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Zoé, face à son miroir, contempla son reflet. Elle s’attarda sur ses grands yeux en amande aussi scintillants que deux perles de jais. Elle mordit goulument la pulpe de sa lèvre inférieure. Elle déroula une mèche de cheveux qui détendait ses boucles serrées jusqu’à la naissance de ses seins. Cette petite poitrine qu’elle palpa de sa main droite l’avait tellement complexée plus jeune. À présent, elle l’acceptait pleinement. Elle regarda de nouveau son doux visage. « Tant pis pour lui », pensa-t-elle. Elle finit de se préparer pour aller saluer les invités qui se trouvaient dans le salon pour célébrer la construction d’une clinique dans le village de ses parents. Elle ne savait pas encore qui était présent mais elle avait très distinctement reconnu la voix de Tata Léopoldine.

Dix minutes plus tard, elle se présenta au milieu de la quinzaine de convives. Comme elle l’avait bien deviné, Tata Leo mais également Tata Mimi était présentes. Dans le coin du salon, engagé dans une grande discussion avec son père, un verre de gnamakoudji à la main, se trouvait Baruch. Le jeune homme était comme à son habitude endimanché dans un costume trois-pièces qui plaquait ses formes, laissant apparaître ses muscles. Zoé se demandait seulement si serré dans cet accoutrement il parvenait encore à respirer, à s’assoir, à vivre normalement comme tous les autres êtres humains. Il caressait sa longue barbe parfaitement brossée. Il éclatait de rire à chaque réplique du père de Zoé, éblouissant la pièce d’un sourire radieux.  

Baruch était le fils d’un ami de son père. Ils ont pratiquement grandi ensemble. Elle l’avait toujours plus ou moins considéré comme un membre de la famille Sia. Seulement, les yeux du jeune Baruch s’étaient pris d’un certain intérêt pour Zoé à mesure que leurs âges avançaient. Il avait tenté une première approche à leurs seize ans que Zoé avait gentiment déclinée pour ne pas le froisser. Ce fut le premier échec d’une longue série de râteaux. Zoé avait toujours salué sa persévérance. Elle savait pertinemment que chaque année lui donnerait une occasion de retenter sa chance un peu comme un étudiant qui foirait toujours le même examen. Elle comprit au regard qui lui jeta quand il l’aperçut qu’aujourd’hui il tenterait de nouveau.

Aussitôt cette pensée lui traversa l’esprit, Baruch prit congé de son père et s’avança vers elle. Il lui fit un large sourire qui faillit la rendre aveugle tant ses dents étaient blanches.

— Zoé dit-il en la serrant dans ses bras. Comment vas-tu?

— Bien, attends deux secondes, je vais me prendre à manger.

Zoé se dirigea vers le buffet suivi du jeune homme qui ne compta pas la lâcher de sitôt.

— Vraiment Dieu fait bien les choses…

— …

Zoé prit une assiette et se servit une boule de foutou banane.

— Tu sais que je pensais à toi cette semaine et…

— Pardon, est-ce que tu me peux me passer la louche-là s’il te plaît ?

— Et Dieu m’a dit que tu aurais besoin de moi très prochainement.

Zoé versa plusieurs louches de sauce graine sur sa boule et manqua d’en couler à côté de son assiette. Elle dût se concentrer un maximum pour ne pas éclater de rire à la prophétie que venait d’énoncer Baruch. Tata Mimi lui avait toujours enseignée à se méfier de ceux qui prétendaient que Dieu leur avait révélé des choses. Bien souvent c’était tout sauf Lui qui leur avait parlé. Et puis « Dieu n’adresserait jamais la parole à un mec qui mange du beurre avec du riz » pensa Zoé. Cette moquerie lui arracha un rictus.

— Ça te fait rire ?

— Non non, j’écoute, et tu sais à quel niveau j’aurais besoin de toi ? demanda Zoé qui avait repris un air sérieux.

Les deux connaissances s’assirent aux seules places restantes près de Tata Léo.

—  Je ne peux pas tout savoir.

— Dommage !

— Il fallait que je te le dise, je ne sais pas comment ni quand mais ça arrivera très prochainement. Crois-moi. Je te laisse quelques minutes, il faut que j’aille voir Marie.

Baruch se leva et laissa la place libre. Edna s’assit aussitôt et regarda Zoé.

— Il est encore revenu à la charge ? Demanda sa petite sœur prête à exploser de rire.

— Apparemment Dieu lui aurait parlé…

Les deux sœurs gloussèrent.

— Il n’arrêtera donc jamais…

— Après tant d’années, je me dis que je devrais peut-être lui donner une chance non ?

Zoé et Elsa se regardèrent.

— Noooon ! Dirent-elles en chœur en affichant une mine de dégoût.

— Je ne pense pas que tu sois la seule qu’il essaye de draguer depuis des années, ça doit être son sport favori courir derrière les filles. Et puis, t’as déjà quelqu’un.

— Ah bon ?! J’étais pas au courant, s’étonna Zoé qui reprit une bouchée de son foutou banane.

— Bah Djibril…

— Arrête avec lui, je t’ai dit que c’était mort.

— Tu m’énerves parfois j’ai l’impression que c’est moi la grande entre nous deux. T’as rien tenté.

— Il n’y a rien à tenter parce que je ne l’intéresse pas, chuchota Zoé qui avait aperçu Tata Léo qui tout d’un coup semblait porter un certain intérêt à leur conversation.

— Juste parce qu’il a dit que Scarlett Johansson était bien dans un film ? Sérieux ?! Toi qui passais ta vie à faire des disserts longues comme des encyclopédies, tu t’arrêtes à une seule phrase pour décider de l’intérêt ou non d’un mec pour toi.

—…

— C’est pas un argument, Miss j’aime les débats. Et quand vous êtes allés acheter à manger, il paraissait un petit peu intéressé non ?

— Edna, ça ne veut strictement rien dire.

— Oh tu m’énerves ! Grogna Elsa.

La jeune fille se leva et disparut dans le couloir de la maison. Zoé en profita pour terminer son assiette. Il restait quelques traces de sauces qu’elle mangea avec un bout de pain quand Baruch revint de nouveau s’assoir près d’elle. Les paroles d’Elsa avaient quelque peu bouleversé Zoé qui préféra ne pas y penser. Aussi, elle entama une longue discussion avec Baruch bien que ce dernier mobilisât intégralement la parole. Au moins, elle évitait de penser à Djibril.

Vers les coups de vingt heures, les invités désertèrent peu à peu le domicile familial. Baruch était encore présent à discuter avec Zoé, ce qui ravit sa mère. Le jeune homme ne souhaitait pas partir. La jeune femme prétexta alors être fatiguée pour qu’il daigne enfin rentrer chez lui.  

Elle l’accompagna sur le pas de la porte. Il lui lança un regard semblable à celui d’un chien qu’on aurait abandonné sur le bas-côté de la route pour partir en vacances.

Après le départ de Baruch, la mère de Zoé vint dans sa chambre. La jeune femme baissa le son de We belong together qui tournait en boucle sur son enceinte. Sa mère se posa sur le bord du lit, un large sourire aux lèvres.

— Oui ?

— Vous avez parlé toute la journée avec Baruch

— Ah oui

— C’est un bon garçon, n’est-ce pas ?

— Oui je sais.

— Si tu envisages d’en faire mon gendre, je t’en donne la bénédiction ma fille, lança-t-elle avec un enthousiasme hors du commun.  

— Eh ! On a juste parlé Maman.

— Oui d’accord mais au moins tu connais mon avis. C’est un bon garçon qui serait très bien pour toi Zoé. Il serait temps de penser à ton avenir.

Le portable de sa mère sonna mettant fin à une conversation qui devenait pour le moins gênante. Zoé se recoucha dans son lit et songea qu’il y avait un moment que sa mère n’avait pas été aussi fière d’elle. Cette lueur dans les yeux lui avait remis du baume au cœur.   

 

Le lendemain après-midi, Zoé travailla à son poste avec une fenêtre ouverte sur l’application WhatsApp web. Elle était en pleine conversation avec les filles sur l’enterrement de vie de jeune fille de Bébé quand Djibril se pointa à son bureau. Zoé ne retira pas la fenêtre car elle avait plusieurs fois aperçu le jeune homme s’adonner à des tâches personnelles au travail également. Il s’assit sur son bureau comme d’habitude et lui demanda quelques infos sur la finalisation du questionnaire. Il la taquina un instant sur le nombre incroyable d’émoticônes qui peuplait sa conversation avec les filles. C’est à ce moment précis qu’elle reçut un message de Baruch qui lui indiquait avoir passé une agréable soirée et qu’il mourrait d’envie de la revoir. Le visage du consultant s’assombrit et le sourire qu’il affichait deux secondes plus tôt, disparut. Il tenta en vain de réprimer son amertume à la vue de ce message. Il décida alors de tourner les talons. Zoé fût troublée par la réaction de Djibril et resta un bon moment interdite devant son PC. Le message de Baruch l’avait-il attristé ? Son attitude traduisait-il un certain intérêt pour elle ? Zoé repensa alors à la prophétie de Baruch et sourit. Même si Dieu ne lui avait pas vraiment parlé, le message de son prétendant tomba à point nommé pour lui ouvrir les yeux. Zoé se tâtait d’accepter la demande de Baruch pour combler sa mère mais aussi de la refuser car elle n’avait clairement aucun sentiment pour sa connaissance.

Le reste de la semaine, un jeu du chat et la souris se tint dans les locaux de Milagro. La jeune femme était totalement perdue par ce regard brun profond qui lui disait le tout et son contraire. Un jour, il la dévorait des yeux. Un autre, il l’ignorait complètement. Elle s’étonna qu’il ne saisisse aucune occasion d’être seul avec elle pour tenter une approche. Zoé finit alors par en conclure qu’il n’était pas réellement intéressé et qu’il souhaitait juste flatter son ego de mâle alpha. Elle décida de tirer définitivement un trait sur lui et d’envisager avec plus de considération l’intérêt de Baruch.

 

Un jour après une réunion, Djibril l’interpella. Son cœur fit un bond.

— T’as deux secondes ? J’aimerais voir un truc avec toi sur le projet.

— Non j’ai pas vraiment le temps, je suis débordée là, envoie-moi un mail. Lui avait-elle répondu sèchement.

Zoé rassembla ses affaires pour filer à toute vitesse. Lorsqu’elle s’apprêta à franchir le pas de la porte, le torse de Djibril lui barra la route. La salle s’était vidée et il ne restait plus qu’eux deux. Il prit soin de refermer la porte derrière lui. Il la fixa longuement.

— À quoi tu joues ? Vociféra-t-elle.

— C’est moi ou tu m’évites en ce moment ?

— Non ! Peux-tu me laisser passer s’il te plaît ? J’ai du boulot.

Il se rapprocha d’elle. Son visage n’était plus qu’à quelques centimètres du sien et elle avait une furieuse envie de l’embrasser mais elle n’en fît rien.

— J’ai l’impression d’avoir fait un truc qui t’a déplu. Si c’est le cas, je m’en excuse.

« Bien au contraire » se disait-elle tout lui plaisait chez lui et c’était bien ça le problème. Elle aurait adoré avoir trouvé chez Djibril ce truc déplaisant qui aurait tenu ses sentiments à elle à distance.

— Non je t’assure, il n’y a rien. Ton travail est top, je n’ai rien à redire.

— Bon si tu me dis qu’il n’y a pas de malaise, je te crois. Mais il faut absolument qu’on se voie pour la passation.

— Quelle passation ? s’étonna Zoé.

— Tu n’es pas au courant ?!

— Au courant de quoi ?

— Ma mission chez Milagro va être écourtée. J’en avais parlé à Nicolas, je pensais qu’il avait descendu l’info.

— Et tu pars quand ?

— La semaine prochaine.

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