29- Les couleurs de nos amours
Write by lpbk
Deux semaines déjà que je suis partie de chez lui en lui laissant ses clés, son appartement et son espace. Et une semaine que je n’ai pas de nouvelle de lui. Même sur Facebook, il ne like plus les photos de ces filles qui sont des amies. Rien. Si ça se trouve il est mort et a séché tout seul sur son lit.
Moi ? J’essaie de faire abstraction de mes pensées.
J’ai passé deux jours à essayer de comprendre. A me poser des questions. A supposer des réponses. Mais je ne trouve aucune logique à son attitude. Peut-être qu’il devient fou.
J’attache mes cheveux en queue de cheval. Rien de très soigné. J’adore cet aspect ordonné-désordonné qu’ils ont. Je me trouve plutôt sexy. Je soupire.
Je n’ai pas le temps de me lamenter. De penser. De me plaindre. De réfléchir. Je dois courir chez l’imprimeur, il sort quelques exemplaires des cartons que j’ai conçus pour ma sœur. J’ai l’estomac noué tellement je suis stressée.
« Ça se voit que vous avez du talent mademoiselle ! »
Je n’arrive pas à m’enlever cette phrase de la tête. J’affiche un sourire béat en y repensant. Ça m’a énormément boosté qu’un professionnel apprécie mon travail. C’est vrai que ce n’est pas la première personne à me dire que je suis bourrée de travail mais quand ça vient d’un inconnu qui de surcroit connait de quoi il est question c’est différent. C’est le genre de chose qui change votre perception du monde. Je suis tentée d’envoyer un message à Rudy mais je me ravise vite. Peut-être que je le soule. Peut-être qu’il a besoin de respirer.
Je retrouve à écrire à Noah, lui au moins, il se soucie de mon existence et depuis deux jours, il me fait rire comme une belle folle.
« Je suis sur le point de devenir une pro des cartons pour les invitations. J’attends ton mariage pour réaliser les tiens. »
Sa réponse est ultra rapide. Il est certain qu’il travaille ?
« Tu risques de réaliser ceux de mon enterrement en premier. »
Je lui envoie une pluie de smileys. Je manque par la même occasion la bonne entrée pour me rendre chez Lili.
« Merde ! Je vais descendre ici. »
Je me retrouve à taper à pieds pour retrouver les autres dans l’atelier de couture.
Lili Création c’est une fille qui un jour c’est dit qu’elle allait faire du prêt à porter pour les africains, en Afrique principalement et dans le monde. Elle touche à tous les tissus. Bazin, wax, soie, satin, coton… Personnellement, j’admire beaucoup son travail et cette façon qu’elle a de s’investir dans ta garde-robe en tout sobriété. Le petit plus c’est qu’elle fait même des créations pour des cérémonies et là, avec les demoiselles d’honneur de Tina, maman, mamie nous venons choisir nos tenues pour le mariage. Sept mois, un peu moins si je compte bien. Je sais déjà ce que je veux ce jour. Je veux du jaune. Pas pour faire de l’ombre à ma sœur. Je parie que même en blanc, je ne serai qu’un point noir dans du cacao. Donc bien insignifiant.
« Du jaune Nowa ? Tu es sûre que c’est ce qui sera adapté ? », me demande Aïda, ma cousine dont la maman est marocaine.
Bien sûr elle est une fervente admiratrice de Tina.
Je préfère l’ignorer poliment en continuant d’expliquer mes envies à l’assistante de Lili. Je ne suis pas demoiselle d’honneur alors pourquoi aurais-je droit aux faveurs de la grande créatrice ? Hummm… de toutes les façons, je m’en fiche.
« Je veux quelque chose de vaporeux, de long, de doux. Un truc qui rappelle les iles et en même temps le soleil. »
Elle sourit tout de suite.
« Toi, tu sais ce que tu veux. Je peux te proposer un truc dans ce genre. »
Elle griffonne rapidement une robe à encolure très large, avec des manches bouffantes.
« J’aime ! Mais les manches je trouve que ça fait vieux. Pas dans le mauvais sens hein ! Ca me rappelle les anciens films c’est tout. »
« On peut la faire sans manches alors et on rajoute une fente dans ce genre… », dit-elle.
« Oh mais t’es dingue ! Elle est énorme la fente. Je ne pourrai pas. »
« Pas de panique ! Le tissu sera vaporeux du coup on ne la remarque ra même pas. »
« Sûre ? »
« Promis. »
« Tu rajoutes une fleur quelque part. Pour casser l’effet jaune tout court. »
Nous sommes franchement sur la même longueur d’ondes avec cette fille. En plus j’adore son sourire. Quand je finis de lui casser les oreilles, je m’en vais m’installer dans le canapé où j’attrape quelques cookies aux pépites de chocolat et de caramel. Voilà, c’est le moment de leur sortir mon chef-d’œuvre. Je suis sûre qu’elles n’en reviendront pas. Je sors une grande enveloppe de mon sac et roulement de tambour s’il vous plait. Je sens venir mon heure de gloire. Mon jour de gloire même.
Je me rapproche de Tina et je lui tends l’enveloppe.
« C’est quoi ça ? », me demande-t-elle.
« Ouvre ! Ce sont tes cartons. »
Je vois une étincelle dans ses yeux. Elle demande à Lili d’arrêter de prendre ses mensurations pour aller s’assoir. Bien entendu, toutes s’agglutinent autour d’elle très vite. Je la regarde attentivement. Scrutant le moindre sourire, la moindre grimace. Silence. Les cieux créent. Je perds mon souffle.
« Nowa ! », m’appelle-t-elle en levant les yeux sur moi.
« C’est extraordinaire ! »
Elle quitte son trône et vient me prendre dans ses bras. Je reste comme un piquet à réaliser que je suis douée. Je suis vraiment douée.
« Je t’adore ! C’est tout ce que je voulais. »
Et maintenant, ce sont les demoiselles d’honneur sui se ruent sur moi. Elles m’embrassent, me félicitent. C’est bien la première fois que je suis au centre de tant d’attention. C’est bizarre mais je suis heureuse. C’est vraiment mon jour ! Même maman me dit un mot gentil. Je crois qu’elle commence à réaliser que mon chemin c’est moi qui le tracerait et pour une fois, j’ai l’impression que les différences entre moi et elles ne l’effraient pas.
Tina nous invite toute à prendre un verre. Ça tombe bien, j’ai super faim depuis un moment.
L’ambiance est à son comble. Maman n’arrête pas de sourire. Mamie également. Je suis très heureuse. Pour Tina, pour moi également. Puis, Tina décide de porter un toast. Je me sens honorée.
« Aujourd’hui est un jour extraordinaire pour moi. Je suis là, avec les plus belles femmes de ma vie. Belles dans extérieurement mais encore plus dans le fond. Et il y a ma petite sœur Nowa. Pas toujours facile à cerner mais voilà, aujourd’hui je suis tellement heureuse de vous avoir avec moi… D’autant plus que je suis enceinte. »
Je pose ma fourchette. Mon instant de gloire se transforme. Il devient celui de Tina. Tout le monde est déjà en train de la féliciter, de l’embrasser. Je regarde son ventre et j’ai du mal à croire qu’elle soit enceinte tellement je ne le vois pas. Je crois qu’une fois de plus, je passe après elle. Mais c’est un jour heureux. Je finis par me lever pour l’embrasser. Après tout quand elle sera mère, je serai tata. J’espère que ce sera une fille. J’espère qu’elle me ressemblera sans le vitiligo bien sûr.
En rentrant à la maison ce soir, je dois faire face à un constat plus qu’amer. Rudy est l’homme de ma vie. Il me manque et cette situation a assez duré.
« Demain, je me pointe chez lui et je lui dis que je suis désolée. », dis-je à Georgette.
« Mais tu n’as rien fait. »
« Ma pauvre, tu n’as rien compris à l’amour toi ! On ne s’excuse pas parce qu’on a tort. »
« Eh bah ! Tu l’as dans la peau ce gars. »
Je me pose la question.
« Oui, je l’ai dans la peau. Mais tu as raison, dire désolée c’est nul. »
« Ouais ! Tu pourrais lui dire veux-tu m’épouse ? »
Elle est folle ou quoi ?
Je lui lance un coussin et je la laisse s’endormir. Elle bosse tellement dur ma copine. Moi, je reste là, à interroger les anges sur mon avenir, mon destin. Rudy et moi !
Rudy EYA
Je crois que ce soir, je vais encore passer la nuit dans mon bureau.
Ma secrétaire s’en va déjà. Je ne vais pas la retenir plus longtemps. Je lui remets un dossier et elle s’en va le ranger puis, elle revient.
« Je vous pensais partie. »
« Vous avez de la visite. »
Je soupire.
Ma mère est invivable souvent. Je lui ai déjà promis que je passerai la voir quand j’aurai du temps. Là, elle va encore venir me prendre la tête avec ses histoires. Qu’elle quitte une bonne fois pour toute ces tontines familiales remplies d’escrocs. Je me prends la tête entre les mains. Elle est lourde.
« Hey ! »
C’est sa voix. Il n’y a qu’une personne que je connaisse qui dise ça. Je lève lentement la tête, comme si j’avais peur d’être en train de rêver. Elle est bien là, dans l’encadrement de la porte. C’est la première fois qu’elle vient me voir à mon bureau.
J’ai tout de suite envie de me lever pour lui faire un câlin.
« Je peux entrer ? »
« Bien sûr ! », dis-je ; un sourire forcé accroché à mes lèvres.
Elle entre et pousse la porte. Elle s’en va directement se poster devant la grande baie vitrée. Je la regarde souffler dessus pour faire de la buée. Elle a gardé son âme d’enfant cette femme.
« Il fait nuit tu sais ! »
« Oui. »
Elle se tourne vers moi.
« J’ai essayé de te joindre aujourd’hui. Toute la journée … »
« J’ai oublié mon portable à la maison. »
Pincement du cœur. Pincement de l’âme. Pourquoi je lui ai dit que j’étais chez moi ?
« Tu sais on dit portable et non jetable. »
Elle m’arrache un rire.
Tu viens t’assoir près de moi ? Il faut que je te dise quelque chose. », dit-elle en s’installant dans la canapé près de la baie.
« Nowa… »
« S’il te plait Rudy, je t’en prie. Laisse-moi te dire ce que j’ai à te dire et après tu décideras ce que tu veux. Je t’en prie. »
Malgré le poids du monde sur mes épaules, je quitte mon fauteuil et je m’avance jusqu’au canapé où je prends bien le soin de m’installer bien à l’autre bout. Elle sent la lavande. C’est désastreusement euphorique. Quand elle s’approche de moi, j’ai l’impression que je vais mourir. Elle soupire. Elle sourit.
« J’aurai dû te laisser râler sans te demander d’explications. Il y a des jours où, je devrais te laisser crier. Tu sais, c’est tout récent pour moi cette sensation d’apnée et de profondeurs et comme un … »
Qu’est-ce qu’elle fait ? C’est déjà tellement égoïste de ma part de lui avoir caché cette histoire et maintenant je suis là, en train de l’écouter. Elle s’excuse. Mais de quoi donc ?
« Nowa ! »
« Non ! Laisse-moi finir. »
« Je ne peux pas ! Je ne peux pas te laisser finir alors que tout ce qui est arrivé est de ma faute. »
« Mais ce n’est pas grave je te promets. »
« Si ! Je veux que toi, tu me promettes que tu m’écouteras jusqu’à la fin et que même si c’est pour la dernière fois, tu me laisseras te raccompagner jusque devant ta porte. »
Elle ne dit rien. Il y a comme une musique dans les airs. J’ai l’impression que le fil du temps est brisé.
« Dis-moi que tu me le promets. »
« Je te le promets. »
Je ferme les yeux une seconde. Je veux m’imprégner de son image, de son odeur, de ses mimiques.
« Tu te rappelles cette femme dont je t’ai parlé. Celle avec laquelle j’ai couché pendant un certain temps. »
« Celle que tu appelles ton plan cul c’est ça ? »
Hummm….
« Oui ! Celle-là. Il y a quelques mois, elle m’annonçait qu’elle était enceinte. »
« Eh bah, c’est une bonne nouvelle non ? »
Non !
Je prends ses mains dans les miennes.
« Tu me fais mal bébé ! », me dit-elle.
Je ne me suis même pas rendu compte que je lui broyais les mains.
« Désolé. »
Silence.
« Ce que je veux te dire c’est que je l’ai revu un soir et j’ai couché avec elle. »
Elle veut retirer ses mains des miennes. Mais je les retiens.
« Et son enfant est de toi c’est ça ? », me demande-t-elle.
Mon silence est parlant. Il me condamne. Son rythme cardiaque s’accélère.
« Rudy. », m’appelle-t-elle la voix tremblante.
« Nowa … »
Elle retire ses mains. Se pousse dans son coin. Elle respire de plus en plus vite.
« Nowa, je te promets que je ne voulais pas que ça arrive. Je t’en prie Nowa … »
« S’il te plait Rudy, ramène-moi. »
« Il faut que je te dise Nowa sinon je ne pourrai pas … »
« Tu entends ça ? Est-ce que tu t’entends ? Tu dis encore je ? Tu n’entends pas les bruits de mon cœur ? Rudy, tu viens de briser mon cœur, ma vie. Un soir, c’est tout ce qu’il aura fallu pour que tu me détruises. Et là, je n’ai qu’une seule envie, retourner à mon petit univers. »
C’était prévisible ! Elle s’est retenue de pleurer jusqu’à ce que je la laisse chez elle. Mais je voyais bien que je lui avais arraché son âme. Je suis tellement désolé. Je l’ai trahi. Elle était si effondré que je n’ai pas pu lui dire que c’était sa sœur.
Il y a des fois, on a l’impression d’avoir perdu une étoile et tout à coup, le ciel nous parait bien vide. Je reste des heures devant son immeuble à attendre je ne sais quoi.