3- Le père de ma fille

Write by MSoH

3-    Le père de ma fille

 

Ce soir, je dîne avec Guy.

Parce que je suis une éternelle retardataire, je finis de m’apprêter dans la voiture, sous le regard indiscret de son chauffeur. Durant le trajet jusqu’à l’immeuble abritant les bureaux de l’entreprise de construction dont Guy LOEMB est le directeur, ce dernier n’a cessé d’épier le moindre de mes gestes à travers le rétroviseur. Il doit aimer les vieilles.

Stationnée devant le grand immeuble depuis quelques minutes déjà, je regarde le défilé incessant des employés sortant de l’immeuble. A leur tête, je devine que la journée n’a pas été de tout repos.

Lorsque Guy sort enfin, il est suivi de près par une demoiselle aux formes généreuses. A chaque pas qu’elle fait, je crains le pire pour ce bout de tissu qui doit sans doute être une jupe.

- Excuse-moi, mais il fallait que m’attarde un peu sur un dossier des plus urgents. Dit-il en prenant place près de moi.

- Je comprends. Moi aussi je connais ça.

Guy a réservé une table au restaurant de l’hôtel le Kilimandjaro.

- A qui faut-il que je dise merci ?

- Je ne te suis pas. De quoi parles-tu ?

Il avale une gorgée de vin avant de poursuivre.

- Eh bien, chaque fois que je t’ai appelé pour te dire c’est ce soir, tu m’as trouvé une belle excuse. Et aujourd’hui, tu es là. Alors, qui dois-je remercier ?

- Personne ! J’ai juste tenu parole.

Il sourit dévoilant une bien jolie dentition.

- Tu es sûre que tu ne prends pas de vin ? Il est bon tu sais !

- J’imagine bien qu’il est bon mais c’est juste que je ne consomme pas d’alcool.

Il a l’air surpris.

- Je te le dis d’avance, ça n’a rien à voir avec mes convictions religieuses. C’est seulement un choix !

- Waouh, un sacré choix !

Je prends une bouchée de mon entrée. Une salade de melon et de saumon fumé. Un plat sucré-salé comme je les aime.

- Tu es magnifique !

- Pour te remercier de ce numéro de charme, je me dois d’être honnête envers toi. Ce que tu vois là, c’est quatre couches de fond de teint et beaucoup d’anticernes.

Il est pris d’un fou rire et je me surprends moi aussi à rire.

- Nan mais je suis sérieuse tu sais. Tu me verrais au réveil que tu prendrais tes jambes à ton cou. Ma fille m’a dit il y a trois jours « maman, tu as une tête à faire peur ».

Nous sommes interrompus par une voix à l’autre bout de la pièce.

- Guy !

Nous levons tous les deux les yeux sur cette voix féminine se faisant de plus en plus proche.

- Bonsoir ! Dit-elle en se plantant à notre table.

- Bonsoir !

Oui, je suis polie.

- Qu’est-ce que tu fiches là ?

Guy a le visage fermé.

- Parce que j’ai des comptes à te rendre monsieur LOEMB ? Ou tu crois que j’ai besoin de ton visa pour circuler dans la ville ?

Elle m’observe quelques secondes et finit par me toiser.

- Mais c’est qu’elle est maniérée la fillette. Pensais en mon fort intérieur.

- Je ne savais pas que les anorexiques étaient aussi ton genre.

C’est clair que face à elle, on me prendrait facilement pour une anorexique.

- Néya, tu sais que je n’aime pas les scandales.

Petite pause, tu n’aimes pas quoi ?

Mais mon ami si tu n’aimes pas les scandales alors il ne faut pas côtoyer les scandaleux en l’occurrence les scandaleuses.

Je remarque ses faux-cils qui lui font des grands yeux, ses faux-ongles taillés en pointe et ornés de strass, ses faux-cheveux d’un joli blond pourtant et je ne peux m’empêcher de me demander si ses énormes ballons avant et arrière eux aussi sont faux.

- Ah quitte-là ! Tu as fini de me retourner comme une crêpe à tous les carrefours maintenant tu fais le beau avec une autre.

- Néya, je te préviens une dernière fois ! Arrête tout de suite avec ton comportement des sous quartiers.

Guy est rouge de colère. Cette scène de ménage m’amuse.

- C’est pas dans le sous-quartier là que tu venais me supplier pour une pipe ? Tu crois que tu vaux mieux que moi parce que tu habites les beaux quartiers ? Pardon, on sait tous où tu dors.

Les autres clients commencent à nous regarder. La faute à cette Néya, non seulement ses courbes diaboliques attirent sur elle beaucoup de regards masculins et féminins mais en plus de cela, elle parle vraiment fort.

Je me racle la gorge.

- Je pense que je vais vous laisser discuter.

J’essuie ma bouche et je me lève.

- Elle va où ta « tchoin-tchoin » là ?

- Je m’appelle Liya mademoiselle. Et ça ne vous regarde pas où je vais.

- Donc elle parle même ! C’est à cause de son vocabulaire de dictionnaire là que tu veux aussi la piner ? Parce que quand je la regarde je ne vois rien.

Guy s’est levé et lui a collé une gifle. J’ai tout de suite dégluti devant la violence dont il a fait preuve.

- Ça t’apprendra à me chercher.

Il sort quelques billets qu’il jette sur la table.

- Liya, on s’en va !

Guy me prend par la main et me tire en direction de l’ascenseur pendant que la pauvre Néya tient sa joue en le traitant de tous les noms.

Il me propose qu’on aille continuer la soirée ailleurs mais je lui fais comprendre que je n’en n’ai pas du tout envie.

- Liya, je …

- Ecoute Guy, tu n’as pas d’explications à me donner. Je t’avais dit que je t’accorderai un diner. C’est fait !

Je sais que Guy est ce qu’on appelle clairement un homme à femmes mais est-ce une raison suffisante pour sauter sur une femme juste à cause de sa paire de fesses ? Qui de plus sera abandonnée pour une plus grosse !

Sur le chemin de retour, il tente de faire la conversation mais c’est peine perdue.

- J’espère que tu me donneras l’occasion de me faire pardonner.

Rêve toujours Guy ! Rêve toujours !

- Tu ne dis rien ?

- Je n’ai rien à dire. Je suis arrivée chez moi, j’ai juste envie de me coucher.

- Ok ! Je t’appelle demain.

Je descends de la voiture sans dire un seul mot.

 

Comme tous les dimanches, j’accompagne Pukina chez mes parents.

Nous entrons par la porte de la cuisine. Maman est assise, elle découpe des légumes. La cuisine sent bon les épices du pays. Je la salue et je file au salon embrasser mon père qui doit être en train de lire le journal.

- Tu ne restes pas un moment ?

Il pose son journal sur le guéridon.

- C’est le premier jour d’Iris, il faut que je sois là au cas où.

- Toujours en train de courir, tu ne prends même pas le temps de manger. Regarde comment tu ressembles à un clou de girofle.

Ma mère parle toujours en faisant de nombreux gestes qui n’ont aucune signification.

- Maggy laisse ma fille tranquille.

Maman arrête la radio ce qui a le don d’énerver papa. 

- C’est comment ?

- Tu me fatigues avec ta radio !

- Maggy je suis les informations.

- Je demande que ce que tu lis dans le journal chaque matin ce ne sont pas les informations ? J’ai trop supporté, 37 ans d’informations je suis fatiguée.

Maman retourne dans la cuisine sans jeter un coup d’œil à papa. Ce dernier pousse un juron.

- Tu vois ta mère non ? Elle ne sait pas que je peux encore aller prendre une deuxième femme. Parle-lui.

- Je le ferai papa mais pas aujourd’hui. Là je dois y aller.

En sortant du quartier j’aperçois Zoé et maman Eva en train de descendre d’un taxi. Zoé n’a pas l’air bien.

Au domaine, Iris est occupé à vérifier chacune des tables. Je la salue d’un signe de la main avant d’entre dans la villa. Une fois dans mon bureau, j’envoie un message à Chloé.

« J’ai vu ta sœur avec ta mère tout à l’heure. Zoé n’avais pas l’air bien. »

Aujourd’hui, il n’y a pas beaucoup de travail. En plus, Iris s’en sort comme une grande. J’en profite donc pour aller parler avec Rob. Ça fait un moment que nous n’avons pas discuté.

- Ma chérie ! Entre.

J’entre dans cette petite pièce qui lui sert de bureau et je prends place.

- Tu vas bien Rob ?

- Comme un chef ! Et toi ?

Dans ma tête, les idées se bousculent, les souvenirs se chevauchent. Est-ce que je vais bien ? Sa main sur la mienne me fait sursauter.

- Que t’arrive-t-il ?

- Rien, je pensais à des choses sans importance.

- Vraiment ?

- Oh, ne t’inquiète surtout pas pour moi.

A mesure que nous discutons, j’ai l’impression de « transpirer du cul » comme dit Makéda. Cette sensation m’est de plus en plus inconfortable.

- Rob, je peux avoir un smoothie ?

- Tout ce que tu veux ma chérie.

Dès qu’il sort de la pièce, j’écarte les jambes pour frayer un passage à ma main jusqu’à mon sous-vêtement. Lorsque je la retire, mes doigts sont recouverts de sang. Mon Dieu, je saigne. C’est quoi ça ?

Je me lève d’un coup et je me tortille dans tous les sens pour voir s’il y a une tâche sur ma jupe. Heureusement elle est bleu nuit. Mais la chaise quant à elle est bien tachée. J’attrape une bonne quantité de mouchoirs du distributeur sur la table et je les plie pour en faire une espèce de serviette. Mon cœur bat très fort et j’ai terriblement peur. J’essaye de garder mon calme.

Rob ne tarde pas à faire son entrée tenant dans sa main un énorme verre. C’est un smoothie aux myrtilles qu’il pose devant moi.

- Liya, excuse-moi mais j’ai l’impression que quelque chose ne va pas. Tu m’as l’air stressée ces derniers temps.

- Pas du tout.

J’affiche un faux sourire. Je porte le verre à mes lèvres et je fais semblant de prendre une gorgée. Je me lève en prétextant vouloir lui enlever une tâche sur le front et avec un peu d’habilité, je parviens à renverser mon verre sur la chaise.

- Merde, qu’est-ce que j’ai fait ?

Rob se lève d’un coup et attrape les mouchoirs pour éponger. Je lui donne un coup de main.

- Je crois qu’il va falloir la faire laver.

- Je suis désolée Rob.

Il s’approche de moi et me serre dans ses bras.

- Je ne sais pas ce qui se passe mais sache que je suis là. Je serai toujours là.

Dès qu’il me lâche je cours me réfugier dans mon bureau. J’ai besoin d’être seule. J’ai besoin de respirer.

 

Mon réveil affiche 05h25.

Je me lève et je suis prise de vertige. Je reste encore un moment dans mon lit.

Je me lève et je vais récupérer mon téléphone que j’avais abandonné dans mon dressing la veille. Quand je vois les appels manqués de mes parents, je me souviens que j’ai oublié de prendre ma fille.

Que m’arrive-t-il ?

Vers 08h, je parviens à sortir de la maison. Je prends la direction de la clinique IST. Je vais rencontrer le docteur ZIEM mon médecin traitant depuis plus de trois ans.

Une fois dans la salle d’attente, j’appelle maman. A la première sonnerie, elle décroche.

- Liya, tu es où ?

En Afrique tu as beau avoir 50 ans que tes parents continuent à te traiter comme un gamin.

- Bonjour maman ! J’ai eu de violents maux de tête hier et j’ai fini par m’endormir au bureau.

- Quoi ? Mais ça va maintenant ?

- Oui maman, ne t’inquiète pas. Je vais bien.

- Tu as pris quelque chose ?

- Oui, je viens d’avaler de l’aspirine et je me sens déjà mieux.

Je ne vais quand même pas lui dire que je perds du sang et qu’actuellement je suis dans les locaux d’une clinique.

L’attente me semble interminable. Et cette sensation dans ma bouche !

- Bon, papa a déposé Pukina ce matin. Tu vois quand je te disais de toujours laisser quelques vêtements pour elle ici, tu allongeais ta bouche sur moi.

Eh la vieille femme ci, tu ne peux pas te taire ? Tu aimes trop bavarder.

- Tu avais raison maman ! Je te remercie pour tout !

- Tu me remercie pourquoi ? C’est ma petite-fille oh !

Une infirmière s’approche de moi et me fais signe.

- Je dois te laisser. Je passerai la récupérer ce soir.

- Bonne journée.

- Merci maman. Embrasse papa.

Je fourre le téléphone dans mon sac et je suis le guide jusqu’au bureau de mon médecin. Dès que j’entre, il se lève pour venir me prendre par les mains.

Je suis à bout, je fonds en larmes dans ses bras. Il passe une main paternelle sur mon dos et nous avançons ensemble jusqu’au petit canapé près de la fenêtre. Il s’éloigne l’instant d’une seconde et revient avec un mouchoir pour moi. Je l’attrape et je m’essuie le visage pendant qu’il s’installe près de moi.

- Qu’est ce qui ne va pas ma petite ?

Je joins mes mains et je joue nerveusement avec mes doigts.

- Liya !

- Oui.

Je me pince l’arête du nez et j’expire.

- Hier, j’ai commencé à perdre du sang.

- Tu as fait une hémorragie ?

Je regarde par la fenêtre et je me tourne vers lui.

- Non ! Enfin oui. Ce n’est pas le moment pour moi d’avoir mes règles mais hier, j’ai eu un écoulement important et ça continue.

Il prend mes mains dans les siennes et cette chaleur me fait du bien.

- Je vois que tu as perdu beaucoup de poids. Tu manges bien ?

- Je n’ai envie de rien. Pour chaque bouchée que je prends il me faut faire un effort surhumain. Je n’arrive pas à garder quoique ce soit dans mon estomac.

- Calme-toi ! Excuse-moi de te poser la question mais il le faut. As-tu parlé à quelqu’un ?

Je retire mes mains des siennes.

- Pour leur dire quoi ? Que je vais mourir avant mes 40 ans. Peut-être même demain ?

- Je comprends mais je te l’ai dit, il faut que tu parles à quelqu’un. Je connais un spécialiste qui…

- Non ! Dis-je en me levant.

- Je ne veux pas entendre parler de psychologue ou autre. Qu’est-ce que cela changera pour moi ?

Le docteur ZIEM se met debout et s’approche de moi.

- Je ne sais pas si tu te sentiras mieux mais il faut que tu parles à quelqu’un. Tu ne peux pas garder cela pour toi. En attendant, je vais te mettre sous hormones. Dans deux semaines, tu repasseras des examens.

Il s’en va derrière son bureau griffonner quelque chose et me tend ce qui semble être une ordonnance.

Je regarde la feuille qu’il me tend pendant une dizaine de secondes avant de la prendre.

- Il faut que j’y aille. Dis-je en passant une main dans mes cheveux.

- Je te raccompagne.

Le docteur ZIEM m’accompagne jusqu’au parking et durant le chemin, il ne cesse de m’exhorter à parler à mes proches. Je m’enfonce dans ma voiture après lui avoir fait la bise. Il est clair que je ne dirai rien à personne. C’est ma vie et elle ne concerne que moi.

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