VI
Ecrit par Les petits papiers de M
VI-
Ma
Caro
Malgré
la stabilité de l’état d’Alban depuis plusieurs semaines déjà j’ai du mal à me
sentir totalement rassurée. Après tout, il y a toujours eu des périodes
d’accalmie avant qu’on ne se retrouve sans raisons apparentes à l’hôpital.
Alors en dépit de sa bonne mine, je ne peux m’empêcher de m’inquiéter. Je
continue de lui administrer l’antidote à son insu. Mais ma main tremble à
chaque fois parce que je n’ai aucune idée de ce que je fais, de la nature de
cette poudre. Seul Dieu sait si cela a un quelconque effet bénéfique. Mon Dieu,
je regrette tellement ! Si seulement je pouvais retourner en arrière,
jamais je ne ferais une telle chose. Aujourd’hui, je ne sais même plus ce qui
m’a poussé à faire des choix si stupides. J’en suis là dans mes réflexions
lorsque je sens des petites mains me tapoter la cuisse avec insistance, me
ramenant ainsi à la réalité.
Stéphane
et sa femme nous ont laissé leurs deux garçons pour quelques jours étant donné
qu’ils sont en congés de détente.
-
Ma Caro, on peut jouer à la course de
voitures ?
-
Qu’est-ce que je vous ai dit à propos de ça ?
-
On promet de faire attention. On va s’arrêter
chaque fois que quelqu’un voudra passer
-
On sait tous que c’est faux. Venez je vais vous
allumer les dessins animés dans la salle de jeux
Ils
me suivent à contrecœur. Je sais bien que dès que j’aurai le dos tourné ils
iront faire la course dans le couloir. Au temps où j’étais encore moi, aucun de
leurs père et oncles n’auraient osé. Mais la vieillesse nous change. En me
dirigeant vers ma chambre je lance sans grand espoir le numéro de Manuel. A
force de vaines tentatives, je le connais par cœur. Mon cœur manque un
battement lorsqu’à l’autre bout du fil, ça sonne et qu’enfin quelqu’un décroche.
Huit mois ! Huit longs mois que j’essaye inlassablement de joindre ce
numéro.
-
Manuel ! Manuel ? ce n’est pas
Manuel ?
-
Oui, la vieille y a quoi ?
-
Ta mère la vieille. Depuis des mois que je
t’appelle là tu étais où ?
-
C’est d’abord même qui et puis tu cries
beaucoup comme ça dans mes oreilles ?
Le
court instant que je prends pour me calmer avant de lui répondre, l’imbécile
raccroche. Je relance l’appel frénétiquement jusqu’à ce qu’il décroche
-
Ne raccroche surtout pas ! c’est Ma Caro,
la sœur de Ma Jeannette
-
Mais la mère c’est maintenant tu parles bien.
J’avais un petit voya….
-
Manuel je m’en fous, tu comprends ? Je
veux le numéro du vieux chez lequel tu m’avais emmenée à Lambaréné
-
La mère je n’ai plus jamais eu de ses news. Et
puis Lambaréné est loin hein
-
Manuel ne joues pas avec moi tu
comprends ? la vie de mon mari est en danger. Donc débrouilles toi mais
retrouves moi ce vieil homme. Si jamais la saloperie que vous m’avez donné pour
l’empoisonner le tue, considères toi comme mort
-
Oooh ! ma part quoi dedans ? c’est
toi qui m’as demandé le service. C’est toi-même qui as fait ton choix le
jour-là. N’est-ce pas le vieux t’avait dit que c’était dangereux et que tu
pouvais laisser ? maintenant tu m’accuses ?
-
Ce n’est pas mon problème. Je dirai que vous
étiez complices. Sinon pourquoi l’antidote ne marche pas ?
C’est
alors que la porte claque violemment dans mon dos. Avant même de me retourner
je sais que c’est Alban et qu’il a tout entendu. Seigneur, ma vie est finie.
-
Donc tout ce temps c’était toi qui
m’empoisonnais ? qui essayait de me tuer ? Caro ?
Il a
tout entendu…Il a tout entendu… Il a tout entendu… Il faut que je réagisse vite
parce que si jamais cette histoire parvient aux oreilles de ma belle-famille je
suis foutue, je perdrai tout.
-
Tu ne réponds pas ? ou bien tu réfléchis à
comment m’embobiner ? comment me faire croire que j’ai mal entendu ?
eh bien ne te fatigue pas j’ai très bien entendu
Devrais-je
pleurer ? crier ? en général les pleurs attendrissent Alban. Sauf
qu’en trente ans de mariage je n’avais jamais essayé de l’empoisonner. Si je
crie je vais empirer les choses. Seigneur… je le vois s’approcher de moi et se
mettre à me secouer violemment pour me sortir de mon mutisme
-
Tu vas me répondre Caroline. J’exige une
réponse. A qui tu parlais pour commencer ? ton amant ? c’est qui ce
Manuel ? c’est pour te remarier que tu veux me tuer ? donc toutes ces
années ensemble ne valent rien à tes yeux ? pour une histoire de cul tu
veux me tuer ? comme un vulgaire imbécile ?
-
Toutes ces années à tes yeux valaient-elles
quelque chose lorsque tu as décidé de donner notre argent en héritage à ta pute
et ses enfants ?
Il me relâche sur le coup en
me regardant comme s’il me voyait pour la première fois.
-
Pourquoi tu es surpris ? tu pensais que je
ne le saurais jamais ? ou que je l’apprendrais comme une pauvre idiote le
jour de la lecture du testament ? ou peut-être à tes funérailles lorsqu’avec
la bénédiction de ta famille, elle serait venue me narguer à tes
funérailles ?
-
Tu te drogues Caro ? parce que sinon je ne
comprends pas les conneries que tu me sors. Donc parce que tu as un amant, tu
m’inventes une maîtresse pour justifier tes conneries ? et tu crois que je
vais avaler ça ? donc c’est à plus de soixante ans que je vais prendre une
deuxième femme ?
-
N’essaies pas de m’embrouiller tu
comprends ? ne tentes même pas !
Nous
sommes à ce moment interrompus par des coups frappés à notre porte. Avant que
je ne puisse réagir, Alban me dépasse en ouvrant violemment la porte et en
hurlant presque sur la domestique.
-
Quoi ?
-
Il y a mami Gisèle en bas qui vous cherche
-
Qu’elle attende (se tournant vers moi en
claquant à nouveau la porte) ne t’imagine pas un seul instant que je sortirai
de cette chambre avant d’avoir tiré cette affaire au clair.
-
Oui j’ai essayé de t’empoisonner mais je n’ai
jamais voulu te tuer. Jamais. Dieu m’en est témoin
-
Dieu ? tu as le culot d’invoquer
Dieu ? toi qui as fait vœu de
chérir et protéger l’homme que tu as épousé et qui manigance avec
ton amant pour le tuer ?
-
C’est toi qui as commencé en ayant non
seulement une maîtresse, mais aussi des enfants. Et pour finir tu oses les
coucher sur ton testament ? leur donner le fruit de mon labeur ?
-
Mon Dieu ! à quel moment de notre vie
es-tu devenue aussi cupide ?
-
C’est toi qui vois la cupidité dans le fait de
protéger mes biens et ceux de mes enfants. Je ne vole pas quelqu’un. C’est à
moi. C’est ta pute et toi qui me volez. C’est vous les cupides qui devriez
avoir honte
-
Tu vas arrêter avec tes bêtises à la fin ?
pute, pute, pute ! tu n’as que ce mot à la bouche.
-
Tu sais que je dis la vérité. Je l’ai lu noir
sur blanc dans ton testament que tu léguais tes biens immobiliers à Lyon à
Dominique Guerin et vos enfants !
-
Quoi ???
-
Arrête de faire semblant, arrête de me prendre
pour une idiote ! si tu n’avais pas caché ce testament je te l’aurais
brandit sous le nez
-
Tu as voulu ruiner notre vie pour une histoire
qui n’existe même pas ? Après trente ans de mariage, tout ce que tu
trouves à faire après avoir lu un document que tu n’aurais même jamais dû
ouvrir, c’est de te comporter comme une adolescente écervelée, aveuglée par la
jalousie ? comme une petite fille qui est à sa première relation amoureuse
et que la jalousie enivre ? Dominique Guerin n’est que le vrai nom de
Nico. Ou du moins c’est lui que le notaire mentionnait ainsi. Il aurait dû
écrire Domenico mais s’est trompé en mettant Dominique. Raison pour laquelle je
lui avais renvoyé le testament. Si tu avais pris la peine de discuter avec moi,
tu l’aurais su.
-
(le cœur battant) ne me prend pas pour une
idiote. Nico n’a pas d’enfants.
-
Il ne le savait juste pas. Il l’a appris il y a
peu lorsque la mère est décédée et que les enfants ont découvert son existence
et son adresse dans son journal intime.
-
(me raccrochant de toutes mes forces au fait
que je n’avais pas pu être si idiote) Qui me dit que c’est vrai ? que tu
n’essaies pas de me mentir ? qui me dit que ces enfants ne sont pas les
tiens ? parce que Nico c’est ton toutou qui te mange dans la main depuis
qu’il vit à tes crochets après avoir dilapidé son argent et gaspillé sa vie. Il
accepterait cent fois la paternité de ces enfants si tu le lui demandais
-
Comment oses-tu être aussi méprisante quand toi
tu complotes avec un autre homme pour tuer ton mari ? Nico est peut-être
un alcolo qui a gâché sa vie mais lui au moins est loyal. Qu’en est-il de toi
Caro ? pour un immeuble qui n’est même pas le dixième de nos biens ?
et après tout ce que je te dis tu..
-
(l’interrompant) J’ai pensé que tu le donnais à
ta maîtresse. Et je dis bien que mon intention n’a jamais été de tuer…
-
Tu n’as rien écouté de ce que je dis n’est-ce
pas ? tout ce qui te vient à l’esprit c’est argent, biens, testament…
c’est tout ce qui t’intéresse. Et ton amant, on en parle ?
-
Manuel n’est pas mon amant
-
Et je suis censé te croire ? quand après
toutes ces années tu as eu le culot de me sortir tout ce que tu viens de me
sortir au sujet de ma ‘’maîtresse’’, « ma pute ». malgré toutes mes
explications ? je dois croire que celui qui te montre le chemin pour
m’empoisonner n’est pas ton amant ? juste parce que tu le dis ? c’est
Gisèle, Martine et maman qui avaient raison à ton sujet depuis le début. Quand
je pense que toutes ses années je n’ai jamais songé à me protéger de toi. J’ai
mis ma vie entre tes mains Caro, ma vie ! Mais je vais mettre fin à tout
ça dès maintenant.
A ces
mots je bondis du lit sur lequel j’étais assise depuis qu’il m’avait dit que je
m’étais gâché la vie pour une stupide erreur de frappe. A aucun moment je
n’avais fait le lien entre Nico et Dominique. Je n’avais même pas tenu compte du
nom de famille. J’étais tellement en colère ! Mais quoi qu’il arrive, je
ne dois pas le laisser en parler avec Gisèle. Je suis foutue si cette histoire
parvient à ses oreilles. Toute leur vie sa sœur et elle ont œuvré pour me virer
de ce mariage ou à défaut me donner une coépouse. La laisser entendre cette
histoire c’est mettre fin à ma vie.
-
Tu ne peux pas mêler Gisèle à nos problèmes de
couple Alban, je t’en prie. (m’agenouillant). Je t’en supplie. Je reconnais que
j’ai été stupide, que mon acte est impardonnable. Mais je t’en supplie, Alban
djalé (pardon) ne laisse pas la colère te faire commettre l’irréparable.
Pense à nos enfants…
-
Couple ? si tu nous avais considérés comme
tel tu serais venue me parler après avoir lu mon testament. Ou mieux, tu
m’aurais fait confiance sur mes choix pour notre famille en ne le lisant même
pas. Nous n’en serions pas là aujourd’hui.
Il
dégage sa jambe que je tenais de mes mains et sors en trombe de notre chambre.
Pour moi, la porte qui claque sonne le glas de mon mariage. Je me relève
péniblement en m’asseyant sur mon lit pour attendre la fin.
Manuel
M’BA
-
MM c’est comment et tu attaches la mine comme
ça ?
-
Frère laisse, c’est une vieille qui me fatigue
là
-
Fatiguer ? si elle as les sous sers lui le
mamba et encaisse tes jetons. Le problème est où ?
-
Toi tu es un obsédé hein ! qui te parle
même de ce genre de ways ?
-
Et c’est quel way alors ?
-
L’autre là…
-
Quel ? aaaahhh mon petit !!! qui est
encore tombé dedans ?
-
Ah c’est là le problème hein
-
Comment encore ?
-
C’est la sœur de Ma Jeannette
-
Quoi ? mais ça ne va pas dans ta tête
non ? la mère du grand ? tu veux qu’il nous finisse dans le quartier
ci ?
-
Qu’il va faire quoi ? qui va lui
dire ? toi ?
-
Imagine que sa tante le dise à sa sœur et que
ça parvienne à ses oreilles ? je suis même très sûre que ça parviendra à
ses oreilles. Qu’est ce qui t’as pris toi aussi
-
J’étais moi tranquillement assis au bord du
terrain quand la vieille passait. Elle m’a reconnu comme des fois Ma Jeannette
m’envoie leur faire les commissions. Donc je l’ai salué et c’est là qu’elle me
demande comme ça si je ne connais pas comment aller chez les pygmées. Moi j’ai
dit non oh. Elle a insisté. Qu’elle veut un élément de confiance, que même à sa
sœur je ne dois pas dire. J’ai encore refusé. Elle a dit qu’elle va me payer.
Toi aussi, qui n’aime pas l’argent ?
-
Voilà donc où l’argent t’a conduit. Au lieu de
l’emmener chez les Pygmées, tu l’as emmenée chez Abou
-
Je l’ai emmenée chez les vrais pygmées d’abord.
Avec l’avance qu’elle m’a donnée j’ai cherché les vrais coins. Mais chaque fois
qu’on sortait elle me disait que non c’était pas le bon. Gars, à un moment
j’étais fatigué. La vieille-ci même elle est trop compliquée aussi. C’est là je
lui ai dit allons doc chez Abou. Lui, c’est pas un pygmée mais un vrai marabout
sénégalais. J’ai appelé Abou pour qu’il apprête le scenario et tout. La vieille
est riche hein. Elle lui a compté cinq cent mille cash. Abou a dit satisfait ou
remboursé. Moi-même j’étais convaincu
-
Ça c’est sûr. Je connais la force de frappe du
vieux. Mais qu’est-ce qu’il lui a donné ?
-
C’est là où c’est compliqué man. Je ne sais
pas. Sûrement rien de sérieux parce qu’elle hésitait tellement qu’on était sûr
qu’elle n’allait jamais utiliser ça donc il n’y aurait pas de problèmes
-
Après avoir lâché cinq cent mille ?
-
Mais elle est riche, elle dépasse ça
-
Et pourquoi tu t’inquiètes alors ?
-
Ah man, ça a cuit. La vielle dit qu’on a
empoisonné son mari et que s’il meurt elle nous fera la peau
-
Merde ! mais appelle Abou, c’est
comment ?
-
Il est parti au Sénégal en vacances. Tu sais
bien qu’il doit disparaître de temps en temps quand ça devient trop chaud
-
Ah MM du courage hein. J’espère que le grand
n’entendra pas cette histoire
-
Le lieutenant Roseric ? putain, il ne va
jamais nous pardonner ça. On va finir notre vie en prison
-
Surtout que la vieille te connait. Parce que je
suis sûre qu’elle n’aurait pas reconnu le chemin. Vous étiez où cette
fois ?
-
Lambaréné
-
Croisons les doigts. Le dieu des businessmen
veille sur nous
-
Amen Man, amen !