100: Ensemble, main dans la main

Write by Gioia

***Thierry Henry NDOUO***

Au lieu d’une copie de son passeport, papa s’est proposé pour m’accompagner au Canada. À cause des activités de fin d’année ainsi que nos emplois du temps professionnels, il a fallu attendre la fin de février avant de pouvoir s’y rendre. Que personne ne vienne dans ce pays durant cette période. Je répète, ce n’est pas la période pour visiter ce pays! Ce qui m’énerve même dans cette histoire, c’est que j’aurais peut-être pu éviter le nez et les yeux qui coulent sans arrêt dès qu’on met le pied dehors. Oui, peut-être que j’aurais pu éviter si j’avais écouté Vita et acheté les North face ou Canada Goose dont elle m’a envoyé les liens, mais au lieu de ça, je lui répondais de m’envoyer aussi les 600 € qu’ils coûtaient. Même papa m’avait demandé si j’avais un manteau conséquent parce que le froid de Québec peut s’avérer rude puisqu’il s’agit d’une ville de fleuves et montagnes. Je me suis empressé de le rassurer que j’avais acheté une Parka bien solide juste pour l’occasion sans préciser que je l’ai prise chez Asos, à 78,50 €.

Comme l’a dit Vita sans égard pour ma souffrance, les gens qui fixent le prix de leurs manteaux à des centaines ou milliers de dollars ne sont pas cons pour le faire. Ils vendent certes le prestige, mais ils savent aussi qu’à un certain degré, il te faut une quantité spécifique de rembourrage. Je dis bien sans égard pour ma personne. J’avais plongé mon corps dans une eau bien brûlante après une journée à visiter l’hôtel de glaces. Une envie de papa que je n’ai pas pu lui refuser parce qu’il me l’a proposé avec tellement d’entrain dans la voix. C’est tout tremblant dans ce bain brûlant que j’ai raconté mes déboires avec les températures canadiennes à ma copine et elle s’est royalement moquée de moi. Tu parles d’une future madame.

En dehors de ce temps inhumain, le Québec c’est plutôt vaste et l’architecture est totalement différente de ce que j’ai vu dans le nord de la France. Du moins je parle de Lille et Douai. Paris je ne connais pas trop comme tout le monde. J’y passe en coup de vent. Voyager avec son père a un vieux goût que j’avais complètement oublié. Pour une fois depuis je ne sais combien d’années, ce n’était pas ma responsabilité de chercher où dormir, et comment me déplacer. En fait, une fois qu’on s’est entendu sur une date, on m’a simplement envoyé mon billet. Et depuis l’atterrissage je n’ai fait que le suivre. J’ai appris dans la foulée qu’il connaît très bien la ville, raison pour laquelle on n’a eu aucun mal à se déplacer depuis qu’on est là.

La rencontre avec le conseiller est prévue pour 10 h 30 ce matin. Je nous commande un Uber pendant que papa finit son petit-déj. De Lévis où on réside jusqu’à Québec, ça nous prend une vingtaine de minutes alors nous quittons à 10 h, dès que la voiture se pointe. Les formalités prennent moins de temps que ce à quoi je m’attendais. Nous présentons les pièces nécessaires, le conseiller s’excuse un moment, puis revient nous chercher pour qu’on se rende dans une pièce plus intime. Je m’attendais à tomber sur les grosses portes des chambres fortes que les braqueurs essaient de faire sauter souvent dans les films de cambriolage, mais nous sommes plutôt devant un mur de petits casiers.

J’introduis la clé dans celui qui appartenait à papi et papa en sort une boîte plutôt longue. Un casier apparemment. Le conseiller nous pointe une pièce privée tout en nous précisant de prendre notre temps.

– Je vais t’attendre ici aussi si tu préfères, me dit papa

– Euh… pourquoi? Tu n’as pas le droit d’être avec moi?

– C’est ton héritage qui se trouve dans cette boîte alors tu as le droit de le découvrir seul si tu préfères

– Non, je préfère que tu sois avec moi, je lui dis

Il hoche la tête avec un sourire satisfait sur le visage et nous nous dirigeons ensemble dans ladite pièce. J’ouvre la boîte qui contient encore d’autres boîtes. Le mystère de ça. Il y a quand même d’autres choses en dehors des boîtes. Une enveloppe par exemple, dont je sors ce qui ressemble à une clé USB ainsi qu’un CD.

– Papi aimait le mystère hein, dis-je tout en retournant le CD dans tous les sens

– Je ne te le fais pas dire, répond papa avec humour

J’ouvre enfin l’une des boîtes et en sors un bijou. Un collier de perles pour être précis. Je ne m’attendais tellement pas à ça que j’interroge mon père du regard.

– Il aimait aussi acheter des bijoux à ses femmes

Et il n’avait pas tort. Le reste des boîtes, dix pour être précis, ne contenait également que des bijoux. Encore des colliers, bracelets et broches. En dernier je remarque dans le fond, une grande enveloppe toute mince que j’aurais presque manquée. Je la sors, et vide le contenu sur la table. Des certificats d’achat de Mikimoto, Steinway&Sons, Renee Lewis, W. Rosado et Stephanie Windsor. Puis une lettre, portant l’entête de cette banque, signée par Omar Adamou et notariée qui dit qu’à son décès la totalité des avoirs sur ce compte doit m’être léguée.

– Qu’est-ce qu’on fait?

– Nous rentrons avec le contenu, je t’expliquerai tout quand on sera à la maison, je ne me sens pas à l’aise à le faire ici, papa me chuchote à l’oreille

Je hoche la tête et range dans mon sac à dos le contenu du casier. Nous retrouvons le conseiller qui patientait sagement. Je lui remets la déclaration et papa qui avait apparemment pensé à tout, lui sors l’acte de décès de papi. La procédure est un peu longue. Il doit avoir l’accord du directeur de l’agence sur certains documents. On se chuchote à l’oreille papa et moi le temps que ça lui prend. Le conseiller essaie aussi de me vendre dur comme fer leurs services, stipulant qu’on pourrait facilement transférer le montant du compte de papi au mien, mais je décline prestement.

Après ce qui m’a semblé être une heure, il me présente les derniers documents à signer. Mes yeux butent sur le solde faramineux du compte. 97856 CAD? Genre un peu moins de 100K pour moi seul?

– Tu te retrouveras avec le double, voire le triple si jamais tu décides de vendre les bijoux de maman, m’informe papa après notre retour à la maison

– Hein? Je pense que je n’ai pas bien entendu, fais-je éberlué et lui sourit comme si c’était on ne peut plus normal.

– Quand j’avais un peu moins de ton âge, papa s’est attiré des problèmes avec le pouvoir en place. Je venais à peine de commencer l’université. Non seulement ils l’ont fait arrêter, mais en plus, ils ont réclamé à l’état la petite maison à Aix dont papa avait fait l’acquisition pour nos vacances quand je venais de finir le collège. J’ignore comment ils y sont arrivés, mais banalement, ils ont fait croire qu’il avait profité de sa position au sein de l’armée pour piller les caisses de l’état et s’enrichir. Nous avons perdu beaucoup et comme c’est légion en politique, ils l’ont libéré sans que l’on connaisse la raison. Il n’a jamais voulu en parler. Ce n’était pas le genre à s’épancher sur les dessous de son travail, mais quoiqu’il en soit, notre vie a changé après cette épreuve. Papa a lui-même changé. Nous vivions cachés et il n’investissait plus son argent que dans des choses insignifiantes aux yeux du commun des mortels sinon assez loin du Togo pour qu’on ne remonte jamais à lui. La première parure de perles que tu as sortie lorsque nous étions à la banque était un cadeau pour les 50 ans de maman. Dans le temps, elle excédait déjà le total de ce que tu as vu sur ton compte aujourd’hui.

– Des perles? Tu es sérieux? Ça coûte comme ça?

– Oui quand c’est une marque reconnue pour sa qualité et en plus une édition limitée, entourée de diamants et le tout monté sur 18 carats d’or blanc si mes souvenirs sont bons. Une de mes sœurs travaillait à l’époque chez Mikimoto en Californie et c’est elle qui s’est démenée pour la lui trouver. Tu vois la bague que porte ta mère régulièrement?

– Oui avec la petite perle noire au centre et les diamants à côté?

– C’est une Mikimoto aussi, quoique nettement plus abordable que le collier. Tout ça pour te dire qu’on est des habitués de cette marque alors tu peux me faire confiance quand je te dis qu’elle vaut beaucoup. Les autres bijoux ne coûtent pas autant que cette parure, mais ce sont pour la majorité des pièces vintage aujourd’hui. Je te présenterai à mon joaillier quand on rentrera pour qu’il te guide dans la revente si tu souhaites t’en défaire.

– Anh joaillier hein. On ne dit plus bijoutier désormais?

– Un joaillier travaille avec des pierres précieuses contrairement à un bijoutier après un sourire 

– Quand tu me souris comme ça, j’ai l’impression d’être mal bête

– Mais non, je n’y connaissais rien à ton âge aussi. Je n’ai commencé à m’y intéresser que lorsque j’ai eu envie de faire plaisir à ma femme et ma fille. Avant ça, j’étais le roi des parfums Chanel. Ma mère a certainement eu 95 % de ce que Chanel a fait en parfumerie par moi et la pauvre en mettait certains uniquement pour me faire plaisir pourtant elle ne supportait pas l’odeur. Il a fallu qu’elle me taquine sur ça chez ta mère pour que je l’apprenne.

C’est moi qui rigole maintenant. Moi-même j’avais ciblé Guerlain pour maman et je comptais lui offrir tout ce qu’ils sortaient comme produits de beauté jusqu’à la fin de sa vie.

– Le premier Steinways&Sons c’est celui-ci, il dit tout en me pointant le grand piano imposant qui trônait dans le coin détente non loin du salon ouvert

– Un piano? Papi jouait? Attends, qu’est-ce que son piano…; Euh nous ne sommes pas dans un Airbnb je suppose, dis-je sur la fin quand ça clique dans ma tête

– Non. Ce chalet appartient à ta mère. Le piano est un cadeau de ton papi. On se foutait de sa gueule quand il s’est levé un beau matin avec la motivation d’y jouer. Mais après ta disparition, je pense qu’il s’est réfugié dans ses leçons. Pour finir, il jouait si bien et régulièrement qu’il a proposé à ta mère de lui en offrir un, il dit avec un air triste que j’ai envie d’effacer toutes les fois qu’il apparaît.

Je quitte le divan d’en face pour m’asseoir à côté de lui et il passe le bras autour de mon épaule.

– Je ne suis pas…, plus triste fiston, ne t’en fais pas. Ce sont juste des souvenirs. Mais bref, je disais donc qu’il avait proposé de nous offrir ce piano quand j’ai acheté ce chalet pour ta mère après les vacances qu’on a pris l’année des six ans d’Ida. Les seules vacances qu’on s’est autorisé et ta mère est tombée sous le charme de cette petite ville. Je me suis démené pendant deux ans pour acheter cette habitation. On s’était promis qu’on t’emmènerait ici pour des vacances et ton papi nous a fait cadeau de ce beau piano. Tout comme les perles, disons que c’est du vintage dans le monde des pianos. Je m’y connais moins là-bas, mais dans l’enveloppe, tu as tous les certificats d’achat ainsi que les contacts des boutiques où il les faisait. Je sais uniquement que les grands pianos de Steinway peuvent t’emmener dans des prix qui dépassent le solde actuel du compte aujourd’hui.

– Comment je peux faire mieux que lui après tout ça? je m’interroge tout haut

– Où veux-tu en venir? il me demande confus

– Dans sa lettre, papi a prié que je fasse mieux que lui. Avec tout ça, je le dépasse comment? Je ne veux pas le décevoir, mais je…, je sais pas là tout de suite, si j’ai les épaules solides pour être son petit-fils. Je ne visais que l’indépendance financière. Millionnaire aussi, mais acheter les choses chères comme ça là, j’ai toujours trouvé que c’était trop rêver pour rien. En tout cas, c’est pas sur mon salaire en France que je me voyais réaliser ça.

– Chaque parent espère que son enfant fera mieux mon garçon, mais en fin de compte, c’est ton bonheur qui nous importe. Je ne pense pas avoir fait mieux que lui financièrement parlant, même si c’est difficile à évaluer puisque personne ne connaissait réellement la quantité exacte de ses avoirs. Mais je n’en suis pas moins heureux, tu sais. Je n’en suis pas moins fier de moi. Ce que je détiens, j’ai travaillé pour l’avoir. J’ai construit mon bout de chemin avec ma femme et nos enfants sont aussi des battants. Et si tu es mon fils, tu sauras aussi faire ton petit bout de chemin qui te sera propre.

Je ne savais même pas que je ressentais la pression jusqu’à ce que son discours me libère le cœur de ce petit poids qui s’était déposé dessus quand il a commencé à me parler des perles.

– Merci pour tout, papa, merci, je dis sincèrement

– De rien, c’est mon travail, il répond tout en me tapotant le dos. Puisque nous sommes sur le sujet, je voulais aussi réintroduire le sujet de notre offre même si tu avais dit que…

– J’étais con dans le temps, fais pas attention, je l’interromps. Pas que j’en ai après ton argent hein, mais…

– Ne t’en fais pas je comprends, il m’interrompt à son tour sur un ton rassurant. Alors cette maison comme tu le sais maintenant appartient à ta mère. Nous avons celle de Marseille ainsi qu’une à Lomé. Nous avions prévu partager les trois résidences entre vous nos enfants, et comme tu es l’aîné on te laisse le choix.

– Genre tu veux dire que je peux choisir une maison comme ça quoi?

– Oui, celle que tu veux. Il en va de soi qu’on ne pourra te léguer celle de Marseille qu’à notre retraite officielle comparée aux deux autres. Et si tu choisis celle-ci, tu dois quand même nous permettre d’y passer quelques congés le temps qu’on quitte cette terre.

– Est-ce que je dois répondre maintenant?

– Bien sûr que non, rien ne presse. Tu pourras même visiter la maison de Lomé avant de te décider. Mais je te préviens tout de suite, tu risques de ne pas l’aimer parce que j’ai fait une folie là-bas.

– Qu’est-ce que tu veux dire par là? je l’interroge amusé que cet homme si réfléchi que je côtoie depuis un moment ait aussi un côté de dingue

– Disons que j’étais jeune, je venais tout comme toi aujourd’hui d’accéder à l’héritage laissé par mon grand-père et surtout j’avais une sacrée envie de faire chier mes parents parce qu’ils s’étaient mêlés de mon histoire avec ta mère. Alors quoi fait un petit inconscient quand il veut prouver aux autres qu’il s’en sort très bien sans eux? Il se construit une maison bien trop extravagante pour deux personnes. Le pire c’est que je n’y ai finalement pas vécu aussi longtemps que prévu. À cause de sa taille et son emplacement, mon ami et moi n’avons jamais pu trouver un autre acheteur pour le prix qu’on demandait, du coup nous avons dû la mettre en location comme maison de vacances lorsque l’occasion le permet.

– Ouais, un mauvais investissement quoi, ça fait mal

– Je t’assure. Je n’en suis pas fier, mais bon voilà, tu sais que j’ai été un idiot aussi, il dit avec un sourire.

– Mais tu t’en sors plutôt bien maintenant

– La preuve qu’il y a une chance pour les idiots s’ils décident de changer, n’est-ce pas?

– Pas faux vu sous cet angle, je réponds avec humour.

Mon ventre gargouille sur cette phrase, me rappelant que notre dernier repas remontait à six ou sept heures plus tôt. Je propose de nous faire des pâtes. Offre qu’il accepte et je me mets directement aux fourneaux. Comment je n’y ai pas pensé plutôt en voyant les ustensiles. Ils ressemblent à ceux qu’ils ont à Marseille, mais jamais je n’ai fait le lien entre les deux. Dire que maman a vraiment une maison dans un pays étranger quoi. Le rêve inespéré. Et ce chalet comme les gens du coin l’appellent c’est une petite maison moderne avec cour, patio, piscine hors terre, le tout entouré d’une vaste forêt bien dense de laquelle sort parfois certains animaux. J’ai croisé un petit matin ce que papa a appelé un chevreuil. Je me vois bien emmener Andrade ici et l’enfermer dehors après lui avoir raconté que les ours sont réguliers dans le coin. Je rigole rien qu’en imaginant sa tête effrayée m’insulter tout en tapant sur la vitre et me supplier d’ouvrir.

– Je t’amuse autant? me demande papa avec qui je mangeais à table

– Désolé j’avais l’esprit ailleurs. Dis, est-ce qu’une maison comme celle-ci coûte cher?

– Pour nous elle n’a rien coûté quand on l’a achetée. 295K si l’on ne compte pas les frais du courtier immobilier

– Waow vous avez acheté cash? Kieeee

– On ne voulait pas s’endetter pour une maison de vacances. En plus ta mère n’avait presque rien fait de ses économies depuis ce que tu sais et je voulais qu’elle ait un investissement à son nom, alors on s’est lancés

Encore une chose qui me fait aimer de plus en plus cet homme qui est mon père. Cet amour qu’il a pour ma mère, pour nous, sa famille. Cet amour je le retrouve aussi entre mon papi et ma mamie, que je visionne sur mon écran grâce à la clé USB qu’ils m’avaient laissée dans le casier. Mamie m’explique que son français écrit n’est pas aussi clair que celui de mon papi, raison pour laquelle elle a préféré me faire une vidéo. Une vidéo qui m’a fait pleurer sur la fin à cause des mots touchants que les deux, puis trois avaient pour moi. Trois parce que ma seconde mamie s’est rajoutée sur la fin. La vie peut être si dingue et inattendue à la fois que tu ne sais quelle leçon tirer. Voici que je suis riche grâce à des gens qui ont souffert de ma perte pendant des années. J’ai mal pour eux, mais d’un autre côté je ne peux cacher le petit soulagement qui continue de s’installer en moi depuis que j’entrevois les choses que cet argent me permettra de faire pour maman et Vieira. Quelle leçon dois-je tirer? Certains doivent souffrir pour que d’autres soient heureux? Ou, je réfléchis trop et je dois simplement laisser couler?

Oui, quoi faire d’autre. De toute façon, le bien comme mal sont déjà fait. Je me refais la vidéo encore une fois. Une équipe, c’est ce qu’étaient les Adamou première génération. La seconde génération, mes parents, je dirai qu’ils sont une vision. Ils résument bien l’une des seules citations littéraires que je connais dans ma vie. «Aimer c’est regarder ensemble, dans la même direction». Mamie qui m’a fait une bonne leçon sur les bijoux du coffre porte sur son corsage une des broches en saphir qu’elle m’a léguée. Celle là je ne vais pas la vendre. Non je ne le ferai pas. Elle m’a raconté un tas d’histoires sur tous ses bijoux et je veux la garder dans la famille. Elle ira à Lucile. Je garderai aussi un autre bijou pour notre seconde ou troisième fille, dépendant de ce que Dieu nous donnera. Je ne vois pas Andrade accepter plus de trois grossesses de toute façon. Madame est à fond sur sa carrière actuellement et les gros plans qui sortent de sa bouche demandent qu’elle soit impliquée pour y arriver. Et pour ma part trois me suffiront amplement. Trois enfants, une équipe, une vision. Une dernière phrase me vient à l’esprit et m’arrache un sourire. Je pense que je viens de trouver mes vœux de mariage. Mais avant de laisser mon esprit voyager, je dois vérifier quelques derniers trucs avec elle.

Elle ne m’a pas fait signe de toute la journée pourtant elle sait que je devais me rendre à la banque avec papa aujourd’hui. Elle répond à la seconde sonnerie et se débat avec son téléphone pour bien placer son téléphone. Je salue son père qui passe avec ma Lulu sur son cou. Vita me demande une seconde, le temps de mettre ses écouteurs et enfin on peut parler.

– ça va l’installation? Je ne t’ai pas entendu de la journée, je lui demande. Elle a emménagé à Limoges il y a une semaine pour commencer un stage au secrétariat de la mairie.

– Bah j’attendais aussi que tu me fasses signe. Comment ça s’est passé?

– Très bien, tu as devant toi un homme riche donc il faut bien me parler désormais sinon je me fais faire un bâton en or et je vais bien te mater tes petites fesses là

– Lol va te faire choucrouter, elle me répond et j’éclate de rire. Depuis que Lucile répète les mots, on s’est entendu pour utiliser choucrouter, à la place de tout. Les fois où nos bouches glissent sont hilarantes.

– Ah bon hein? On envoie choucrouter son riche chéri aussi?

– Yep quand il le mérite. Attends je me rince les mains et je prends Lulu à paï.

Elle fait donc ça, retourne dans la chambre et se met à border Lucille après avoir éteint la lumière et gardé uniquement celle du chevet allumé.

– Je rappelle?

– Non, continuons. Alors tu es aux as? Tu comptes faire quoi avec ta thune?

– On pourrait changer de crèche à Lucile pour commencer

– Pour quoi faire? Sa crèche actuelle est bien non?

– Oui, mais il doit y avoir mieux dans le privé surtout. J’ai déjà fait quelques recherches sur Lille et j’en ai deux qui me plaisent bien.

– Donc si je te suis, maintenant que monsieur est aux as il veut enlever Lulu d’une crèche franchement bonne où elle est déjà connue, juste parce que c’est le public? elle rétorque sur un ton dérisoire comme si j’avais fumé du chanvre. Ta mère tu n’as pas pensé à elle? Tu ne t’es pas dit que peut-être la faire quitter de France truc c’était plus important qu’un changement de crèche pour une gamine de deux ans et quelques mois qui au passage se sent très bien là-bas?

– Qu’est-ce qui est compliqué dans Franceville pour que tu mettes truc à la fin? rétorqué-je amusé

– La capitale de Cape Verde? On adresse aussi le fait que tu ne t’en rappelles jamais pourtant je te l’ai dit au moins cinq fois?

– Le malin peut te tuer dans ce pays. Cap Vert ce n’est plus bon pour toi, c’est désormais Cape Verde hein.

– Une vraie meuf du terroir appelle son pays dans sa langue maternelle, elle réplique et me roule bien les lettres dans son portugais qui m’excite dès qu’elle le sort

Il faut dire qu’on ne s’est pas vu depuis la fin d’année aussi alors un petit truc d’elle et j’ai le feu aux reins.

– OK la meuf du terroir. Pour en revenir au sujet principal, je n’ai pas oublié maman. Elle quittera Franceville au temps voulu.

– Et Vieira devrait continuer ses études ailleurs? Kinshasa c’est bien, mais la pratique c’est important dans le domaine du contrôle aérien. Et je pense qu’ils ne doivent pas en avoir autant là-bas que s’il vivait à l’étranger.

– J’aimerais bien, mais c’est si compliqué le domaine de l’aviation. La plupart des pays étrangers ne forment que leurs ressortissants.

– Le Canada forme souvent des résidents permanents aussi, j’en suis sûr. Je m’y connais un peu sur ce dossier. S’il ne lui reste pas beaucoup de temps pour compléter sa licence et qu’il a une petite expérience de travail, je suis certaine qu’il sera un bon candidat pour la résidence vu son parcours.

– Tu connais son parcours toi?

– On est en contact

– Et puis personne n’a pensé à m’informer de la petite alliance hein, on peut faire aimer les messes basses comme ça? je lui demande et elle rigole

– Tu n’es pas assez cool pour qu’on t’intègre

– Tant que je suis assez cool pour te choucrouter ça me va amplement

– Tu aimes trop parler de choucroute, elle susurre en retour. Je ne suis pas le seul à ressentir le manque.

– Parce que tu me manques ma puce

– Moi aussi le gros loup

– Eh, on va évoluer un jour? Les gens disent chéri, doudou, ta part c’est toujours gros loup.

– C’est ça qui te correspond, elle dit avec humour

– En tout cas, les choses du gros loup que je vais te faire quand mes pieds toucheront Limoges, tu me supplieras

– J’ai hâte, elle glousse et m’arrache un sourire. S’il te reste du blé après avoir sécurisé maman Lucie et Vieira, je propose qu’on se prenne un meilleur hôtel pour notre voyage à Cape Verde.

– Donc la crèche non, mais un hôtel où l’on ne fera pas plus d’une semaine oui? Les priorités hein

– La crèche non parce que ça ne sert à rien. La crèche actuelle est bonne, on l’aime tous, toi y compris. L’hôtel semble être du gaspillage à priori, mais on voyage pour se détendre aussi. Et un cadre agréable contribue à ça. Toi et moi on sait qu’on avait pris l’autre parce qu’on voulait rester à tout prix sous une barre, alors si on augmenter cette barre de quelques euros, je pense que ça vaut le coup pour nous trois.

– OK Andrade, tu as gagné. Tu n’es pas curieuse de savoir de combien je suis riche? je la tente.

– Si tu voulais me dire tu l’aurais fait depuis qu’on se parle

– Et ça ne te fâche pas que je ne le fasse pas?

– Je ressemble à quelqu’un qui se fâche pour les choses des autres? elle me retourne sur un ton qui me fait rire

– Compris. Tu penses quoi des perles?

– Euh que c’est joli. Enfin, je sais pas, je m’y connais pas, c’est plutôt un bijou pour vieux, genre du style de ma mère non.

– Mon grand-père en offrait régulièrement à mes mamies, comme témoignage de son affection pour elles. Mon père a fait pareil avec ma mère et ma sœur. Papa Henry nous couvrait spécialement d’attention par des cadeaux ou sa présence plus régulière chaque fin d’année. Des traditions dans ce style sont symboliques pour moi. Je me vois facilement les perpétuer avec vous. J’aimerais rajouter notre histoire à la grosse encyclopédie que mes ancêtres ont écrite avant même notre conception.

– C’est mignon ce que tu dis Thierry. Malgré ton caractère de gros loup, je vois que tu descends d’une grande lignée de romantiques.

– Tu vois non, je t’avais dit qu’il y avait du bon en moi, ironisé-je

– Je veux bien recevoir tes perles d’affection lorsque tu seras prêt à me les donner, et tu me diras ce que tu aimerais en retour comme gage de ma part

– Sincèrement? je lui demande

– Bien sûr, on est une équipe ou pas? Je couvre tes bases, tu couvres mes bases, elle me répond et me réchauffe le cœur.

– Un enfant chérie, honnêtement c’est le gage d’affection qui me comblerait de joie. J’ai envie de vivre une grossesse avec toi du début à la fin. Et en plus préparer Lulu à l’arrivée d’un autre bébé. Je comprends que ta carrière est importante alors on le fera quand tu auras du temps, mais ne me fait pas trop languir aussi, s’il te plaît.

– Est-ce que ton héritage te permettra de nous faire vivre à Marseille si tu reprends les cours?

– Si je reprends? Je n’avais pas prévu reprendre hein. Je devais me chercher un boulot.

– Réfléchis Thierry. Ce sera le moment propice pour débuter ton master puisque tu n’auras pas autant de charges à supporter une fois que tu vivras chez tes parents. C’est vrai que tu sacrifies un salaire, mais ce n’est que temporaire puisqu’une fois ton master validé, tu pourras négocier mieux.

– Je vais mieux faire mes calculs, mais vite fait comme ça, je pense que oui. On pourra vivre assez confortablement sur mon héritage après que j’ai réglé le cas de maman et Vieira.

– Dans ce cas, on pourra faire notre bébé quand on sera à Marseille

– Tu es sérieuse ou c’est l’euphorie qui parle?

– Lol, les deux je te dirai. Ça fait un bien fou de pouvoir compter sur une somme supplémentaire d’argent alors on peut délirer un peu et être plus relax sur la carrière pendant un an ou deux non? Pourquoi pas?

– Prépare ta minette ma puce. Dès qu’on sera à Marseille, je vais te monter dessus tous les jours que Dieu fait, dis-je avec un entrain sans pareil. Je bande même déjà en prévision pourtant Marseille ne verra pas nos pieds d’ici un an et quelques mois.

On se parle encore un peu et elle me laisse avec une recommandation étrange.

– Ne mentionne rien de cet argent à maman lorsque tu rentreras à Douai

– Pourquoi?

– Ma mère est mon premier amour, je l’adore. Elle est ma meilleure amie, un soutien en or avec Lulu, bref tout ce que tu imagines. Et je sais que sa faiblesse c’est de ne pas pouvoir se retenir dès qu’on lui parle d’argent. Elle a le don de s’inventer des besoins dès qu’elle entend les bruits de billets. Je n’ai pas la force de lui dire non, je ne l’ai jamais trouvé, et résultat on a souvent fait les folles dès qu’on se retrouvait avec des sous en poche. Elle n’a donc pas besoin de savoir que ta situation a changé. Si tu veux lui faire du bien, choisis ce qui te plaît et offre-le lui. Argent, cadeau, bref, fais-le sans lui dire que tu es riche.

On peut maîtriser sa maman comme ça? pensé-je en rigolant sur mon lit une heure plus tard. Quand je lui ai demandé durant l’appel, elle a répondu qu’étant sa copie conforme en qualités comme défauts, c’est on ne peut plus normal qu’elle la maîtrise. Sans le savoir, elle a passé mon petit test. On dit que l’argent révèle la vraie nature des gens. J’ai pensé le lui cacher pour commencer, puis je me suis ravisé en me disant que si elle est cupide autant que je le sache maintenant qu’on commence à développer nos sentiments plutôt que d’attendre. On peut dire que c’est tôt pour trancher, mais je ne trouve pas après l’avoir entendu ce soir. J’avais déjà prévu m’occuper de maman en priorité. Pareil pour Vieira même si je n’avais pas pensé au Canada comme option. Je voulais juste écouter un peu sa perspective. Voir si on partageait une vision. Elle sait combien je tiens aux miens, et le fait qu’elle les inclut aussi dans nos projets me réconforte dans l’idée qu’on est vraiment un item tous les deux.

Avant elle, la personne avec qui j’avais cette sensation d’item, c’était Denola. Je n'ai pas eu de nouvelles depuis un moment, alors je vais le chercher sur Whatsapp dès mon réveil. Il m’informe qu’il est à Copenhague alors que je le pensais encore à Cotonou. On n’a vraiment plus rien à faire au Canada alors je demande à papa si je peux partir un peu plutôt. Il me confirme que sa femme et Asad lui manquent également alors on peut s’en aller quand je le souhaite. Pendant que je me connecte à mon compte sur Crédit Agricole pour vérifier si le transfert de la RBC est enfin arrivé, papa me fait une autre offre.

– Je me suis rappelé hier après notre conversation que j’avais aussi un terrain à Lomé. J’avoue que je l’avais réservé pour Arthur, mais si tu préfères avoir un lot pour toi, je peux bien te le laisser.

– Qui est Arthur?

– Un garçon pour qui nous avons beaucoup d’affection. À un moment nous avions même pensé qu’il était toi, mais finalement non. Il a perdu ses parents très tôt et je pense bien qu’il ne lui reste plus aucune famille proche en dehors de nous, et nos amis par qui je l’ai connu. Je pense aussi qu’il sera le futur mari de Ida alors il restera indéfiniment dans la famille quoi

– Pour le terrain, ça me va. Si tu l’as prévu pour lui à la base, autant qu’il le garde. Mais pourquoi tu penses qu’il sera le futur mari de Ida? Elle m’a dit qu’elle n’avait personne.

– Parce qu’ils sont très proches et j’aimerais que ce soit lui parce qu’on le connaît et on l’aime

– Mais si Ida ne l’aime pas? Je veux dire, tu accepteras un autre si elle en est amoureuse? C’est mieux qu’elle soit avec quelqu’un qu’elle aime et qui l’aime non? Je pense du moins.

– Tu connais quelqu’un qui l’aime?

– Euh…, je pense, mais c’est encore tôt, je dis d’une voix hésitante tout en pensant à Deno

– Si elle l’aime aussi, alors ils auront mon soutien. Notre but c’est qu’elle soit comblée même si je ne vois qu’Arthur comme le meilleur compagnon parce qu’il connaît tous ses caprices et s’est déjà comment l’aborder.

– Oh t’inquiète pour les caprices. Celui à qui je pense a pour second prénom patience, dis-je un peu rassuré.

– Regarde comment tu me rends curieux, j’ai envie de savoir qui c’est maintenant, il admet et je me marre

Bientôt je me dis mentalement. Oui bientôt, j’espère parce que mon meilleur ami ne peut pas être gay. Je le refuse.

Deux jours plus tard, mon compte bancaire affiche des chiffres que jamais il n’a vus. Je m’empresse de me prendre un billet pour Copenhague. Papa et moi on se sépare à Pierre-Elliot Trudeau. Son vol pour Paris décollera deux heures après le mien. Je lui ai confié les bijoux. Hors de question que je me promène avec l’équivalent de je ne sais combien sur moi. Il me rappelle de lui faire signe dès que j’arrive en France.

Copenhague est froid, mais moins que Québec. Adrien est le seul qui sait que je débarque. Je l’avais contacté sur Messenger pour lui demander comment il trouvait Deno là-bas. C’est lui qui m’a rassuré que je pouvais faire un crochet sur Copenhague si je le souhaitais. Il m’a aussi donné l’adresse de sa boîte qui est plus proche de l’aéroport que sa maison. Je devais l’y attendre afin qu’on rentre ensemble chez lui. Je lui trouve une meilleure mine qu’au pays. On parle de tout et de rien pendant qu’on rentre et brusquement il se tape le front.

– J’avais oublié de te demander si tu avais un problème avec les PDA entre gays?

– Hein? C’est quoi ça?

– Les bisous, câlins? Je vis avec mon mec et on est un peu tactile.

– Euh…, c’est moi l’invité non. Vous êtes chez vous. Votre maison, vos habitudes quoi

– D’accord, je vais te dédier le premier bisou alors

– Un peu de quand même hein, je dis en le lorgnant et il pouffe de rire

– Il faut m’excuser gars, je ne pensais pas un jour pouvoir rigoler franchement de ce sujet avec des gens de ma vie alors je perds un peu la tête

Je ne sais quoi répondre alors j’observe uniquement son profil. Il semble vraiment détendu, comme quelqu’un qui se sent bien dans sa peau. Je me rappelle des conneries qu’on racontait et des surnoms dont certains l’affublaient. Parfois il rigolait même avec nous, alors je me prêtais aussi au jeu. Avec le recul, je me demande si tout ça n’était pas une carapace parce qu’il refusait le rôle de victime?

Denola tombe littéralement des nues quand j’apparais dans l’embrasure de la porte. Bon par des nues, je veux dire qu’il tirait une chaise pour s’asseoir, mais s’est retrouvé cul au sol. La conversation s’installe naturellement dès les premières secondes. C’est Adrien qui la mène. Il nous introduit à son mec Elvis à qui il ne roule même pas une pelle comme il me l’avait dit. Juste la bise. Le type voulait seulement m’emmerder je vois. En une heure de conversation, la conclusion à laquelle j’arrive c’est qu’Elvis semble être le contraire d’Adrien. Le premier est calme, très cool, et parle plus par le regard ou les sourires. Adrien parle avec tout son corps, comme d’hab. Les grands gestes, toujours à toucher l’épaule, le bras, demander si on a besoin de quelque chose. Mais il n’y a aucun doute quand on les observe. Ces deux se complètent bien. On le sent dans leurs échanges verbaux comme non verbaux. En me couchant le soir là, je me fais la réflexion que le bonheur de Denola est le plus important finalement. Même si je ne comprends pas ce qui peut une paire de couilles vers une autre, je préfère que mon ami soit épanoui plutôt que renfermé comme il l’était encore ce soir.

Normalement on devait partager la chambre parce qu’Adrien et Elvis n’en ont que deux incluant la leur. Mais au moment du coucher, Deno a demandé s’il pouvait continuer à mater la télé. Depuis deux heures mon type est au salon. Je ne suis pas dupe, je sais bien qu’il est là-bas parce qu’il ne veut pas être seul avec moi et cette situation me pèse. Je commence à me demander si j’ai bien fait de venir si c’est pour l’indisposer autant. Après des minutes additionnelles à me batailler avec mes pensées, je quitte le lit sur la pointe des pieds et m’approche du salon d’où j’entends des voix. Je reconnais Adrien puis Denola. Je reste là pour écouter parce que le sujet m’a interpellé.

– On peut te sortir un lit gonflable hein, ça ne me dérange pas du tout, lui dit Adrien.

– Non ce n’est vraiment pas la peine. Le sofa sera assez pour moi. Merci pour les couvertures.

– De rien. Tu veux un thé? J’en prendrai bien un

– OK, ça me va.

J’entends des bruits d’ustensiles, ensuite une bouilloire qui chauffe et ils recommencent à parler.

– C’est la présence de Thierry qui t’a poussé à rester au salon?

– Je ne préfère pas partager mon lit, c’est tout.

– Pourquoi? Tu crains de t’oublier et le…

– Ne va pas là-bas, Deno le prévient sur un ton légèrement menaçant.

– Pourquoi? Tu as peur d’affronter ta réalité? Adrien pousse le bouchon.

– Si c’est pour me soûler que tu m’as convaincu de descendre chez toi avant de retourner à Perth, je préfère aller me prendre une chambre à l’hôtel, Deno lui répond sur un ton vexé et je sens des pas se rapprocher de moi, comme s’il se déplaçait

– Tu reviens Denola, on n’a pas fini. Si je t’ai proposé de venir ici, c’est parce que quelqu’un doit prendre un peu soin de toi. Je n’aborde ce sujet que pour éclaircir un point et en profiter pour m’excuser.

– T’excuser de quoi?

– Tu reviens ou pas?

Il soupire, et les pas s’éloignent de moi.

– Est-ce que tu as envie de Thi….

J’entends encore du bruit. Quelqu’un toussote violemment comme s’il s’était étranglé.

– Quand je vois Elvis, je n’ai aucun doute dans mon esprit. Je l’aime, je le désire, je veux toucher sa queue…

– C’est bon non? J’ai besoin d’entendre votre intimité? Denola lui retourne sur un ton agacé.

– Oui, parce que l’attirance sexuelle n’est pas un truc confus Deno. Peut-être au début, quand ça te prend par surprise, mais avec le temps personne n’a besoin de te le dire que tu es attiré par x. C’est souvent l’acceptation qui est difficile pour les gens comme nous. Si je te dis ça, c’est parce que dans le passé j’ai sauté sur l’occasion d’avoir quelqu’un dans mon club. D’entendre que quelqu’un s’intéressait à un mec comme moi, m’a conforté dans l’idée que je n’étais pas le seul mouton noir de la famille. J’ai sauté sur tes mots et conclus à ta place, mais en plus, le fait que tu en parles avec culpabilité n’a fait que me pousser à te forcer que tu devais accepter ton statut. C’était totalement irresponsable, et surtout pas ma place.

– Tu veux en venir où au juste? Denola lui demande le souffle court.

– Ce n’est toujours pas ma place de te dire ce que tu es, mais je voulais rétablir les faits, et aussi t’encourager à te poser les bonnes questions, regarder ta vérité. Est-ce que tu as envie de dévêtir Thierry? Tu as déjà eu envie de l’embrasser? Ou tu as envie, mais c’est la peur qui te bloque? Je suis là pour te soutenir donc sens-toi libre d’y penser et on en reparle quand tu veux.

– Jamais, Deno répond après une longue minute. Je n’ai jamais pensé à ses lèvres, ni son corps comme ça. Mais j’ai pleuré quand il a quitté Libreville pour Franceville. J’ai pleuré quand, à son retour en ville avec sa tante, il n’avait subitement plus de temps pour moi. Quand il annulait nos rdvs sans me donner de raison. Quand je le voyais avec sa copine, je les ai détestés tous les deux. J’avais l’impression qu’il ne m’aimait plus. Qu’il ne voulait qu’elle et c’est comme ça que j’ai commencé à me questionner.

– Jamais, je réponds oubliant que je devais être caché

Denola paraît embarrassé pour une seconde puis son expression se durcit. Adrien me lance un regard chargé de reproches.

– Je vais aller dormir à l’hôtel comme on ne peut pas avoir la paix dans cette maison, Deno déclare de go et veut se rendre dans la chambre, mais je le stoppe en me plaçant sur son chemin

– Jamais je n’ai pensé à te remplacer Deno, tu es mon gars quand même, on a vécu….

– Je m’en fous, laisse-moi passer!

– Vous allez vous calmer et vous asseoir comme des adultes pour qu’on finisse cette conversation, Adrien nous ordonne d’une voix qui nous surprend

Comme deux fourmis qui marchent dans une file on se dirige vers le sofa. Je suis à un bout, Deno à l’autre. Adrien prend place sur leur chaise de café, tasse à la main, dans un peignoir rouge. Il faut m’excuser, mais j’ai pensé à Hugh Hefner pendant une seconde.

– On reparlera de tes manières après Thierry, mais continue, et toi Deno, tu le laisses finir

– Je ne voulais pas te remplacer, c’est ce que je disais. Ça ne m’a jamais traversé l’esprit.

– Non? Dans ce cas pourquoi tu ne faisais que me planter? Quand on devait se voir, tu avais TOUJOURS quelque chose à faire, mais c’est toi que je voyais avec la fille par-ci, par-là. J’entendais vos histoires. Même pour répondre à un message Thierry tu le faisais une semaine après. Et tu te souviens de ce que tu m’as dit quand j’ai demandé si tes doigts étaient trop lourds pour répondre aux gens? Tu m’as demandé le pourquoi je me comportais comme une meuf en règles, il me dit sur un ton blessé qui n’aide pas avec la culpabilité que je ressens

– Quand on s’est connus, nous vivions pratiquement les mêmes vies même si ta famille était plus aisée que la mienne. On était dans le même quartier, ensuite les mêmes écoles et nous avons fini par partager le même cercle d’amis. Puis ma vie a basculé. J’étais content de te revoir en revenant sur Libreville, mais très vite la réalité m’a rattrapé. Je ne nous trouvais plus rien en commun. Les jeux dont tu parlais, ton quotidien, ma nouvelle école, tout était différent pour moi et je ne me sentais plus inclus dans notre ancien groupe. Et comme je ne voulais pas passer pour le petit pauvre qui se plaint, je me suis accroché à ma copine qui vivait une réalité semblable à la même. Si j’avais porté mes couilles je te l’aurais avoué, mais on sait que de nous deux tu as toujours été le plus direct, alors que moi et l’orgueil on n’a jamais pu se séparer. Je suis désolé pour les conneries que je t’ai dites plus jeune mec, je m’en veux sincèrement

Maintenant que c’est dit, je vois que ça l’a réellement blessé parce qu’il me dévisage, tout en respirant bruyamment. On croirait qu’il hésite entre me cogner ou m’enlacer. Je regarde un coup mes chaussures, puis lui et ensuite mes chaussures. On dirait ma fille quand je la gronde.

– Alors? Le film continue ou vous allez continuer à vous comporter comme si j’avais appuyé sur pause? nous interpelle Adrien.

– Tu n’as pas laissé la mal bouche là au pays hein, je constate avec humour

– Jamais, c’est le point focal de ma personnalité

– Je me sens con, dit Denola et nous ramène à la conversation actuelle. J’ai passé une bonne partie de ma vie conditionné par l’idée que j’avais un esprit tordu et après ce que vous venez de me dire je me sens perdu. Je ne sais plus où j’en suis.

– Tu ne nous dois aucune réponse ce soir Deno. Je voulais juste clarifier les choses et rectifier ma part. Avant d’aller me coucher, je tiens à vous partager un petit secret pour vos futures relations en tout genre.

– Oh, c’est arrivé au stade où tu nous conseilles maintenant? Le monde ci hein

– Je te fais bénéficier de mon expérience gratis alors la ferme Thierry et apprécie. Notre éducation est bonne, je ne vais pas renier mes valeurs africaines juste parce que je ne rentre pas dans le moule de l’enfant parfait. C’est l’optimisme et la valeur du travail que mes parents africains m’ont enseigné qui m’a conduit ici. Je gagne plutôt bien ma vie dans un pays étranger. C’est le respect des aînés, et le long protocole souvent juste pour s’adresser à eux qui m’ont quand même aidé à me faire accepter par le père de mon mec. On parle d’un homme ghanéen tellement ancré dans ses valeurs qu’il se promène avec ses babouches du pays partout. Et bien sûr un homme pour qui l’homosexualité est une déviance. Un homme qui était venu ici avec l’intention de forcer son fils à rentrer au pays et au départ, parce qu’il imaginait que je faisais porter des strings à son garçon toute la journée. Un homme dont j’aurais pu m’en foutre c’est vrai parce qu’il ne paie pas mon loyer comme mon mec ne cessait de me répéter. Pourtant c’est ce même mec qui a souffert pendant des années du rejet parental. Alors j’ai pris sur moi, je l’ai bien reçu comme j’ai vu ma mère faire pendant des années. Je me suis mis en quatre, j’ai sorti les recettes phares ici, et à la fin, il fallait voir ce monsieur se taper des barres de rire avec son fils, jusqu’à réclamer que je passe à la maison quand je faisais trois jours sans donner signe de vie. Est-ce qu’il est devenu moins homophobe à cause de ça? Non. La preuve, il a conclu que j’étais une femme dans le corps d’un homme, raison pour laquelle je l’ai si bien reçu.

– ça ne t’a pas énervé? le coupe Deno

– J’ai choisi mes batailles et gagné heureusement. La preuve, Elvis a insisté qu’on emménage ensemble deux mois plus tard et figurez-vous que le papa depuis le Ghana était bien impliqué dans la recherche d’appart avec nous, que non on doit prendre un avec deux chambres parce qu’il reviendra bientôt, il dit avec humour et on rigole aussi.

– C’est bien pour vous. Heureusement qu’il a baissé sa garde, dis-je sincèrement heureux.

 – Mais ce ne fut pas facile hein. Ça m’a pris du temps pour choisir ma stratégie et surtout une grosse dose de réalisme pour choisir ma stratégie quand Elvis m’a parlé de la visite du vieux. On ne va pas changer la génération précédente, mais on ne pourra pas jeter tous ses membres non plus. Mon mec ne peut pas vivre coupé de toute sa famille et être heureux. Idem pour moi, alors nous travaillons à trouver un équilibre entre les mentalités, et le respect de notre couple. C’est pas toujours facile, mais au moins, nous ne sommes pas persécutés et certains de son côté, nous acceptent. Pour moi c’est merveilleux. Mais j’espère que la génération africaine suivante n’aura pas à vivre les mêmes épreuves que nous, d’où mon discours digne d’un prix Nobel là. Dans vingt ans, j’espère qu’on aura laissé une bonne partie des mauvais côtés de notre éducation africaine traditionnelle. J’espère que vos fils ne penseront pas que ressentir la jalousie parce qu’un ami les délaisse fait d’eux des tapettes comme certains le pensaient à notre temps. J’espère que vos fils ne penseront pas que dire «je ne me sentais pas adéquat» fait d’eux des faiblards. J’espère que vous leur direz qu’il existe plusieurs versions masculines dans ce monde. Qu’on peut très bien recevoir comme un bon africain, être un chef aux fourneaux, se faire la bise, s’enlacer, pleurer quand ça ne va pas, se confier et tout sans perdre ses couilles et devenir une femme. Peut-être l’un de vos fils épousera ma fille un jour. Ma fille n’acceptera pas les machos qui se croient excusés pour tout parce qu’ils ramènent l’argent à la maison han, je vous ai prévenus.

– Un discours à la Obama vraiment

– J’ai toujours dit que tu étais un con Ndouo, il rigole et se lève tout en nous donnant encore une information inutile. Que c’est bientôt l’heure où son gars va se mettre à chercher son corps pour se réchauffer donc autant qu’il retourne à son poste. Le gars-ci vraiment. Il n’a pas changé d’un poil.

– Tu imagines un de nos fils avec sa fille? j’entends de Deno qui me paraît amusé

– Je vais le former pour qu’il me traumatise bien la petite comme il nous a emmerdés quand on grandissait, je réponds et il rigole

– Tu es un con fini quoi. Tu n’as pas oublié les choses là?

– Jamais, on a vécu une enfance trop chic mine de rien

– Ouais, il dit l’air rêveur. C’était bien malgré les pépins.

– ça va toi? On ne s’est pas parlé depuis je ne sais quand.

– la faute à qui? Tu ne m’as pas fait signe, il répond.

– Je n’osais pas comme tu n’aimes pas qu’on te harcèle de messages quand tu vas mal

– Tu as raison, il dit après un soupir. Le corps de Ray devrait arriver à Cotonou ce mois, il continue d’une voix lourde d’émotions. J’ai fini les démarches là-bas et il me fallait revenir pour vider mon appart à Perth, alors me voilà. J’ai juste fait un stop ici parce qu’Adrien a insisté que je prenne un peu de temps avant de retourner en Australie.

– Vider ton appart à Perth? Tu déménages?

– Vu la façon dont j’ai quitté mon emploi, je ne pense pas qu’ils vont me garder

– Merde. Tu vas faire quoi du coup? Si tu as besoin d’un endroit où crasher, on peut s’arranger.

– Non, je vais juste prendre le mois de mars pour boucler mes choses puisque l’enterrement est prévu pour avril. Après j’aviserai de la suite. De mon avenir, il dit l’air lointain.

– Tu pourras vivre sans salaire? Si tu as un besoin….

– T’en fais pas mec, je me suis toujours efforcé de garder un fond d’urgence pour les cas de ce genre

– OK, je réponds simplement même si j’ai envie de le bassiner de questions additionnelles. Il n’est pas dans le mood. Pour l’amuser un peu, je lui demande s’il peut revenir dans la chambre ou mon corps est trop attirant pour lui. Il me donne une taloche bien méritée et nous retournons ensemble au lit. Je dors d’une traite maintenant que mon esprit est léger.

***Denola EKIM***

Je ne suis qu’un concentré d’émotions. Déprimé, en colère, épuisé et libre. Oui je me sens un peu libre. Les doux ronflements de Thierry m’ont bercé toute la nuit pendant que je réfléchissais à ma vie. Je ne sais pas ce qu’il en sera de ma vie professionnelle, mais ma vie personnelle me semble plus claire maintenant.

Le lendemain, Adrien nous sort son fameux «Africain qui sait recevoir», en nous sortant des gaufres à une rapidité digne d’un chef cuisinier qui a trois assistants. Après un petit-déj copieux, nous sortons tous les quatre pour un tour dans la ville. Copenhague est vraiment beau, mais je ne me vois pas apprendre le danois jusqu’à le parler un jour comme mon cousin et son mec. Pendant que Thierry joue aux touristes, j’en profite pour confirmer mon heure d’arrivée à Ida. Mon départ est prévu pour 2 h du matin ici et c’est elle qui viendra me prendre à l’arrivée. Les gars me déposent vers 23 h et je me permets d’enlacer librement Thierry pour lui dire au revoir. Une première depuis longtemps. Mes sentiments ne sont plus confus alors je me sens libre.

24 heures incluant deux escales à Doha et Melbourne tout ça parce que Perth est dans un coin perdu et je ne voulais pas dépasser 2000 euros pour ce voyage dans ma condition. Une raison additionnelle pour quitter ce trou! Je n’ai pas vu Ida depuis plus de trois mois maintenant que j’y pense et quand je distingue son visage dans la foule, je me rends compte qu’elle m’a tellement manqué. Elle se rapproche et son toucher m’apaise. Je suis dans ses bras, enveloppé par son parfum toujours légèrement fleuri, qui aurait senti comme une vieille sur quelqu’un d’autre, je pense, mais sur elle, c’est juste raffiné. On rentre en Uber. On peut donc se demander le pourquoi elle est venue me chercher puisqu’elle ne conduit pas. C’est elle qui a les clés de mon appart même si elle aurait juste pu les laisser au concierge. Elle m’a juste informé qu’elle viendrait me chercher et ce n’est certainement pas moi qui allais dire non.

Comme je suis arrivée à 10 h 50, heure d’Australie et qu’elle avait cours, on n’a pas vraiment eu le temps de discuter. Elle devait se rendre en cours et j’avais à faire. Du moins c’est ce que je pensais, mais l’appartement que j’ai retrouvé me paraissait plus clean que dans mes souvenirs. Les coussins rangés, la table en ordre, même la vaisselle. Tout était à sa place. Je lui avais laissé la clé de ma boîte postale avant mon départ afin qu’elle récupère mon courrier, mais dans la précipitation, c’est tout le trousseau que je lui ai laissé. Seulement je ne m’attendais pas à une si grande attention de sa part.

Il y avait aussi un mot sur une petite carte collée sur mon frigo.

«Bon retour Deno! Je me suis permise de faire un peu le ménage parce que ça m’agressait les yeux de voir ton appart dans cet état lorsque je venais déposer ton courrier. J’ai aussi bougé un peu les trucs dans ton frigo. Signé l’envahisseuse.» Et elle a dessiné un petit smiley qui se mouche. Un smiley affreux je précise et qui m’arrache un sourire.

Le frigo est impec. Rangements sur rangements. J’ai honte. Moi-même je ne faisais pas ça. Et dans le congélo j’ai des plats surgelés. Je sors ce qui ressemble à de la sauce tomate et le mets au micro-ondes pour dégivrer puis je passe en douche pour enlever le restant de crasse sur mon corps. Ensuite je mets des macaronis au feu et préviens le petit monde hormis Garcelle de mon arrivée au petit bercail. Je ne la préviens pas parce que chacun a choisi son camp. Elle mène la campagne «réhabilitation de son père» en salissant la mémoire de Ray aidée par les vautours de la famille qui n’attendaient que ça. Elle ne donne même plus d’argent à maman sous prétexte que cette dernière ne le mérite pas puisqu’elle a abandonné son mari dans son malheur. Toni a approché les aînés de la famille pour qu’ils rappellent Garcelle à l’ordre, mais en dehors des promesses, aucun n’a rien fait. On aurait même appris que beaucoup l’encouragent même à spolier maman. Quant à dame EKIM, elle est retournée à sa philosophie habituelle. Dieu touchera le cœur de Garcie un jour et elle comprendra qu’elle se goure, c’est ce qu’elle a répondu à Toni quand ce dernier a décidé de porter le cas de Garcelle devant la loi. Ma sœur se sent trop puissante à Libreville actuellement comme elle a réussi à rétablir les affaires de la boutique. Je dois dire que je m’en fous un peu. C’est comme si le voile s’est déchiré et là, je ne veux même rien faire avec cette famille. En dehors de maman et Toni, je ne sais même pas ce que j’ai à dire à Garcie et son père qui croupit toujours en prison en attendant son procès.

Je consulte mon Outlook du travail pendant que je mange. 313 e-mails mes gens, 313. Au bout du 167e je suis à bout. Mon cerveau a besoin de repos alors je me mets un réveil et dors un peu. Je suis debout avant la sonnerie. Je n’ai dormi que moins de quatre heures, mais mon corps se sent meilleur. Je vide mes valises et remplis mon bac de vêtements sales. Tout doit être lavé, mais pas ce soir. Ida doit être rentrée donc je monte la voir. Deux coups, c’est ce qu’il faut pour qu’elle m’ouvre et me coupe le souffle.

– Tu ne veux pas entrer? elle me demande et me ramène à l’instant présent

– Euh… oui, oui, si tu as du temps. Tu es…, magnifique, je dis en admiration devant son portrait. Elle porte une robe rose aux épaules bouffantes qui dénude légèrement ses épaules. Le bas de la robe est bouffant avec le devant plus court que le derrière. À ses pieds des sandales couleur café. Elle n’est pas allée à l’école comme ça. Ce matin elle était en blanc noir.

– Je vais à un gala des Africains de l’ouest de Perth

– ça existe ici? je l’interroge surpris par cette info

– Selon mes cousines oui, c’est ma première fois en tout cas

– Je viens avec toi? je demande et propose à la fois

– J’aimerais bien, elle me répond avec un sourire qui me fait fondre

– J’ai combien de temps pour me préparer?

– Euh, une quarantaine environ, mais tu peux prendre plus de temps. On arrivera juste un peu plus tard.

– Quarante ça sera suffisant, je lui réponds déjà au loin

Le costume que j’avais prévu pour le mariage de mon frère, c’est lui que j’ai en tête quand je me douche. C’est aussi lui que j’enfile une fois dehors.

***Ida ADAMOU***

Si j’avais su qu’il serait un vrai snack comme ça, je lui aurais sorti une raison bidon pour me rendre seule à cette soirée. C’est vraiment bizarre d’être attirée par un mec qui l’est par ton frère. Yep, il n’y a qu’à moi que les trucs chelous comme ça arrivent. Mais ce soir, je peux prétendre qu’il est juste à moi non? Qui sait en nous voyant entrer dans la voiture main dans la main qu’il n’est pas mon prince charmant d’une nuit? Je sais, la romance coule dans mon sang, je n’y peux rien. Un beau mec me retourne facilement l’esprit et quand il affiche une assurance posée comme Deno qui pourtant ne parle pas beaucoup, mon cœur s’affole tout seul.

Mais monsieur a décidé que ce n’était pas assez pour moi aujourd’hui. Non. Normalement mon petit rêve devait prendre fin à minuit, lorsque monsieur me raccompagnerait jusqu’au pas de ma porte, après la magnifique soirée qu’on a passée ensemble. Mais il en a décidé autrement. Il m’a seulement annoncé qu’on passe la nuit ensemble.

– Pardon? je dis tête tournée après avoir rapproché mon oreille pour m’assurer qu’elle fonctionne toujours

– La nuit est faite pour dormir et je vais m’assurer que tu te reposes

– Je…, mais…, enfin tu ne vas pas dormir toi? Tu n’es pas fatigué? je demande en réalité confuse et tout à coup paniquée.

– C’est de toi qu’il s’agit pour le moment. Allez, on y va. Ici ou chez moi, c’est comme tu veux, mais je ne te quitte pas. Je te dois au moins ça.

C’est ainsi que je me suis retrouvée avec un +1 dans ma chambre après minuit. Si mon père me voyait hein. Je l’ai laissé au salon pendant que je saccage ma penderie à la recherche de quoi porter. Je ne vais pas dormir dans n’importe quoi non plus. Lingerie? Non ça fait trop osé. Je finis par choisir un petit ensemble pelucheux deux pièces blanc puis je le retrouve au salon.

– Tu t’es changé, je constate face à son t-shirt sans manches et son pyjama à carreaux.

– Oui, j’en ai profité pour aller chez moi et me mettre à l’aise. Tu es prête?

Mon cerveau tordu répond avec entrain et une voix légère, «oui, prends-moi». Tordu de chez toi. Comme je ne me fais pas confiance actu, je préfère hocher la tête. Je pensais qu’on dormirait littéralement ensemble, mais une fois dans la chambre, il tire simplement ma chaise de bureau et s’installe dessus.

– Tu ne comptes réellement pas dormir alors?

– Je t’ai dit de ne pas t’en faire pour moi Ida. J’aurais tout le temps pour dormir en journée demain.

– Mais tu feras comment avec le travail? Ce n’est pas juste que tu prennes mon problème et en fasses le tien.

– Pourquoi pas? Tu as pris soin de mon appart comme le tien pendant des mois.

– Oh c’est rien ça, je l’ai fait par plaisir, je lui explique comprenant qu’il essayait de me rendre la pareille

– Alors je le fais aussi avec plaisir. Dors maintenant.

– Mais le travail?

– Je suis au chômage Ida, mainte…

– Chômaaageee? Comment? Depuis quand? Qu’est-ce qui s’est passé?

– La permission qu’on m’a donnée pour que je rentre au pays n’était pas assez longue alors j’ai menti pour obtenir un long arrêt maladie. C’est sûr qu’on ne me gardera pas parce que mon superviseur s’en doutait.

– Mais ils ne t’ont pas littéralement renvoyé non? Enfin, je pense qu’il y a des étapes avant d’en arriver là. Ils peuvent te suspendre d’abord.

– Ce n’est pas le sujet de l’heure. Il faut dorm…

– Tu ne seras pas au chômage Deno. T’en fais pas. Nos parents n’ont pas dépensé une fortune dans ce pays pour qu’on se retrouve licenciés. Ils sont gonflés quand même s’ils osent te saquer pour ça. Un décès? Non, mais! J’irai me plaindre sur Twitter! C’est quoi le nom de la société?

– Dormir, c’est la dernière fois que je le dis, on se comprend

Mon oui est si faible qu’on l’entend à peine. La façon dont il m’a sorti sa dernière phrase ne m’a même pas encouragé à l’ouvrir. J’ai juste remonté ma couverture jusqu’à mon nez et je lui lançais les regards en biais.

Une heure plus tard….ou pas. Je n’ai pas la notion de l’heure là. Je ne fais que me tourner sur ce lit. J’ai déjà jeté et repris la couverture on ne sait combien de fois. Deno? Il est toujours assis sur la chaise les yeux bien ouverts.

– Je peux parler? je finis par me lancer

– Tu ne viens pas de le faire là?

– Ouais, bon c’était un préambule. Ta méthode ne va pas marcher, je ne suis pas fatiguée du tout.

– Comment tu sais qu’elle ne marchera pas? Tu es sur ce lit depuis vingt minutes.

– Bah, je le sens dans mon corps

– Qu’est-ce que tu ressens? Qu’est-ce qui t’empêche de te laisser aller au repos? Et ne me dis pas le manque de fatigue parce que je t’ai vu bâiller plusieurs fois dans le taxi qui nous ramenait.

– C’est gênant, je dis embarrassée

– J’aurais bientôt 27 ans et je suis puceau

-Euhhhhhhhhhhh, je fais et cligne plusieurs fois des yeux

– C’est gênant de l’avouer, c’est d’ailleurs la première fois que je le fais, il dit tout en faisant une moue d’embarras

– Je suis désolée, dis-je peinée pour lui parce qu’il ne l’est pas par envie ou à cause de sa religion comme moi. Il l’est parce qu’il se retrouve attiré par quelqu’un qu’il ne peut pas avoir. C’est trop triste.

– C’est pas grave, je suis encore en vie.

– Il y a un truc qui me dit de…, je veux dire que, ma main… euh, souvent elle joue avec mon ventre quand je me mets au lit et naturellement, elle se retrouve dans ma culotte, j’avoue tête sous la couverture

– Et quand tu te soulages, tu dors facilement, c’est bien ce que tu m’as dit?

– Oui, je réponds et n’arrive pas à croire que j’avoue réellement ça à quelqu’un

– Est-ce que ta main joue avec ton ventre là?

– Oui. Elle trouve naturellement mon ventre tout le temps.

– Est-ce que ça t’apaise quand tu le fais?

– Exactement?

– ça t’apaiserait si une autre main le fait?

– Je sais pas, j’ai jamais essayé avec une autre main

– Si ça ne te dérange pas, on peut essayer

Couverture toujours sur ma tête pour préserver le restant du petit honneur qui me reste, je me déplace vers l’autre bord du lit afin qu’il puisse se coucher à mes côtés, mais il ne le fait toujours pas après quelques minutes.

– Je suis toujours sur la chaise Ida, je l’ai juste rapproché du bord du lit où tu étais alors tu peux y revenir

– Est-ce que ça te repousse de dormir avec une femme?

– Non pourquoi? il demande et semble réellement confus par ma question

– Alors pourquoi tu ne viens pas au lit? Je pensais que c’était… enfin…, tu vois, mon frère…

– Je vois. Je ne suis pas gay.

– Hein? je demande et jette ma couverture de surprise

– C’est compliqué, il commence en se grattant la tête. Ce que je ressentais pour lui était plutôt confus pour moi. Ensuite tu connais l’histoire avec Adrien. Je pensais que je faisais du déni, mais avec le recul, je me rends compte que j’étais juste confus et aussi possessif avec Thierry. Je ne voulais simplement pas qu’il me remplace, mais je n’ai jamais ressenti de l’attirance sexuelle pour lui. Je l’aime, mais pas comme un homme avec qui je me vois construire une famille.

Mon cœur fait plusieurs ratés pendant cette révélation. Donc mon frère est hors de la course et tous les hommes aussi? Je peux rêver sans limites? Et il est puceau? Comme moiiii? Dieu, tu es merveilleux.

– Alors viens dormir avec moi, ça me gênerait que tu gardes ton bras tendu toute la nuit pour me toucher le ventre

– Non, il me refuse encore et je suis doublement confuse

Non là c’est encore quoi? Pourquoi il fait son difficile? Depuis quand un homme repousse une demoiselle qui baisse sa garde pour demander? Je me sens bête maintenant et fâchée je me retourne sans parler. Il soupire après un moment et mon souffle se bloque pour un instant quand sa chaude main s’insinue sous mon haut et couvre mon bas-ventre.

– Je…

– Chut, dors, fais-moi confiance. Laisse-toi juste aller, il me murmure tout en me câlinant le ventre.

J’entends du bruit, mais petit à petit, je commence à perdre la notion de temps et d’espace. Ma dernière pensée cohérente c’est celle de mon corps à dix ans, collé dans les bras protecteurs de mon papa qui me sortait les «shhh» aussi quand je parlais au lieu de dormir. 

D’amour, D’amitié