2.

Write by lpbk

Je n’avais aucune envie de rentrer. Je savais qu’une précieuse perturbation du nom d’Emeraude m’y attendait. J’étais profondément passionnée par mon métier et le fait d’avoir ma propre agence de création artistique me faisait explorer des univers qui jusque-là m’étaient inconnus. Quelques fois, je me sentais submergée par la masse de travail au point de ne plus trop savoir où donner la tête mais je n’en démordais pas pour autant. En deux ans d’existence, j’avais su propulser ma petite structure au sommet de ces entreprises avec lesquelles il fallait dorénavant compter dans la capitale et ses environs. Même si à cause de mes problèmes de couple je n’avais pas pu profiter du séjour, il n’en restait pas moins qu’il avait été agréable et fort intéressant en découvertes régionales. Sortir de Paris m’avait fait du bien mais aussi prendre du retard sur certains travaux. Ma vie professionnelle était harassante mais le pire dans tout ça c’était le fait de ne pouvoir me raccrocher à ma vie sentimentale pour tenir car celle-ci apparaissait comme un poids destiné à me faire couler vers le fond plutôt comme la bouée qui m’aiderait à maintenir la tête hors de l’eau. Des fois, je me surprenais même à penser que ma vie amoureuse était une contrainte que je m’imposais mais dont je pouvais aussi me débarrasser en un battement de cil. Cela ne durait pas plus d’une seconde puisque l’instant d’après je me consolais en me rappelant combien la vie en elle-même n’était pas simple. A ces moments-là, mon amour pour Héritier me rattrapait ainsi que le désir de devenir son épouse et celui de de fonder une famille avec lui. Je m’interdisais alors d’abandonner cette vie que nous nous étions construite.

C’est toute essoufflée que je remontais la ruelle piétonne. Encore une fois, j’avais enfilé des escarpins que je n’avais même pas pris la peine d’ôter une fois installée dans le train qui nous ramenait sur Paris. Ils me faisaient souffrir mais à chaque fois que je repensais à tous ces regards masculins que j’avais surpris sur moi dans le train et à la gare, je souriais et tirais avec plus de vigueur sur mon trolley dont les roulettes avaient du mal à fonctionner à cause des interstices entre les pavés. Alors que je m’apprêtais à pousser la porte de l’immeuble, j’entendis la voix aiguë d’Ambre.

     Mais Elsa, c’est comment ?

Myope depuis l’adolescence, j’avais parfois du mal à distinguer les silhouettes même familières dans la rue. De plus, le non port de mes lunettes, l’éclairage relativement faible de la rue et les douloureuses morsures du froid que je subissais n’arrangeaient pas les choses. C’était donc la mort dans l’âme et dans les jambes que je m’approchais des deux femmes non sans avoir pris le soin d’abandonner mon bagage à la porte de l’immeuble. Alors qu’Ambre me gratifiait d’un sourire large et hypocrite, je les saluais. Près d’elle, se tenait une Emeraude  dont le regard semblait plein de mépris. Je devais sans doute m’agenouiller afin qu’elle m’excuse de ne lui avoir pas déroulé le tapis rouge à son arrivée.

     Pardon, mais avec l’obscurité, je ne vous avais pas reconnues, me justifiais-je.

     Mais comment aurais-tu pu puisque depuis vos fiançailles, tu n’as plus jamais remis les pieds à Kin. En tout cas maman dit que tu manques de considération à l’égard de ta famille.

Je détestais qu’elles parlent de nous comme d’une grande et heureuse famille dans laquelle les gens s’aimaient malgré les crêpages de chignons et les coups tordus. Angélique osait parler d’un manque de considération quand ses filles ne savaient même pas la définition la plus simple de ce mot. D’ailleurs, celles-ci me manquaient de respect à chaque fois que se présentait l’occasion et jamais personne n’avait rien dit. Ambre travaillait en plein centre de Paris mais elle n’avait jamais trouvé le temps de déjeuner avec moi. Quand elle n’avait pas d’excuse pour décliner une invitation, elle se contentait de ne pas venir à notre rendez-vous. Je ne sais plus combien de fois je me suis retrouvée comme une conne à l’attendre dans une brasserie à l’heure du déjeuner. Quant à l’Emeraude, la jeune femme sans emploi et sans l’once d’une ambition, c’était une toute autre histoire. Madame avait effectué pas moins d’une douzaine de séjours à Paris en moins d’un an et évidemment, elle n’avait pas jugé utile de me le signaler et encore moins de s’organiser pour passer un soir à la maison. Et pourtant, entre frère et sœurs, ils s’offraient des brunchs dans les établissements les plus huppés de la capitale. Il n’était pas rare qu’en un après-midi, Héritier dépense cinq cent euros afin de les satisfaire.

     Ah, Emeraude, toi aussi tu ne peux pas laisser ? Tu reviens de voyage ?

     Euh… oui. J’ai dû travailler loin de Paris.

     Humm… lança, Emeraude en croisant les bras sous sa poitrine.

     En tout cas, pour toi est bien oh.

     Humm…

Face à ces « humm » incessants, je ne savais que penser et encore moins quelle attitude adopter. Elle avait sûrement beaucoup de raisons de faire cette tête mais pour l’heure je n’étais pas disposée à les écouter car j’avais besoin de me reposer.

     Je vais donc vous laisser terminer votre discussion.

     C’est mieux !

     A la prochaine Ambre.

Sans un sourire, je regagnais la porte, la poussais et pénétrais dans l’immeuble.

D’habitude, lorsque je passais la porte de cet appartement, je me sentais immédiatement apaisée. Mais la présence d’Emeraude venait perturber cet équilibre que je m’attelais à renforcer un peu plus chaque jour. D’entrée de jeu, la jeune femme s’était permise de faire quelques réaménagements. Ca faisait quoi ? Même pas six heures qu’elle était chez moi que déjà elle avait trouvé le moyen de remettre en cause ma décoration. Je regardais avec affliction la console à l’entrée. Le grand miroir qui ornait encore le meuble il y a quelques heures avait été troqué contre toute une série de cadres portant des photos de la famille Mwila. Il y en avait des quand ils étaient enfants, puis adolescents et enfin adultes. Il y avait aussi celles des enfants d’Ambre, ce qui me valut un pincement au cœur. Emeraude savait appuyer là où ça fait mal et ne se gênait apparemment pas pour le faire. A peine installée qu’elle me rappelait mon incapacité à concevoir et le fait qu’elle occupe cette chambre pour laquelle nous avions tant de projets me donnait l’impression que jamais je n’y arriverais.

En rejoignant ma chambre, je passais devant celle qui était désormais la sienne. L’habituelle porte fermée derrière laquelle se trouvait une chambre à la fois vide et pleine de rêves avait laissé place à une porte grande ouverte. Tout avait été livré et rangé. Je ne pus m’empêcher de poser mon regard sur ces valises que je trouvais bien nombreuses puis sur la pile de vêtements lamentablement échoués sur le lit. Pour combien de temps était-elle là ? Des semaines ? Des mois ? Comme pour chasser cette sombre et dernière idée, je secouais vigoureusement la tête puis poursuivis mon chemin.

Depuis la salle de bain, j’entendis la porte d’entrée claquer à s’en briser. Je m’étais volontairement dépêchée de passer sous la douche pour ne pas avoir à la croiser, du moins pas tout de suite. Il faut croire que mon esprit n’était pas tout à fait prêt à la recevoir. En rinçant mon masque au charbon, je songeais à l’attitude que je devrais adopter avec elle car une chose était certaine, je n’étais pas du genre à faire des étincelles mais Emeraude avait cette facilité à vous mettre hors de vous.

Après ma douche, j’enfilais un legging noir, un pull et mes pantoufles. Je traînais encore un moment dans la chambre, espérant voir la porte s’ouvrir sur Héritier hélas rien. Je me résignais donc et sortis de ma cachette. Après tout, le dîner n’allait pas se faire tout seul.

En sortant de ma chambre, je la surpris alors qu’elle était au téléphone. Lorsque celle-ci remarqua ma présence, elle passa du français au lingala et ce sans la moindre transition. Sa voix résonnait dans toute la pièce. Silencieusement, je me dirigeais vers la cuisine regrettant pour une fois d’avoir abattu le mur qui la séparait du séjour.  

La cuisine était sens dessus dessous. Dans l’évier je retrouvais des légumes mais aussi de la viande et du poisson. Sur la paillasse, étaient posés des pots de yaourts encore fermés. Après avoir ouvert le frigo qui coulait du fait qu’il était mal fermé je compris qu’elle avait dû le vider un peu afin d’avoir de la place pour ranger toutes les provisions qu’elle avait apportées. Evidemment, elle n’avait pas pris la peine de les ranger convenablement. Je soupirais devant ce bazar avant d’attraper des boites de conservation, des sachets de congélation puis une éponge et un chiffon. Je passais donc un moment à reconditionner certains aliments puis à les ranger au frais. Pour le repas, j’optais pour de la truite grillée accompagnée de patates douces et de roquette. En plus d’être délicieux et rapide, ce plat avait l’avantage d’être d’une simplicité enfantine. Je venais de passer du temps à faire le ménage alors je n’allais pas m’épuiser plus que ça. Lorsque tout fut prêt, je dressais la table puis rejoignais Emeraude afin de la prévenir.

     Je vais attendre mon frère, me répondit-elle en manipulant son téléphone.

Ses mots étaient froids. Elle les avait prononcés sans daigner me porter un regard. J’avais l’impression d’être de trop dans mon propre séjour. Sans rien ajouter, je me levais et retournais vers la table que j’avais apprêtée avec grand soin. Je me saisis de la bouteille de vin que j’avais sortie et la débouchais. Je me servis un verre puis m’installais sur le comptoir qui séparait la cuisine du séjour, devant mon ordinateur. Alors que je tentais désespérément de noyer ma solitude et ma tristesse dans mon travail, je reçu un message de Maeva.

     Hey bébé, qu’est-ce que tu fais ?

Dans ma famille, tout le monde m’appelait bébé. A l’adolescente, je trouvais ce surnom d’une absurdité intersidérale puis avec le temps, j’avais fini par m’y habituer. Je crois qu’en lui, je trouvais une sorte de réconfort. C’était un peu comme un chocolat chaud par une nuit d’hiver.

     Rien de spécial, et toi ?

     Pareil ! Et sinon, Kim K ?

     Rhoo… mais ne l’appelle pas ainsi, Mae. Et pour répondre à ta question, elle est dans le canapé, les jambes posée sur ma table Roche Bobois. Elle attend « son frère » pour diner.

     Quoi ?! Il n’est pas encore rentré ?

     Il travaille beaucoup, Mae. Et puis, il vient d’arriver. Je dois te laisser. Bisous, ma belle.

Tout de suite, je rabattais l’écran de mon Mac mettant fin à cette discussion et perdant par la même occasion ma progression puisque je n’avais pas pris le temps de la sauvegarder. Je venais de mentir à ma sœur. Et pour cause, je n’avais pas envie qu’elle me rappelle que je passais ma vie à attendre mon fiancé. Elle avait pleinement raison, mais c’était ma vie. Celle-ci n’était pas parfaite mais en toute sincérité, qui pouvait se vanter d’avoir une vie parfaite ? Et puis, même si tout n’était pas toujours rose, au moins j’avais un fiancé, j’étais sur le point de me marier. Je portais mon verre de vin à mes lèvres et avalais péniblement histoire de faire passer le nœud que je sentais tout au fond de ma gorge.

     Ya Diamant va encore mettre long ? m’interrogea Emeraude en me regardant, cette fois.

     Ca dépend. Mais nous ne sommes pas obligées de l’attendre.

D’un bon, elle se mit sur ses jambes puis s’étira de tout son long. Je me permis de l’observer et même si elle faisait plus que son âge, je me devais d’admettre qu’elle était une très belle jeune femme. Le pas nonchalant, elle se rendit à la cuisine et lorsqu’elle découvrit ce qui constituerait le dîner de ce soir, elle fit une petite grimace avant d’ouvrir le frigo.

     Ah vraiment, vos trucs de blancs là… mieux je vais d’abord nous sortir un peu d’oseille et du manioc. De toutes les façons, j’aurai le temps d’en manger.

Aussitôt dit, aussitôt fait. De nouveau, le plan de travail se retrouvait encombré de boites et de sachets. Elle attrapa une casserole dans laquelle elle vida le contenu d’un des sachets avant d’y ajouter un peu d’eau pour la mettre à chauffer.

     Héritier nous avait dit que tu as maintenant ta propre entreprise.

     En effet.

     Oh ! C’est tout ?

     Comment ça ? fis-je en la regardant d’un air interrogateur.

Que voulait-elle que j’ajoute ? En y repensant, c’était quand même fou qu’en deux ans, aucun membre de la famille Mwila n’ait trouvé un instant afin de me féliciter. Héritier savait pourtant à quel point j’avais dû travailler pour parvenir à ce résultat. Il savait combien mon travail était important pour mon épanouissement. 

     En fait, je veux savoir si ça te plait, comment tu te sens maintenant que tu es à ton compte ? Est-ce que ça t’occupe beaucoup ? Bref, ce genre de truc.

J’avais toujours les yeux brillants lorsque je devais parler de mon métier. Alors sans trop la faire languir, je me lançais dans de longues explications.

     A la création, ce n’étais pas trop ça. J’avais du mal à trouver des clients puisque j’étais encore une inconnue aux yeux de beaucoup. La première année a été extrêmement difficile, n’eut été ma mère, je crois que j’aurai abandonnée. Mais j’avoue, avec mes récentes collaborations avec Etam et Zara, je me suis faite un petit nom à Paris du coup, je suis de plus en plus consultée. Du coup, pour répondre à ta question, je dirais que oui, c’est fatiguant voire même épuisant mais à comparer, je préfère être à mon compte plutôt que de travailler pour quelqu’un.

     Et sinon, tu fais quoi exactement ?

Elle remuait le contenu de la casserole à l’aide d’une louche qu’elle déposa directement sur le plan de travail ce qui me coupa le souffle. Emeraude comme sa sœur et sa mère ne m’appréciait pas mais en ce moment, j’avais l’impression qu’elle s’intéressait à moi et que peut-être voulait-elle enterrer la hache de guerre qu’elles brandissaient toute à la simple évocation de mon nom.

     Je suis consultante auprès de différentes marques et sociétés issues du monde de la mode, du luxe et de l’univers corporatif. En fait, je crée des logos ou si tu préfères une identité visuelle. Je mets en scène avec virtuosité des produits, une vitrine, son agencement pour attirer de nouveaux clients et déclencher leurs envies d’achat. Je mets en lumière la personnalité, le caractère d’un dossier de presse ou d’un catalogue… Voici l’étincelle qui m’enchante et m’anime depuis toujours. Tu vois ?

Elle acquiesça et me tourna le dos pour sortir du frigo de la pâte de manioc emballé dans des feuilles. Je connaissais quelques mets congolais car à nos débuts, Héritier et moi fréquentions assez souvent ses amis d’origine congolaise. J’avais d’ailleurs pu remarquer qu’ils avaient beau vivre en France qu’ils restaient très proches de leur pays, de leur culture culinaire, linguistique et parfois même vestimentaire. Quelques fois, j’avais même l’impression qu’ils étaient perdus. Ils semblaient des fois entre deux mondes et cela, je n’arrivais pas trop à me l’expliquer. Par exemple, les femmes congolaises étaient de grandes adeptes de produits blanchissants et de techniques dépigmentantes. La plupart s’éclaircissaient la peau, dépensaient des sommes folles en extensions capillaires et en articles de marque. Était-ce une façon pour elles de se fondre dans la masse afin de faciliter leur insertion dans la communauté blanche ? Je trouvais leur mode de vie paradoxal puisqu’une fois loin de leur milieu professionnel, la plupart ne choisissait leur amis que dans la communauté congolaise ou africaine et consommaient essentiellement des plats de chez eux. Il faut dire que j’avais plusieurs fois entendu dire que la cuisine française était fade.

     Grâce à mon travail, j’ai acquis avec mes différents clients le goût de l’échange, la transmission d’un savoir-faire, d’une passion. Mon ouverture sur le monde, la palette des cultures, l’esprit de la rue, me permettent d’avoir toujours un œil ouvert et pétillant sur ce qui m’entoure, de savoir capter ces petits détails qui feront rebondir ma réflexion créative. Et en tant que directrice artistique et graphiste free-lance, j’ai la liberté de travailler depuis la maison. Mais ma petite entreprise a aussi des locaux et à l’occasion, je me ferais un plaisir de te faire visiter.

Elle ne répondit pas. Je commençais à me demander ce qui m’avait pris de lui parler ainsi de mon métier, de ma passion. Le pire c’est que je n’avais même pas su dissimiler mon enthousiasme. Elle devait me trouver bien orgueilleuse en ce moment.

     Et sinon, tu as quel âge déjà, Elsa ?

Je la regardais, surprise par sa question et surtout je cherchais dans ma tête le rapport avec mon discours.

     Vingt-huit. Bientôt vingt-neuf, pourquoi ?

Elle se retourna et me fixa un moment, ce qui me mit mal à l’aise. A quoi pouvait-elle penser ?

     Trente ans et grosse… bientôt la ménopause enfin si ce n’est pas déjà arrivé. Quand je t’entends parler, j’ai l’impression que ton travail est ce qui fait ta vie. Tu sais, chez nous les africains, pour une femme, il n’y a rien de plus important que la famille et qui dit famille parle d’enfants. A ton âge, je crois que ya Ambre en avait déjà deux. Ya Diamant est mon seul frère et le premier né de maman donc vraiment de savoir qu’à presque trente-cinq ans il n’a encore aucun enfant est un supplice pour chacun de nous. Moi encore ça va mais maman. Hmmm…

Elle n’avait pas tort cette chipie. Mon crétin de médecin passait sa vie à me rappeler mon état de personne « grosse ». Il avait toujours cet air fortement préoccupé lorsqu’il m’auscultait, attitude qu’il ne prenait pas quand il s’agissait de Maeva ou de tout autre membre de la famille. A chacun de nos rendez-vous, je lui parlais de mon désir de fonder une famille mais monsieur n’en faisait pas cas puisqu’il se focalisait uniquement sur mon poids et mon indice de masse corporelle.

     Quand je t’entends parler ainsi, avec beaucoup de fierté je ne peux que me demander si tu sais ce que c’est que de partager la vie d’un homme.

     Mais…

D’un geste de la main, elle m’imposa le silence car semble-t-il, elle n’avait pas fini de s’exprimer sur cette souffrance que j’infligeais à leur famille. Il est vrai que la plupart des amis d’Héritier étaient déjà parents. Certains étaient en couple et d’autres pas néanmoins, ces derniers restaient fiers devant les sourires et les exclamations des uns et des autres à chaque fois qu’ils brandissaient photos et gribouillages.

     Esprit de famille, zéro ! Relation, zéro ! Même avec moi, rien ! L’enfant, zéro ! La cuisine… En tout cas, ajouta-t-elle en s’essuyant les mains à l’aide d’un torchon, tout ça, c’est ya Diamant sinon, lui-même il sait qu’il y a beaucoup de jeunes filles à Kinshasa qui ont fait des études et qui sont capables de lui donner des enfants.

Je restais choquée tout le temps de son petit discours. Je la trouvais injuste et même méchante mais aucun son ne parvenait à s’échapper de ma bouche pour le lui faire comprendre. Mon moi profond était blessé. Mon corps tremblait et mes yeux commençaient à picoter. En moins de cinq minutes, elle avait abordé les deux aspects de ma vie qui me causaient le plus de souffrances en faisant usage de mots savamment bien choisi, brisant ainsi les remparts que j’avais érigés tout autour de moi. Combien d’euros mes parents avaient dépensé chez le psychologue pour qu’à défaut de me sentir bien dans ma peau, je puisse accepter ce physique ingrat ?

C’est seulement à ce moment qu’Héritier arriva. Le ton léger, il nous salua puis déposa sa mallette et se débarrassa des vêtements superflus qu’il avait sur le dos avant de passer derrière le comptoir afin d’embrasser sa sœur. Lorsqu’il s’approcha enfin de moi, Emeraude lui demanda sans détour la raison de ce retour tardif. Il fallait bien qu’elle lui montre à quel point elle s’était languie de sa présence ou peut-être voulait-elle lui rappeler combien j’étais de mauvaise compagnie.

     Vingt-deux heures, ya Diamant ? Et pas le moindre message ?

Diamant était le second prénom d’Héritier. Oui, tous portaient des noms de pierres précieuses. D’ailleurs, Angélique se vantait d’avoir mise au monde des joyaux. Je trouvais cela un tantinet ridicule et absurde mais qui étais-je pour juger les prénoms d’autrui. Et puis, peut-être que sous d’autres cieux, Elsa était le prénom d’un goblin ou d’un troll.

J’étais encore bouleversée mais j’attendais impatiemment de savoir l’excuse qu’il lui sortirait.

     Désolée, Emeraude mais j’ai pris un verre avec Jules.

     Oh, Jules ! Le joli garçon, teint clair qui avait apporté les paquets à maman ? C’est lui ou je me trompe ?

     Oui, c’est lui. Il a eu un souci avec sa voiture et son assurance n’a pas voulu le couvrir du coup, il s’est dit qu’il était peut-être temps de changer de compagnie. On a profité pour prendre un verre et on n’a pas vu le temps passer.

     Ok. En tout cas j’espère que tu as faim car je nous ai sorti le chikwangue avec l’oseille. On va accompagner ça avec le poisson de Elsa. Avant que j’oublie, j’ai eu Anita au téléphone et comme elle doit venir chercher ses provisions, je lui ai proposée de diner avec nous vendredi sur prochain.

Mais de quel bois était-elle faite cette petite pour se permettre d’inviter l’ex-copine de son frère chez nous sans même nous consulter. Je trouvais déjà qu’elle manquait de respect à notre relation en la mentionnant alors de l’inviter chez nous… De toutes les façons, je n’avais pas à m’en faire puisque son frère allait sûrement lui expliquer que ce dîner ne pourrait tout simplement pas avoir lieu.

La vérité est que je détestais Anita. Je la détestais elle et cette façon qu’elle avait de minauder en présence de mon fiancé, faisant fi de ma présence et de cet engagement qu’il avait pris envers moi. Comme si le simple fait qu’elle et lui soient restés amis, il se trouve aussi que mademoiselle travaillait à une rue du lieu de service d’Héritier et qu’ils aient les mêmes fréquentations. Tout cela me rendait malade. J’avais confiance en mon fiancé mais aucunement en elle. Il fallait être aveugle pour ne pas se rendre compte qu’elle avait encore des sentiments pour lui.

     Pourquoi pas ?

     Super ! dit-elle d’un air jubilatoire en servant le repas qu’elle avait réchauffé.

Je me renfrognais. Il savait ce que je pensais de cette femme à la plastique tout aussi gracieuse que magnifique. Il savait comment je me sentais en sa présence et sans aucune forme de protestation, il cédait aux caprices de sa sœur. A croire que moi, je ne comptais pas.

     Qu’est-ce que tu as ? chuchota-t-il à mon oreille après avoir baisé chacune de mes joues.

Cette fois-ci, s’en était plus que je ne pouvais supporter. J’avais l’impression d’être une intruse dans ma propre maison et ça ne me plaisait guère. Héritier savait l’animosité que j’éprouvais vis-à-vis de son ex mais il se permettait de m’imposer un diner chez moi avec elle comme invitée principale.

     Rien ! Je suis fatiguée, je vais me coucher.

Je quittais la chaise haute sur laquelle j’étais perchée et m’en allais en direction de la chambre.

Malgré le confort de mon lit, j’avais du mal à trouver le sommeil. Comment aurais-je pu quand mon esprit était troublé par leurs éclats de rire et les différentes réflexions et angoisses qui me hantaient ? Maeva avait raison, je passais ma vie à l’attendre, à me taire, à faire passer ses envies avant les miennes. Le dialogue entre nous était absent ce qui ne facilitait pas les choses et pourtant, j’avais besoin de lui dire le mal qu’il me faisait et d’extérioriser cette rage que je sentais monter en moi. Les années passaient et l’amertume au fond de ma gorge devenait de plus en plus insupportable. En fin de compte elles disaient la vérité lorsque qu’elles me rappelaient à quel point cette relation m’avait transformée.

C’est sur ce constat que je finis par fermer les yeux. 

Sur le chemin des ro...