30- Les couleurs de nos amours

Write by lpbk

En me garant dans l’allée chez maman, je lui fais un message. Je ne les compte plus. J’en fais seulement, dès que j’en ai envie. Dès que je veux lui dire tout ce qu’elle représente pour moi. Quand je vous dis que l’amour est égoïste. Je lui brise le cœur et je veux malgré tout qu’elle revienne.

« L’amour pardonne tout. L’amour oublie tout. C’est le sentiment des doux guerriers. Moi je continue d’être désolé. »

Toc toc toc

Ah la vieille ! Je vais descendre non. Moi aussi j’ai une vie et actuellement elle est en train de s’effondrer. Je descends.

« Je demande hein, tu étais collé dans ta voiture ? »

« Non, je réfléchissais ! »

« Wôô… Pardon excuse les gens qui n’ont pas fait des études. »

Nous entrons dans la maison en nous chamaillant gentiment comme d’habitude. Je la suis directement dans la cuisine et je me jette sur une assiette de foutou déjà entamée.

« Donc Nowa là ne te nourrit pas ? »

Elle tire dans mon cœur sans même s’en rendre compte.

« Ayem est sortie ? »

« Non ! Elle est enfermée dans sa chambre depuis deux jours. Elle descend seulement pour vider mon frigo. Avec sa tête on dirait temple bouddhiste. »

« Qu’est-ce qu’elle a ? »

« Hummm… pour une fois elle reste à la maison, tu veux que j’aille lui demander pourquoi ? C’est mieux qu’elle reste là, au lieu d’aller tourner et de nous ramener une seconde grossesse ici. »

« Je monte la voir. », dis-je en poussant mon assiette.

Elle pousse un juron.

Des fois, je trouve que madame EYA exagère.

Je monte l’escalier en me disant que ça fait un bail. Je ne me souviens même pas de la dernière fois que je l’ai monté. J’arrive devant la porte de sa chambre. Elle écoute de la musique. Je frappe à la porte mais elle ne répond pas. Je frappe à nouveau.

« Quoi ? », hurle-t-elle.

« Ayem c’est moi. Ouvre ! »

« Tu sais bien que maman a ravi mes clés depuis. »

Ah oui, c’est vrai ! J’entre. Elle est sous le drap.

« Tu vas bien ? »

Elle ne dit rien. Je reste planté près de son lit attendant sa réponse. Mais ce sont des sanglots que je finis par entendre. Je m’approche d’elle.

« Ayem, tu sais que tu peux me dire ce qui ne va pas ! Je suis ton frère. »

« Pour que tu me bastonnes ? », demande-t-elle en reniflant.

« Mes coups sont affectueux ayem. »

Avec cette rélique pourrie, je parviens à lui arracher un petit rire. Rien d’extraordinaire mais c’est déjà ça. Elle sort enfin sa tête de sous son drap. Je m’installe à côté d’elle.

« Alors, tu me racontes ? »

« Tu vois Rudy, je sais que j’ai fait une bêtise mais voilà, je vais les assumer les conséquences. Ce que je n’arrive pas à assumer c’est maman. Elle me stresse. Je n’en peux plus de vivre avec elle dans ces conditions. »

Je souris.

« Non mais ce ne sont pas des blagues. Je pense à faire une fugue seulement je ne sais pas encore où est-ce que je pourrai vivre. »

Je parie que c’est avec ce genre d’idée qu’elle s’est retrouvée enceinte.

« Tu veux venir passer quelques jours avec moi ? »

« Tu es sérieux ? », demande-t-elle en se redressant.

« Oui, j’ai besoin d’une bonne cuisinière tu sais. »

« Tchurrr… tu ressembles trop à ta mère. »

Plus tard dans la soirée, je quitte maman avec Ayem. Même si maman boude, je pense que ma sœur a suffisamment bavé pour le moment. Et puis, maman a besoin de souffler. Elle n’aura à s’occuper de personne pendant quelques jours. N’est-ce pas le rêve ultime de la plupart des parents ? Aujourd’hui, je me pose encore la question mais dans quelques mois, je saurai la réponse.

 

Tristan OKOUE

Le portable de Tina sonne. Depuis des années, elle traine les mêmes sonneries. Elle est fidèle à une marque Samsung et c’est pareil pour les sonneries. C’est bien là les seuls domaines où elle exerce sa fidélité. Comme nous n’avons plus vraiment de secret, je me permets de lire ce message.

« Je ne pourrai pas être là pour l’échographie. Je pense que tu devrais partager ce moment avec ta famille jusqu’à ce que nous sachions où nous en sommes avec cette histoire. »

C’est quoi cette histoire ?

Je n’entends plus couler le robinet. J’efface ce dernier message et je pose son portable à l’endroit où je l’avais pris.

« Ca va Tristan ? », lance-t-elle le sourire aux lèvres.

Je me contente d’un hochement de tête.

« Ton père est passé dans mon bureau cet après-midi. C’était par rapport aux préparatifs du mariage. Mais ne fait pas cette tête, je lui ai dit que tout est déjà en place. Les cartons ont déjà été envoyés, le lieu de réception choisi, ma robe et ton costume c’est bon. Nous sommes dans les temps chéri. »

Je n’aime pas quand elle m’appelle ainsi en privé. A l’extérieur oui mais là, on peut être qui nous sommes. De toutes les façons je n’ai pas trop le temps, j’ai rendez-vous avec Dany.

« J’y vais Tina sinon, je serai en retard. », dis-je en me levant.

 

Je dois retrouver Dany dans un petit snack. Ca fait des années que nous nous fréquentons et c’est mon âme-sœur. Nous vivons une histoire secrète à coups de petits rendez-vous dans des snacks lugubres de la capitale, d’escapades dans les coins les plus pittoresques du globe. Dany n’a pas eu la chance comme moi de naitre dans ce qu’on appelle communément une bonne famille, alors, je lui loue un petit studio quelque part en ville. Ce soir, aucune sortie prévue, nous allons juste restés à la maison et faire semblant d’être un couple tout ce qu’il y a de normal.

J’ouvre le portillon qui donne à son studio. Ce n’est pas Hollywood boulevard mais au moins, le quartier est propre et sécurisé. De toutes les façons, ce n’est pas une personne flambeuse. C’est plutôt une nature discrète, un peu comme Nowa la petite sœur à Tina. Celle qu’ils considèrent tous comme le canard boiteux de la famille.

Je sais ce qu’elle peut avoir sur le cœur cette petite. Je suis moi-même victime de ma différence. D’où vient-il que les autres aient peur de nos différences bien plus que nous alors qu’en réalité, nous les portons sur notre dos, un peu comme des carapaces.

« Bonsoir Tristan. », dit-il en m’embrassant dès que je passe la porte.

« J’ai cru que tu ne viendrais pas ce soir. »

Il me tire déjà à table. Dany est cuisinier dans un petit hôtel de la place. Alors, chaque jour, j’attends avec impatience le moment de nos retrouvailles pour savoir quel plat guidera notre amour. Ce soir il m’a fait du poulet yassa. Un plat que j’aime particulièrement.

« J’ai dû rentrer pour déposer mes affaires à la maison. »

Il sourit en m’aidant à enlever mes chaussures.

« Elle va bien Tina ? »

« Oh tu connais Tina ! Elle va toujours bien. »

« Et sa grossesse ? Tout va bien j’espère. », m’interroge-t-il en me servant du riz.

« Je crois que cette fois, c’est la bonne. Demain, elle a sa première échographie. Nous en saurons plus après ça. »

« Tu l’accompagneras ? »

« Non ! »

« Mais … »

Il comprend à ma façon de le regarder que je n’ai plus très envie d’en parler. Il se penche vers moi et me donne un baiser enflammé. J’ai faim de lui tout à coup.

Je suis Tristan OKOUE, je suis fiancée à Tina alors que je suis homosexuel.

 

Nowa NYANE

Encore cette fichue sonnerie. Je suppose que c’est encore lui qui m’envoie un message. Il pense que quoi ? Qu’il suffit de lire des versets bibliques pour se sentir mieux ? Je veux qu’il arrête de m’appeler, de me faire des messages vocaux. Qu’il me fiche la paix.

Voilà ! Ça recommence. J’attrape mon portable, bien décidé à l’envoyer contre un mur mais quand je pense à son prix, je me retiens. Demain, je changerai de numéro. Il pourra faire tout ce qu’il veut. Sur mon écran, s’affiche un numéro inconnu. Je décroche.

« Bonsoir. »

C’est une voix masculine. Elle est enveloppante.

« Bonsoir. »

C’est encore qui ?

« J’espère que tu vas mieux. Noah m’a dit que tu étais malade. »

Noah ? Ah c’est vrai que je lui ai fait croire que je suis malade. Ce n’est pas un mensonge. Je souffre d’une maladie rare qui s’appelle l’amour. J’ai atteint le dernier degré de la pathologie.

« Je vais mieux Mika. »

Il y a un blanc dans la conversation. Il doit chercher quoi dire.

Mika est si différent de Noah. Avec ce dernier, la conversation est fluide. Il a toujours le mot pour tout. Il est drôle comme j’aime. Tandis que son frère lui, il a quelque chose de perturbant. Pourquoi je les compare ? Après tout chacun est comme il est.

« Sinon, tu souffres de quoi ? »

J’aurai préféré qu’il ne me la pose pas cette question.

« Hmmm… truc de filles. »

Excuse pourrie qui pourtant marche toujours.

« Truc de filles ? Je  pourrai te citer des dizaines de maladies féminines tu sais. C’était quoi ? Syndrome prémenstruel ? »

Franchement, je n’imagine pas les conversations avec sa copine.

« On pourrait parler d’autres choses ? »

« Si tu veux. »

« Alors, on parle de quoi ? », demandais-je.

« Je te laisse décider. »

Je ne sais même pas quel sujet aborder avec lui. Il est tellement fermé. Sa coquille est beaucoup plus petite que la mienne.

« Euh, ta journée peut-être. »

Je l’entends soupirer. Je l’imagine bien allongé sur son lit.

« Tu veux vraiment que je te raconte toutes les choses affreuses que je vois tout au long de la journée ? »

Il réussit à me dégouter directement.

« C’est pour ça que je déteste la médecine. »

« Il y a pourtant des trucs sympas et très utiles. »

« Comme ? »

« Prendre un pouls, réaliser un massage cardiaque. De toutes les façons, je n’aurai pas pu faire autre chose. Elles sont jolies tes photos sur Facebook. »

La transition alors…

« Merci ! »

« Ils vont bien tes amis dans l’immeuble ? »

Je repense à ce criminel de Rudy. Ca me fait mal ! »

« Oui. »

« OK ! »

« Et Noah, il va bien ? »

« Je n’en sais rien, tu pourrais lui poser la question. »

Quelques secondes après, je me retrouve en pleine conversation avec Noah. Et comme à chaque fois, il m’arrache les tripes tellement il me fait rire. Nous nous disons bonne nuit et c’est à nouveau avec Mika que je parle.

« Je ne sais pas ce qu’il a mon frère mais il vous fait toute craquer. »

« Même pas ! Je t’ai dit que j’adore rire. Il me fait rire c’est tout. »

« Tu sais ce qu’on dit… femme qui rit, femme à moitié conquise. »

« Je te rassure ça ne vaut pas pour toutes les femmes. »

« Si tu le dis ! Je pense que je vais te laisser. Il se fait tard et tu dois sûrement prendre tes médicaments. Tu sais… pour ton truc de filles. »

Je souris.

J’ai toujours mal. C’est indéniable.

J’ai perdu près de 10 kilos, je ressemble à un fantôme. J’ai envie d’aller de l’avant. De tout oublier et sincèrement ce message n’arrange rien. Ah, je parle du dernier message du jour.

« Si je pouvais revenir en arrière Nowa, je prendrai le risque de t’attendre toute une vie. »

J’ai envie de crier.

Les couleurs de nos...