne sais pas encore comment ni à quelle heure, mais la certitude, c’est que je serai là.
Cholah : et le mari ?
Moi : il va se reposer ce soir, mes sens ce sont retournés à l’heure où je vous parle. Je sens déjà l’odeur du cash.
Asanda : du champoupou (champagne) à flot !!
Cholah : et des fouets aussi, je me demande ce qu’il va nous sortir aujourd’hui comme souhait.
Moi : seigneur !! Surtout pas la position de l’araignée volante. La dernière fois, j’ai dû porter un collier cervical trois mois durant.
Asanda : t’étais sexy comme ça krkrkrkr…
Moi : nowoyomè (les entrailles de ta mère.).
Asanda : rhololo je taquine.
Moi (apercevant Emmanuel) : je vous laisse les filles.
Cholah : pouvons-nous compter sur toi ?
Moi : vous aurez le code de confirmation toute à l’heure !
Elles : top/super.
Je sors de l’application et verrouille le téléphone, je me recompose un visage maussade avant d’aller à l’encontre d’Emmanuel qui se dirigeait vers la cuisine.
Emmanuel (plissant le front) : poussinette ? Qu’est-ce qui se passe ?
Moi : je viens d’avoir mes sœurs au téléphone, Cholah a fait une crise d’épilepsie cet après-midi. Elles sont présentement à la clinique, il faut que j’y aille.
Emmanuel inquiet : ah ouais, dans quelle clinique ? Je viens avec toi.
Moi : euhh non, je préfère y aller seule pour le moment. Elle a la forme contagieuse de l’épilepsie, je ne veux pas te faire courir de risques. Nous autres avons dû avoir recours à des vaccins pour être immunisées contre elle.
Emmanuel : je vois, mais je ne suis pas obligé de rentrer dans la salle où elle se trouve. Je serai juste là pour te tenir compagnie.
Moi (posant une main sur son épaule) : il ne vaut mieux pas, reste à la maison. Je te ferai un rapport fidèle une fois que je serai sur place.
Emmanuel : je veux quand même vous apportez à manger.
Moi (du tac au tac) : Asanda s’en occupe déjà, tu n’as qu’à rester sagement ici m’attendre, je te dirai tout ce qui se passe là-bas.
Emmanuel : d’accord, dépêche-toi d’y aller. Elle doit être seule en ce moment.
Je lui donne un baiser rapide et me rends sans tarder dans la salle de bain. Sous le jet d’eau, seule avec ma conscience, je ne pus m’empêcher de ressentir de la culpabilité. Il ne mérite vraiment pas que je lui fasse ce coup, une voix me souffle dans mon fort intérieur qu’il a tout donné pour être ici avec moi, mais une autre me dit que je ne peux balayer du revers de la main ma vie en si peu de temps. Je finirai par trouver une solution pour réglementer ma vie et aspirer à être la femme qu’il voit en moi, un jour peut-être.
Une robe droite simple était posée sur le lit lorsque je suis sortie de la salle de bain, je laisse tomber ma serviette alors que je me passe ma pommade en le regardant droit dans les yeux.
Emmanuel (détournant son regard) : euhh… (pointant la robe du doigt) je t’ai choisi ça pour gagner du temps.
Moi (la voix suave) : merci poussin, t’es un amour. Tu me promets de rester sage ?
Emmanuel (essayant de cacher son trouble) : comme un statut babe.
Moi : il y a quoi au menu ce soir ?
Emmanuel : du riz cantonais, je te réserve une part ?
Moi : mouais, je salive déjà.
Emmanuel : d’accord.
Je m’habille ensuite sans me maquiller et prends les chaussures compensées qu’il avait posé à côté du lit, puis mon sac à main. Il me suit jusqu’au salon où je me chausse assise sur le divan en ayant au préalable enfournée le téléphone dans le sac. Je l’embrasse tendrement avant qu’il ne m’accompagne au rez de chaussée, c’est là-bas qu’il me laisse après m’avoir fait un bisou pour me dire au revoir. Je fais la manœuvre et démarre plus tard en direction d’Agla (quartier). J’ai des vêtements de rechange chez Asanda d’où nous prendrons le départ ce soir.