7- Les couleurs de nos amours
Write by lpbk
Ça va faire une semaine que j’ai déserté ma vie, mon chez moi, mon boulot et ma famille. Une semaine que je n’ai pas mis le nez dehors. J’ai l’impression malgré les couches de fond de teint, tout le monde les voit mes taches, ma peau moucheté.
J’entends frapper à la porte, je ne réponds pas. Je ne veux voir personne. Je ne veux rien.
« Nowa… », dit-elle la voix hésitante.
« Il y a un plateau pour toi. »
Et j’entends ses pas, de plus en plus lointains. J’ai l’estomac vide sans avoir faim. On verra bien tout à l’heure. Pour l’heure, j’ai juste envie de dormir et de ne plus me réveiller.
Vraaann !!!
J’ouvre les yeux, la lumière m’éblouit.
« Tu dois te lever ma grande ! »
Je tire la couverture sur ma tête.
« Je n’en n’ai pas envie Mimi. Laisses-moi tranquille s’il te plait. »
« Non et non ! Ca fait plus d’une semaine que ça dure ! Il est temps de reprendre le dessus sur ce qui t’arrive. »
Je soupire sans bouger un seul orteil mais bientôt, la couverture vole pour se retrouver à mes pieds. Je suis à nouveau submergé par un torrent de larmes.
« Viens dans mes bras ma chérie. »
Je cours pour m’y réfugier. Elle sent comme un parfum de crème glacée. Elle me caresse les cheveux, le dos d’une main affectueuse, tendre et délicate. Je me vide de ma tristesse dans ses bras.
« Peu importe ce que s’est ça passera. Mais pour ça, il faut que toi tu le veuilles et que tu fasses preuve de bravoure. »
« Je n’y arriverai pas Mimi. C’est trop dur. »
Elle me pousse un peu et les yeux dans les yeux me dit.
« Il faut faire un pas après l’autre Nowa pour marcher et ensuite courir. Pour commencer, tu vas prendre un bain. OK ! »
J’acquiesce d’un hochement de tête. Elle me laisse m’allonger à nouveau et s’en va dans la salle de bain d’où j’entends couler l’eau. Quand tout est prêt, elle revient vers moi et m’aide à me mettre debout, puis me conduis jusqu’à la baignoire.
J’ai l’impression de ne plus rien ressentir. L’eau sur ma peau me laisse indifférente. La mousse dans mon bain a quel parfum ? Les gestes professionnel de Mimi sur mon cuir chevelu ont quelque chose d’apaisant. Elle pose maintenant l’après-shampoing.
« Mimi, tu n’as jamais eu peur de me toucher ? »
Elle s’arrête, sans doute surprise par ma question, referme le tube de produit et se rince les mains. Les secondes passent, elle ne dit toujours mot.
« Pourquoi ? », finit-elle par me demander.
« Tu sais bien pourquoi ? Regarde ma peau. Toutes ces tâches blanches elles ne t’ont jamais fait peur ? »
« S’il te plait, j’ai besoin de savoir. »
Elle tire le petit tabouret près de la baignoire et s’y installe.
« Si je te réponds, tu me raconteras ce qui s’est passé ? »
Mon regard se perd dans la mousse de mon bain.
« Si tu veux ! »
« Pour tout te dire, la première fois où j’ai vu toutes ces tâches, je n’ai pu m’empêcher d’éprouver de la pitié pour toi. Le monde est tellement sévère envers toutes ces personnes qui sortent de l’ordinaire, toutes ces personnes différentes. Je me suis demandée ce qu’avait bien pu être ton enfance et ce que l’avenir pourrait te réserver. Puis de fil en aiguille, j’ai eu l’impression de ne plus les voir. Tout simplement parce que la vraie toi les masquait. Tu es une jeune femme magnifique et tes tâches ont beau être une maladie mais elles font partie de toi. Je suis certaine que si tu ne les avais pas, tu serais devenue une de ces jeunes femmes belles et détestables que compte le monde. »
Une pensée pour ma sœur Tina allias tête de melon. Tête de pastèque depuis quelques temps.
A bien y réfléchir, elle a raison. Le vitiligo m’aurait épargné que je serais devenue comme Tina, une femme détestable et détestée par sa propre sœur. Peut-être que je la jalouse dans le fond. Va savoir !
Je ne peux m’empêcher de soupirer face à ce discours. Elle me fixe intensément.
« A ton tour ! Alors, que s’est-il passé ? »
Nouveau soupir. Un ange passe.
« J’ai couché avec Rudy ! C’était quelque chose de stupide. C’était juste pour un soir et je comptais m’en aller le lendemain avant son réveil sauf qu’il s’est levé plus tôt que moi et il m’a surpris en train de m’habiller. Il a vu toutes mes taches et si tu avais vu son regard. Je le dégoutais Iris. Je ne pouvais pas rester tu comprends ? Je ne pouvais pas. »
« Tu aurais dû lui expliquer. »
« Qu’est-ce que ça aurait changé ? Je ressemble à un gecko. Je suis horrible. Je le dégoutais. Je suis sûre qu’il a tout de suite tout regretté. »
« Mais non ! Toi tu es adorable et lui il est horrible. C’est un sombre toquard ! »
« Ce n’est pas tout ! », chuchotais-je.
Elle se décolle un tout petit peu de moi, j’en profite pour respirer.
« Il me plait. Il me plait vraiment et ce depuis le premier jour. Mais il a brisé mon cœur de toutes les manières possibles Mimi, j’ai trop mal. »
Elle me prend à nouveau dans ses bras.
« Je suis désolée mon cœur ! Je suis vraiment désolée ! »
Nous restons ainsi un moment.
« Dis, tu peux me lâcher ? J’étouffe entre tes gros lolos ! »
Et nous partons dans un de ces rires.
Ce soir, je dine avec Quentin et Mimi, dans une ambiance assez gaie. Quelques fois mes pensées s’envolent vers un appartement hyper stylé du Plateau mais Mimi me ramène vite sur terre. Mon père est vraiment un beau toquard.
Quand nous terminons de diner, je mets Quentin au lit. Et je retrouve Mimi dans sa chambre. Je saute sur son lit.
« C’est décidé ! Je vais devenir une autre. Tu comprends ça Mimi ? Je vais changer. En bien ou en mal, je m’en fiche. Je vais changer, tu verras ! »
Je me mets debout et je tourne sur moi-même, un peu comme une toupie. Sous le regard amusé de Mimi qui n’a toujours pas deviné les intentions malsaines et criminelles de mon vieux père.
« Qu’est-ce qui t’arrive ? »
Je cours près d’elle.
« Je ne sais pas ! Je ne sais vraiment pas ! J’ai juste envie de changer. Tiens, pourquoi tu ne me couperais pas les cheveux pour commencer ? »
« Ma parole, tu es folle ! Des tas de filles tueraient pour avoir cette chevelure. »
« Alors c’est pas de chance pour elles. Ils sont à moi et j’ai décidé de me les faire couper. Allez ! Dépêche-toi avant que je ne change d’avis. Un carré rock ! », lui dis-je en sautant dans le fauteuil.
Après moult protestation, elle finit par se rendre à l’évidence. Je suis bien décidée !
A travers la glace, j’observe Mimi qui effectue des gestes très lents. Elle doit penser que je changerai d’avis dans quelques minutes. Elle se trompe. Elle attrape sa paire de ciseaux et dans un geste timide, me coupe l’équivalent de 2 centimètres environ.
« Mimi ! Vas-y franchement ! »
Elle déglutit. Cette fois, des mèches d’au moins 10 centimètres s’écrasent sur le sol. J’ai toujours ce sourire avec lequel je suis entrée. Quand elle sent ma détermination, elle attrape une mèche et la taille d’un coup bref, sec et net en fermant les yeux comme si elle vivait un véritable film d’horreur.
Une heure après, me voici en train d’admirer ma nouvelle coiffure. Je suis sûre que maman aura un choc quand elle me verra. Mais ça c’est son problème, je suis majeure et vaccinée. Je fais ce que bon me semble maintenant. Fini les plaintes, les jérémiades. Il est temps que j’écrive les premières lignes de mon histoire. Et dans cette histoire, Nowa est la plus forte.
Ce soir après mon bain, je reste dans la chambre de Mimi, à lui raconter tout ce que j’ai ressenti quand je me suis enfin retrouvé dans les bras de ce misérable. Je m’endors le cœur léger. C’est une nouvelle Nowa qui se réveillera demain.
Le lendemain soir, un peu avant la tombée de la nuit, je quitte Quentin et sa mère. Ils ont su prendre soin de moi et me remettre d’aplomb. Direction mon petit chez moi. Je croise un de mes voisins dans l’immeuble et il se retourne, je lui fais donc un sourire et je continue jusque devant ma porte.
Quand j’ouvre celle-ci, je suis sous le choc. Des dizaines de cartes jonchent le sol. Je balaie tout ça du pied et je ferme la porte. Ce sont des messages d’Iris et de Georgette. Iris, je comprends mais Georgette. Il faut que j’appelle Iris mais la batterie de mon portable est morte. Je le mets en charge. Je le ferai demain et elle a intérêt à ne pas m’emmerder parce qu’au fond tout ce qui m’est arrivé est un peu de sa faute.
A mon réveil, je fais abstraction de mon téléphone qui n’arrête pas de sonner. Je sais déjà qui m’appelle. J’ai dit que je te ferai signe Iris. Il faut que j’aille bosser si ils veulent toujours de moi bien-entendu.
« Bonjour Georgette. »
Elle me prend directement dans ses bras.
« Tu m’as trop manqué ! Mais tu étais où ? »
Elle se décolle enfin de moi, je jette un coup d’œil à ma tenue, elle pourrait l’avoir froissé dans ce débordement de joie.
« Attends ! Tu as fait quoi à tes cheveux. »
« Trois fois rien ! », fis-je le sourire aux lèvres.
« Trois fois rien. J’espère au moins que du ne les a pas jeté, je vais me confectionner une perruque avec. »
« Je verrai ce que je peux faire pour toi. Faut qu’on aille bosser. »
Elle m’accompagne jusqu’à mon bureau en me mettant au courant des derniers ragots. Quand elle se tourne pour rejoindre le sien, je l’appelle.
« Merci pour tous ces gentils mots Georgette. »
Elle m’offre un sourire et s’en va.
La journée est tellement chargée que j’ai du mal à trouver une seconde de libre pour appeler ma cousine qui me harcèle littéralement à coup de messages. Si elle continue, même l’opérateur va bloquer son numéro. Elle abuse. Stylo en main, je finis tout de même par composer son numéro. Je n’entends même pas sonner une seule fois qu’elle a déjà décrochée.
« Non mais ça ne va pas de disparaitre comme ça ? En plus durant des jours. Je me suis inquiétée. Tu veux me filer une attaque ou quoi ? »
Je ris intérieurement.
« Calme-toi ma chérie ! »
« Ça ne marche pas avec moi ! Tu me dis où tu étais et tout de suite. »
Je lui avoue avoir passé la semaine chez Mimi. Elle s’en offusque car selon elle j’aurai dû la passer chez elle.
« Tu es tellement nulle en cuisine et moi, je ne voulais pas mourir de faim. J’avais déjà le cœur en miettes tu comprends ? Sinon, quoi de neuf ? »
« Rien ! Tu dis que tu avais le cœur en miettes ? Vas-y raconte. »
Je lui raconte la petite histoire en chuchotant car trop d’oreilles indiscrètes dans ce pays.
« Le fils de pute ! »
« Tu as fait le trottoir avec sa mère ? »
« Tu le défends ou quoi ? »
« Non ! Ça te dit qu’on déjeune ensemble ce midi ? »
« Evidemment ! »
« OK ! Je passe te prendre. Je t’aime Iris. »
« Je te hais d’avoir mis mon cœur à l’épreuve. »
Ouf ! C’est passé comme une lettre à la poste finalement. Je peux retourner à mes dossiers.
A la pause, j’embarque Georgette et nous nous rendons dans la pharmacie où travaille Iris. Je fais les présentations et nous déjeunons toutes ensemble. En deux ans, c’est la première fois que je partage un moment avec Georgette. Oui, elle est un peu nulle au boulot mais elle se révèle être une personne digne de confiance et une potentielle amie en plus, elle accroche très bite avec Iris. C’est super !
J’aurai bien voulu voir mamie mais voilà, ce soir je suis épuisée par les dizaines de compliments sur ma coupe, par les histoires de Georgette et par les centaines de messages de ma cousine. Je vais rentrer m’allonger.
« Mamie ! Mamie ! »
Elle sort de sa chambre en boudant.
« Mais qu’est-ce qui se passe ? »
« Qu’est-ce qui se passe ? Tu m’as abandonné pendant des jours. Pas un seul appel. Et tu te pointes en criant dans mes oreilles ! »
Je lui fais un câlin terrible, je sais qu’elle n’y résistera pas. Je salue rapidement ma mère et avec mamie, nous allons faire le tour du jardin.
« Ton fils est où ? »
« Il a dit qu’il allait travailler à Paris quelques jours. »
J’ai envie de rire. Si ça se trouve, il est quelque part à Bouaké en train de faire l’amour à sa future épouse. J’improvise un défilé en balançant abusivement la tête avant de lui demander ce qu’elle en pense.
Elle m’observe un moment.
« Toi, tu as rencontré quelqu’un. Je veux tout savoir ! »
« Mais non mamie ! Qu’est-ce que tu racontes ? »
Elle pointe son index devant mon nez.
« On ne me l’a fait pas à moi ma petite. Regarde-toi ! Tu es toute souriante, tu n’as même pas fait attention à la remarque de ta mère tout à l’heure et tu arbores une nouvelle coiffure. Il y a des signes qui ne trompent pas. »
« Je n’ai personne dans ma vie. Je te le jure, tu es la seule. »
Elle fait la moue.
« C’est ce que ton père aussi me disait. Jusqu’à ce qu’un jour les parents de ta mère se pointent chez nous avec leur fille sur le point d’accoucher. »
« Ton fils a toujours été imprévisible mamie. Moi je suis différente ! »
« C’est vrai ! Toi tu es mon soleil. Viens que je t’embrasse. »
Elle dépose un doux baiser sur mon front.
Ma sœur Tina fait son apparition dans une jupe crayon et un haut marcel aui met en valeur ses épaules et son long cou.
« Bonsoir mamie », fait-elle en l’embrassant.
« Oula ! La coiffure ! On dirait une artiste trash. »
« Je pensais que l’amour ça rendait heureux. Fais attention Tina, tu deviens comme maman. »
Elle plisse des yeux. Elle me menace ou quoi ?
« Maman est là ? »
« Ta mère est dans sa chambre. »
« Merci mamie. »
Elle nous laisse, visiblement choquée par ma réplique.
« Nowa ? »
« Oui mamie ! »
Elle me fait un sourire plein de malice.
« Bien, les chipies sont réunies, il faut que je m’en aille. »
Mamie m’accompagne jusqu’au portail, me couvre de baisers, de bénédictions comme si je m’en allais pour toujours.
Vendredi soir, j’organise une petite soirée pyjama chez moi. Rien d’extraordinaire. Juste trois nanas, des tonnes de nourriture et beaucoup de papotage.
« C’est joli chez toi. »
« Merci et tu fais comme chez toi. »
Je lui fais faire un tour rapide avant de retourner en cuisine où je prépare des empanadas.
« Je peux t’aider ? »
« Tu peux faire la salade ? Il y a tout ce qu’il faut dans le frigidaire. »
Georgette sort les légumes et les passe sous l’eau. Puis, elle commence à les tailler. Je la regarde faire.
« Dis, il s’est passé quoi pour que tu te mettes avec Bibi ? »
Elle me regarde.
« Je ne te juges surtout pas ! Je veux juste savoir comment ça se fait qu’une fille de ton âge soit avec un homme de cet âge-là qui de plus est marié. Et si tu ne veux pas en parler, ce n’est pas grave. Je respecte. »
Elle sourit.
« Tu dis beaucoup trop de chose en même temps. En fait je suis malienne. J’ai quitté le pays pour me donner une chance de faire quelque chose de ma vie. Mais tu vois, quand on n’a pas d’argent, pas de famille et surtout aucune qualification, c’est difficile. »
J’ignorais qu’elle est malienne.
« Tu vois, je n’avais rien mais il fallait manger, dormir, économiser pour envoyer de l’argent à la famille. Alors, j’ai commencé à utiliser ce que la nature m’avait généreusement offert. Mon corps. »
« Mais pourquoi tu ne retournes pas au Mali ? »
Elle a un de ces rires.
« Pour faire quoi ? Si je rentre sans rien, mes parents et toute ma famille vont me tourner le dos. Bibi n’est pas le premier homme qui m’entretient. C’est la vie ma chérie, tout le monde n’a pas ta chance. »
Je trouve son histoire bien triste. Etre obligée de coucher avec un homme pour s’assurer de vivre.
« Et tu n’as pas peur de sa femme ? »
« Ma chérie, est-ce que je suis la seule femme qu’il gère dehors ? »
« Quand même ! »
La sonnerie met fin à notre conversation. C’est sûrement Iris. Comme toujours, elle est en retard.
« Désolée ! J’ai eu un léger contretemps. »
« Menteuse ! Ne l’écoutes pas, elle est toujours en retard. C’est sûr qu’elle se demandait quelles boucles d’oreilles mettre. »
« Même pas. J’étais avec Calvin. »
Mon sang se glace à l’évocation de ce prénom.
« Sorry ! », dit-elle.
« Mais pourquoi ? », fis-je en essayant de cacher mon malaise.
« Tu as le droit de vivre ta vie avec lui. »
« Non, pas du tout. Pas après ce que son crétin d’ami t’a fait. », me dit-elle en posant son portable sur le plan de travail.
Georgette nous regarde sans trop comprendre ce qui se passe. Le téléphone d’Iris crache cette stupide chanson de Tony TOUCH, comme par hasard c’est écrit « Calvinou. » Elle jette un coup d’œil rapide et raccroche ses yeux aux miens.
« Tiens c’est Calvinou. », dit-je en lui tendant son portable.
« Non, je ne décrocherai pas. La famille c’est sacré. Des comme lui, j’en trouve à la pelle. Alors non, je ne … »
« Tu peux Iris. »
« Vraiment ? »
Avant même que j’eusse décollée mes lèvre, elle était déjà pendu à son téléphone. Je la regarde glousser devant son reflet sur le miroir.
« Elle est amoureuse ta cousine. »
« C’est le cas de la dire. »