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Il lui semblait pourtant si réel, tapi dans l’ombre. Un tour sur ses réseaux sociaux finit de dissiper ses doutes. Impossible que l’homme derrière le rideau à côté de la scène n’ait été Bledji. Il n’était pas en France. Elle referma son ordinateur comme pour clore définitivement ce chapitre. Elle avait tout bonnement rêvé.

Zoé s’allongea sur le dos et se replongea dans ses souvenirs de la veille. Bien qu’elle ait été quelque peu perturbée, elle avait apprécié cette soirée en compagnie de Djibril.

Le stand up café fut le premier d’une longue liste de rendez-vous insolites. Djibril prenait un malin plaisir à l’inviter dans des endroits improbables : un escape game à deux enfermés dans un cercueil, une initiation à la boxe thaïlandaise, les catacombes de Paris. Zoé le soupçonnait même de tenir un carnet où il consignait toutes les idées les plus folles qui lui traversaient la tête. Djibril avait tant peur de la routine, de l’ennui et de la solitude qu’il mettait tout en œuvre pour que ses journées ne se ressemblent pas. La quasi-casanière et addictif des soirées ciné popcorn qu’était Zoé fut déboussolée par les choix saugrenus de son copain. Adossée contre les cordes du ring après avoir été terrassée par un low kick, elle supplia de lui accorder une trêve. Elle lui réclama un simple dîner dans un bon restaurant de la capitale sans concert jazzy, sans coups, sans crânes juste eux deux, rien qu’une fois. Au point où elle en était même un kebab la satisferait pleinement, pourvu qu’il lui épargne les sensations fortes. Au fil des mois, ils finirent par trouver un compromis, un soupçon d’excentricité teintée de douceur.  

Un baiser en entraîna bien d’autres. Puis aux élans du corps vinrent se mêler des sentiments plus intenses. Ils étaient ensemble et amoureux. Ils ne se l’étaient jamais avoués mais chacun de leurs actes et de leurs petites attentions le hurlait au monde entier. Des projets de grands voyages se dessinaient : une envie de prendre de l’altitude au Pérou, de sillonner les routes arides d’Australie ou encore de découvrir le Sénégal de Djibril. Ça faisait des années que Zoé n’avait pas été si bien en couple.

 

Les deux sœurs allongées sur le lit de Zoé s’épanchaient sur leurs histoires respectives. À les entendre, l’une comme l’autre étaient au bras du meilleur homme sur terre, se balançant dans une surenchère malsaine, les plus belles attentions qu’ils avaient à leur égard.

Un soir, Zoé reçut un coup de fil d’Eze. Il lui demanda de s’éloigner si Edna était près d’elle. Il semblait tendu à l’autre bout du fil, sa voix étant légèrement tremblotante. La jeune femme s’isola donc dans sa chambre.

— ça va ? Lui demanda-t-il.

— Oui très bien et toi ? T’as un souci ?  

Zoé appréciait énormément son « beau-frère » mais ils n’avaient jamais été proches au point qu’il l’appelle à vingt-trois heures passées. Elle craignait qu’il ait une triste nouvelle à lui annoncer.

— Non t’inquiète ! Il y a quelque chose mais rien de grave ! Ecoute…

Il prit une profonde inspiration.

— J’ai beaucoup réfléchi et je compte demander Elsa en mariage.

— Quoi ?! Hurla Zoé sous le choc de la nouvelle.

— Qu’est-ce qui se passe encore ? Cria sa mère alertée par le hurlement de sa fille.

— Non rien Maman.

Zoé fut assaillie par une avalanche de sentiments qui se succédèrent à une vitesse folle. Elle oscilla entre la surprise puis la joie et enfin la peur. La surprise parce qu’elle ne s’y attendait pas du tout. Eze et Elsa ne se fréquentaient que depuis un an seulement. La joie parce que ça restait malgré tout une belle preuve d’amour. Puis la peur s’empara de Zoé.  Elsa n’avait que vingt-et-un ans. Elle était encore étudiante et malgré tout l’amour qu’elle portait à Eze, il n’avait pas les ressources suffisantes pour assumer un foyer. Un foyer qui plus est composé par Elsa Sia. Zoé s’empêtra alors dans un scénario catastrophe. S’ils se marient, ils voudront ensuite faire un enfant. Elle en aura un en moins de deux ans. Elle arrêtera ses études. Elle finira mère au foyer. Elle accouchera d’un deuxième puis d’un troisième. Puis le jour où elle s’enlisera dans une dépendance affective et financière depuis bien trop d’années; Eze choisira ce même jour pour filer avec sa dignité et toutes ces années qu’il lui aura volées…Non ! Impossible pour elle ! Ce n’était pas la vie qu’elle avait imaginée pour sa petite sœur.

— Zoé tu m’entends ?

Ne décelant aucune réaction Eze avait fini par penser que sa future belle-sœur n’était plus au bout du fil.

— Ouais ouais ! Whaouh, je ne m’y attendais pas du tout.

— Ouais je sais ça s’est fait vite mais je suis fou d’elle.

— Mais prends le temps de réfléchir hein Eze. Ça me semble précipité. Tu sais le mariage ça ne se prend pas à la légère.

— Je vois pas pourquoi j’attendrais, si je pense avoir trouvé la bonne personne.

— Écoute, ça ne fait qu’un an que vous êtes ensemble Elsa et toi. Vous êtes jeunes, pourquoi tu veux forcer comme ça ? Profitez de la vie. Apprenez à vous connaître, à vous découvrir.  

— Je l’aime et j’ai envie d’être avec elle. Je la connais par cœur. C’est limite comme si je l’avais toujours connue.

Dans d’autres circonstances Zoé aurait été attendrie par cette déclaration spontanée mais Eze commençait sérieusement à l’agacer avec ses niaiseries d’ados pré pubères. À présent, elle le percevait comme un gamin capricieux qui ne voulait pas quitter sa poupée.   

— Ouais mais un mariage n’est pas qu’une question d’amour. Vous avez vos projets perso. Elsa n’a que vingt-et-un ans, elle est encore étudiante. Vous allez vivre comment ? Le raisonna Zoé.

— Je sais c’est pour ça que le mariage ne sera que dans deux ans pour qu’on ait le temps de mettre de l’argent de côté.

— Et vous vivez encore chez vos parents ! Vous allez vivre où ?

— Je compte prendre un appartement.

— Eze je t’aime beaucoup mais tu dis connaître Elsa. Tu sais qu’elle aime le confort. Les grandes phrases « on vivra d’amour et d’eau fraîche » ce n’est pas pour elle et elle a bien raison puisque même cette eau, vous allez devoir la payer.

— Franchement Zoé je pensais que tu serais grave contente pour nous deux mais là j’ai l’impression que t’essayes de me faire changer d’avis.

— Bien sûr que je le suis mais je suis aussi inquiète pour ma sœur. J’ai pas envie qu’elle se jette dans le mariage et qu’elle oublie tous ses rêves de petite fille. En plus, vous n’avez aucune situation.

— Écoute, je t’appelais parce que j’avais déjà pris ma décision et que pour moi c’était clair. Je veux qu’Elsa devienne ma femme. J’avais besoin de ton aide pour la bague et la demande. Je voulais faire ça un week-end où Edna penserait qu’elle partait avec toi et tout le bordel parce que tu es celle qui la connaît le mieux. Alors est-ce que tu veux bien m’aider s’il te plaît ?

— Eze, vraiment, je t’en conjure, réfléchis je t’a…

— Tu sais quoi ? Laisse tomber Zoé ! C’est pas grave, l’interrompit Eze.

Il raccrocha aussitôt. « Quel petit con » s’insurgea Zoé. Il pensait vraiment qu’elle laisserait partir sa sœur avec lui juste parce qu’il le demandait. Elle n’avait aucune envie que pour une amourette sa sœur abandonne ses rêves et ses ambitions.

Les semaines qui suivirent Zoé évita soigneusement d’aborder le sujet Eze avec sa sœur de peur qu’elle ne devine ses ressentiments à son égard. Malgré tout, Zoé alerta Elsa sur son couple à coups de « attention, t’emballe pas », « vous devriez peut-être ralentir ». Elle jaugea également ses ambitions professionnelles et s’assura qu’Elsa envisageait toujours de devenir une grande avocate spécialisée dans le droit de la famille. Depuis qu’elle sortait avec Eze, elle la trouvait déjà plus étourdie moins soucieuse lors des périodes d’examens, plus concentrée sur sa romance. Ces mecs ont parfois la fâcheuse faculté de torpiller les souhaits les plus chers. Zoé ne se l’avouait qu’à demi-mot, elle craignait qu’Elsa emprunte le même chemin qu’elle, que sa jeune sœur oublie ses rêves et se perde dans le regard de celui qu’elle aime.

Un soir, Elsa débarqua dans la chambre de Zoé qui était occupée à lire un bouquin sur l’influence économique de la politique dans les pays émergents.

— Il y a un truc trop bizarre.

— Quoi ? Demanda Zoé qui redoutait qu’Eze n’ait mis son plan à exécution.

— Tu vas rigoler ! Marie m’a invitée à un petit week-end entre filles la semaine prochaine avec Adjoua, Ruth et Rebecca. C’est trop bizarre non ?

Zoé referma son bouquin.

— Ouais et elle ne m’a pas invitée. Elle invite les cousines mais pas moi, s’indigna Zoé.

— En plus à la base, je n’étais pas censée t’en parler.

La jeune femme réfléchit un instant. Marie n’avait jamais manifesté la moindre envie de passer un peu de temps avec les filles. Elle pressentit qu’Eze était derrière ce week-end impromptu. Il avait osé demander à Marie de l’aide. Bien sûr, qui connaissait bien la famille Sia savait que Marie la Sainte ne verrait aucun inconvénient à ce qu’Elsa se marie si jeune. Elle serait bien gonflée de donner des leçons alors qu’elle-même était passée devant le maire à l’âge de vingt ans. Hors de question qu’elle le laisse s’en tirer comme ça.

— Écoute je crois savoir ce qui se trame derrière cette histoire !

Elsa fronça légèrement les sourcils.

— Je ne voulais pas te le dire parce que je pensais qu’il allait s’enlever cette idée stupide de la tête mais…c’est un piège. Je crois qu’Eze va te demander en mariage ce week-end-là.

Les yeux ronds d’Elsa s’écarquillèrent. Elle avait du mal à croire ce que Zoé venait de lui révéler. Elle glapit et s’agita à travers la pièce. Elle finit sa course dans le lit de Zoé. Elle enfonça sa tête dans l’oreiller et poussa des petits cris étouffés par la literie. Elsa se redressa devant Zoé. Elle s’éventa avec le livre que sa sœur venait de reposer faisant voler le marque-page.

— Comment tu sais ça ? Demanda-t-elle toute excitée.

— Il m’a appelé il y a quelques semaines pour que je l’aide. Vu que jusqu’à maintenant, je n’en avais pas entendu parler, je pensais qu’il avait abandonné l’idée, se lamenta Zoé qui ne semblait pas comprendre l’effusion de joie de sa sœur. Au contraire, elle devrait être terrifiée.

— Pourquoi Marie ou Eze ne t’a pas invitée ? Ils savent bien qu’on est super proches.

Zoé hésita quelques secondes. À quoi bon lui cacher la vérité ? Elle le découvrirait tôt ou tard.  

— Écoute, je lui ai fait comprendre que je n’étais pas pour que vous vous mariiez.

— Quoi ?! Mais t’es sérieuse ?!

— Elsa t’es jeune et tu ne le connais que depuis quoi ? Un an ?!

— Putain mais Zoé c’est pas à toi de décider. Tu fais exactement avec les autres ce que tu reproches à Marie. En fait, t’es ni Maman ni Papa. T’as pas à donner des bénédictions ou pas. Si on veut se marier, t’as rien à dire en fait. C’est notre décision !

—…

— Et là si je comprends bien, tu m’as tout balancé pour que je sois dégoûtée et que je le clashe en fait ? Et tu voulais quoi après ? Que je le quitte ? Est-ce que tu te rends compte que tu viens de me gâcher ma demande en plus ?

— Elsa, je suis ta grande sœur et j’ai bien le droit de te reprendre quand tu fais une connerie. Et là pour moi t’en fera une belle si tu te maries avec lui.

— Mais ce que tu ne comprends pas c’est que tu as le droit de donner ton avis mais pas de nous l’interdire comme si t’avais une quelconque autorité sur nous. T’en as pas. Quand t’as compris qu’il était sérieux dans sa démarche tu aurais dû l’encourager.

— Quoi ?! Tu délires, je vais pas l’encourager à foutre la vie de ma sœur en l’air.

— Putain mais tu t’entends ? En quoi me marier va foutre ma vie en l’air ? Toutes les filles de la famille se sont mariées jeunes. Marie s’est mariée jeune. Leurs vies sont foutues ?

— Je ne savais pas que Marie était devenue une référence, ricana Zoé.

— Pfff, soupira Elsa affichant une mine de dégoût. Quand est-ce que t’es devenue à ce point mauvaise et méprisante. Tu te crois mieux ?  

La cadette balança le bouquin sur son lit et quitta la pièce. Elle claqua si fort la porte de la chambre que les oreilles de Zoé bourdonnèrent plusieurs minutes encore après son départ.

Les deux sœurs ne s’adressèrent plus la parole de la semaine. La tension palpable entre les deux jeunes femmes n’échappèrent pas aux yeux de leur mère qui tenta un soir de découvrir quelle rancœur elles accumulaient l’une comme l’autre. Aucune n’eut le courage d’en parler. Elsa avait été blessée par le comportement de sa sœur qu’elle avait toujours considéré comme un soutien inébranlable. De son côté, Zoé ne saisissait pas l’amertume d’Elsa. Elle était persuadée d’avoir bien agi et d’être la victime dans cette histoire. Convaincues l’une comme l’autre d’être dans leur bon droit, aucune ne fit un pas vers l’autre.

Le fameux week-end en question tout se déroula comme prévu selon les dires d’Adjoua qui rendit à Zoé un topo sur les préparatifs et le déroulement de la soirée. Eze fit sa demande à Elsa qui en pleura. Elle sanglotait déjà lorsqu’elle aperçut le chemin de pétales de roses et les bougies. Elle sanglota encore plus quand elle aperçut la bague.

Zoé l’avait vue, le dimanche soir. Impossible de la rater. Elle était étincelante. Un zirconium probablement, enfin elle l’espérait pour le compte en banque d’Eze. La bague clamait à qui posait les yeux sur son annulaire gauche qu’Elsa Sia s’était fiancée le week-end dernier.

 

Zoé, la tête posée sur son torse, raconta à Djibril l’approche d’Eze, sa dispute avec Elsa et la bague onéreuse qu’elle semblait déjà afficher. Suite à une mission à l’étranger, elle l’avait très peu vu en un mois.

— Tu te rends compte un an seulement ?  Un an et il la demande en mariage alors qu’elle n’a que vingt-et-un ans, qu’elle fait des études difficiles et qu’elle est pleine d’ambition.

— Ouais je te comprends, dit-il en jouant avec ses ressorts. J’ai fait la même bêtise sept ans plus tôt et j’aurais aimé qu’une de mes sœurs s’en soucie.

— Quoi ? S’écria Zoé qui s’était dressée comme un suricate sur le lit.

C’est vrai que tous deux avaient eu une vie avant de se rencontrer. Ils avaient probablement vécu d’autres histoires d’amour. Elle n’avait jamais parlé des siennes. Il n’avait jamais parlé de son ex-femme Adja avant ce soir-là. Elle lui avait brisé le cœur sept ans plus tôt. Histoire classique conclut-il elle en aimait un autre et il se renferma dans un silence de plomb.

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