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Write by lpbk
Enfermée depuis plus d’une heure, nous étions baignés dans cette
ambiance particulière, annonciatrice de l’arrivée de l’hiver. Il n’était que
dix-sept heures et pourtant, la nuit s’installait déjà derrière la grande
fenêtre de mon bureau. Alors que ma cliente, heureuse copropriétaire d’un
restaurant africain niché en plein cœur de Paris m’entretenaient sur le contenu
de leur prochaine carte, je ne songeais qu’aux presque mille euros que l’on
venait de prélever sur le compte joint que je partageais avec Héritier, mon
fiancé. En effet, quelques semaines auparavant, il était rentré avec la voiture
dans un lampadaire. Il rentrait d’un afte-rwork. Si j’étais contente qu’il n’ait
eu que quelques égratignures, je lui en voulais une fois de ne pas faire plus
souvent attention. Je ne savais plus combien d’accident de ce genre il avait
occasionné. Je ne comptais plus les euros dépensé entre les réparations des
dégâts occasionnés, les amendes et les frais d’assurances. Il faut dire que
depuis bientôt un an, l’argent était devenu l’un des principaux sujets de nos
disputes puisque Héritier en dépensait plus qu’il n’en rapportait reléguant ainsi
les projets que nous avions au second plan. Malgré ce souci, il me fallait
revenir à la réalité car pour l’heure la restauratrice avait besoin de moi.
En voyage aux Etats-Unis, le frère aîné de Mélody Ayité n’avait pas pu
participer à cette première rencontre. Néanmoins, la jeune femme se montra
enthousiaste et forte curieuse. Elle me posa de nombreuses questions sur mon métier
de graphiste, s’intéressa aux différents projets que j’avais réalisés avant de
se focaliser sur ce que je pourrais leur apporter. Elle m’expliqua également
que pour les fêtes de fin d’année, ils avaient entièrement repensé la
décoration espérant cette fois-ci que l’adresse trouverait grâce aux yeux de toutes
ces personnes qui la jugeaient un peu trop chic et sélective. Ce n’est qu’après
tout ceci qu’elle me présenta leurs attentes et que je pu lui faire une
première proposition.
—
Pour la prochaine fois, votre frère et vous devriez
chacun me fournir une liste de toutes les choses merveilleuses que les mois de
décembre et de janvier vous évoquent.
Suite à cela, notre entretien ne mit plus long. Mais avant de quitter mon
bureau, je convenais avec elle de la date de notre prochaine rencontre.
Celle-ci aurait lieu au sein de leur établissement afin que je m’imprègne de
l’atmosphère du lieu. J’en profitais aussi pour suggérer la présence du
décorateur car il fallait absolument que mon travail soit en totale harmonie
avec le sien.
Après son départ, je décidais qu’il était temps pour moi de rentrer. Je
rangeais mon portable dans la petite housse bleu canard qui lui était dédiée.
C’était là un cadeau qu’un client satisfait m’avait fait après que j’eu apporté
un vent de fraîcheur et de modernité au logo de son entreprise. Je rassemblais
le reste de mes affaires sur la table d’enfiler mon gilet que je maintenais à
la taille à l’aide d’une ceinture. Le mois de novembre débutait juste,
apportant avec lui les prémices d’un hiver glacial. En effet les températures
avaient énormément chuté obligeant les parisiens à sortir des vêtements plus chauds.
J’attrapais mon sac et sortais de l’immeuble qui abritait mon petit studio de
création en entourant mon cou de mon écharpe over size. Il me fallait moins de trente
minutes à pieds pour rejoindre notre appartement. Contrairement aux mois qui
venaient de s’écouler, la rue piétonne que j’empruntais était moins fréquentée.
Je pouvais presque entendre mes talons résonner sur ces vieux pavés mouillés
qui rendaient le parcours difficile.
Les escarpins que je portais étaient un cadeau de ma sœur, Maeva. Nous
les avions repérés dans une boutique de créateur lors d’un de nos après-midi
shopping. A chaque fois que je les chaussais, je revoyais le visage émacié de
la vendeuse qui sans aucun égard nous avait fait savoir qu’ils étaient beaucoup
trop hauts et fins pour une femme de mon gabarit. Seul le docteur Joubert
aurait été du même avis qu’elle.
Lorsque j’arrivais devant notre immeuble situé en plein dans le quartier
de la Madeleine, je pris quelques secondes pour l’admirer. C’était un immeuble
haussmannien auquel les murs en pierre de taille, les moulures, les corniches
et les balcons filants donnaient du caractère et apportaient du charme. Il y
avait des avantages à vivre dans un tel immeuble mais aussi des inconvénients
dont le plus flagrant était l’absence d’ascenseur, selon Héritier.
Comme toujours l’appartement était plongé dans le noir signe qu’Héritier
n’était pas encore rentré. Je me débarrassais de mon gilet puis je me dirigeais
vers la chambre afin de revêtir une tenue plus confortable. J’apprêtais le
dîner avant de prendre une douche et de m’installer dans le canapé avec pour
seul compagnon une bouteille de rouge. Je terminais mon deuxième verre lorsque
j’entendis la porte s’ouvrir. Héritier fit son entrée dans un costume qui lui
allait impeccablement bien. Au compteur, nous totalisions cinq années de
relation, dont deux ans de fiançailles et je continuais de le trouver beau. Il
faut croire que les années et les difficultés que notre couple rencontrait
n’avaient pas réussi à venir à bout de tout l’amour que je lui portais.
Pouvais-je seulement en dire autant pour lui ? Lui qui me reprochait un nombre
incalculable de choses parmi lesquelles mon incapacité à faire un enfant. Au
début, nous avions essayé mais très vite, l’absence de résultats nous avait
éloignés. Héritier commença à passer plus de temps à son travail, n’hésitant
pas à montrer sa frustration tandis que moi, je me murais dans un silence
assourdissant. Que pouvais-je faire d’autre ?
Alors que nous partagions le dîner, ce qui était rare, il me raconta
qu’il avait eu sa mère au téléphone. Cette annonce me coupa l’appétit. La mère d’Héritier
s’était toujours montrée froide et critique à mon égard. Selon elle, si je
n’avais pas été « blanche », son fils n’aurait jamais posé les yeux
sur moi. A chaque grosse crise, j’étais envahie par le doute et j’en venais à
me demander si elle n’avait pas raison car les ex-copines d’Héritier avaient
toutes des allures de mannequins. Et moi, avec mes cent-cinq kilos, ma taille
48 et mes vergetures, je ne faisais clairement pas le poids.
—
Il parait que la fille aînée du ministre a juré de
tuer Emeraude si jamais elles se croisaient quelque part à Kinshasa. Maman a
proposé qu’elle aille à Matadi, chez monsieur Mongo, le temps que cette
histoire se calme mais il a refusé. Il a une excuse comme quoi elle ne saurait
être un exemple pour ses autres enfants. Avec tout ça, la tension de maman a
grimpé et elle a dû passer la nuit à l’hôpital. Du coup j’ai proposé
qu’Emeraude quitte le pays, ne serait-ce que pour un moment.
Je hochais la tête de temps en temps, feignant d’être intéressée par son
récit. Les femmes Mwila étaient des pestes et Emeraude en était la reine mais
la vie étant bien faite, celle-ci s’était vue éjecter du haut de sa tour
d’argile après la publication sur les réseaux sociaux de quelques-unes de ses
vidéos intimes. En effet, depuis qu’elle avait arrêté les études pour se
consacrer à une soi-disant carrière d’influenceuse, la jeune femme qui se
décrivait elle-même comme la huitième merveille du monde n’avait fait
qu’enchainer les relations avec des hommes haut placés et mariés. La dernière
en date était la liaison qu’elle entretenait avec le ministre de l’environnement
depuis un peu moins d’une année. Apparemment la femme dudit ministre avait
découvert le pot-aux-roses et pour se venger de cette humiliation, elle avait publié
des vidéos des ébats sexuels de la maîtresse de son époux avec d’autres hommes
que cette dernière recevait allègrement dans la maison qui avait été mise à sa
disposition, dans un quartier chic de la capitale. Fou de rage, le ministre n’avait
eu d’autre choix que de mettre un terme à cette liaison. Pour lui faire payer
son humiliation, il avait alors retiré tout à Emeraude. C’est ainsi que la
jeune femme était retournée vivre chez sa mère. Seulement elle recevait des
menaces depuis le scandale et le fait de vivre recluse n’avait rien arrangé.
Héritier m’avait raconté qu’un matin, le gardien avait trouvé le portail maculé
de déchets humains. Une autre fois, des hommes masqués avaient pénétré dans la
maison et s’en étaient sauvagement pris à la ménagère qui malheureusement se
trouvait être seule ce jour-là. La pauvre fille avait été violée.
—
Comme nous avons une chambre libre, j’ai demandé à ce
qu’elle vienne ici.
—
Pardon ?! Tu aurais quand même pu m’en parler
avant de faire pareille proposition.
—
Je te rappelle qu’on parle de ma sœur dont la sécurité
est menacée.
Je détestais qu’il se comporte ainsi avec moi. Qu’il me donne
l’impression d’être une adolescente pourrie gâtée qui ne comprenait pas les
réalités du monde dans lequel elle évoluait.
—
Et moi, je te rappelle que je suis ta fiancée !
Et contrairement à toi, je passe beaucoup de temps dans cet appartement qui est
en grande partie mon lieu de travail, Héritier. Comment vais-je faire avec ta
sœur dans les parages ?
— Tu seras dans ton bureau et elle sera très souvent chez Ambre ou chez l’une de ses copines. De toutes les façons, cette situation ne l’enchante pas non plus mais c’est la seule chose à faire.
— Mais comment que cette situation ne l’enchante pas. Elle aurait sans doute préféré que je sois à l’autre bout du monde pour qu’elle puisse majestueusement se pavaner dans mon séjour.
Agacé par mes propos, il jeta sa serviette sur la table avant de se
lever pour emporter nos assiettes dans la cuisine. C’était sa façon à lui de me
faire comprendre que la discussion était close et qu’il ne comptait pas revenir
sur sa décision.
Restée assise à ma place, je bouillonnais de l’intérieur. Héritier
savait pertinemment qu’Emeraude me détestait autant que sa mère et sa sœur Ambre.
Il savait aussi à quel point je tenais à mon confort, à ma routine, à mon
espace personnel et à mon intimité. Je travaillais souvent depuis cet
appartement, d’ailleurs j’y avais investi pas mal de temps et d’argent pour
refaire la décoration après que je l’eusse acheté. Alors savoir que mon
quotidien allait être fortement perturbé par cette jeune écervelée me
contrariait grandement. Mais plus encore, c’est le comportement d’Héritier qui
m’exaspérait.
—
Quand doit-elle arriver ?
—
La semaine prochaine. Il fallait faire au plus vite
car ce ministre a le bras long, il pourrait faire annuler son passeport.
Je pris une grande inspiration pour ne pas lui balancer l’assiette qui
contenait mon dessert à la figure. Il venait de la déposer devant moi et déjà
était plongé dans la sienne. On aurait dit que la conversation que nous venions
d’avoir n’avait jamais eu lieu. Trouvant son attitude inacceptable, je décidai
d’aller m’enfermer dans mon bureau pour ruminer mais aussi pour faire la liste
de tout ce qu’il faudrait acheter afin de meubler cette chambre autrefois
destinée à recevoir un bébé. Une fois de plus, l’argent que nous mettions de
côté ne servirait qu’à contenter l’égoïsme de mon fiancé.
Les jours étaient passés à une vitesse fulgurante. La nuit de notre dispute,
j’avais commandé tout ce qu’il fallait pour que la chambre soit prête. Et sous
l’effet de la colère, j’avais aussi pris un billet d’avion pour Brive, en
Nouvelle-Aquitaine. Ca faisait des mois que nous travaillons en étroite
collaboration avec la mairie. Celle-ci souhaitait la création et la mise en
place d’un dossier de presse pour l’Office de tourisme de la ville. L’objectif
était de mettre en avant le patrimoine de cette ville à travers une visite
guidée de ses jardins. La rencontre avait été fixée depuis quelques semaines
déjà et j’avais décidé que ce serait Julie qui représenterait le studio. Elle
était accompagnée d’une stagiaire. Cette dernière avait pour mission d’observer
et surtout de prêter main forte à Julie. Le lendemain, j’étais partie de la
maison sans laisser le moindre mot et comme il fallait s’y attendre, je ne
reçus aucune nouvelle d’Héritier durant tout le temps que dura mon séjour. Il
faut croire que j’aurais pu me faire kidnapper ou encore mourir d’un accident
que cela lui aurait été égal. Il aurait sans doute appris la nouvelle dans les
journaux ou par les membres de ma famille qui à force de me chercher auraient
fini par être informés de la triste nouvelle. Aurait-ce été une grande perte
pour lui ? Je n’étais pas en mesure de répondre à cette simple question.
Nous étions sur le retour lorsque la sonnerie de mon téléphone se fit
entendre. Je jetais un coup d’œil à l’écran et fus surprise de voir le visage
de mon fiancé s’afficher. Diverses émotions m’envahirent mais la plus forte
était cependant la frustration. Après un soupir quasi-muet, j’activais le mode
silencieux, bien décidée à l’ignorer. Sauf qu’après un second appel sans
réponse, Héritier m’envoya un message.
« Mais à quoi tu joues ? D’ailleurs, je m’en fiche… Je t’informe
seulement qu’Emeraude est arrivée. Je l’ai installée comme j’ai pu et là,
j’attends que tu me dises quand est-ce que tu penses arrêter de faire l’enfant.
Bref tu rentres quand ? »