2- Le père de ma fille

Write by MSoH

1-    Le père de ma fille

 

- Bonjour maman !

Pukina pose son sac à dos sur l’herbe encore humide.

- Bonjour chérie !

A peine assise, elle se jette sur les gaufres devant elle, les arrosant généreusement de miel.

- Tu as bien dormi ?

Elle hoche la tête en guise de réponse et continue de mastiquer avec empressement.

- Personne ne piquera dans ton assiette tu sais.

- Chè cro bon ! Dit-elle en avalant une belle gorgée de lait chaud.

Je regarde ma montre, je suis surprise qu’il soit déjà 7h25.

- On y va.

Je m’en vais chercher mon sac à l’intérieur pendant qu’elle finit de manger.

 

Après l’avoir déposé devant l’école et discuter quelques minutes avec l’une de ses maitresses, je remonte dans la voiture direction le domaine. Avec les journées hyper chargées que nous avons ces derniers jours, je me demande si je pourrai assister à la petite activité de cet après-midi.

Lorsque je sors enfin du centre-ville et de son bruit infernal, je descends la vitre afin de profiter au maximum de l’air frais de cette matinée et de ce paysage dont je ne me lasse pas. Au loin, les montagnes s’éloignent de plus en plus dévoilant au passage de vastes plantations de coton et de thé. Avec mes 80 à l’heure, je ne mets pas longtemps à arriver devant le grand portail.

A l’intérieur, des hommes et des femmes s’activent afin que tout soit prêt pour les clients qui descendraient prendre le petit-déjeuner.

Je fais un petit tour du regard avant d’entrée dans cette maison aux lignes épurées.

Assise derrière mon bureau, je parcours le dossier laissé par Makéda. Mon téléphone sonne. Je l’ignore un moment puis, je finis par décrocher.

- Bonjour Guy !

- Bonjour Liya ! Comment tu vas ?

- Ça peut aller. Et toi ?

- Comme d’habitude.

Je tape du stylo sur mon petit carnet noir.

- Je me disais qu’on pouvait diner ensemble un de ces soirs.

- Excuse-moi mais tu sais que je n’ai pas une minute à moi.

La vérité c’est que je n’ai aucune envie de diner avec lui. Je n’ai aucune envie de diner avec un homme. Et puis, je sais déjà où il veut en venir avec cette histoire de diner.

- Allez Liya, tu peux bien me faire une petite place dans ton agenda surchargé.

- Je suis vraiment désolée Guy…

Il ne me laisse pas finir.

- Fais juste un petit effort. Un seul dîner c’est tout ce que je te demande.

Il va finir par me faire perdre patience avec son histoire de diner.

Je soupire.

- Va pour un dîner. Un seul !

Je devine bien qu’il doit être ravi.

- Tu vois que quand tu veux tu peux. Je te rappellerai pour qu’on organise ça.

- D’accord.

- A bientôt beauté.

Je ne prends même pas la peine de répondre. Je me contente de raccrocher et de me remettre à l’étude de mon dossier.

Alors que je relis une facture, je suis prise d’un violent mal de tête. Je dépose mes lunettes sur la table et je commence à me masser les tempes en effectuant de petits mouvements circulaires du bout des doigts. Je le fais pendant près d’une minute mais ça ne passe pas.

- Il faut que j’avale quelque chose ! Pensais-je intérieurement.

Je fouille le fond de mon tiroir. Heureusement que j’ai encore du Klipal.

J’avale rapidement un comprimé et je jette ma tête en arrière en essayant de faire le vide dans mon esprit.

La porte s’ouvre et Makéda reste un moment à m’observer.

- Ne me dis pas que tu as encore mal à la tête.

Je fais un effort surhumain pour sourire.

- Non, ce n’est pas ça !

- C’est donc quoi ? Dit-elle en fermant la porte.

Je me redresse et je passe une main nerveuse dans mes cheveux défrisés.

- C’est Guy LOEMB !

Il faut bien que je trouve une excuse !

Elle prend place en face de moi et je devine bien qu’elle veut savoir de quoi je parle.

- Pour tout te dire, il tient à ce qu’on dine ensemble.

- Je serai toi que j’accepterai tout de suite. Il te court quand même après depuis plus d’un an.

Je pousse un juron comme ceux de nos mamans.

- C’est ça ! Il me court après tandis qu’il a une horde de minettes accrochées à ses bras.

- Tu n’as qu’à t’en prendre à toi. Après tout c’est un homme, il faut bien qu’il satisfasse ses pulsions.

- Il n’est tout simplement pas mon genre.

Elle croise ses jambes.

- Tout ce que je vois c’est qu’à force d’attendre ton genre, tu risques de finir vieille fille.

Makéda ne me comprend pas.

- Au fait, tu avais besoin de quelque chose ?

- Je venais voir si tu avais fini avec le chrono.

Je saisis le classeur et je l’ouvre. Je tourne rapidement quelques pages jusqu’à celle qui m’intéresse.

- Je ne savais pas que nous avions octroyé une remise si importante à ces vacanciers chinois. Tiens regarde.

Je penche le document pour qu’elle puisse aussi y jeter un œil.

- Je pensais que nous avions dit 8%.

- Nous étions allez plus loin. Tu ne t’en rappelles pas ?

- Non. Je sais qu’à partir de décembre nous affichons complets alors pourquoi aurais-je accepté d’aller au-delà des 8% habituels?

- Je n’en sais rien. C’est toi le boss, moi je me contente de suivre tes instructions.

Je m’adosse nonchalamment.

- Tu dois avoir raison. Un détail m’a sans doute échappé.

Je pousse le classeur vers elle.

- C’était tout pour moi.

- Bien ! Je vais retourner voir comment les choses se passent.

- A toute à l’heure.

Après que Makéda soit sortie du bureau, je reste un moment à repenser à cette sacrée remise. Je n’en n’ai vraiment aucun souvenir. Je devais sans doute être dans un mauvais jour lorsque j’ai pris cette décision. Je secoue la tête pour ne plus y penser.

 

Aux environs de 13h, je commence à ranger mes petites affaires.

- Eh merde !

Je n’aurai pas le temps de passer voir Chloé comme je l’avais prévu.

Je quitte le domaine en laissant quelques clients à la terrasse du restaurant. Ils mangent des glaces en discutant, savourent un café en riant et en prenant le soleil. Dans l’air flotte un délicat parfum, un mélange de roses, de lavande et de géranium.

Je roule à faible allure, pestant à tout va contre cet horrible mal de tête. Tenant le volant d’une main, de l’autre, je renverse le contenu de mon sac sur le siège à côté de moi et j’attrape mon portable. Je cherche le numéro de Chloé dans mon répertoire et je lance l’appel. Ça sonne quatre fois avant qu’elle décroche.

- Salut Chloé.

- Salut. Comment tu vas ?

- C’est plutôt à moi de te poser cette question. Alors, comment tu te sens ?

Un soupir sourd.

- Humm… Comme une femme à l’utérus sec, comme une femme abandonnée.

- Ne dis plus ça.

- Et pourtant ce n’est que la vérité.

- Xavier reviendra j’en suis sûre.

- Je ne pense pas. Sa sœur est passée prendre ses affaires la semaine dernière.

Je reçois cette nouvelle comme une gifle en plein milieu du visage.

- Je ne veux pas me faire d’illusions. Xavier et moi c’est la fin d’une belle histoire. Je crois que le fait de n’avoir pas pu lui donner d’enfant…

- Ce n’est pas de ta faute Chloé. Tu n’as pas à culpabiliser pour ça. Tu es une femme extraordinaire et c’est tout.

- Nous sommes en Afrique. Ici, tu as beau avoir toutes les qualités du monde que ton rôle de femme se limite à faire des enfants et à faire à manger à ton homme.

Je n’avais pas remarqué que j’étais entrée au centre-ville depuis un moment. Jusqu’à ce qu’un homme en uniforme me fasse signe de me garer sur le côté.

- Chloé, je dois te laisser. Je me suis faite choper au volant avec un téléphone.

- OK ! Si ça se complique tu m’appelles.

- Bisous !

Je pose le téléphone et je regarde monsieur l’agent trainer sa bedaine jusque moi.

- Papiers du véhicule !

Pas une seule formule de politesse. Mais que leur apprend-t-on dans leurs académies ?

J’ouvre la boite à gants et je lui sors une chemise remplie de documents. Il les sort l’un après l’autre faisant semblant de les examiner. Je prie intérieurement pour qu’il aille droit au but. Oui, tous les tanzaniens savent désormais que c’est dans les poches des usagers de la route que les agents de police se font le plus de sous.

- Vos papiers !

Je lui présente ma carte d’identité. Il affiche tout d’un coup une mine sévère.

- Le téléphone au volant a été interdit par la loi. Je vais de…

Je ne le laisse pas finir. Je commence à pleurer, je fais même semblant de m’effondrer sur le volant appuyant par inadvertance sur le klaxon.

- Mais, c’est quoi ?

Je continue de plus belle.

- Papa, mon papa chéri ! Pourquoi tu m’abandonnes maintenant ? Que vais-je devenir sans toi ?

- Tout va bien ?

Je lève les yeux vers lui et quand mon regard croise le sien, je m’effondre à nouveau. J’attrape un mouchoir qui trainait sur le siège d’à côté et je fais mine de me moucher.

- Doucement maman.

Qui est ta maman ?

- C’est mon père, il vient de décéder. C’était ma sœur au téléphone ! Je savais qu’il était dans un état grave depuis hier nuit, c’est pour cela que j’ai pris son appel.

Il ouvre grand les yeux.

- Une nuit de maladie et il est mort ?

Franchement, les policiers de ce pays, aucun tact. Encore moins de jugeote.

- Oui ! Qu’est-ce que nous allons devenir ?

Il se met direct à ranger les documents que je lui avais remis et il me les tend en se confondant en excuses. Le pauvre, s’il voyait sa tête ne serait-ce qu’un instant.

- Il faut partir. Mais il faut rouler doucement et surtout il faut garer avant d’utiliser le téléphone. Bon il faut aller retrouver ta sœur.

Il se tourne et siffle directement un jeune homme sur un scooter. Le pauvre, il faut bien qu’il trouve de quoi manger ce soir.

- Eh, arrête-toi !

Je sèche mes fausses larmes en rangeant les papiers à leur place et je démarre. Dans le rétroviseur, j’observe l’agent en plein pour-parler avec le jeune homme qu’il vient d’interpeler. Tous des connards ces flics.

Une trentaine de minutes plus tard, j’ai du mal à me garer devant l’école primaire Arthur Rimbaud. J’abandonne donc la voiture un peu plus loin et je marche jusqu’à l’école. A peine je traverse le portail que Pukina se jette sur moi.

- Je pensais que tu ne viendrais pas.

- J’ai bien failli ne pas venir mais une petite fille me manquait énormément.

Je lui fait un bisou et au lieu de le savourer, elle s’éloigne vite de moi et se passe une main sur la joue.

- Maman ! Pas ici ! En plus tu m’as surement laissé une trace.

- Je ne savais pas que ma fille avait honte de sa maman.

- C’est pas ça, c’est juste que je ne suis plus un bébé.

- Ah oui, tu as quand même 8 ans. Fis-je en balançant ma tête de haut en bas.

- Viens, on y va. Tout le monde est déjà en classe.

Je la suis jusqu’à sa classe en riant.

La maitresse principale nous fait un très beau discours. Elle le clôture en nous présentant une boite dans laquelle il faudrait tirer un carton. Le mien porte le mot « amour ». Moi qui pensais que nous allions leur parler de nos carrières, je suis bien surprise. Je passe après la charité et la joie.

C’est mon tour, que vais-je bien pouvoir leur raconter ?

Les yeux de Pukina brillent comme quand elle mange une glace. Ses voisins de table lui chuchotent aux oreilles et elle sourit.

- Bonjour les enfants !

- Bonjour madame !

- Je m’appelle Liya SANDE et je suis la maman de Pukina. J’ai un certain âge et tout comme vous j’adore les câlins et le plus important, je suis une grande amoureuse.

Tout le monde se met à rire.

- Alors, c’est quoi l’amour ?  L’amour… c’est un grand sujet ! C’est peut-être le trouble le plus fort, le plus beau qu’on puisse ressentir. Merveilleux et palpitant, il est source de nos bonheurs. L’amour nous nourrit. On aime sa maman, on aime son frère, ses grands-parents… On aime ses amis, son chat. L’amour c’est se sentir capable de donner dans l’instant, son paquet de friandise ou encore sa figurine de super-héros préféré. C’est saisir chaque occasion de voir un sourire illuminer son visage. C’est rentrer dans une boutique, et regarder ce qui pourrait lui faire plaisir avant même de penser à manger une glace. L’amour c’est quand votre maman s’inquiète constamment de savoir comment vous allez, c’est quand elle passe une nuit blanche à veillez sur vous à cause d’un simple rhume, c’est quand elle vous autorise à dormir avec elle alors que vous dormez comme une étoile de mer.

Je regarde Pukina et j’ai envie de la serrer dans mes bras.

- Vous êtes tous digne d’amour. Du vrai, du grand amour ! De celui des contes de fées. Celui qu’on trouve à Dysney. Vous n’avez pas à lui courir après, il vous tombera dessus au moment où vous vous y attendrez le moins.

Je regarde les maitresses, elles sont au comble de l’émotion. L’une d’entre elle renifle même. Les enfants quant à eux, ils écoutent sans rien dire. Je sais qu’aujourd’hui, ils ne comprennent peut-être pas le sens de tous ces mots mais un jour, quand ils seront grands ils s’en souviendront. Je l’espère.

- Je ne saurai finir de vous en parler sans vous dire que j’aime le chocolat, j’aime les guimauves, je vous aime tous. Et je t’aime ma Puki.

Elle fronce les sourcils et fait la moue.

- Ah pardon ! Je t’aime ma Pukina.

Elle cache son visage avec son sac tandis que moi, je souris. Des applaudissements se font entendre. Je cède ma place à la charité.

Nous passons tous un agréable moment. Mettre des mots sur ce qu’on ressent est un exercice tellement compliqué, ce n’est qu’aujourd’hui que je m’en rends compte.

A la fin de cette journée riche en émotion, c’est une autre Pukina qui me tient la main alors que nous marchons dans la grande cour.

- Comme ça tu n’as plus honte !

Elle serre encore plus ma main.

- Maman ! J’ai faim.

C’était trop beau pour être vrai. J’avais oublié de leur préciser que l’amour est souvent quelque chose d’intéressé. En voici la preuve en image.

 

Ce soir-là, ma migraine passée je m’installe sur la banquette dans ma chambre avec l’envie de coucher quelques mots sur du papier, pour elle. Pour que jamais elle ne m’oublie.

« Puki, mon Amour !

Ce soir, j’ai eu cette envie folle de te dire que je t’aime.

Tu m’en voudras pour tous ces baisers et ces câlins en public mais vois-tu, je préfère que ce soit ça que tu gardes en souvenir. »

Je referme le petit carnet noir ornée de lettre dorée et j’attrape mon roman.

Oui, il faut apprendre à lâcher prise, il faut savoir renoncer. Il faut pouvoir abandonner pour recommencer ou tout simplement pour continuer. Après tout chaque fin n’est que le début d’une nouvelle histoire.

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