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Write by lpbk
Zoé regretta la fin de ses quinze jours de vacances. Elle avait
l’amère sensation de ne pas en avoir assez profité. Le mariage, Djibril, sa
famille avaient pollué son esprit tout le long l’empêchant de se reposer
convenablement. La simple action de programmer son réveil lui donna des
haut-le-cœur, de s’imaginer arpenter les couloirs du Transilien bondé, lui
retourna les entrailles, de se voir prendre place à son bureau, lui donna envie
de verser quelques larmes. « Est-ce que je n’aurais pas une petite grippe
attrapée en juin ? », pensa-t-elle quand elle s’aperçut que ses prochaines
vacances n’étaient pas avant le mois d’octobre.
Zoé se rendit à reculons chez Milagro. Une certaine hostilité
envers elle, charriée par Marion, s’était installée au service RH depuis
l’annonce de sa promotion en mars dernier suite au succès du projet Talk
notamment, que beaucoup désapprouvaient. Qu’elle le mérite ou pas n’était pas
la question. Depuis près de deux ans elle était la traître du service qui avait
piqué le boulot de sa seule amie collègue enceinte, pour gravir les échelons.
Une étiquette d’arriviste cousue à sa chemise parfaitement bien repassée
qu’elle avait de plus en plus de mal à assumer. Zoé ne jouissait déjà pas d’une
image très populaire et ce malencontreux épisode avait fini de l’écorner à tout
jamais. Une ambiance nauséabonde n’avait jamais freiné Zoé. Elle estimait qu’on
ne pouvait plaire à tout le monde et tant que ses intérêts étaient bien servis,
elle n’avait que faire de l’animosité ambiante qui y régnait. La médisance de
ses collègues incompétents ne l’affectait pas mais que son modèle de toujours
s’y mette également l’accablait. Marion l’avait recrutée, l’avait formée,
l’avait épaulée dans les moments de doute. Elle avait été un véritable pilier
dans la genèse de sa vie professionnelle. Aujourd’hui c’était à peine si elles
s’adressaient la parole. Zoé avait du mal à comprendre son attitude. Marion
aurait dû être énervée contre Nicolas, c’était lui le problème pas elle.
Qu’aurait-elle pu faire ? Refuser ? Abandonner le projet Talk ? Zoé avait
pourtant prévenu son manager de ce qui se tramait dans son dos. Cette dernière
l’avait même encouragée à accepter ce poste lui attestant que ce serait
bénéfique pour sa carrière et qu’elle serait idiote de refuser plus de responsabilités.
Quelle hypocrite ! « Si elle avait été à ma place, elle aurait pris exactement
la même décision que moi » se convainc Zoé.
Depuis son retour de congés maternité, Marion, s’était abaissée à
des petites mesquineries. Des repas organisés auxquels Zoé était la seule à ne
pas être conviée, des comptes-rendus de réunion qui ne lui étaient pas envoyés,
des insinuations quand elle arrivait le matin à 9h45 au lieu de 9h30. De plus
en plus isolée, Zoé déjeunait fréquemment seul ou avec Nicolas, à qui elle
reportait directement, et la DRH depuis sa promotion. De traître elle était
alors devenue la candidate à la promotion canapé et la lèche-botte de service.
Ils se fichaient bien de ses compétences et de sa conscience professionnelle
pendant qu’ils filaient lorsque l’horloge sonnait les coups de six heures pour
aller chercher leurs petits à la crèche, apprendre l’italien ou danser la salsa
dans un bar du quartier latin.
Non, Zoé ce lundi matin n’avait aucune envie de se rendre au
boulot. Même la perspective d’être DRH avant ses trente-deux ans maintenant ne
l’encouragea pas à aller au front. Seule la petite pause avec l’enterrement de
vie de jeune fille de Bébé l’apaisa un instant. Puis, elle se souvint que
c’était un autre sujet de tracas.
Zoé avait l’habitude des enterrements de vie de jeune fille
version Sia qui exigeaient une logistique sans failles, aussi, elle fût assez
surprise de la façon dont était géré celui de Bébé. Pour des raisons qui lui
échappaient encore, Bérénice avait préféré confier la gestion de son EVJF à ses
trois amies d’enfance. Faty, Adjoua et elle s’étaient faites à l’idée et n’y
avaient pas vu d’objection. Après tout, elles se fréquentaient depuis l’ère des
couches culottes et du bac à sable. Elles étaient celles qui devaient mieux la
connaître, enfin Zoé le supposait. Au fil des conversations, elle s’était
aperçue que le nombre d’années ne faisait pas forcément la qualité d’une
amitié.
Adjoua les surnommait le gang des moutardes. Elles ont grandi dans
la banlieue dijonnaise et tout comme le condiment, elles sont agréables au
début, avec modération et deviennent saumâtres à trop forte dose. Zoé avait
l’impression que le gang parlait d’une Bérénice qu’elle n’avait jamais côtoyée.
Bébé n’était pas cette greluche qui adorerait se faire tirer les cheveux à
quatre épingles dans un bar à chignon, elle qui adorait se libérer de tout
élastique, chouchous ou de tout autre attache qui emprisonnerait ses cheveux.
Elle n’était pas non plus du style à jouer à des jeux d’alcools et à s’enivrer
à force de gages débiles, risquant de perdre le contrôle. Elle ne laisserait
jamais des gouttes de spiritueux et de questions embarrassantes baisser
sa garde. Lors des échanges sur WhatsApp, Zoé se retrouvait au cœur d’un combat
de poules qui opposait le gang des moutardes à Faty, Adjoua et elle. Elles ne
firent pas un seul effort pour leur amie d’enfance. Aucune ne céda sur les
activités qu’elles avaient davantage choisies pour elles-mêmes que pour Bébé.
Et ces radines refusèrent d’augmenter le budget pour organiser l’EVJF ailleurs
que dans la région bourguignonne. Le ton montait entre les deux groupes
d’amies. Après mûres réflexions, pas sûre que ce week-end d’enterrement de vie
de jeune fille soit de tout repos également. Zoé soupira d’avance.
Sans surprise, la tension au boulot n’était pas redescendue et Zoé
avait en plus appris une mauvaise nouvelle. Marion avait assuré le relai sur
ses sujets pendant ses congés. Nicolas avait décidé sans l’avertir de confier
aux deux femmes la gestion d’un des dossiers brûlant qu’il avait d’abord confié
en première instance à Zoé. La jeune femme enragea et recracha toute sa haine
sur le groupe de ses amies.
T’as contacté Clo ? Répondit simplement Adjoua au pavé que venait de pondre Zoé.
Clo ?
Clotilde Brassault, la fille qui tient un webzine.
Ah oui, non désolée
Zoé tu déconnes, va voir son site il est génial.
Adjoua transféra alors le lien du webzine La pause Clo’ sur lequel
cliqua Zoé. Elle se perdit entre les différentes rubriques, inexorablement
attirée par la plume satirique de Clotilde et la diversité des sujets traités.
Elle avait lu un article sur la montée inquiétante des mouvements extrémistes
en Europe, la récupération politique du foot et du sport en général par le
gouvernement et l’émergence d’une entreprise de biotechnologie bordelaise qui
avait révolutionné le génie génétique. Sans même s’en rendre compte, Zoé avait
flâné plus de deux heures sur le webzine culturel de Clotilde. Ses collègues
qui se pressèrent pour aller déjeuner la ramenèrent sur Terre. Zoé mangea à son
bureau et continua de lire d’autres articles. Elle avait lu l’ensemble de la
rubrique politique qui était assez courte quand elle décida de se mettre au
boulot.
Après avoir tergiversé tout l’après-midi sur sa situation
professionnelle et personnelle qui ne la comblait plus, elle contacta Clotilde
dont elle eût les coordonnées par Adjoua.
Bonjour Zoé, Adjoua m’avait effectivement parlé de toi et je me
souviens de certaines de tes tribunes. Je te propose de me rédiger un premier
article sur un sujet de société, celui de ton choix, je ne t’impose rien. D’ailleurs,
je n’impose aucun sujet, tu écris sur ce qui t’intéresse. Suite à cet article,
si ça me plaît, on continue ensemble.
Un frisson parcourut Zoé à la lecture de ce mail. Il s’était
écoulé plus de cinq ans depuis son dernier article. Elle n’était même plus sûre
d’avoir un semblant d’avis ou d’esprit critique à partager. Sur quoi
pouvait-elle bien écrire ? Qu’avait-elle à raconter ? Assise dans le Transilien,
elle se mit à taper frénétiquement des mots-clés qui lui traversaient l’esprit.
Puis, elle songea à son histoire avec Djibril, sa famille et décida d’écrire
sur la pression du mariage, celle qu’on exerce depuis trop longtemps sur les
épaules des femmes.
La pression ou la théorie de l’étal de marché
J’ai tendance à penser que la vie des femmes ressemble à celle
d’une pêche au marché des fruits et légumes dans lequel les hommes ont pris la
fâcheuse habitude d’être les seuls décisionnaires dans l’éventualité ou non de
ramener cette pêche à la maison, aka la marier et l’exposer dans une corbeille
à fruits, nous soumettant à une pression sans nom dans laquelle nous sommes les
seules perdantes.
Dès l’aube de notre existence, on a pris l’habitude malgré notre
diversité (fraises, framboises, pêches, bananes, etc…) de nous comparer et nous
exposer sur l’étal du marché. Les commerçants qui pourraient symboliser nos
parents, nos proches nous mettent en avant tentant de nous présenter sous notre
meilleur jour avant l’affluence des hommes affamés venus constituer leur
marché. Dans notre plus grand malheur, nous sommes également soumises à une
saisonnalité, valorisant à des périodes des fruits plutôt que d’autres. Hier
des silhouettes longilignes demain des corps charnus.
Nous voilà donc toutes belles, pimpantes, exposées aux pupilles de
ces messieurs. Bien sûr, leur choix n’est pas arrêté, sauf cas d’un coup de
foudre, alors ils tâtent, testent, sentent. Sommes-nous juteuses, goûteuses,
pulpeuses, acidulées, sucrées, amères ? Après leur séance de dégustation, ils
glissent dans leurs paniers les fruits qui les auront séduits ceux qui leur
promettent une aventure gustative exceptionnelle.
Les étals se vident, des rangées de fruits disparaissent pour ne
laisser que les invendus, les fruits qui malgré leurs qualités ne seront pas
parvenus à captiver le regard de l’affamé. Le marché ferme bientôt ses portes
et le commerçant panique à l’idée de laisser pourrir sa récolte composée de
fruits trop mûrs, trop mous, à la peau trop ridée, trop rabougris. Si vous
n’avez pas encore saisi c’est l’instant où nous les “invendus” on nous reproche
d’être trop ceci trop cela repoussant les potentiels hommes affamés qui
pourraient être intéressés. Les commerçants décident alors de réduire notre
valeur. C’est la fin du marché, nous “invendus” n’avons plus le droit d’être
exigeantes nous devons baisser nos standards, bref revoir notre valeur pour
trouver un repreneur.
Si cette métaphore de l’étal de marché peut paraître fallacieuse
parce qu’il est horrible et moralement discutable de comparer des fruits aux
femmes, dans les faits j’ai le sentiment de m’approcher de cette pêche fripée
en fin de marché, à chaque assaut de ma famille qui, à mon grand âge, me
reproche de ne pas être encore mariée.