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Write by lpbk

Zoé avait en horreur l’hiver. C’était pour elle, une période vraiment désagréable et contrairement à ses collègues elle n’y voyait strictement aucun charme. Quatre mois sur douze, elle regrettait de ne pas s’être réincarnée en marmotte pour hiberner et se dérober aux températures glaciales. Les nuits se rallongent, les gens sont pressés, fini de siroter un bon rosé en terrasse. Les traits sont plus renfrognés qu’à l’accoutumé. Il faisait tellement froid que Zoé évitait soigneusement de laisser un bout de chair plus de dix minutes dehors.

La jeune femme replaça son écharpe aussi épaisse qu’un plaid, prit une profonde inspiration et descendit du train. « Qu’est-ce que je fous encore dans ce pays ? Je donnerais tout pour aller bosser au soleil », marmonna Zoé. Elle pressa le pas comme si la mort était à ses trousses. Malgré les couches de vêtements, elle sentit qu’une main venait de se poser sur son épaule.

Elle tourna la tête et reconnut Djibril. Le consultant souriait derrière son écharpe. Ses yeux s’étaient étirés en deux fentes étincelantes qui fixaient à présent Zoé. Elle aurait aimé rendre son sourire mais le froid lui figeait les membres. Telle une statue, toute tentative de paraître vivante fût vaine. Cynthia ne ralentit pas sa cadence pour autant. Elle marchait à vive allure pour se mettre à l’abri du froid. Ils restèrent donc côte à côte marchant en silence vers les locaux de Milagro.

Depuis une semaine, les équipes de VW Consulting s’étaient installées dans l’open space du service RH pour démarrer le développement de la plateforme. Une vingtaine de nouvelles têtes endimanchées avaient peuplé l’étage du service de Zoé. Elle croisait Djibril tous les jours dans les couloirs, en réunion, devant la machine à café. Rien ne laissait présager qu’il avait un quelconque intérêt pour elle. Il n’avait pas émis une once d’attention autre que professionnelle à son égard. Pourtant dans les premiers temps, elle aurait juré l’avoir surpris à la reluquer. Peut-être l’avait-elle tant désiré qu’elle avait fini par l’affabuler.

Zoé maudit ce temps qui tiraillait ses traits. Elle paraissait plus froide que d’habitude. Si Djibril tentait un rapprochement, nul doute que son attitude hostile l’ait découragé. Son manque d’expression lui évitait au moins d’alimenter certaines rumeurs au boulot. Chez Milagro on raffolait des histoires sous le bureau ébruitées devant la machine à café ou sur le parvis aux pauses clopes. Elle refusait de retrouver son nom associé à ce type d’histoire. Alors elle enterra définitivement ses espoirs d’être avec Djibril Meite.

Une matinée, Djibril, parfaitement moulé dans un col roulé, vint se poser sur le bureau de Zoé. Il vint exposer les différents problèmes qu’ils avaient rencontrés lors des différents tests de la plateforme. À l’oreille de Zoé, ces problèmes lui parurent superficiels à côté de celui que Zoé rencontrait à ce moment précis. Ses fossettes avaient anéanti tout effort de concentration. Il finit par la rassurer en précisant qu’il avait une solution. Djibril s’apprêta à s’absenter quand il jeta un coup d’œil à la poubelle de Zoé. Le réceptacle débordait de sachets et d’emballages de la cafétéria. Intrigué, il lui demanda si elle déjeunait souvent à son bureau et elle répondit par la positive. Zoé appréciait très peu ses collègues. Pour elle, il y avait beaucoup de planqués, de faux-culs et de gens sans intérêt. La seule qui trouvait grâce à ses yeux était Marion et elle était en congé. Elle se retrouvait donc à déjeuner très souvent seule et à son bureau. Bien sûr, elle n’en dit pas un mot à Djibril. Elle prétendit avoir une montagne de boulot qui ne se réduisait pas.

— Je veux bien mais il faut quand même souffler dans la vie, conseilla Djibril.

— Ouais mais le travail ne se fait pas en soufflant.

— Attends, je ne te vois pas descendre fumer ou même prendre de cafés. Tu ne fais jamais de véritables pauses dans ta journée ?

—  Pas vraiment.  

—  Tu vas finir par péter les plombs un de ces jours.

—  Pour l’instant je tiens le coup, on verra quand ça sera le cas.

—  Non mais je peux pas te laisser faire ça. Je te propose de faire une pause et de manger avec l’équipe ce midi.  

—  Quelle équipe ?

—  Nous les consultants, VWC.  

— Ah !… Zoé fit mine d’hésiter.  

—  Allez comme ça, ça te permettra de nous voir autrement que comme des experts du Power Point et des gens venus vous mettre au chômage ou venus vous dépouiller.

Elle rit. Elle perçut une fraction de seconde dans son regard que son rire l’avait réjoui.

— Ok ! Vous mangez au restau d’entreprise ou à l’extérieur ?

— La bouffe de votre restau est dégueulasse et en plus elle nous coûte plus cher qu’un kebab.  

Zoé sourit légèrement à la vue de la mine dégoûtée que Djibril affichait en évoquant le restau d’entreprise.

— Oui bon c’est clair que ce n’est pas le Fouquet.   

— Généralement, on prend de la salade ou des pâtes au supermarché du coin et nous poser à la cafét’ vu qu’ils nous bloquent l’accès au restau. Alors ça te tente ?

Zoé ne laissa rien paraître mais elle était enchantée par cette invitation.

— Allez ouais pourquoi pas ? Finit-elle par céder.  

— Top ! Bon il est 11h45 on se dit 12h15 pour décoller ?

— Parfait !

—  Cool ! A plus tard alors dit-il en lui adressant un large sourire.

Elle le regarda s’éloigner de son bureau et attendit qu’il soit hors de portée pour afficher un sourire béat, digne d’une ado en extase devant un crush. Elle jeta rapidement un coup d’œil autour d’elle pour s’assurer que personne n’avait remarqué son euphorie. Pour une fois, tout le monde semblait être absorbé par son travail.

À 12h15 pétante, Djibril fit signe à Zoé de les rejoindre. Ils s’attroupèrent près du bureau du chef de projet en attendant deux autres mecs de la DSI qui étaient également conviés. Quand tout le beau monde fut réuni, ils se mirent en route pour le supermarché qui se trouvait à quelques mètres du siège. Le froid était glacial, humide et s’infiltrait dans les moindres recoins. Zoé finit par regretter de les avoir suivis, même si elle devait l’avouer, sortir de temps en temps de la forteresse de Milagro était agréable. Malgré les basses températures, le soleil était au rendez-vous.

Arrivé au supermarché, chacun se dirigea vers le rayon qui l’intéressait. Certains se rendaient au niveau des produits frais, d’autres au niveau des sandwichs. Zoé un peu déboussolée resta au milieu de tout ce bazar. Ce supermarché, elle n’y avait jamais mis les pieds. Elle s’était exclusivement nourrie des succulents sandwichs triangles de la cafétéria.

— T’as pas faim ? lui demanda Djibril qui avait remarqué son désarroi.  

—…

— Attends ça fait combien de temps que tu bosses ici ? Tu n’es jamais venu dans ce super ?

— Bah non on a un restau d’entreprise !

— Très bien, comme vous avez dénié descendre de votre tour d’ivoire que souhaiteriez-vous manger Madame Sia ? demanda Djibril en imitant la voix d’un aristocrate et en se courbant exagérément

—  Mademoiselle, je vous prie… rectifia-t-elle en empruntant le même ton.

Leurs regards se croisèrent et ils se mirent à pouffer de rire.

— Plus sérieusement, tu veux manger quoi ? Reprit Djibril d’un air bien trop sérieux qui ne calma pas davantage Zoé.

— Aucune idée, finit-elle par répondre lorsqu’elle eut terminé sa crise de fou rire. Je prendrai la même chose que toi. Pas envie de réfléchir.

— J’ai pas l’impression que ça arrive souvent.

— Pardon ? S’étonna Zoé qui pensait avoir mal compris. Donc t’es plutôt du style à charrier comme ça toi ?

— Blague débile ! Je voulais m’assurer que t’étais pas un robot et que t’avais bien des sentiments, s’esclaffa Djibril.

— …

— Tu parais tellement insaisissable !

— Alors t’essayais de briser la glace ?  

— Avec toi, c’est pas une glace qu’il faut briser c’est la banquise entière carrément.

— Ah ouais…

Ne pouvant pas atteindre sa nuque, Zoé mit une tape dans le dos du consultant. Djibril fit mine de se tordre de douleur ce qui énerva Zoé qui renchérit avec un mélange de petites tapes et de pincements.

— Arrête ! Arrête, c’est bon je me rends, finit-il par hurler.

— Bon ce n’est pas tout mais je commence vraiment à avoir faim, lança Zoé qui avait soudainement repris un air très sérieux. Ce qui était en train de se passer entre eux deux ne lui paraissait pas convenable.

Ce changement brusque surpris Djibril mais n’altéra pas pour autant sa bonne humeur. Il la traîna dans le rayon des produits frais où une multitude de pasta box étaient exposées. Après avoir fait leurs choix et réglé en caisse, ils rejoignirent le reste du groupe.

Arrivés à la cafétéria, ils prirent une table entière pour dix personnes. Zoé angoissa au moment de choisir sa place. Elle était tiraillée entre son désir de s’asseoir près de Djibril et sa crainte d’éveiller les soupçons. Il avait fallu trois jours à peine à certains de ses collègues pour que des remarques du même acabit que celle Nicolas fusent. « Dis donc il est pas mal le nouveau black, il te plairait bien Zoé », « Djamil t’intéresse pas Zoé ? », « vous iriez trop bien ensemble Zoé ! ». Bien sûr, la bande de maquerelles quadragénaires n’avaient pas spécialement envie d’une romance entre Zoé et Djibril parce qu’elles tenaient à elle. Non, elles souhaitaient simplement avoir des histoires croustillantes à raconter, du moins plus croustillantes que leur vie sexuelle inexistante depuis la chute du mur de Berlin.

Zoé se résolut donc à s’asseoir aussi loin que possible de Djibril. Il l’avait observée longuement avant qu’elle ne s’asseye comme pour la dissuader de se tenir à l’écart. Quand elle avait enfin posé ses fesses, elle aperçut une pointe de déception dans son regard. Le reste du déjeuner fut ponctué par des regards furtifs que le consultant lançait à une Zoé, bien trop gênée et soucieuse du qu’en-dira-t-on, pour ne serait-ce que lever les yeux en sa direction. Elle avait tellement la tête plongée dans sa pasta qu’elle en distinguait les moindres détails. Lorsqu’elle s’autorisa enfin à poser ses yeux sur lui, il riait aux éclats avec un de ses collègues. Un de ces rires chaleureux qui égayait la pièce. Elle scrutait les moindres expressions de son visage, ses yeux rieurs, ses pincements de lèvres, ses manières, la façon de s’exprimer avec ses mains et même sa façon d’engloutir ses pâtes. Elle se l’avouait à demi-mot. Il lui plaisait carrément.

Une des collègues de son équipe fit un tour de table pour connaître les plans du week-end dernier des membres de l’équipe.

— J’ai maté le film Lucy et il est vraiment top, répondit un des consultants.

— Ah ouais il est génial, s’extasia Djibril. Et Scarlett Johansson quelle femme ! Poursuivit-il.

À cet instant précis, cette remarque de Djibril ruina la petite lueur d’espoir de Zoé.

 

— Attends, attends…Répète mot pour mot ce qu’il a dit Zoé !

— Il a dit « et Scarlett Johansson, quelle femme ! », exaspérée de raconter pour la énième fois la même scène.

— Genre elle est trop forte ou elle est trop belle ?

— Mais qu’est-ce que tu veux que j’en sache ? Je suis pas dans sa tête mais ça ne sent pas bon.

Elles s’arrêtèrent de parler un instant, se regardèrent et éclatèrent de rire. Zoé n’avait strictement rien de Scarlett.  

— Hé Scarlett, pouffa Zoé. Je préfère en rire qu’en pleurer.

— Mais ça ne veut rien dire.

— Si si ça veut dire beaucoup. Et puis c’est un mal pour un bien. Je l’ai toujours dit jamais au boulot !

— T’es pas dans un film de Tyler Perry là. Tu ne rencontres pas ton mec dans un avion où dans je ne sais quelle autre circonstance hyper romantique. T’avais au choix, le lycée, c’est mort ! La fac c’est mort ! Et il ne te restait que le taff !

— Non mais s’il était vraiment intéressé, il serait venu, il aurait tenté quelque chose.

— En même temps, froide comme t’es, même un croque-mort ne t’aurait pas approchée. En plus, il te l’a dit que t’étais trop coincée.

—…

— Voilà, un tiers des couples se sont rencontrés au travail ! S’écria Elsa qui avait fait une petite recherche Google entre temps.

— De toute façon, son délire c’est Scarlett.

— Aimer Scarlett n’empêche pas de lorgner sur Naomi hein.  

— Pfff, encore faudrait-il ressembler à Naomi.

— T’es Zoé et c’est déjà beaucoup.

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