XXI

Ecrit par Les petits papiers de M

XXI

Philo

J’abandonne, je baisse les armes. Ça fait une éternité que cette histoire dure et si quelqu’un peut y mettre fin, c’est bien moi-même. J’ai essayé pendant tous ces mois d’appliquer les conseils de Ma Caro. De la colère au mépris et à l’indifférence la plus totale, rien n’a réellement ébranlé Romain. Nous n’avons fait que nous enfoncer dans une nouvelle routine où nous ne partageons plus rien.

A la face du monde, nous sommes un couple heureux alors qu’entre nous et au plus profond de nos cœurs, brûle le feu de la haine. En repensant aux conseils de ma mère le jour de mon mariage, je m’aperçois qu’il faut que je ravale ma rancœur. Haïr demande bien trop d’efforts. Cela n’est pas dans ma nature, mais je dois m’abstenir de rire lorsqu’il fait une blague, me retenir de l’enlacer ou de lui sourire lorsqu’il rentre ou encore l’ignorer alors que je meurs d’envie de lui parler. Et tout ça pourquoi ? Je ne le sais même plus vraiment.

J’ai décidé de mettre fin à tout cela et d’arrêter d’être la femme insensée qui détruit sa maison. Toute la journée, j’ai réfléchi à ce que je lui dirai une fois qu’il sera rentré. Mais quand je l’ai vu ce soir-là j’ai eu le cœur qui battait si fort que je le ressentais dans mes tempes. Malgré moi, la colère a repris le dessus et je me suis tue jusqu’à la fin du diner. Je l’ai regardé discuter avec sa mère et les enfants sans intervenir. A la fin j’ai donné les consignes aux domestiques pendant qu’il revoyait les devoirs des enfants et je suis montée dans notre chambre. Je l’ai vu rentrer, prendre sa douche, puis s’asseoir près de moi dans notre lit. J’aurais voulu lui parler, mais il s’est mis à rigoler à ses messages sur son téléphone tout en m’ignorant, ce qui a attisé ma colère.

Le lendemain, j’avais le cœur si lourd que je suis rentrée plus tôt en m’enfermant dans ma chambre pour laisser libre cours à ma peine devant Dieu.

   

Romain

Ça fait quelques jours que je me sens mal. J’ai constamment mal à la tête, j’ai des sueurs froides et j’ai mal dans le corps comme si quelqu’un m’avait pilé dans mon sommeil. En plein milieu de l’après-midi, je ne tenais juste plus devant mon ordi, alors je suis rentré chez moi. J’avais un rendez-vous de prévu avec Mr Nkoué mais je reporterai ça plus tard.

Dès que j’ai franchi les portes de l’immeuble, j’ai eu l’impression d’avoir un marteau dans le crâne tant le soleil m’agressait les yeux. Conduire jusqu’à la maison aurait été un supplice n’eût été la climatisation de la voiture. J’ai été surpris en garant de voir la voiture de Philo dans le garage. Depuis que Bella ne l’aide plus dans ses affaires, elle rentre tard.

La maison était vide. Les domestiques au marché, maman sûrement endormie ou chez Bella. Je n’ai trouvé nulle trace de Philo en bas. C’est en approchant de notre chambre que j’ai entendu de gros sanglots. J’ai été tenté de me retourner parce que depuis tout ce temps nos relations sont passées de tendues à inexistantes. Je n’avais pas envie d’en rajouter une couche. Mais je ne me voyais ni retourner au cabinet, ni aller au boulot ou chez Bella. La seule idée de devoir reprendre le volant m’a décidé à braver la potentielle mauvaise humeur de Philo. J’ai doucement tourné la poignée de la porte pour tomber sur un spectacle qui m’a laissé bouche bée. Philo était assise à même le sol devant l’oratoire de notre chambre, les cheveux défaits et les yeux bouffis à force d’avoir trop pleuré certainement. Je me suis précipité vers elle en refermant la porte derrière moi.

-         Quelqu’un est mort ?

Elle a juste posé un regard rempli de larmes sur moi avant de se détourner et de continuer à pleurer. J’ai tiré un des poufs de notre chambre et je me suis assis parce que ça cognait vraiment fort dans ma tête. Et ses sanglots n’arrangeaient rien.

-         Je pleure à cause de toi Ro. Tu es content ? tu es fier de toi quand tu me vois ainsi ? (se tapant la poitrine) j’ai mal là, tellement mal que c’est comme si tu m’avais enfoncé un couteau dans le cœur. Le couteau de la haine. Tu es fier de toi ? (hurlant) réponds moi !

Je ne me souviens pas l’avoir vue aussi enragée depuis que nous sommes mariés. Qu’est-ce que j’ai bien pu faire ? Elle a découvert que j’entretenais une relation avec Bella ? Cette seule idée a suffi à accélérer mon rythme cardiaque.

-         Tu as perdu ta langue ? ou tu te demandes ce que tu as bien pu faire pour me mettre dans cet état. J’aimerais tellement pouvoir te haïr en ce moment. J’aimerais pouvoir faire comme ces femmes dont on parle dans les journaux qui étripent leurs maris parce qu’ils les ont trompées. Mais au lieu de ça, je dois m’user les genoux pour prier pour toi. Parce que je suis une pauvre chrétienne qui ne sait pas haïr et une stupide femme amoureuse à qui son mari manque malgré tout. Qu’est-ce que j’ai fait à Dieu pour mériter un cœur aussi mou ? pourquoi vous les hommes avez tous les droits ? pourquoi doit-on tout vous pardonner ? vous ne savez pas que ça fait mal ? vous ne savez pas que vos trahisons nous brûlent le cœur ? et malgré ça à cause de la pression de la société nous devons nous taire et pardonner ? jusqu’à quand ?

-         Philo, je suis désolé, je…

-         Pourquoi veux-tu faire semblant Romain ? tu as eu tous ces mois où tu m’as vue être en colère contre toi, puis indifférente. A aucun moment tu n’as fait le moindre pas vers moi. Pourtant tu te savais en faute

-         Tu ne m’as jamais donné l’occasion de m’expliquer. Tu m’as tout de suite accusé et cloué au poteau

-         Vraiment ? pourtant tu as dormi dans le même lit que moi, mangé à ma table et même si c’était sur un ton de colère tu as bien trouvé le moyen de me parler quand cela t’arrangeait. Laisse-moi te dire que tu n’es qu’un lâche Romain. J’aurais mille fois préféré apprendre que tu avais une maîtresse en ville plutôt que de te voir forcer une fille que tu as pratiquement élevée. Comment as-tu pu ? et je suis censée te pardonner et continuer de vivre à tes côtés ?

Qu’est-ce que je pouvais répondre à cela ? Comment pourrais-je lui expliquer que je n’ai jamais forcé Bella ? Qu’est-ce que je pourrais-je dire sans pour autant définitivement condamner mon couple ? Rien. Je n’ai pas d’autre choix que d’accepter sa colère et de prendre toute la responsabilité de ce qui s’est passé entre nous. Elle souffre déjà assez pour que j’en rajoute en lui disant la vérité.

-         Philo, j’aimerais pouvoir trouver les mots justes pour apaiser ta douleur et me faire pardonner. Mais je suis conscient qu’aucun de mes mots ne changera rien à ce qui s’est passé. Je pense que c’est juste la preuve qu’en chacun de nous il y a une part de mauvais qui ne demande qu’à émerger lorsque nous lui en donnons l’occasion en faisant preuve de faiblesse. Quoi que je dise ou fasse, le mal est fait. Je suis totalement impardonnable pour avoir jeté mon dévolu sur Bella. C’est honteux à un point que je n’ose même pas évoquer les détails ici devant toi. Je sais à quel point (me mettant à genoux devant elle), je sais à quel point je suis indigne de ton pardon. Mais je te demande pardon Philo. Si je connaissais un mot plus fort, je l’emploierais. Si je me suis tu tout ce temps, ce n’était ni de la fierté, ni de la désinvolture, mais juste de la honte. Je te savais en colère à juste titre, je n’avais juste ni le courage, ni les mots justes pour implorer ta miséricorde. Tu as raison quand tu dis que je suis lâche. J’ai préféré me cacher plutôt que de t’affronter. Je t’en supplie Philo, mon impératrice, pardonne-moi. Nous savions en nous mariant qu’il nous arriverait d’affronter le pire. Je suis imparfait, je suis faible, l’acte que j’ai posé est immonde. Mais jusqu’à quand allons-nous nous faire souffrir pour ça ? nous avons un avenir à construire et des enfants à élever. Nous ne pouvons pas continuer dans cette atmosphère pourrie que mon péché a instaurée dans cette maison. Dis-moi ce que tu veux, tout ce que tu veux pour pouvoir passer à autre chose. Je veux te voir rire sincèrement à nouveau. Je veux pouvoir t’enlacer quand je rentre le soir et respirer ton parfum pour qu’il me fasse oublier mes problèmes. Je veux que tu me taloches avec ta spatule quand je viens piquer de la viande pendant que tu cuisines ou encore que tu me toises quand je passe leurs caprices aux enfants. Toutes ces petites choses de notre quotidien m’ont manqué. Je te demande pardon si je t’ai semblé indifférent, dans mon cœur c’était tout le contraire. Philo, pourras-tu me pardonner ?

-         Ai-je le choix Romain ? ai-je seulement le choix ?

-         On a toujours le choix Philo. Mais je t’en supplie. Je suis à genoux devant toi. Pense à nous et rien qu’à nous et trouve la force en toi

-         (essuyant ses larmes) lève-toi

Je me suis levé et je l’ai aidée à se lever à son tour. Elle a pris mes mains dans les siennes et nous a tournés vers l’oratoire.

-         Seigneur, je suis en colère. Mon cœur est amer et mon âme est dépitée. J’ai essayé autant que j’ai pu de m’en sortir. Mais parce que je ne voulais cultiver que la colère, je me suis éloignée de toi. Aujourd’hui, je reviens. Mais je ne suis pas seule. Je suis là avec mon homme à mes côtés. Ce que tu as uni Seigneur, personne ne peut le séparer. C’est pourquoi dans la tempête que nous traversons, je me tourne vers toi. Tu es amour Seigneur. Transforme-nous donc afin que nous puissions refléter cet amour. Je veux paraphraser cette prière que nous récitons habituellement.

Transforme notre haine en amour, nos offenses en pardon, notre discorde en union. Qu’au sein de notre couple, la vérité remplace l’erreur, la foi remplace le doute, et l’espérance le désespoir. Que ta lumière, Seigneur éclate dans nos vies et chasse les ténèbres de l’incompréhension et de la tristesse. Console-moi Seigneur et donne-moi la force de pardonner. (me regardant droit dans les yeux) là tout de suite, je n’ai pas la force de te pardonner, mais je te promets d’essayer. J’espère juste que tu as été sincère avec moi et que nous ne serons pas ébranlés par une autre épreuve de ce genre jusqu’à la fin de nos vies.

-         Je te le promets. Je saurai être digne de ton pardon

-         C’est tout ce que je souhaite. Je vais me débarbouiller et descendre préparer le diner. Sinon, pourquoi tu es rentré si tôt aujourd’hui ?

-         J’ai d’affreux maux de tête. Il m’était juste impossible de travailler

-         Ok. change-toi et couche-toi. Je vais t’apporter du doliprane

 

Quelques minutes plus tard elle remontait avec un petit plateau sur lequel elle avait mis le doliprane, une tisane et un sandwich. J’ai avalé tout ça et après une sieste d’une heure, j’étais de nouveau d’aplomb. En prenant mon téléphone, j’ai vu plusieurs appels manqués de Bella, Nkoué et Rachelle. Je n’étais pas d’humeur à gérer des problèmes donc j’ai zappé.

 

Lina

C’est incroyable la façon dont le pouvoir et l’argent changent les gens. Quand je me souviens de la Bella que j’ai connue et que je la compare à la jeune femme hautaine et prétentieuse que j’ai devant moi, je suis toujours sous le choc. Cette nouvelle version me sort par les pores. C’est pourquoi j’ai décidé de la dénoncer en disant toute la vérité à Rachelle, quitte à perdre ma place au Boulot. De toute façon, il y a longtemps que je n’en ai plus besoin pour vivre. Ma maison est construite, je vais y emménager avec ma mère. J’ai ma boutique qui marche bien. Et si cela capotait un jour, j’ai toujours un master qui me permettra de chercher un emploi et une partie de ma maison avec des appartements à louer qui me permettra de survivre.

Il n’y a que la colère et la déception de Rachelle que je dois supporter. Mais c’est peu de choses à côté de la joie que j’éprouverai à faire virer cette peste prétentieuse. En sortant de l’ascenseur, je suis justement tombée sur elle. Elle semblait revenir du bureau de Rachelle. Elle a fait exprès de me cogner et a voulu continuer son chemin mais je lui ai attrapé le bras pour la retenir.

-         Tu as toujours besoin de provoquer les gens pour te sentir exister ou bien Bella ?

-         Ne me confonds pas avec toi maman. Toi tu es qui pour que quelqu’un veuilles exister à tes yeux ?

-         Hum Bella, Bella, Bella… tout ça c’est moi-même

-         Si je t’avais gardé à ta place de petite masseuse, on n’en serait pas là aujourd’hui. Te rends-tu au moins compte de ce que tu fais ? Tu te mets tout le monde à dos. Cela ne te fait rien ? Tu te sens réellement épanouie de cette façon ?

-         Le lion marche seul tandis que les moutons sont en troupeau. Il faut savoir apprécier la qualité et non le nombre et surtout il vaut mieux être seul que mal accompagné

-         Et je suppose que c’est moi la mauvaise compagnie ? waoh

-         Honnêtement, je ne vois pas ce que tu me reproches. Tu voulais que je mette le grappin sur un gros morceau, tu as même passé des semaines à me former pour ça

-         Sauf que cet homme sur lequel tu as jeté ton dévolu est quasiment ton père

-         Bref, je n’ai pas de temps à consacrer aux conneries. A bientôt

Elle m’a plantée là et s’est dirigée vers son bureau tandis que j’entrais dans celui de Rachelle. J’aurais au moins essayé une dernière fois de lui faire entendre raison. Une fois assise, nous avons discuté de différents détails concernant le boulot avant que je ne me décide à faire le grand saut.

-         Rachelle, je dois t’avouer quelque chose

-         Tu m’as l’air bien sérieux tout à coup. Qu’est ce qui ne va pas ?

-         Je suis à la base de la situation que nous traversons en ce moment avec Bella et le Padre

-         (renfrognant la mine) tu savais qu’elle a utilisé quelque chose pour se l’attacher et tu m’as menti ?

-         (baissant la tête) oui. Et c’est moi qui le lui ai donné. C’était un colle-cœur

Elle m’a regardé avec un air choqué pendant de longues minutes.

-         Je suis très déçue. Tu connais les règles mieux que personne dans cette boîte et tu es censée en être la garante quand je ne suis pas là. D’un autre côté, tu ne manques de rien. Alors, ce que j’ai besoin de comprendre là, ce sont tes motivations. Pourquoi tu me trahirais pour une fille que tu as ramassée dans un salon de massage après tout ce que j’ai fait pour toi

-         Rachelle, saches que je regrette sincèrement l’ampleur qu’a pris cette histoire. avec le recul, mes motivations d’alors me semblent maintenant si vaines. Je pense que je ne suis pas la seule à m’être trompée sur la réelle personnalité de Bella. Je l’ai connue alors qu’elle était encore innocente et insouciante et je lui ai tout appris. J’ai fini par la considérer comme ma pupille et j’ai voulu l’élever comme tu l’as fait pour moi. Je trouvais que le Boulot n’était pas un milieu adapté pour elle. Alors, en voyant que c’était Leroy que je savais extrêmement généreux qui avait remporté les enchères, j’ai décidé de lui donner le colle-cœur. L’idée était de le fidéliser quelques mois et avec l’argent qu’elle aurait obtenu, quitter le boulot et refaire sa vie. Mais rien ne s’est passé comme prévu. Le Padre a décidé de passer la nuit avec elle et elle est parvenue à lui faire retirer le préservatif. J’ai tout fait pour la convaincre d’arrêter d’utiliser le colle cœur, en particulier lorsqu’elle a su que c’était le mari de sa patronne, mais elle n’a rien voulu savoir.

-         Je devrais te mettre à la porte sur le champ pour ce que tu as fait. Regarde les terribles répercussions que ton geste a eues. Lilly est-elle mêlée à cela ?

-         Non ! personne n’en a jamais rien su.

-         Et pourquoi viens-tu me le raconter maintenant ?

-         Pour que tu dises la vérité au Padre et qu’il se libère de son emprise

-         Tu penses vraiment qu’il est encore là à cause de l’effet d’un quelconque enchantement ? j’en doute. Il a eu le temps de développer une réelle relation avec elle. S’il est prêt à mettre son foyer en péril pour elle, je pense que c’est du sérieux

-         Elle le manipule Rachelle. Cette petite est une arriviste

-         Et lui, un adulte qui peut faire ses propres choix. Ce n’est pas mon rôle de me mêler de ses histoires de cul comme il me l’a lui-même bien fait comprendre

-         Même si cela menace tes intérêts ?

-         En quoi cela pourrait-il les menacer ?

-         Elle travaille déjà ici. Qu’arriverait-il s’il décidait de lui donner plus de pouvoir ?

-         Ce n’est pas possible. Elle n’est que son assistante et elle a beau faire sa folle dans la boîte, elle connait ses limites

-         Je n’en suis pas si sûre.

J’ai sorti mon téléphone en lui montrant des photos que j’avais prises une heure plus tôt.

-         (stupéfaite) qu’est-ce que c’est ? d’où tiens-tu ça

-         J’ai croisé Mr Nkoué qui cherchait désespérément le Padre ce matin. Et puisque son assistante faisait sa belle au lieu de décrocher son téléphone, je l’ai fait patienter dans le carré vip en bas. Il a sorti ces documents et les a laissés un instant pour aller aux toilettes. J’ai jeté un coup d’œil par pure curiosité et j’ai fait la même tête que toi. C’est pourquoi après mûre réflexion, je suis venue te voir.

Sans rien ajouter, elle a pris son téléphone et a tenté plusieurs fois de joindre le Padre. Il n’a pas répondu.

-         (très remontée) ça ne va pas se passer comme ça.

 

Bella

Je me demande où est passé Romain. Il ne m’a parlé ni de voyage, ni d’une réunion importante. Je ne comprends donc pas pourquoi il est injoignable depuis cet après-midi. Il ne répond ni aux appels, ni aux messages. Lasse de l’attendre, j’ai déposé l’enveloppe que m’a laissée son notaire avec un mot dessus. C’est vendredi aujourd’hui et il faut que je rentre tôt, sinon je vais devoir me taper les embouteillages même si ce n’est pas sur une grande distance.

Avec ce qui m’arrive ces jours-ci, je supporte de plus en plus mal les trajets à moto. Une fois rentrée chez moi, je me suis précipitée dans la douche pour retirer mes sous-vêtements et les immondes couches que j’avais à l’intérieur. C’est en pleurant que j’ai pu faire pipi avant de m’écrouler en larmes sur les carreaux. Je n’en peux plus de cette douleur, de ces odeurs et de ces pertes insupportables.

J’ai échangé plusieurs fois avec la dame qui m’a vendu les produits. Elle m’a promis que c’étaient des effets secondaires normaux et qu’ils s’estomperaient rapidement. Une semaine plus tard, ma situation avait plutôt empiré. Je lui ai à nouveau écrit. Et cette fois elle m’a envoyé cette mixture verte que je n’aurais jamais dû utiliser. J’étais si en colère en voyant l’état de ma vulve à mon réveil que je l’avais vertement tancée au téléphone. Résultat : elle m’avait blacklistée et il m’était désormais impossible de la joindre. J’ai tellement honte de me rendre à l’hôpital et d’expliquer comment j’ai fini dans cette situation. Le seul médecin que je connais, c’est celui du Boulot. Et je n’ai aucune envie d’aller m’exposer là-bas.

J’ai serré les dents tout le weekend en faisant des bains de siège avec du bicarbonate pour limiter les démangeaisons. Mais mon odeur était insupportable toute ma vulve était enflée et rouge et pleine de boutons et le pire restait mes pertes d’une couleur indéfinissable. Le dimanche soir, prise de panique, je me suis mise à appeler Romain, puis sa mère, mais aucun des deux ne décrochait. Je déteste cette manie qu’il a de disparaître quand on a urgemment besoin de lui. Il s’est certainement réconcilié avec Philo. Et à cause du plaisir que je tenais à lui donner, je me retrouve dans la merde. J’ai pris mon téléphone en lui envoyant un message bien salé avant de me résoudre à me rendre à l’hôpital de zone de Calavi. A priori, je ne risque pas d’y rencontrer une connaissance.

 

Philo

Ces trois derniers jours ont été les plus mouvementés que j’ai eu depuis un long moment. Dans la nuit du vendredi, nous avons dû nous rendre précipitamment à l’hôpital à cause de l’état de Romain : plus de quarante de fièvre, mais surtout il délirait. Résultat des analyses : typhoïde. Je me demande bien où il a été chercher ça. Ajoutée à la fatigue, il en avait pour une bonne semaine alité. Pour plus de confort, je l’ai fait transférer dans notre clinique. Je serai plus tranquille avec l’expertise d’Isabelle. Etant donné que nous étions partis dans la précipitation, une fois qu’il a été pris en charge, je suis rentrée à la maison lui préparer un sac et prendre aussi quelques affaires pour moi afin de passer la nuit avec lui.

Ma Caro n’étant pas à la maison, j’ai expliqué aux enfants que leur père était hospitalisé, mais que ce n’était rien de grave. Demain après leurs activités du samedi, ils pourront lui rendre visite. J’ai appelé Vaïk pour l’informer et pris le téléphone de Romain qui n’arrêtait pas de sonner. Qui peut bien avoir un besoin aussi urgent de lui à pareille heure ?

A mon arrivée dans sa chambre, il était dans un profond sommeil. Après avoir discuté avec le médecin de garde, j’ai fermé la chambre avant de prendre une douche et de m’étendre dans le lit à côté du sien. Après une heure de lecture et de prière, j’ai essayé en vain de m’endormir. La cause était simple. Le téléphone de Romain n’arrêtait pas. J’aurais pu le mettre sur silencieux mais la curiosité a été plus forte que moi. Serait-ce cette personne avec qui il échangeait tous ces mois dans notre lit alors qu’il m’ignorait ? Après m’être assurée qu’il était bien endormi, j’ai passé chacun de ses doigts sur le capteur d’empreinte de son téléphone jusqu’à ce que son index gauche le déverrouille. Il y avait tout un tas de messages dans son whatsapp. Au départ je voulais juste avoir un aperçu de ses messages depuis la barre défilante. Mais après avoir vu que la plupart venait d’une « sweety », mon cœur s’est mis à battre la chamade. Il y avait donc bien une femme tout ce temps ?

@Sweety : hey le Padre ! j’ai laissé une enveloppe sur ton bureau vu que j’ai pas de tes news depuis le matin. Bisous

@Sweety : tu pourrais prendre la peine de me lire à défaut de répondre à mes appels

C’est vrai qu’il y avait quand même une bonne quinzaine d’appels manqués sur son téléphone. Étaient-ils tous d’elle ? Qui est-elle ? À ma connaissance Romain a un assistant au cabinet. Bref, continuons.

@Sweety : quelle est cette manie que tu as d’être toujours absent quand j’ai besoin de toi ? Deux jours ! Deux jours que tu ne donnes pas de nouvelles Ro. Mais tu te prends pour qui ? Tu es retourné entre les cuisses de ta femme n’est-ce pas ? Donc c’est moi Bella que ta mère et toi voulez jeter après avoir utilisé ? Tu as menti. Si tu ne donnes pas très vite de tes nouvelles, tu vas me sentir. Tu ne m’ignores pas.

En lisant Bella, mon sang n’a fait qu’un tour. Bella ? La même ? Je refuse de croire que c’est ce à quoi je pense. Mon cœur bat à 100 à l’heure lorsque je clique sur la photo de profil et reconnais la frimousse innocente de la vipère que j’ai chérie et élevée durant toutes ces années. Je n’arrive tellement pas à y croire que je compare encore et encore ce numéro de téléphone à celui enregistré sur mon téléphone.

Ce n’est que de longues minutes plus tard que je réalise que ma vue est brouillée par les larmes. C’est d’un geste rageur que je les essuie et remonte dans leurs messages pour découvrir avec horreur l’ampleur du complot contre moi. Comment ont-ils osé ? Quand je pense que j’ai pris le parti de cette fille en croyant que c’est Romain qui abusait d’elle alors qu’en réalité elle était consentante. Et depuis tout ce temps, ils entretenaient une relation.

J'ai le cœur qui brûle alors que des larmes silencieuses coulent le long de mes joues. Je n'ose pas éclater en sanglots de peur de le réveiller. S'il pouvait même ne plus se réveiller. N'eut été mes enfants, je crois que je l'aurais étouffé là, tout de suite dans son sommeil. Mais vaut-il même la peine que je me salisse les mains ?

 

Plus j'en lis et plus je suis écœurée. Leurs messages vont du banal au lubrique comme s'ils avaient été amants toute leur vie. A quel moment Bella est-elle devenue une femme aussi délurée et perverse ? Même si Romain ne représentait pas une figure paternelle pour elle, comment a-t-elle pu être aussi déloyale à mon égard? Et quel est ce boulot qui revient constamment dans leurs conversations ?

 

Lasse de lire des conneries et de voir les nudes dont Bella a généreusement gratifié Romain, je sors de leur discussion pour ouvrir celle de Caro et Romain. Si je n'étais pas déjà suffisamment abattue par la précédente découverte, j'aurais pu dire que c'était le coup de grâce. Ma belle-mère n'est pas très portée sur les messages. N'ayant pas mes écouteurs, c'est sur la cuvette des toilettes que je vais écouter une dizaine de voice notes où elle encourage sa relation avec Bella lui mettant même la pression pour lui offrir du confort parce que de toute façon je ne m'intéressais plus à lui.

 

Waouh ! Comment ai-je pu être si aveugle ? Durant tous ces mois où je souffrais, j'ai cru trouver en cette femme une épaule sur laquelle me reposer avec confiance alors qu'elle était celle qui attisait le feu pour consumer mon mariage ? Seigneur, pourquoi moi ? Qu'ai-je fait pour mériter tant de mépris ?

 Alors que j'allais rejoindre la chambre, il reçoit un message de Queenie. Ce nom étant revenu à plusieurs reprises dans ses conversations avec Bella, j'ouvre ce message pour voir de quoi il s'agit.

@Queenie: tu pensais que je ne l'apprendrais jamais ? Jusque-là je suis restée à ma place sans jamais interférer dans ta vie. Mais ce que tu t'apprêtes à faire n'arrivera jamais. Je sais que tu me lis Romain. Si à mon réveil, je n'ai pas un message ou un appel m'annonçant que tu laisses tout tomber, ta femme sera au courant de tout. Et quand je dis tout, c'est TOUT. Bella et le boulot. A toi de voir si le cul de cette pimbêche est plus important que l'investissement que tu mets dans le boulot depuis plus de dix ans.

 

Encore le Boulot ? Après quelques minutes de réflexion, je me souviens être allée à ce restaurant quand je cherchais Bella. Romain serait-il propriétaire de cet endroit ? Et pourquoi me l’a-t-il caché ? Avec qui suis-je en train de partager ma vie depuis tout ce temps ? 

Histoires de famille