1- Le père de ma fille

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1-    Le père de ma fille

 

J’ai du mal à me concentrer aujourd’hui et pourtant il le faut bien.

Je dois en finir avec ce dossier. Il ne reste plus que quelques jours avant la réouverture de la maison d’hôtes et de son restaurant et jusque-là, quelques-uns de nos fournisseurs nous tournent en rond.

La porte de mon bureau s’ouvre set c’est une Makéda enjouée qui apparait.

- Que me vaut ce sourire ? Dis-je sans lever les yeux de mon écran.

- J’étais certaine que tu avais oublié.

Je lève la tête, perplexe.

- Quoi donc ?

- Entre Rob !

Je tape nerveusement du bout du majeur sur mon petit carnet noir. Ce petit jeu commence à m’exaspéré.

- Joyeux anniversaire ! Joyeux anniversaire ! Joyeux anniversaire Liya ! Joyeux anniversaire !

Oh mon Dieu, nous sommes le 12 novembre et j’ai 34 ans.

Alors que je me rends compte que j’ai carrément oublié mon anniversaire, mes deux amis et collaborateurs s’approchent de moi en affichant de larges sourires. Ils peuvent se le permettre. Rob pose la petite assiette qu’il porte depuis son devant moi avant de me faire un bisou sur les cheveux.

- Joyeux anniversaire petite femme forte. Allez souffle !

Je reste une dizaine de secondes à observer ce parfait muffin à la crème et sa bougie couleur pourpre.

- Mais qu’est-ce que tu attends ? Vas-y souffle Liya !

Je prends une grande bouffée d’air et je m’apprête à souffler.

- N’oublie pas de faire un vœu ! S’empresse de dire Makéda.

Il n’y a vraiment que nous les bonnes vieilles femmes pour croire à ces affaires de vœux.

Je ferme les yeux l’instant d’une seconde. Une seconde pour penser et souhaiter. Il n’en faut pas beaucoup pour éteindre cette minuscule flamme.

Je les remercie en me levant afin de faire à chacun d’eux un câlin.

- Vous êtes vraiment formidables. Merci.

- Ne fais pas ta madeleine ma chérie.

Je passe un doigt sous mes yeux en faisant attention à mon maquillage.

- Bien, on va te laisser à tes démons et à tes rides naissantes.

- D’accord.

Je les accompagne jusqu’à la porte en les remerciant une dernière fois pour cette délicate attention.

Quand je ferme la porte, je me retrouve nez à nez avec ce muffin. Je suis sûre que c’est une tuerie. Je reste adossée à la porte quelques secondes. Voici, une nouvelle année qui s’offre à moi. Que me réserve-t-elle ?

Alors que je me pose toutes ces questions existentielles mon téléphone sonne.

C’est Chloé. Elle doit s’être souvenue que c’était mon anniversaire.

Je décroche.

- Si tu veux te moquer de moi ce n’est vraiment pas le moment.

- Madame, c’est Zula la ménagère.

- Oui Zula, que se passe-t-il ?

Elle a l’air paniqué et à bout de souffle.

- Madame s’il vous plait dépêchez-vous.

- Calme-toi !

- Madame Chloé veut tirer sur monsieur. Venez vite.

En fond sonore, on dirait bien que ce sont des éclats de voix.

J’attrape mon sac et mes clés et je sors de mon bureau.

- Où tu cours comme ça ? Et pieds nus de surcroit.

Je prends la direction du parking sans répondre à Makéda.

- Il est arrivé quelque chose à Pukina ?

- Non ! Criais-je en montant en voiture.

Coincée dans les embouteillages, je tente pour la quatrième fois de joindre Chloé sur son portable. Il est éteint. Dans mon esprit je revois des scènes de ma série préférée Esprits Criminels. Combien de couples j’avais vu s’entre tuer au grand écran ? Pourvu qu’il ne soit pas trop tard.

J’appuie sur le klaxon comme une hystérique ce qui me vaut des injures de la part des autres chauffeurs.

- Nan mais si vous êtes trop pressée vous pouvez bien sauter ou vous envoler.

Je me calme. Cette fois je compose le numéro de Xavier. Je tombe sur sa messagerie.

- Pourvu que j’arrive à temps. Dis-je en tapant du poing sur le klaxon.

Je regarde ma montre toutes les trente secondes. J’ai à peine fait 100  mètres. Peut-être vaudrait-il mieux que j’abandonne ma voiture ici. J’irai certainement plus vite à pieds.

La voie finit par se désengorger et je démarre en trombe grillant un feu rouge au passage. Je ne mets pas longtemps à arriver chez eux. Je klaxonne une fois, et puis une seconde fois avant que le portail ne s’ouvre. Je passe juste la barrière et je coupe le moteur.

- Aïe !

Les petits cailloux sur l’allé me font un mal de chien.

Zula sort de la buanderie en courant, elle est en en larmes. Elle se jette dans mes bras.

- Il est arrivé quelque chose à Chloé.

Elle secoue la tête en signe de négation.

- Et Xavier ?

Elle ne dit mot, elle continue de sangloter.

- Elle est là Chloé ?

Elle me fait oui de la tête avant de se moucher à l’aide de son tablier.

- D’accord Zula. Je vais aller voir ce qui se passe. Toi, tu retournes à la buanderie.

Je me détache d’elle et je prends la direction du séjour en faisant le minimum de bruit.

La maison est sens dessus dessous. On se croirait aux Antilles après le passage d’un cyclone. Sur le sol des débris de verre, des cadres photo mal en point. Je grince des dents, il va me falloir traverser tout ceci pieds nus.

Le séjour ne ressemble à rien tout comme la salle à manger.

- Chloé ! Chloé tu es là ?

Aucune réponse. Je monte l’escalier en continuant d’appeler. J’arrive devant la porte de leur chambre. Je la pousse légèrement et dans un grincement sourd, elle s’ouvre.

- Chloé !

Elle se tourne et me regarde. Elle n’a vraiment pas l’aire bien. Elle vide d’une traite le verre de whisky dans sa main et s’en sert immédiatement un autre. Un whisky sec !

- Qu’est ce qui se passe ici Chloé.

- Rien !

Elle se laisse choir dans le sofa près de la fenêtre et éclate de rire. C’est un rire nerveux.

La chambre est dans un piteux état. On se croirait dans un film d’épouvante. Çà et là des vêtements et des chaussures appartenant à Xavier. Je me baisse pour les ramasser.

- Tu le crois ça ?

Je dépose les quelques vêtements que j’ai en main sur le lit et je m’assois.

- Xavier, j’ai bien cru que j’allais le tuer.

Elle éclate à nouveau de ce rire malsain. Mais cette fois, son rire se transforme en un torrent de larmes.

Je vais m’asseoir près d’elle et je pose des mains inquiètes sur ses épaules.

- Il a une maitresse.

Elle se redresse et tourne la tête dans ma direction.

- Ne fais pas cette tête. Moi aussi ça m’a fait cet effet lorsque je l’ai découvert.

Son visage se décompose et je remarque qu’elle a les traits tirés. Les poches sous ses yeux trahissent d’un manque profond de sommeil.

- Je suis sûre que tu te trompes. Xavier n’est pas de ceux-là.

Elle plonge violemment ses yeux dans les miens.

- Ah oui, de quel genre penses-tu qu’il soit ? Ca fait bien longtemps qu’il me trompe à tous les coins de rue de la ville et du pays.

- Comment l’as-tu découvert ?

- Est-ce important ?

- Non.

Nous restons silencieuse un bon bout de temps. Installées devant cette vue à couper le souffle à observer le voile de la nuit s’étendre de plus en plus.

- Si ce n’était que ça, crois-moi je n’aurai pas fait tant mais vois-tu, l’une d’entre elles est enceinte. Xavier attends des triplés.

- Quoi ?

- Tu as bien compris. J’aurai bien voulu trouver le courage de le tuer mais je n’y suis pas arrivée. Oui, je n’ai pas pu le faire.

Elle fond en larmes dans mes bras. Je la laisse pleurer autant qu’elle en a envie. Lorsqu’elle finit par se calmer, je lui propose de venir passer quelques jours à la maison. Il faut dire que j’imagine très mal comment quelqu’un pourrait dormir ici après le passage de ce cyclone.

Chloé décline mon offre et je ne me fais pas insistante. Il est préférable de la laisser faire ce qu’elle estime bien pour elle en ce moment. Je passe encore quelques bonnes heures chez elle à essayer de la consoler avant de m’en aller.

 

Lorsque j’arrive à la maison, les lumières sont éteintes. Je reste un moment dans la voiture à penser à toutes les confidences que Chloé m’aura faite ce soir. Comment Xavier avait-il pu lui faire ça ? Les choses seraient sans doute différentes si Chloé avait pu lui donner un enfant. Comme la vie peut être cruelle. A force de penser, je sens comme un éclair dans ma tête. C’est ce mal qui me ramène à la réalité. Oui, la réalité c’est qu’il est 22 h et que j’ai besoin de me reposer.

Je laisse mon sac et tout ce qu’il contient dans l’entrée et je m’enfonce dans le couloir discrètement éclairé.

La porte de la chambre de Pukina est légèrement entre ouverte. Elle doit être endormie depuis un moment déjà. Je tire la couverture sur elle et je dépose un baiser sur son front. En sortant, je souris. Je viens de revoir dans ma tête la position de ses bras et de ses jambes. Elle les met toujours en angle droit. On dirait le totem de Kôh-Lanta. Je tire la porte derrière moi sans la fermer totalement et je gagne ma chambre.

En voici une journée cauchemardesque ! Je me déshabille vite fait et je file sous la douche. L’eau tiède me caresse la peau. Je ne mets pas longtemps à sortir de la salle de bain. J’enfile une culotte de pyjama et son haut et je me glisse sous les draps. Couchée en position fœtus, je parviens à lire le titre de mon livre de chevet « Les renoncements nécessaires ». Je pose une main dessus mais je la retire pour  la glisser à nouveau sous mon oreiller.

Pas ce soir !

Je reste encore un instant à regarder la lumière qui jaillit de la lampe de chevet.

Drôle d’anniversaire.

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