100: Ensemble, main dans la main
Ecrit par Gioia
***Thierry Henry
NDOUO***
Au lieu d’une copie de
son passeport, papa s’est proposé pour m’accompagner au Canada. À cause des
activités de fin d’année ainsi que nos emplois du temps professionnels, il a
fallu attendre la fin de février avant de pouvoir s’y rendre. Que personne ne vienne
dans ce pays durant cette période. Je répète, ce n’est pas la période pour
visiter ce pays ! Ce qui
m’énerve même dans cette histoire, c’est que j’aurais peut-être pu éviter le
nez et les yeux qui coulent sans arrêt dès qu’on met le pied dehors. Oui, peut-être
que j’aurais pu éviter si j’avais écouté Vita et acheté les North face ou
Canada Goose dont elle m’a envoyé les liens, mais au lieu de ça, je lui
répondais de m’envoyer aussi les 600 € qu’ils coûtaient. Même papa m’avait
demandé si j’avais un manteau conséquent parce que le froid de Québec peut
s’avérer rude puisqu’il s’agit d’une ville de fleuves et montagnes. Je me suis
empressé de le rassurer que j’avais acheté une Parka bien solide juste pour
l’occasion sans préciser que je l’ai prise chez Asos, à 78,50 €.
Comme l’a dit Vita
sans égard pour ma souffrance, les gens qui fixent le prix de leurs manteaux à
des centaines ou milliers de dollars ne sont pas cons pour le faire. Ils
vendent certes le prestige, mais ils savent aussi qu’à un certain degré, il te
faut une quantité spécifique de rembourrage. Je dis bien sans égard pour ma
personne. J’avais plongé mon corps dans une eau bien brûlante après une journée
à visiter l’hôtel de glaces. Une envie de papa que je n’ai pas pu lui refuser
parce qu’il me l’a proposé avec tellement d’entrain dans la voix. C’est tout
tremblant dans ce bain brûlant que j’ai raconté mes déboires avec les
températures canadiennes à ma copine et elle s’est royalement moquée de moi. Tu
parles d’une future madame.
En dehors de ce temps
inhumain, le Québec c’est plutôt vaste et l’architecture est totalement
différente de ce que j’ai vu dans le nord de la France. Du moins je parle de
Lille et Douai. Paris je ne connais pas trop comme tout le monde. J’y passe en
coup de vent. Voyager avec son père a un vieux goût que j’avais complètement
oublié. Pour une fois depuis je ne sais combien d’années, ce n’était pas ma
responsabilité de chercher où dormir, et comment me déplacer. En fait, une fois
qu’on s’est entendu sur une date, on m’a simplement envoyé mon billet. Et
depuis l’atterrissage je n’ai fait que le suivre. J’ai appris dans la foulée
qu’il connaît très bien la ville, raison pour laquelle on n’a eu aucun mal à se
déplacer depuis qu’on est là.
La rencontre avec le conseiller
est prévue pour 10 h 30 ce matin. Je nous commande un Uber pendant
que papa finit son petit-déj. De Lévis où on réside jusqu’à Québec, ça nous
prend une vingtaine de minutes alors nous quittons à 10 h, dès que la
voiture se pointe. Les formalités prennent moins de temps que ce à quoi je
m’attendais. Nous présentons les pièces nécessaires, le conseiller s’excuse un
moment, puis revient nous chercher pour qu’on se rende dans une pièce plus
intime. Je m’attendais à tomber sur les grosses portes des chambres fortes que
les braqueurs essaient de faire sauter souvent dans les films de cambriolage,
mais nous sommes plutôt devant un mur de petits casiers.
J’introduis la clé
dans celui qui appartenait à papi et papa en sort une boîte plutôt longue. Un
casier apparemment. Le conseiller nous pointe une pièce privée tout en nous
précisant de prendre notre temps.
– Je vais
t’attendre ici aussi si tu préfères, me dit papa
– Euh… pourquoi ? Tu n’as pas le droit d’être avec moi ?
– C’est ton
héritage qui se trouve dans cette boîte alors tu as le droit de le découvrir
seul si tu préfères
– Non, je préfère
que tu sois avec moi, je lui dis
Il hoche la tête avec
un sourire satisfait sur le visage et nous nous dirigeons ensemble dans ladite
pièce. J’ouvre la boîte qui contient encore d’autres boîtes. Le mystère de ça. Il
y a quand même d’autres choses en dehors des boîtes. Une enveloppe par exemple,
dont je sors ce qui ressemble à une clé USB ainsi qu’un CD.
– Papi aimait le
mystère hein, dis-je tout en retournant le CD dans tous les sens
– Je ne te le
fais pas dire, répond papa avec humour
J’ouvre enfin l’une
des boîtes et en sors un bijou. Un collier de perles pour être précis. Je ne
m’attendais tellement pas à ça que j’interroge mon père du regard.
– Il aimait aussi
acheter des bijoux à ses femmes
Et il n’avait pas
tort. Le reste des boîtes, dix pour être précis, ne contenait également que des
bijoux. Encore des colliers, bracelets et broches. En dernier je remarque dans
le fond, une grande enveloppe toute mince que j’aurais presque manquée. Je la
sors, et vide le contenu sur la table. Des certificats d’achat de Mikimoto,
Steinway&Sons, Renee Lewis, W. Rosado et Stephanie Windsor. Puis une
lettre, portant l’entête de cette banque, signée par Omar Adamou et notariée
qui dit qu’à son décès la totalité des avoirs sur ce compte doit m’être léguée.
– Qu’est-ce qu’on
fait ?
– Nous rentrons
avec le contenu, je t’expliquerai tout quand on sera à la maison, je ne me sens
pas à l’aise à le faire ici, papa me chuchote à l’oreille
Je hoche la tête et
range dans mon sac à dos le contenu du casier. Nous retrouvons le conseiller
qui patientait sagement. Je lui remets la déclaration et papa qui avait
apparemment pensé à tout, lui sors l’acte de décès de papi. La procédure est un
peu longue. Il doit avoir l’accord du directeur de l’agence sur certains
documents. On se chuchote à l’oreille papa et moi le temps que ça lui prend. Le
conseiller essaie aussi de me vendre dur comme fer leurs services, stipulant
qu’on pourrait facilement transférer le montant du compte de papi au mien, mais
je décline prestement.
Après ce qui m’a
semblé être une heure, il me présente les derniers documents à signer. Mes yeux
butent sur le solde faramineux du compte. 97 856 CAD ? Genre un peu moins de 100K pour moi seul ?
– Tu te
retrouveras avec le double, voire le triple si jamais tu décides de vendre les
bijoux de maman, m’informe papa après notre retour à la maison
– Hein ? Je pense que je n’ai pas bien entendu,
fais-je éberlué et lui sourit comme si c’était on ne peut plus normal.
– Quand j’avais
un peu moins de ton âge, papa s’est attiré des problèmes avec le pouvoir en
place. Je venais à peine de commencer l’université. Non seulement ils l’ont
fait arrêter, mais en plus, ils ont réclamé à l’état la petite maison à Aix
dont papa avait fait l’acquisition pour nos vacances quand je venais de finir
le collège. J’ignore comment ils y sont arrivés, mais banalement, ils ont fait
croire qu’il avait profité de sa position au sein de l’armée pour piller les
caisses de l’état et s’enrichir. Nous avons perdu beaucoup et comme c’est
légion en politique, ils l’ont libéré sans que l’on connaisse la raison. Il n’a
jamais voulu en parler. Ce n’était pas le genre à s’épancher sur les dessous de
son travail, mais quoiqu’il en soit, notre vie a changé après cette épreuve.
Papa a lui-même changé. Nous vivions cachés et il n’investissait plus son
argent que dans des choses insignifiantes aux yeux du commun des mortels sinon
assez loin du Togo pour qu’on ne remonte jamais à lui. La première parure de
perles que tu as sortie lorsque nous étions à la banque était un cadeau pour
les 50 ans de maman. Dans le temps, elle excédait déjà le total de ce que
tu as vu sur ton compte aujourd’hui.
– Des perles ? Tu es sérieux ? Ça coûte comme ça ?
– Oui quand c’est
une marque reconnue pour sa qualité et en plus une édition limitée, entourée de
diamants et le tout monté sur 18 carats d’or blanc si mes souvenirs sont
bons. Une de mes sœurs travaillait à l’époque chez Mikimoto en Californie et
c’est elle qui s’est démenée pour la lui trouver. Tu vois la bague que porte ta
mère régulièrement ?
– Oui avec la
petite perle noire au centre et les diamants à côté ?
– C’est une
Mikimoto aussi, quoique nettement plus abordable que le collier. Tout ça pour
te dire qu’on est des habitués de cette marque alors tu peux me faire confiance
quand je te dis qu’elle vaut beaucoup. Les autres bijoux ne coûtent pas autant
que cette parure, mais ce sont pour la majorité des pièces vintage aujourd’hui.
Je te présenterai à mon joaillier quand on rentrera pour qu’il te guide dans la
revente si tu souhaites t’en défaire.
– Anh joaillier
hein. On ne dit plus bijoutier désormais ?
– Un joaillier
travaille avec des pierres précieuses contrairement à un bijoutier après un
sourire
– Quand tu me
souris comme ça, j’ai l’impression d’être mal bête
– Mais non, je
n’y connaissais rien à ton âge aussi. Je n’ai commencé à m’y intéresser que lorsque
j’ai eu envie de faire plaisir à ma femme et ma fille. Avant ça, j’étais le roi
des parfums Chanel. Ma mère a certainement eu 95 % de ce que Chanel a fait
en parfumerie par moi et la pauvre en mettait certains uniquement pour me faire
plaisir pourtant elle ne supportait pas l’odeur. Il a fallu qu’elle me taquine
sur ça chez ta mère pour que je l’apprenne.
C’est moi qui rigole
maintenant. Moi-même j’avais ciblé Guerlain pour maman et je comptais lui
offrir tout ce qu’ils sortaient comme produits de beauté jusqu’à la fin de sa
vie.
– Le premier
Steinways&Sons c’est celui-ci, il dit tout en me pointant le grand piano
imposant qui trônait dans le coin détente non loin du salon ouvert
– Un piano ? Papi jouait ? Attends, qu’est-ce que son piano… ; Euh nous ne sommes pas dans un Airbnb je
suppose, dis-je sur la fin quand ça clique dans ma tête
– Non. Ce chalet
appartient à ta mère. Le piano est un cadeau de ton papi. On se foutait de sa
gueule quand il s’est levé un beau matin avec la motivation d’y jouer. Mais
après ta disparition, je pense qu’il s’est réfugié dans ses leçons. Pour finir,
il jouait si bien et régulièrement qu’il a proposé à ta mère de lui en offrir
un, il dit avec un air triste que j’ai envie d’effacer toutes les fois qu’il
apparaît.
Je quitte le divan
d’en face pour m’asseoir à côté de lui et il passe le bras autour de mon
épaule.
– Je ne suis
pas…, plus triste fiston, ne t’en fais pas. Ce sont juste des souvenirs. Mais
bref, je disais donc qu’il avait proposé de nous offrir ce piano quand j’ai
acheté ce chalet pour ta mère après les vacances qu’on a pris l’année des six
ans d’Ida. Les seules vacances qu’on s’est autorisé et ta mère est tombée sous
le charme de cette petite ville. Je me suis démené pendant deux ans pour
acheter cette habitation. On s’était promis qu’on t’emmènerait ici pour des
vacances et ton papi nous a fait cadeau de ce beau piano. Tout comme les
perles, disons que c’est du vintage dans le monde des pianos. Je m’y connais
moins là-bas, mais dans l’enveloppe, tu as tous les certificats d’achat ainsi
que les contacts des boutiques où il les faisait. Je sais uniquement que les
grands pianos de Steinway peuvent t’emmener dans des prix qui dépassent le
solde actuel du compte aujourd’hui.
– Comment je peux
faire mieux que lui après tout ça ? je
m’interroge tout haut
– Où veux-tu en
venir ? il me demande confus
– Dans sa lettre,
papi a prié que je fasse mieux que lui. Avec tout ça, je le dépasse comment ? Je ne veux pas le décevoir, mais je…, je sais
pas là tout de suite, si j’ai les épaules solides pour être son petit-fils. Je
ne visais que l’indépendance financière. Millionnaire aussi, mais acheter les
choses chères comme ça là, j’ai toujours trouvé que c’était trop rêver pour
rien. En tout cas, c’est pas sur mon salaire en France que je me voyais
réaliser ça.
– Chaque parent
espère que son enfant fera mieux mon garçon, mais en fin de compte, c’est ton
bonheur qui nous importe. Je ne pense pas avoir fait mieux que lui
financièrement parlant, même si c’est difficile à évaluer puisque personne ne
connaissait réellement la quantité exacte de ses avoirs. Mais je n’en suis pas
moins heureux, tu sais. Je n’en suis pas moins fier de moi. Ce que je détiens,
j’ai travaillé pour l’avoir. J’ai construit mon bout de chemin avec ma femme et
nos enfants sont aussi des battants. Et si tu es mon fils, tu sauras aussi
faire ton petit bout de chemin qui te sera propre.
Je ne savais même pas
que je ressentais la pression jusqu’à ce que son discours me libère le cœur de
ce petit poids qui s’était déposé dessus quand il a commencé à me parler des
perles.
– Merci pour
tout, papa, merci, je dis sincèrement
– De rien, c’est
mon travail, il répond tout en me tapotant le dos. Puisque nous sommes sur le
sujet, je voulais aussi réintroduire le sujet de notre offre même si tu avais
dit que…
– J’étais con
dans le temps, fais pas attention, je l’interromps. Pas que j’en ai après ton
argent hein, mais…
– Ne t’en fais
pas je comprends, il m’interrompt à son tour sur un ton rassurant. Alors cette
maison comme tu le sais maintenant appartient à ta mère. Nous avons celle de
Marseille ainsi qu’une à Lomé. Nous avions prévu partager les trois résidences
entre vous nos enfants, et comme tu es l’aîné on te laisse le choix.
– Genre tu veux
dire que je peux choisir une maison comme ça quoi ?
– Oui, celle que
tu veux. Il en va de soi qu’on ne pourra te léguer celle de Marseille qu’à
notre retraite officielle comparée aux deux autres. Et si tu choisis celle-ci,
tu dois quand même nous permettre d’y passer quelques congés le temps qu’on
quitte cette terre.
– Est-ce que je
dois répondre maintenant ?
– Bien sûr que
non, rien ne presse. Tu pourras même visiter la maison de Lomé avant de te
décider. Mais je te préviens tout de suite, tu risques de ne pas l’aimer parce
que j’ai fait une folie là-bas.
– Qu’est-ce que
tu veux dire par là ? je
l’interroge amusé que cet homme si réfléchi que je côtoie depuis un moment ait
aussi un côté de dingue
– Disons que
j’étais jeune, je venais tout comme toi aujourd’hui d’accéder à l’héritage
laissé par mon grand-père et surtout j’avais une sacrée envie de faire chier
mes parents parce qu’ils s’étaient mêlés de mon histoire avec ta mère. Alors
quoi fait un petit inconscient quand il veut prouver aux autres qu’il s’en sort
très bien sans eux ? Il se
construit une maison bien trop extravagante pour deux personnes. Le pire c’est
que je n’y ai finalement pas vécu aussi longtemps que prévu. À cause de sa
taille et son emplacement, mon ami et moi n’avons jamais pu trouver un autre
acheteur pour le prix qu’on demandait, du coup nous avons dû la mettre en
location comme maison de vacances lorsque l’occasion le permet.
– Ouais, un
mauvais investissement quoi, ça fait mal
– Je t’assure. Je
n’en suis pas fier, mais bon voilà, tu sais que j’ai été un idiot aussi, il dit
avec un sourire.
– Mais tu t’en
sors plutôt bien maintenant
– La preuve qu’il
y a une chance pour les idiots s’ils décident de changer, n’est-ce pas ?
– Pas faux vu
sous cet angle, je réponds avec humour.
Mon ventre gargouille
sur cette phrase, me rappelant que notre dernier repas remontait à six ou sept
heures plus tôt. Je propose de nous faire des pâtes. Offre qu’il accepte et je
me mets directement aux fourneaux. Comment je n’y ai pas pensé plutôt en voyant
les ustensiles. Ils ressemblent à ceux qu’ils ont à Marseille, mais jamais je
n’ai fait le lien entre les deux. Dire que maman a vraiment une maison dans un
pays étranger quoi. Le rêve inespéré. Et ce chalet comme les gens du coin
l’appellent c’est une petite maison moderne avec cour, patio, piscine hors
terre, le tout entouré d’une vaste forêt bien dense de laquelle sort parfois
certains animaux. J’ai croisé un petit matin ce que papa a appelé un chevreuil.
Je me vois bien emmener Andrade ici et l’enfermer dehors après lui avoir
raconté que les ours sont réguliers dans le coin. Je rigole rien qu’en
imaginant sa tête effrayée m’insulter tout en tapant sur la vitre et me
supplier d’ouvrir.
– Je t’amuse
autant ? me demande papa avec qui
je mangeais à table
– Désolé j’avais
l’esprit ailleurs. Dis, est-ce qu’une maison comme celle-ci coûte cher ?
– Pour nous elle
n’a rien coûté quand on l’a achetée. 295K si l’on ne compte pas les frais du
courtier immobilier
– Waow vous avez
acheté cash ? Kieeee
– On ne voulait
pas s’endetter pour une maison de vacances. En plus ta mère n’avait presque
rien fait de ses économies depuis ce que tu sais et je voulais qu’elle ait un
investissement à son nom, alors on s’est lancés
Encore une chose qui
me fait aimer de plus en plus cet homme qui est mon père. Cet amour qu’il a
pour ma mère, pour nous, sa famille. Cet amour je le retrouve aussi entre mon
papi et ma mamie, que je visionne sur mon écran grâce à la clé USB qu’ils
m’avaient laissée dans le casier. Mamie m’explique que son français écrit n’est
pas aussi clair que celui de mon papi, raison pour laquelle elle a préféré me
faire une vidéo. Une vidéo qui m’a fait pleurer sur la fin à cause des mots
touchants que les deux, puis trois avaient pour moi. Trois parce que ma seconde
mamie s’est rajoutée sur la fin. La vie peut être si dingue et inattendue à la
fois que tu ne sais quelle leçon tirer. Voici que je suis riche grâce à des
gens qui ont souffert de ma perte pendant des années. J’ai mal pour eux, mais
d’un autre côté je ne peux cacher le petit soulagement qui continue de
s’installer en moi depuis que j’entrevois les choses que cet argent me
permettra de faire pour maman et Vieira. Quelle leçon dois-je tirer ? Certains doivent souffrir pour que d’autres
soient heureux ? Ou, je
réfléchis trop et je dois simplement laisser couler ?
Oui, quoi faire
d’autre. De toute façon, le bien comme mal sont déjà fait. Je me refais la
vidéo encore une fois. Une équipe, c’est ce qu’étaient les Adamou première
génération. La seconde génération, mes parents, je dirai qu’ils sont une
vision. Ils résument bien l’une des seules citations littéraires que je connais
dans ma vie. « Aimer
c’est regarder ensemble, dans la même direction ». Mamie qui m’a fait une bonne leçon sur les
bijoux du coffre porte sur son corsage une des broches en saphir qu’elle m’a
léguée. Celle là je ne vais pas la vendre. Non je ne le ferai pas. Elle m’a
raconté un tas d’histoires sur tous ses bijoux et je veux la garder dans la
famille. Elle ira à Lucile. Je garderai aussi un autre bijou pour notre seconde
ou troisième fille, dépendant de ce que Dieu nous donnera. Je ne vois pas
Andrade accepter plus de trois grossesses de toute façon. Madame est à fond sur
sa carrière actuellement et les gros plans qui sortent de sa bouche demandent
qu’elle soit impliquée pour y arriver. Et pour ma part trois me suffiront
amplement. Trois enfants, une équipe, une vision. Une dernière phrase me vient
à l’esprit et m’arrache un sourire. Je pense que je viens de trouver mes vœux
de mariage. Mais avant de laisser mon esprit voyager, je dois vérifier quelques
derniers trucs avec elle.
Elle ne m’a pas fait
signe de toute la journée pourtant elle sait que je devais me rendre à la
banque avec papa aujourd’hui. Elle répond à la seconde sonnerie et se débat
avec son téléphone pour bien placer son téléphone. Je salue son père qui passe
avec ma Lulu sur son cou. Vita me demande une seconde, le temps de mettre ses
écouteurs et enfin on peut parler.
– ça va
l’installation ? Je ne
t’ai pas entendu de la journée, je lui demande. Elle a emménagé à Limoges il y
a une semaine pour commencer un stage au secrétariat de la mairie.
– Bah j’attendais
aussi que tu me fasses signe. Comment ça s’est passé ?
– Très bien, tu
as devant toi un homme riche donc il faut bien me parler désormais sinon je me
fais faire un bâton en or et je vais bien te mater tes petites fesses là
– Lol va te faire
choucrouter, elle me répond et j’éclate de rire. Depuis que Lucile répète les
mots, on s’est entendu pour utiliser choucrouter, à la place de tout. Les fois
où nos bouches glissent sont hilarantes.
– Ah bon hein ? On envoie choucrouter son riche chéri aussi ?
– Yep quand il le
mérite. Attends je me rince les mains et je prends Lulu à paï.
Elle fait donc ça,
retourne dans la chambre et se met à border Lucille après avoir éteint la
lumière et gardé uniquement celle du chevet allumé.
– Je rappelle ?
– Non,
continuons. Alors tu es aux as ? Tu
comptes faire quoi avec ta thune ?
– On pourrait changer
de crèche à Lucile pour commencer
– Pour quoi faire ? Sa crèche actuelle est bien non ?
– Oui, mais il
doit y avoir mieux dans le privé surtout. J’ai déjà fait quelques recherches
sur Lille et j’en ai deux qui me plaisent bien.
– Donc si je te
suis, maintenant que monsieur est aux as il veut enlever Lulu d’une crèche
franchement bonne où elle est déjà connue, juste parce que c’est le public ? elle rétorque sur un ton dérisoire comme si
j’avais fumé du chanvre. Ta mère tu n’as pas pensé à elle ? Tu ne t’es pas dit que peut-être la faire
quitter de France truc c’était plus important qu’un changement de crèche pour
une gamine de deux ans et quelques mois qui au passage se sent très bien là-bas ?
– Qu’est-ce qui
est compliqué dans Franceville pour que tu mettes truc à la fin ? rétorqué-je amusé
– La capitale de
Cape Verde ? On adresse aussi le fait
que tu ne t’en rappelles jamais pourtant je te l’ai dit au moins cinq fois ?
– Le malin peut
te tuer dans ce pays. Cap Vert ce n’est plus bon pour toi, c’est désormais Cape
Verde hein.
– Une vraie meuf
du terroir appelle son pays dans sa langue maternelle, elle réplique et me
roule bien les lettres dans son portugais qui m’excite dès qu’elle le sort
Il faut dire qu’on ne
s’est pas vu depuis la fin d’année aussi alors un petit truc d’elle et j’ai le
feu aux reins.
– OK la meuf du
terroir. Pour en revenir au sujet principal, je n’ai pas oublié maman. Elle
quittera Franceville au temps voulu.
– Et Vieira
devrait continuer ses études ailleurs ?
Kinshasa c’est bien, mais la pratique c’est important dans le domaine du
contrôle aérien. Et je pense qu’ils ne doivent pas en avoir autant là-bas que
s’il vivait à l’étranger.
– J’aimerais bien,
mais c’est si compliqué le domaine de l’aviation. La plupart des pays étrangers
ne forment que leurs ressortissants.
– Le Canada forme
souvent des résidents permanents aussi, j’en suis sûr. Je m’y connais un peu sur
ce dossier. S’il ne lui reste pas beaucoup de temps pour compléter sa licence
et qu’il a une petite expérience de travail, je suis certaine qu’il sera un bon
candidat pour la résidence vu son parcours.
– Tu connais son
parcours toi ?
– On est en
contact
– Et puis
personne n’a pensé à m’informer de la petite alliance hein, on peut faire aimer
les messes basses comme ça ? je lui
demande et elle rigole
– Tu n’es pas
assez cool pour qu’on t’intègre
– Tant que je
suis assez cool pour te choucrouter ça me va amplement
– Tu aimes trop
parler de choucroute, elle susurre en retour. Je ne suis pas le seul à
ressentir le manque.
– Parce que tu me
manques ma puce
– Moi aussi le
gros loup
– Eh, on va
évoluer un jour ? Les
gens disent chéri, doudou, ta part c’est toujours gros loup.
– C’est ça qui te
correspond, elle dit avec humour
– En tout cas,
les choses du gros loup que je vais te faire quand mes pieds toucheront
Limoges, tu me supplieras
– J’ai hâte, elle
glousse et m’arrache un sourire. S’il te reste du blé après avoir sécurisé
maman Lucie et Vieira, je propose qu’on se prenne un meilleur hôtel pour notre
voyage à Cape Verde.
– Donc la crèche
non, mais un hôtel où l’on ne fera pas plus d’une semaine oui ? Les priorités hein
– La crèche non
parce que ça ne sert à rien. La crèche actuelle est bonne, on l’aime tous, toi
y compris. L’hôtel semble être du gaspillage à priori, mais on voyage pour se
détendre aussi. Et un cadre agréable contribue à ça. Toi et moi on sait qu’on
avait pris l’autre parce qu’on voulait rester à tout prix sous une barre, alors
si on augmenter cette barre de quelques euros, je pense que ça vaut le coup
pour nous trois.
– OK Andrade, tu
as gagné. Tu n’es pas curieuse de savoir de combien je suis riche? je la tente.
– Si tu voulais
me dire tu l’aurais fait depuis qu’on se parle
– Et ça ne te
fâche pas que je ne le fasse pas ?
– Je ressemble à
quelqu’un qui se fâche pour les choses des autres ? elle me retourne sur un ton qui me fait rire
– Compris. Tu
penses quoi des perles ?
– Euh que c’est
joli. Enfin, je sais pas, je m’y connais pas, c’est plutôt un bijou pour vieux,
genre du style de ma mère non.
– Mon grand-père
en offrait régulièrement à mes mamies, comme témoignage de son affection pour
elles. Mon père a fait pareil avec ma mère et ma sœur. Papa Henry nous couvrait
spécialement d’attention par des cadeaux ou sa présence plus régulière chaque
fin d’année. Des traditions dans ce style sont symboliques pour moi. Je me vois
facilement les perpétuer avec vous. J’aimerais rajouter notre histoire à la
grosse encyclopédie que mes ancêtres ont écrite avant même notre conception.
– C’est mignon ce
que tu dis Thierry. Malgré ton caractère de gros loup, je vois que tu descends
d’une grande lignée de romantiques.
– Tu vois non, je
t’avais dit qu’il y avait du bon en moi, ironisé-je
– Je veux bien
recevoir tes perles d’affection lorsque tu seras prêt à me les donner, et tu me
diras ce que tu aimerais en retour comme gage de ma part
– Sincèrement ? je lui demande
– Bien sûr, on
est une équipe ou pas ? Je
couvre tes bases, tu couvres mes bases, elle me répond et me réchauffe le cœur.
– Un enfant
chérie, honnêtement c’est le gage d’affection qui me comblerait de joie. J’ai
envie de vivre une grossesse avec toi du début à la fin. Et en plus préparer
Lulu à l’arrivée d’un autre bébé. Je comprends que ta carrière est importante
alors on le fera quand tu auras du temps, mais ne me fait pas trop languir aussi,
s’il te plaît.
– Est-ce que ton
héritage te permettra de nous faire vivre à Marseille si tu reprends les cours ?
– Si je reprends ? Je n’avais pas prévu reprendre hein. Je
devais me chercher un boulot.
– Réfléchis
Thierry. Ce sera le moment propice pour débuter ton master puisque tu n’auras
pas autant de charges à supporter une fois que tu vivras chez tes parents.
C’est vrai que tu sacrifies un salaire, mais ce n’est que temporaire puisqu’une
fois ton master validé, tu pourras négocier mieux.
– Je vais mieux
faire mes calculs, mais vite fait comme ça, je pense que oui. On pourra vivre
assez confortablement sur mon héritage après que j’ai réglé le cas de maman et
Vieira.
– Dans ce cas, on
pourra faire notre bébé quand on sera à Marseille
– Tu es sérieuse
ou c’est l’euphorie qui parle ?
– Lol, les deux
je te dirai. Ça fait un bien fou de pouvoir compter sur une somme
supplémentaire d’argent alors on peut délirer un peu et être plus relax sur la
carrière pendant un an ou deux non ?
Pourquoi pas ?
– Prépare ta
minette ma puce. Dès qu’on sera à Marseille, je vais te monter dessus tous les
jours que Dieu fait, dis-je avec un entrain sans pareil. Je bande même déjà en
prévision pourtant Marseille ne verra pas nos pieds d’ici un an et quelques
mois.
On se parle encore un
peu et elle me laisse avec une recommandation étrange.
– Ne mentionne
rien de cet argent à maman lorsque tu rentreras à Douai
– Pourquoi ?
– Ma mère est mon
premier amour, je l’adore. Elle est ma meilleure amie, un soutien en or avec Lulu,
bref tout ce que tu imagines. Et je sais que sa faiblesse c’est de ne pas
pouvoir se retenir dès qu’on lui parle d’argent. Elle a le don de s’inventer
des besoins dès qu’elle entend les bruits de billets. Je n’ai pas la force de
lui dire non, je ne l’ai jamais trouvé, et résultat on a souvent fait les
folles dès qu’on se retrouvait avec des sous en poche. Elle n’a donc pas besoin
de savoir que ta situation a changé. Si tu veux lui faire du bien, choisis ce
qui te plaît et offre-le lui. Argent, cadeau, bref, fais-le sans lui dire que
tu es riche.
On peut maîtriser sa
maman comme ça ?
pensé-je en rigolant sur mon lit une heure plus tard. Quand je lui ai demandé
durant l’appel, elle a répondu qu’étant sa copie conforme en qualités comme
défauts, c’est on ne peut plus normal qu’elle la maîtrise. Sans le savoir, elle
a passé mon petit test. On dit que l’argent révèle la vraie nature des gens. J’ai
pensé le lui cacher pour commencer, puis je me suis ravisé en me disant que si
elle est cupide autant que je le sache maintenant qu’on commence à développer
nos sentiments plutôt que d’attendre. On peut dire que c’est tôt pour trancher,
mais je ne trouve pas après l’avoir entendu ce soir. J’avais déjà prévu
m’occuper de maman en priorité. Pareil pour Vieira même si je n’avais pas pensé
au Canada comme option. Je voulais juste écouter un peu sa perspective. Voir si
on partageait une vision. Elle sait combien je tiens aux miens, et le fait
qu’elle les inclut aussi dans nos projets me réconforte dans l’idée qu’on est
vraiment un item tous les deux.
Avant elle, la
personne avec qui j’avais cette sensation d’item, c’était Denola. Je n'ai pas eu
de nouvelles depuis un moment, alors je vais le chercher sur Whatsapp dès mon
réveil. Il m’informe qu’il est à Copenhague alors que je le pensais encore à
Cotonou. On n’a vraiment plus rien à faire au Canada alors je demande à papa si
je peux partir un peu plutôt. Il me confirme que sa femme et Asad lui manquent
également alors on peut s’en aller quand je le souhaite. Pendant que je me
connecte à mon compte sur Crédit Agricole pour vérifier si le transfert de la
RBC est enfin arrivé, papa me fait une autre offre.
– Je me suis
rappelé hier après notre conversation que j’avais aussi un terrain à Lomé.
J’avoue que je l’avais réservé pour Arthur, mais si tu préfères avoir un lot
pour toi, je peux bien te le laisser.
– Qui est Arthur ?
– Un garçon pour
qui nous avons beaucoup d’affection. À un moment nous avions même pensé qu’il
était toi, mais finalement non. Il a perdu ses parents très tôt et je pense
bien qu’il ne lui reste plus aucune famille proche en dehors de nous, et nos
amis par qui je l’ai connu. Je pense aussi qu’il sera le futur mari de Ida
alors il restera indéfiniment dans la famille quoi
– Pour le
terrain, ça me va. Si tu l’as prévu pour lui à la base, autant qu’il le garde.
Mais pourquoi tu penses qu’il sera le futur mari de Ida ? Elle m’a dit qu’elle n’avait personne.
– Parce qu’ils
sont très proches et j’aimerais que ce soit lui parce qu’on le connaît et on l’aime
– Mais si Ida ne
l’aime pas ? Je veux dire, tu accepteras
un autre si elle en est amoureuse ? C’est mieux
qu’elle soit avec quelqu’un qu’elle aime et qui l’aime non ? Je pense du moins.
– Tu connais quelqu’un qui l’aime ?
– Euh…, je pense, mais c’est encore tôt, je dis d’une voix hésitante
tout en pensant à Deno
– Si elle l’aime aussi, alors ils auront mon soutien. Notre but c’est
qu’elle soit comblée même si je ne vois qu’Arthur comme le meilleur compagnon parce
qu’il connaît tous ses caprices et s’est déjà comment l’aborder.
– Oh t’inquiète pour les caprices. Celui à qui je pense a pour second
prénom patience, dis-je un peu rassuré.
– Regarde comment tu me rends curieux, j’ai envie de savoir qui c’est
maintenant, il admet et je me marre
Bientôt je me dis mentalement. Oui bientôt, j’espère parce que mon
meilleur ami ne peut pas être gay. Je le refuse.
Deux jours plus tard, mon compte bancaire affiche des chiffres que
jamais il n’a vus. Je m’empresse de me prendre un billet pour Copenhague. Papa
et moi on se sépare à Pierre-Elliot Trudeau. Son vol pour Paris décollera deux
heures après le mien. Je lui ai confié les bijoux. Hors de question que je me
promène avec l’équivalent de je ne sais combien sur moi. Il me rappelle de lui
faire signe dès que j’arrive en France.
Copenhague est froid, mais moins que Québec. Adrien est le seul qui sait
que je débarque. Je l’avais contacté sur Messenger pour lui demander comment il
trouvait Deno là-bas. C’est lui qui m’a rassuré que je pouvais faire un crochet
sur Copenhague si je le souhaitais. Il m’a aussi donné l’adresse de sa boîte
qui est plus proche de l’aéroport que sa maison. Je devais l’y attendre afin qu’on
rentre ensemble chez lui. Je lui trouve une meilleure mine qu’au pays. On parle
de tout et de rien pendant qu’on rentre et brusquement il se tape le front.
– J’avais oublié de te demander si tu avais un problème avec les
PDA entre gays?
– Hein ? C’est
quoi ça ?
– Les bisous, câlins ? Je vis
avec mon mec et on est un peu tactile.
– Euh…, c’est moi l’invité non. Vous êtes chez vous. Votre maison,
vos habitudes quoi
– D’accord, je vais te dédier le premier bisou alors
– Un peu de quand même hein, je dis en le lorgnant et il pouffe de
rire
– Il faut m’excuser gars, je ne pensais pas un jour pouvoir rigoler
franchement de ce sujet avec des gens de ma vie alors je perds un peu la tête
Je ne sais quoi répondre alors j’observe uniquement son profil. Il semble
vraiment détendu, comme quelqu’un qui se sent bien dans sa peau. Je me rappelle
des conneries qu’on racontait et des surnoms dont certains l’affublaient. Parfois
il rigolait même avec nous, alors je me prêtais aussi au jeu. Avec le recul, je
me demande si tout ça n’était pas une carapace parce qu’il refusait le rôle de victime?
Denola tombe littéralement des nues quand j’apparais dans l’embrasure de
la porte. Bon par des nues, je veux dire qu’il tirait une chaise pour s’asseoir,
mais s’est retrouvé cul au sol. La conversation s’installe naturellement dès
les premières secondes. C’est Adrien qui la mène. Il nous introduit à son mec Elvis
à qui il ne roule même pas une pelle comme il me l’avait dit. Juste la bise. Le
type voulait seulement m’emmerder je vois. En une heure de conversation, la
conclusion à laquelle j’arrive c’est qu’Elvis semble être le contraire d’Adrien.
Le premier est calme, très cool, et parle plus par le regard ou les sourires.
Adrien parle avec tout son corps, comme d’hab. Les grands gestes, toujours à
toucher l’épaule, le bras, demander si on a besoin de quelque chose. Mais il n’y
a aucun doute quand on les observe. Ces deux se complètent bien. On le sent
dans leurs échanges verbaux comme non verbaux. En me couchant le soir là, je me
fais la réflexion que le bonheur de Denola est le plus important finalement. Même
si je ne comprends pas ce qui peut une paire de couilles vers une autre, je
préfère que mon ami soit épanoui plutôt que renfermé comme il l’était encore ce
soir.
Normalement on devait partager la chambre parce qu’Adrien et Elvis n’en
ont que deux incluant la leur. Mais au moment du coucher, Deno a demandé s’il
pouvait continuer à mater la télé. Depuis deux heures mon type est au salon. Je
ne suis pas dupe, je sais bien qu’il est là-bas parce qu’il ne veut pas être
seul avec moi et cette situation me pèse. Je commence à me demander si j’ai bien
fait de venir si c’est pour l’indisposer autant. Après des minutes additionnelles
à me batailler avec mes pensées, je quitte le lit sur la pointe des pieds et m’approche
du salon d’où j’entends des voix. Je reconnais Adrien puis Denola. Je reste là
pour écouter parce que le sujet m’a interpellé.
– On peut te sortir un lit gonflable hein, ça ne me dérange pas du
tout, lui dit Adrien.
– Non ce n’est vraiment pas la peine. Le sofa sera assez pour moi. Merci
pour les couvertures.
– De rien. Tu veux un thé ? J’en
prendrai bien un
– OK, ça me va.
J’entends des bruits d’ustensiles, ensuite une bouilloire qui chauffe et
ils recommencent à parler.
– C’est la présence de Thierry qui t’a poussé à rester au salon ?
– Je ne préfère pas partager mon lit, c’est tout.
– Pourquoi ? Tu crains
de t’oublier et le…
– Ne va pas là-bas, Deno le prévient sur un ton légèrement menaçant.
– Pourquoi ? Tu as peur
d’affronter ta réalité ? Adrien
pousse le bouchon.
– Si c’est pour me soûler que tu m’as convaincu de descendre chez toi
avant de retourner à Perth, je préfère aller me prendre une chambre à l’hôtel,
Deno lui répond sur un ton vexé et je sens des pas se rapprocher de moi, comme
s’il se déplaçait
– Tu reviens Denola, on n’a pas fini. Si je t’ai proposé de venir
ici, c’est parce que quelqu’un doit prendre un peu soin de toi. Je n’aborde ce
sujet que pour éclaircir un point et en profiter pour m’excuser.
– T’excuser de quoi ?
– Tu reviens ou pas ?
Il soupire, et les pas s’éloignent de moi.
– Est-ce que tu as envie de Thi….
J’entends encore du bruit. Quelqu’un toussote violemment comme s’il s’était
étranglé.
– Quand je vois Elvis, je n’ai aucun doute dans mon esprit. Je l’aime,
je le désire, je veux toucher sa queue…
– C’est bon non ? J’ai
besoin d’entendre votre intimité ? Denola
lui retourne sur un ton agacé.
– Oui, parce que l’attirance sexuelle n’est pas un truc confus
Deno. Peut-être au début, quand ça te prend par surprise, mais avec le temps personne
n’a besoin de te le dire que tu es attiré par x. C’est souvent l’acceptation
qui est difficile pour les gens comme nous. Si je te dis ça, c’est parce que
dans le passé j’ai sauté sur l’occasion d’avoir quelqu’un dans mon club. D’entendre
que quelqu’un s’intéressait à un mec comme moi, m’a conforté dans l’idée que je
n’étais pas le seul mouton noir de la famille. J’ai sauté sur tes mots et
conclus à ta place, mais en plus, le fait que tu en parles avec culpabilité n’a
fait que me pousser à te forcer que tu devais accepter ton statut. C’était
totalement irresponsable, et surtout pas ma place.
– Tu veux en venir où au juste ? Denola
lui demande le souffle court.
– Ce n’est toujours pas ma place de te dire ce que tu es, mais je voulais
rétablir les faits, et aussi t’encourager à te poser les bonnes questions,
regarder ta vérité. Est-ce que tu as envie de dévêtir Thierry ? Tu as déjà eu envie de l’embrasser ? Ou tu as envie, mais c’est la peur qui te bloque ? Je suis là pour te soutenir donc sens-toi
libre d’y penser et on en reparle quand tu veux.
– Jamais, Deno répond après une longue minute. Je n’ai jamais pensé
à ses lèvres, ni son corps comme ça. Mais j’ai pleuré quand il a quitté Libreville
pour Franceville. J’ai pleuré quand, à son retour en ville avec sa tante, il n’avait
subitement plus de temps pour moi. Quand il annulait nos rdvs sans me donner de
raison. Quand je le voyais avec sa copine, je les ai détestés tous les deux. J’avais
l’impression qu’il ne m’aimait plus. Qu’il ne voulait qu’elle et c’est comme ça
que j’ai commencé à me questionner.
– Jamais, je réponds oubliant que je devais être caché
Denola paraît embarrassé pour une seconde puis son expression se durcit.
Adrien me lance un regard chargé de reproches.
– Je vais aller dormir à l’hôtel comme on ne peut pas avoir la paix
dans cette maison, Deno déclare de go et veut se rendre dans la chambre, mais
je le stoppe en me plaçant sur son chemin
– Jamais je n’ai pensé à te remplacer Deno, tu es mon gars quand même,
on a vécu….
– Je m’en fous, laisse-moi passer !
– Vous allez vous calmer et vous asseoir comme des adultes pour qu’on
finisse cette conversation, Adrien nous ordonne d’une voix qui nous surprend
Comme deux fourmis qui marchent dans une file on se dirige vers le sofa.
Je suis à un bout, Deno à l’autre. Adrien prend place sur leur chaise de café,
tasse à la main, dans un peignoir rouge. Il faut m’excuser, mais j’ai pensé à
Hugh Hefner pendant une seconde.
– On reparlera de tes manières après Thierry, mais continue, et toi
Deno, tu le laisses finir
– Je ne voulais pas te remplacer, c’est ce que je disais. Ça ne m’a
jamais traversé l’esprit.
– Non ? Dans
ce cas pourquoi tu ne faisais que me planter ? Quand on devait se voir, tu avais TOUJOURS
quelque chose à faire, mais c’est toi que je voyais avec la fille par-ci, par-là.
J’entendais vos histoires. Même pour répondre à un message Thierry tu le
faisais une semaine après. Et tu te souviens de ce que tu m’as dit quand j’ai demandé
si tes doigts étaient trop lourds pour répondre aux gens? Tu m’as demandé le pourquoi
je me comportais comme une meuf en règles, il me dit sur un ton blessé qui n’aide
pas avec la culpabilité que je ressens
– Quand on s’est connus, nous vivions pratiquement les mêmes vies
même si ta famille était plus aisée que la mienne. On était dans le même
quartier, ensuite les mêmes écoles et nous avons fini par partager le même
cercle d’amis. Puis ma vie a basculé. J’étais content de te revoir en revenant
sur Libreville, mais très vite la réalité m’a rattrapé. Je ne nous trouvais
plus rien en commun. Les jeux dont tu parlais, ton quotidien, ma nouvelle
école, tout était différent pour moi et je ne me sentais plus inclus dans notre
ancien groupe. Et comme je ne voulais pas passer pour le petit pauvre qui se
plaint, je me suis accroché à ma copine qui vivait une réalité semblable à la
même. Si j’avais porté mes couilles je te l’aurais avoué, mais on sait que de
nous deux tu as toujours été le plus direct, alors que moi et l’orgueil on n’a
jamais pu se séparer. Je suis désolé pour les conneries que je t’ai dites plus jeune
mec, je m’en veux sincèrement
Maintenant que c’est dit, je vois que ça l’a réellement blessé parce qu’il
me dévisage, tout en respirant bruyamment. On croirait qu’il hésite entre me
cogner ou m’enlacer. Je regarde un coup mes chaussures, puis lui et ensuite mes
chaussures. On dirait ma fille quand je la gronde.
– Alors ? Le film
continue ou vous allez continuer à vous comporter comme si j’avais appuyé sur
pause ? nous interpelle Adrien.
– Tu n’as pas laissé la mal bouche là au pays hein, je constate
avec humour
– Jamais, c’est le point focal de ma personnalité
– Je me sens con, dit Denola et nous ramène à la conversation
actuelle. J’ai passé une bonne partie de ma vie conditionné par l’idée que j’avais
un esprit tordu et après ce que vous venez de me dire je me sens perdu. Je ne
sais plus où j’en suis.
– Tu ne nous dois aucune réponse ce soir Deno. Je voulais juste clarifier
les choses et rectifier ma part. Avant d’aller me coucher, je tiens à vous partager
un petit secret pour vos futures relations en tout genre.
– Oh, c’est arrivé au stade où tu nous conseilles maintenant ? Le monde ci hein
– Je te fais bénéficier de mon expérience gratis alors la ferme Thierry
et apprécie. Notre éducation est bonne, je ne vais pas renier mes valeurs
africaines juste parce que je ne rentre pas dans le moule de l’enfant parfait. C’est
l’optimisme et la valeur du travail que mes parents africains m’ont enseigné
qui m’a conduit ici. Je gagne plutôt bien ma vie dans un pays étranger. C’est
le respect des aînés, et le long protocole souvent juste pour s’adresser à eux
qui m’ont quand même aidé à me faire accepter par le père de mon mec. On parle
d’un homme ghanéen tellement ancré dans ses valeurs qu’il se promène avec ses
babouches du pays partout. Et bien sûr un homme pour qui l’homosexualité est une
déviance. Un homme qui était venu ici avec l’intention de forcer son fils à
rentrer au pays et au départ, parce qu’il imaginait que je faisais porter des
strings à son garçon toute la journée. Un homme dont j’aurais pu m’en foutre c’est
vrai parce qu’il ne paie pas mon loyer comme mon mec ne cessait de me répéter. Pourtant
c’est ce même mec qui a souffert pendant des années du rejet parental. Alors j’ai
pris sur moi, je l’ai bien reçu comme j’ai vu ma mère faire pendant des années.
Je me suis mis en quatre, j’ai sorti les recettes phares ici, et à la fin, il
fallait voir ce monsieur se taper des barres de rire avec son fils, jusqu’à
réclamer que je passe à la maison quand je faisais trois jours sans donner
signe de vie. Est-ce qu’il est devenu moins homophobe à cause de ça ? Non. La preuve, il a conclu que j’étais une
femme dans le corps d’un homme, raison pour laquelle je l’ai si bien reçu.
– ça ne t’a pas énervé ? le
coupe Deno
– J’ai choisi mes batailles et gagné heureusement. La preuve, Elvis
a insisté qu’on emménage ensemble deux mois plus tard et figurez-vous que le
papa depuis le Ghana était bien impliqué dans la recherche d’appart avec nous,
que non on doit prendre un avec deux chambres parce qu’il reviendra bientôt, il
dit avec humour et on rigole aussi.
– C’est bien pour vous. Heureusement qu’il a baissé sa garde,
dis-je sincèrement heureux.
– Mais ce ne fut pas facile
hein. Ça m’a pris du temps pour choisir ma stratégie et surtout une grosse dose
de réalisme pour choisir ma stratégie quand Elvis m’a parlé de la visite du
vieux. On ne va pas changer la génération précédente, mais on ne pourra pas jeter
tous ses membres non plus. Mon mec ne peut pas vivre coupé de toute sa famille et
être heureux. Idem pour moi, alors nous travaillons à trouver un équilibre
entre les mentalités, et le respect de notre couple. C’est pas toujours facile,
mais au moins, nous ne sommes pas persécutés et certains de son côté, nous acceptent.
Pour moi c’est merveilleux. Mais j’espère que la génération africaine suivante n’aura
pas à vivre les mêmes épreuves que nous, d’où mon discours digne d’un prix Nobel
là. Dans vingt ans, j’espère qu’on aura laissé une bonne partie des mauvais
côtés de notre éducation africaine traditionnelle. J’espère que vos fils ne
penseront pas que ressentir la jalousie parce qu’un ami les délaisse fait d’eux
des tapettes comme certains le pensaient à notre temps. J’espère que vos fils
ne penseront pas que dire « je ne me
sentais pas adéquat » fait d’eux
des faiblards. J’espère que vous leur direz qu’il existe plusieurs versions masculines
dans ce monde. Qu’on peut très bien recevoir comme un bon africain, être un
chef aux fourneaux, se faire la bise, s’enlacer, pleurer quand ça ne va pas, se
confier et tout sans perdre ses couilles et devenir une femme. Peut-être l’un
de vos fils épousera ma fille un jour. Ma fille n’acceptera pas les machos qui
se croient excusés pour tout parce qu’ils ramènent l’argent à la maison han, je
vous ai prévenus.
– Un discours à la Obama vraiment
– J’ai toujours dit que tu étais un con Ndouo, il rigole et se lève
tout en nous donnant encore une information inutile. Que c’est bientôt l’heure
où son gars va se mettre à chercher son corps pour se réchauffer donc autant qu’il
retourne à son poste. Le gars-ci vraiment. Il n’a pas changé d’un poil.
– Tu imagines un de nos fils avec sa fille ? j’entends de Deno qui me paraît amusé
– Je vais le former pour qu’il me traumatise bien la petite comme
il nous a emmerdés quand on grandissait, je réponds et il rigole
– Tu es un con fini quoi. Tu n’as pas oublié les choses là ?
– Jamais, on a vécu une enfance trop chic mine de rien
– Ouais, il dit l’air rêveur. C’était bien malgré les pépins.
– ça va toi ? On ne
s’est pas parlé depuis je ne sais quand.
– la faute à qui ? Tu ne
m’as pas fait signe, il répond.
– Je n’osais pas comme tu n’aimes pas qu’on te harcèle de messages
quand tu vas mal
– Tu as raison, il dit après un soupir. Le corps de Ray devrait arriver
à Cotonou ce mois, il continue d’une voix lourde d’émotions. J’ai fini les démarches
là-bas et il me fallait revenir pour vider mon appart à Perth, alors me voilà.
J’ai juste fait un stop ici parce qu’Adrien a insisté que je prenne un peu de
temps avant de retourner en Australie.
– Vider ton appart à Perth ? Tu déménages ?
– Vu la façon dont j’ai quitté mon emploi, je ne pense pas qu’ils
vont me garder
– Merde. Tu vas faire quoi du coup ? Si tu as besoin d’un endroit où crasher, on
peut s’arranger.
– Non, je vais juste prendre le mois de mars pour boucler mes
choses puisque l’enterrement est prévu pour avril. Après j’aviserai de la
suite. De mon avenir, il dit l’air lointain.
– Tu pourras vivre sans salaire ? Si tu as un besoin….
– T’en fais pas mec, je me suis toujours efforcé de garder un fond
d’urgence pour les cas de ce genre
– OK, je réponds simplement même si j’ai envie de le bassiner de
questions additionnelles. Il n’est pas dans le mood. Pour l’amuser un peu, je
lui demande s’il peut revenir dans la chambre ou mon corps est trop attirant
pour lui. Il me donne une taloche bien méritée et nous retournons ensemble au
lit. Je dors d’une traite maintenant que mon esprit est léger.
***Denola EKIM***
Je ne suis qu’un concentré d’émotions. Déprimé, en colère, épuisé et libre.
Oui je me sens un peu libre. Les doux ronflements de Thierry m’ont bercé toute
la nuit pendant que je réfléchissais à ma vie. Je ne sais pas ce qu’il en sera
de ma vie professionnelle, mais ma vie personnelle me semble plus claire
maintenant.
Le lendemain, Adrien nous sort son fameux « Africain qui sait recevoir », en nous sortant des gaufres à une rapidité
digne d’un chef cuisinier qui a trois assistants. Après un petit-déj copieux, nous
sortons tous les quatre pour un tour dans la ville. Copenhague est vraiment
beau, mais je ne me vois pas apprendre le danois jusqu’à le parler un jour
comme mon cousin et son mec. Pendant que Thierry joue aux touristes, j’en profite
pour confirmer mon heure d’arrivée à Ida. Mon départ est prévu pour 2 h du
matin ici et c’est elle qui viendra me prendre à l’arrivée. Les gars me
déposent vers 23 h et je me permets d’enlacer librement Thierry pour lui
dire au revoir. Une première depuis longtemps. Mes sentiments ne sont plus
confus alors je me sens libre.
24 heures incluant deux escales à Doha et Melbourne tout ça parce
que Perth est dans un coin perdu et je ne voulais pas dépasser 2000 euros
pour ce voyage dans ma condition. Une raison additionnelle pour quitter ce trou ! Je n’ai pas vu Ida depuis plus de trois mois
maintenant que j’y pense et quand je distingue son visage dans la foule, je me
rends compte qu’elle m’a tellement manqué. Elle se rapproche et son toucher m’apaise.
Je suis dans ses bras, enveloppé par son parfum toujours légèrement fleuri, qui
aurait senti comme une vieille sur quelqu’un d’autre, je pense, mais sur elle,
c’est juste raffiné. On rentre en Uber. On peut donc se demander le pourquoi
elle est venue me chercher puisqu’elle ne conduit pas. C’est elle qui a les clés
de mon appart même si elle aurait juste pu les laisser au concierge. Elle m’a juste
informé qu’elle viendrait me chercher et ce n’est certainement pas moi qui allais
dire non.
Comme je suis arrivée à 10 h 50, heure d’Australie et qu’elle
avait cours, on n’a pas vraiment eu le temps de discuter. Elle devait se rendre
en cours et j’avais à faire. Du moins c’est ce que je pensais, mais l’appartement
que j’ai retrouvé me paraissait plus clean que dans mes souvenirs. Les coussins
rangés, la table en ordre, même la vaisselle. Tout était à sa place. Je lui avais
laissé la clé de ma boîte postale avant mon départ afin qu’elle récupère mon
courrier, mais dans la précipitation, c’est tout le trousseau que je lui ai
laissé. Seulement je ne m’attendais pas à une si grande attention de sa part.
Il y avait aussi un mot sur une petite carte collée sur mon frigo.
« Bon retour Deno ! Je me suis permise de faire un peu le ménage parce
que ça m’agressait les yeux de voir ton appart dans cet état lorsque je venais
déposer ton courrier. J’ai aussi bougé un peu les trucs dans ton frigo. Signé l’envahisseuse. » Et elle a dessiné un petit smiley qui se mouche.
Un smiley affreux je précise et qui m’arrache un sourire.
Le frigo est impec. Rangements sur rangements. J’ai honte. Moi-même je
ne faisais pas ça. Et dans le congélo j’ai des plats surgelés. Je sors ce qui
ressemble à de la sauce tomate et le mets au micro-ondes pour dégivrer puis je
passe en douche pour enlever le restant de crasse sur mon corps. Ensuite je
mets des macaronis au feu et préviens le petit monde hormis Garcelle de mon
arrivée au petit bercail. Je ne la préviens pas parce que chacun a choisi son
camp. Elle mène la campagne « réhabilitation
de son père » en salissant la mémoire
de Ray aidée par les vautours de la famille qui n’attendaient que ça. Elle ne
donne même plus d’argent à maman sous prétexte que cette dernière ne le mérite
pas puisqu’elle a abandonné son mari dans son malheur. Toni a approché les aînés
de la famille pour qu’ils rappellent Garcelle à l’ordre, mais en dehors des
promesses, aucun n’a rien fait. On aurait même appris que beaucoup l’encouragent
même à spolier maman. Quant à dame EKIM, elle est retournée à sa philosophie
habituelle. Dieu touchera le cœur de Garcie un jour et elle comprendra qu’elle
se goure, c’est ce qu’elle a répondu à Toni quand ce dernier a décidé de porter
le cas de Garcelle devant la loi. Ma sœur se sent trop puissante à Libreville
actuellement comme elle a réussi à rétablir les affaires de la boutique. Je dois
dire que je m’en fous un peu. C’est comme si le voile s’est déchiré et là, je
ne veux même rien faire avec cette famille. En dehors de maman et Toni, je ne
sais même pas ce que j’ai à dire à Garcie et son père qui croupit toujours en
prison en attendant son procès.
Je consulte mon Outlook du travail pendant que je mange. 313 e-mails mes
gens, 313. Au bout du 167e je suis à bout. Mon cerveau a besoin de
repos alors je me mets un réveil et dors un peu. Je suis debout avant la
sonnerie. Je n’ai dormi que moins de quatre heures, mais mon corps se sent
meilleur. Je vide mes valises et remplis mon bac de vêtements sales. Tout doit
être lavé, mais pas ce soir. Ida doit être rentrée donc je monte la voir. Deux
coups, c’est ce qu’il faut pour qu’elle m’ouvre et me coupe le souffle.
– Tu ne veux pas entrer ? elle
me demande et me ramène à l’instant présent
– Euh… oui, oui, si tu as du temps. Tu es…, magnifique, je dis en
admiration devant son portrait. Elle porte une robe rose aux épaules bouffantes
qui dénude légèrement ses épaules. Le bas de la robe est bouffant avec le
devant plus court que le derrière. À ses pieds des sandales couleur café. Elle n’est
pas allée à l’école comme ça. Ce matin elle était en blanc noir.
– Je vais à un gala des Africains de l’ouest de Perth
– ça existe ici ? je l’interroge
surpris par cette info
– Selon mes cousines oui, c’est ma première fois en tout cas
– Je viens avec toi ? je
demande et propose à la fois
– J’aimerais bien, elle me répond avec un sourire qui me fait
fondre
– J’ai combien de temps pour me préparer ?
– Euh, une quarantaine environ, mais tu peux prendre plus de temps.
On arrivera juste un peu plus tard.
– Quarante ça sera suffisant, je lui réponds déjà au loin
Le costume que j’avais prévu pour le mariage de mon frère, c’est lui que
j’ai en tête quand je me douche. C’est aussi lui que j’enfile une fois dehors.
***Ida ADAMOU***
Si j’avais su qu’il serait un vrai snack comme ça, je lui aurais sorti
une raison bidon pour me rendre seule à cette soirée. C’est vraiment bizarre d’être
attirée par un mec qui l’est par ton frère. Yep, il n’y a qu’à moi que les
trucs chelous comme ça arrivent. Mais ce soir, je peux prétendre qu’il est
juste à moi non ? Qui
sait en nous voyant entrer dans la voiture main dans la main qu’il n’est pas
mon prince charmant d’une nuit ? Je
sais, la romance coule dans mon sang, je n’y peux rien. Un beau mec me retourne
facilement l’esprit et quand il affiche une assurance posée comme Deno qui
pourtant ne parle pas beaucoup, mon cœur s’affole tout seul.
Mais monsieur a décidé que ce n’était pas assez pour moi aujourd’hui.
Non. Normalement mon petit rêve devait prendre fin à minuit, lorsque monsieur
me raccompagnerait jusqu’au pas de ma porte, après la magnifique soirée qu’on a
passée ensemble. Mais il en a décidé autrement. Il m’a seulement annoncé qu’on
passe la nuit ensemble.
– Pardon ? je dis
tête tournée après avoir rapproché mon oreille pour m’assurer qu’elle
fonctionne toujours
– La nuit est faite pour dormir et je vais m’assurer que tu te reposes
– Je…, mais…, enfin tu ne vas pas dormir toi ? Tu n’es pas fatigué ? je demande en réalité confuse et tout à coup paniquée.
– C’est de toi qu’il s’agit pour le moment. Allez, on y va. Ici ou
chez moi, c’est comme tu veux, mais je ne te quitte pas. Je te dois au moins ça.
C’est ainsi que je me suis retrouvée avec un +1 dans ma chambre après minuit.
Si mon père me voyait hein. Je l’ai laissé au salon pendant que je saccage ma
penderie à la recherche de quoi porter. Je ne vais pas dormir dans n’importe
quoi non plus. Lingerie ? Non ça
fait trop osé. Je finis par choisir un petit ensemble pelucheux deux pièces
blanc puis je le retrouve au salon.
– Tu t’es changé, je constate face à son t-shirt sans manches et son
pyjama à carreaux.
– Oui, j’en ai profité pour aller chez moi et me mettre à l’aise. Tu
es prête ?
Mon cerveau tordu répond avec entrain et une voix légère, « oui, prends-moi ». Tordu de chez toi. Comme je ne me fais pas
confiance actu, je préfère hocher la tête. Je pensais qu’on dormirait
littéralement ensemble, mais une fois dans la chambre, il tire simplement ma
chaise de bureau et s’installe dessus.
– Tu ne comptes réellement pas dormir alors ?
– Je t’ai dit de ne pas t’en faire pour moi Ida. J’aurais tout le
temps pour dormir en journée demain.
– Mais tu feras comment avec le travail ? Ce n’est pas juste que tu prennes mon
problème et en fasses le tien.
– Pourquoi pas ? Tu as
pris soin de mon appart comme le tien pendant des mois.
– Oh c’est rien ça, je l’ai fait par plaisir, je lui explique
comprenant qu’il essayait de me rendre la pareille
– Alors je le fais aussi avec plaisir. Dors maintenant.
– Mais le travail ?
– Je suis au chômage Ida, mainte…
– Chômaaageee ? Comment ? Depuis quand ? Qu’est-ce qui s’est passé ?
– La permission qu’on m’a donnée pour que je rentre au pays n’était
pas assez longue alors j’ai menti pour obtenir un long arrêt maladie. C’est sûr
qu’on ne me gardera pas parce que mon superviseur s’en doutait.
– Mais ils ne t’ont pas littéralement renvoyé non ? Enfin, je pense qu’il y a des étapes avant d’en
arriver là. Ils peuvent te suspendre d’abord.
– Ce n’est pas le sujet de l’heure. Il faut dorm…
– Tu ne seras pas au chômage Deno. T’en fais pas. Nos parents n’ont
pas dépensé une fortune dans ce pays pour qu’on se retrouve licenciés. Ils sont
gonflés quand même s’ils osent te saquer pour ça. Un décès ? Non, mais ! J’irai me plaindre sur Twitter ! C’est quoi le nom de la société ?
– Dormir, c’est la dernière fois que je le dis, on se comprend
Mon oui est si faible qu’on l’entend à peine. La façon dont il m’a sorti
sa dernière phrase ne m’a même pas encouragé à l’ouvrir. J’ai juste remonté ma
couverture jusqu’à mon nez et je lui lançais les regards en biais.
Une heure plus tard….ou pas. Je n’ai pas la notion de l’heure là. Je ne
fais que me tourner sur ce lit. J’ai déjà jeté et repris la couverture on ne
sait combien de fois. Deno ? Il est
toujours assis sur la chaise les yeux bien ouverts.
– Je peux parler ? je
finis par me lancer
– Tu ne viens pas de le faire là ?
– Ouais, bon c’était un préambule. Ta méthode ne va pas marcher, je
ne suis pas fatiguée du tout.
– Comment tu sais qu’elle ne marchera pas ? Tu es sur ce lit depuis vingt minutes.
– Bah, je le sens dans mon corps
– Qu’est-ce que tu ressens ? Qu’est-ce
qui t’empêche de te laisser aller au repos ? Et ne
me dis pas le manque de fatigue parce que je t’ai vu bâiller plusieurs fois dans
le taxi qui nous ramenait.
– C’est gênant, je dis embarrassée
– J’aurais bientôt 27 ans et je suis puceau
-Euhhhhhhhhhhh, je fais et cligne plusieurs fois des yeux
– C’est gênant de l’avouer, c’est d’ailleurs la première fois que
je le fais, il dit tout en faisant une moue d’embarras
– Je suis désolée, dis-je peinée pour lui parce qu’il ne l’est pas
par envie ou à cause de sa religion comme moi. Il l’est parce qu’il se retrouve
attiré par quelqu’un qu’il ne peut pas avoir. C’est trop triste.
– C’est pas grave, je suis encore en vie.
– Il y a un truc qui me dit de…, je veux dire que, ma main… euh,
souvent elle joue avec mon ventre quand je me mets au lit et naturellement,
elle se retrouve dans ma culotte, j’avoue tête sous la couverture
– Et quand tu te soulages, tu dors facilement, c’est bien ce que tu
m’as dit ?
– Oui, je réponds et n’arrive pas à croire que j’avoue réellement
ça à quelqu’un
– Est-ce que ta main joue avec ton ventre là ?
– Oui. Elle trouve naturellement mon ventre tout le temps.
– Est-ce que ça t’apaise quand tu le fais ?
– Exactement ?
– ça t’apaiserait si une autre main le fait ?
– Je sais pas, j’ai jamais essayé avec une autre main
– Si ça ne te dérange pas, on peut essayer
Couverture toujours sur ma tête pour préserver le restant du petit
honneur qui me reste, je me déplace vers l’autre bord du lit afin qu’il puisse se
coucher à mes côtés, mais il ne le fait toujours pas après quelques minutes.
– Je suis toujours sur la chaise Ida, je l’ai juste rapproché du bord
du lit où tu étais alors tu peux y revenir
– Est-ce que ça te repousse de dormir avec une femme ?
– Non pourquoi ? il demande
et semble réellement confus par ma question
– Alors pourquoi tu ne viens pas au lit ? Je pensais que c’était… enfin…, tu vois, mon
frère…
– Je vois. Je ne suis pas gay.
– Hein ? je
demande et jette ma couverture de surprise
– C’est compliqué, il commence en se grattant la tête. Ce que je
ressentais pour lui était plutôt confus pour moi. Ensuite tu connais l’histoire
avec Adrien. Je pensais que je faisais du déni, mais avec le recul, je me rends
compte que j’étais juste confus et aussi possessif avec Thierry. Je ne voulais simplement
pas qu’il me remplace, mais je n’ai jamais ressenti de l’attirance sexuelle
pour lui. Je l’aime, mais pas comme un homme avec qui je me vois construire une
famille.
Mon cœur fait plusieurs ratés pendant cette révélation. Donc mon frère
est hors de la course et tous les hommes aussi ? Je peux rêver sans limites ? Et il est puceau ? Comme moiiii ? Dieu, tu es merveilleux.
– Alors viens dormir avec moi, ça me gênerait que tu gardes ton
bras tendu toute la nuit pour me toucher le ventre
– Non, il me refuse encore et je suis doublement confuse
Non là c’est encore quoi ? Pourquoi
il fait son difficile ? Depuis
quand un homme repousse une demoiselle qui baisse sa garde pour demander ? Je me sens bête maintenant et fâchée je me
retourne sans parler. Il soupire après un moment et mon souffle se bloque pour
un instant quand sa chaude main s’insinue sous mon haut et couvre mon bas-ventre.
– Je…
– Chut, dors, fais-moi confiance. Laisse-toi juste aller, il me
murmure tout en me câlinant le ventre.
J’entends du bruit, mais petit à petit, je commence à perdre la notion
de temps et d’espace. Ma dernière pensée cohérente c’est celle de mon corps à dix
ans, collé dans les bras protecteurs de mon papa qui me sortait les « shhh » aussi
quand je parlais au lieu de dormir.