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Write by lpbk
Zoé enfonça sa tête dans l’oreiller et hurla de toutes ses forces.
Accablée par les larmes et la douleur d’avoir perdu Djibril, elle n’avait
jamais réellement pris le temps de se remémorer leur histoire, comprendre ses
erreurs pour recoudre ses blessures. Elle avait pris soin d’occuper ses pensées
d’affaires plus ou moins futiles pour oublier. Elle s’était acharnée au travail
et investie corps et âme dans le mariage d’Elsa. À présent, tout était aussi
clair qu’une nuit de pleine lune. Elle était apaisée parce qu’elle comprenait
enfin ce qui n’avait pas marché entre eux.
Elle reçut un message de Djibril lui indiquant qu’il l’attendait
en bas de son bâtiment. « Toujours aussi ponctuel » pensa-t-elle. Le
cœur et les jambes lourdes, une raideur dans les membres, Zoé partit à sa
rencontre. Elle ne l’avait pas revu depuis un an, depuis ce fameux soir où il
l’avait éjectée de son appartement. Elle espérait qu’il n’ait pas tant changé.
De rares fois, elle s’était surprise à l’espionner sur les réseaux sociaux et
avait même envisagé de créer un faux compte pour voir s’il pensait à elle ou
s’il s’autorisait à écrire d’autres histoires, alors qu’elle, restait coincée
dans la leur. Zoé se ravisa. Elle était persuadée qu’il aurait cédé aux avances
de son identité secrète et elle en aurait été attristée.
La vieille Citroën ZX rouge, un peu plus étincelante que dans ses
souvenirs trônait au milieu du parking. Zoé s’immobilisa. Ses jambes peinaient
à la porter. Elle avait tant de fois rêvé de ce moment que ça lui semblait
irréel. Il la happait et l’effrayait à la fois. Elle prit une profonde
inspiration et s’avança dans une marche lente. Elle ouvrit la portière d’un
geste brusque comme on retirerait d’un coup sec le sparadrap d’une
coupure. La jeune femme pensait que son cœur s’accélèrerait, qu’elle courrait
sauter dans ses bras, que des papillons fourmilleraient dans ses entrailles.
Rien de tout cela. Zoé était juste heureuse de revoir Djibril, de cette même
joie qui emplit le cœur quand on tombe sur une ancienne connaissance au détour
d’une ruelle.
Zoé s’assit du côté passager et tourna la tête vers son ex. Elle
avait oublié la beauté de son sourire. Il lui arrivait parfois de le redessiner
dans son esprit quand il lui manquait. Au bout de quelques mois, il avait fini
par être plus flou et ses contours beaucoup moins nets. Djibril avait rasé sa
barbe et ses cheveux. Cette coupe l’avait rajeuni d’une dizaine d’années.
Djibril tapa légèrement du pied. Le contexte et la patte folle de
son ex affolèrent Zoé qui se mordilla les lèvres pour calmer son anxiété. Ils
s’observèrent en silence. Aucun des deux ne voulut s’embarquer dans la longue
discussion qui les attendait. Ils en craignaient la route mais ils en
redoutaient également la destination.
— Tu dois te demander pourquoi je t’ai recontacté, lança enfin
Djibril.
— Je me doute que tu as des choses à me dire…Je ne sais pas quoi…
— Je suis là parce que tu me manques Zoé.
— …
— Je ne sais même pas comment j’ai tenu un an sans
toi.
— Si je te manquais tant que ça tu n’aurais pas attendu un an
avant de donner un signe de vie non ?
— Laisse tomber, j’ai été con, avoua-t-il la tête baissée.
—….
— Je n’imagine même pas ce que t’as dû endurer. Mais cette année,
ça m’a permis de comprendre. Je t’aime vraiment et je suis prêt à faire tout ce
que tu veux maintenant. Je te jure Zoé, je suis prêt !
Djibril prit alors ses deux mains. Il braqua sur elle deux yeux
écarquillés comme si la grandeur de ces derniers donnait davantage de poids à
ses paroles.
— On peut aller à la mairie demain ! Quand tu veux ! Je suis prêt,
renchérit-il.
Zoé perçut une pointe de folie dans son regard. Elle recula contre
la vitre. Il avait l’air de ces vieux fous, frappés d’une illumination au
milieu de la nuit.
— Je t’assure Zoé! T’es la femme de ma vie.
Zoé émit alors un petit rictus devant l’absurdité de la
situation.
— Si tu savais à quel point j’ai rêvé de ce moment Djibril !
— Oui je sais.
— Non, tu ne sais pas. T’en as strictement aucune idée.
— Écoute Zoé ce que tu voulais à l’époque, c’était pas possible
pour moi. T’en exigeais beaucoup trop !
— Oui je suis d’accord. Mais t’avais pas à me jeter comme une
grosse merde. Ne pas répondre à mes textos, mes appels et disparaître comme tu
l’as fait pour revenir un an plus tard en espérant être pardonné. J’ai pas
assez compté pour te foutre à ce point de ma gueule ?
— Tu le sais que t’as compté et que tu comptes toujours autant
d’ailleurs. Je n’étais juste pas prêt mais maintenant, je le suis. Je veux
seulement qu’on oublie tout et qu’on recommence toi et moi.
On oublie tout ! On oublie des heures à sangloter, à ressasser
l’humiliation à s’en donner des migraines ? On oublie l’ignorance, les appels
rejetés et l’indifférence ? On oublie quoi exactement ? Parce que Zoé se
souvenait de chaque instant depuis qu’il lui avait sommé de quitter son
appartement.
— Je ne suis pas sûre d’en être capable Djibril.
— Je suis là et je te dis que je veux qu’on reparte à zéro. Je
suis en train de te dire que je suis prêt à me marier avec toi. Qu’est-ce que
tu veux de plus bordel ?
— Je peux te poser une question ?
— Vas-y !
— C’était comment cette année sans moi ?
— Depuis qu’on s’est quitté ?
— Depuis que TU m’as quitté oui.
— Je te l’ai dit, j’avais besoin de cette année de remise en
question… J’étais triste mais j’ai continué de vivre.
— T’es sorti ?
— Ouais
— Dans des bars ? En boîte ? T’as couché avec d’autres meufs
?
— C’est quoi ton problème ?
— Réponds à ma question !
— Euh… ouais je suis sorti, bafouilla Djibril.
— Alors t’as niqué ?
— Zoé …à quoi ça ?
— Réponds à ma question !
— Oui…oui j’ai couché avec des filles mais tu…
— Combien ?
— Quoi ?!
— Combien ?
— T’es sérieuse ?
— J’ai l’air de plaisanter ?
— Je…je ne sais pas…7 ou peut-être 8.
— Ok ! Moi pas une seule fois. Ouais je suis sortie quelques fois
de temps en temps, mais j’avais pas la tête à ça. J’ai rencontré personne. J’ai
même repoussé des mecs parce que je t’attendais. Tu peux comprendre que je
doute de tes paroles ? Toi t’as passé un an à t’enjailler et moi à me lamenter
à attendre comme une conne un signe de ta part pendant que tu t’envoyais en
l’air Djibril. Je venais tout juste de reprendre le dessus et aujourd’hui tu
reviens tu me dis que tu m’aimes, que tu veux qu’on oublie tout, qu’on
recommence. Je suis censée faire quoi moi ?
— Aller de l’avant.
— Ouais sauf que je trouve ça trop facile. Imagine juste que les
rôles aient été inversés. Est-ce que t’as un peu pensé à moi au moins?
— Bien sûr, j’ai pensé à toi…
— …
Zoé soupira.
— Écoute, j’ai bien réfléchi. J’ai repensé à notre histoire et
aujourd’hui je comprends mieux pourquoi on en est arrivé là. J’étais trop
aveuglée par la tristesse pour me rendre compte à quel point, je t’ai mis dans
une situation délicate. Je n’avais pas à t’imposer d’ultimatum. On aurait pris
la pire décision de notre vie si tu avais cédé à mes caprices.
— T’en sais rien ça !
— Bien sûr que si, je le sais, on n’aurait pas été heureux. Parce
qu’on se serait marié pour les mauvaises raisons.
— Mais aujourd’hui tout a changé Zoé, je veux vraiment être avec
toi. Tu m’entends ? Je veux qu’on soit ensemble.
— Je te jure c’est toujours ce que j’ai souhaité que tu veuilles
m’épouser mais pas parce que je voulais passer le reste de ma vie avec TOI,
Djibril Meite. En fait, je voulais qu’on m’épouse, toi, le voisin ou
n’importe qui d’autre. Je voulais que quelqu’un m’épouse. On me mettait la
pression alors je te l’ai mise également pour que tu cèdes à mon caprice. Et ça
ce n’était pas juste. J’étais trop aveuglée par mon orgueil pour me rendre
compte du mal que je te faisais. Du mal que je nous faisais. Je voulais qu’on
arrête de me regarder comme une merde alors j’ai tout déversé sur toi, mon copain
du moment. Avec le recul, je sais que je suis la cause de toute cette merde
mais je ne méritais pas d’être jetée comme ça. Aucune femme ne le mérite.
Djibril prit sa main.
— Je…je suis désolé.
— Merci Djibril…C’est tout ce que je voulais entendre.
— Je veux qu’on oublie tout et qu’on aille de l’avant ensemble Zoé.
Zoé retira délicatement sa main, consciente que c’était
probablement la dernière fois qu’elle l’effleurait. Elle essuya la petite larme
qui roulait sur sa joue et prit une profonde inspiration.
— Moi… je ne veux pas. Je ne veux plus.
— …
Les yeux de Djibril avaient perdu de leur grandeur. Ils étaient
petits, humides et sa tristesse pesait sur toute sa paupière. Il détourna son
regard de Zoé et fixa le pare-brise de la ZX.
— Je serais toujours là si tu as besoin mais…
— T’as quelqu’un c’est ça ? l’interrompit Djibril qui sortait de
son mutisme.
— Non pas du tout ! Je m’ai moi et ça me suffit amplement.
— Zoé …, je t’en prie.
Zoé lui déposa un baiser sur la joue et sortit de la voiture. Elle
marchait à vive allure vers son bâtiment quand elle entendit le vrombissement
de la ZX. Djibril était parti.