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Write by lpbk
Zoé demeura interdite dans la salle de réunion. Djibril était
censé rester un mois de plus voire deux.
— Tu comprends mieux pourquoi il fallait qu’on se voie assez
rapidement ?
— Oui…et pourquoi quittes-tu plus vite que prévu la mission ?
— Besoin de renfort sur une autre mission pour laquelle mon profil
senior est primordial. Mais ne t’inquiète pas. On est pratiquement à la phase
finale et je partirais en bouclant un maximum de points. Puis si besoin toute
l’équipe de consultants reste la même. Il n’y a que moi qui suis dépêché
ailleurs.
Il se rassit sur le siège devant lui et invita Zoé à en faire de
même. Elle s’exécuta et se trouva bien plus proche qu’elle ne l’avait jamais
été. Toutes les fois, où elle resta seule en sa présence, elle avait
soigneusement évité d’être si près de lui, leurs jambes se frôlant et leurs
épaules se heurtant presque.
— Ok, donc aujourd’hui comme tu le sais on en est aux phases de
recette.
— Recette ?
— Phase de test, on s’assure que tout est fonctionnel. Voici le
détail.
Djibril ouvrit un tableau Excel avec différentes actions et
fonctionnalités à tester.
— C’est un peu barbare, si besoin Ludovic pourra t’aider sur ce
sujet. Normalement, il est déjà briefé et te fera un reporting régulier.
— Donc en principe ça devrait aller non ?
— Oui…normalement ! Si ce n’est pas le cas, je me ferais pardonner
autour d’un dîner, promit-il un large sourire aux lèvres.
— Fais gaffe, Nicolas est un gros mangeur, il se pourrait qui te
sucre ta paie du mois, plaisanta Zoé.
— Je ne pensais pas inviter Nicolas…
— Il vaudrait mieux, c’est lui le DRH et c’est celui qui vous paie
généreusement.
— Dis-moi ça te fait plaisir de casser les délires ?
— C’est une seconde nature chez moi.
— Bon de toute façon comme tout se passera très bien je n’aurais
pas à me faire pardonner donc vous ne serez pas obligés Nicolas ou toi de dîner
en tête à tête avec moi.
— Parfait alors !
— Tu me détestes à ce point pour ne même pas supporter l’idée de
dîner avec moi ?
— De quoi tu parles ?
— Je vois bien que t’as un problème avec moi.
Il avait détourné son regard de son ordinateur pour le poser sur
sa voisine. Zoé eut envie de disparaître sous son siège. Elle l’avait d’abord
fixé longuement puis feignit de chercher un document pour se dérober à ses yeux
inquisiteurs.
— Bien sûr que non, je n’ai aucun souci avec toi, se
défendait-elle les yeux rivés sur son écran.
Elle craignait qu’il décèle dans son regard son attirance pour
lui. Elle mit immédiatement ses jambes en retrait.
— J’ai un autre meeting bientôt, je te positionne d’autres points
pour qu’on discute des derniers détails à voir ensemble.
Ils rassemblèrent alors leurs affaires et se dirigèrent vers la
porte. Ils posèrent au même moment leurs mains sur la poignée. Elle sentit
alors un léger frisson parcourir ses membres.
— Excuse-moi, dit-il. Vas-y, je t’en prie.
Il tendit la main pour l’inviter à sortir en premier dans la
salle. Zoé croisa le regard de Djibril. Une petite étincelle, flambant dans son
iris qui attisa en elle un feu ardent. Si elle faisait preuve de courage, elle
tournerait la poignée, refermerait la porte et lui montrerait des heures durant
ce que signifiait s’éprendre de passion
Djibril ouvrit la porte et la laissa passer en bon gentleman. Zoé
avança de quelques pas. Elle se retourna lorsqu’elle arriva à la hauteur de la
machine à café. Djibril était toujours planté devant la salle de réunion et
l’observait s’éloigner dans le couloir. Elle pouvait distinguer au loin le
sourire qu’il lui avait adressé. Il savait que Zoé ne disparaîtrait pas sans
lui jeter un dernier regard.
Zoé eût à peine le temps d’encaisser la nouvelle que Djibril en
était déjà à son dernier jour chez Milagro. Il avait pour l’occasion ramené le
déjeuner. Des viennoiseries, des jus de fruits et des bonbons recouvraient le
buffet central de l’open space attirant les collaborateurs comme des mouches
sont attirées par le miel. Ils s’attroupèrent autour des douceurs pour
satisfaire leurs panses. N’apercevant pas encore Zoé, Djibril se rendit à son
poste. La jeune femme tapait frénétiquement sur son clavier.
— T’inquiète, j’arrive tout de suite, je finis juste une présentation,
s’empressa d’ajouter Zoé qui avait senti quelqu’un dans son dos.
Djibril, sans un mot, saisit alors sa main et tenta de la déloger
de son siège.
— Non non je t’assure, j’arrive dans deux secondes, lutta Zoé qui
tenait fermement son bureau.
— Tu sais que j’ai acheté spécialement des croissants aux amandes
pour toi. Je ne te garantis pas que Nicolas ne s’en soit pas chargé dans deux
minutes. Alors ramène-toi.
— Grrr, grogna Zoé.
L’argument de poids des croissants aux amandes la fit décoller de
son siège.
— Oh je rêve, t’es pire qu’une gosse.
Zoé se contenta de lui lancer un regard noir et de le suivre
jusqu’au festin.
— Comment tu savais pour les croissants aux amandes d’ailleurs ?
— Je me suis renseigné, avoua-t-il en lui lançant un clin d’œil.
Zoé pressa le pas et rejoignit le tumulte au milieu du bureau.
Djibril quitta les locaux de Milagro en début d’après-midi. Zoé en
réunion n’avait pas eu l’occasion de lui dire au revoir. C’est avec tristesse
qu’elle découvrit le bureau vidé et nettoyé de Djibril. Elle ne le reverrait probablement
plus jamais.
Le lendemain matin, Zoé reçut un mail de Djibril dans sa boîte professionnelle.
Bonjour à tous,
Je suis un peu parti comme un voleur, vendredi dernier, je vous
propose donc de nous retrouver autour d’un verre le 27 février au Studio
Z à partir de 19h.
En espérant tous vous y voir,
Excellente journée,
Djibril
Il voulait donc la revoir. “T’emballe pas ma pauvre, il a envoyé
le mail à une bonne partie du service, il y a même Nicolas” se raisonna-t-elle.
Elle était heureuse de faire au moins partie des quelques privilégiés qu’il
souhaitait retrouver. “Plus que trois jours à tenir” poursuit-elle. Elle avait
hâte.
Zoé s’était reprochée son manque de courage. Edna lui en avait
également voulu et l’avait à maintes reprises taxée de dégonflée. Elle l’avait
sermonnée, ce pot de départ était sa dernière chance de séduire Djibril.
Son aubaine arriva assez vite. Le jeudi matin malgré un froid de
canard, elle mit une jupe en similicuir qu’elle porta en taille haute, un
chemisier blanc. Histoire de choper uniquement Djibril et pas une pneumonie
avec, elle prit la sage décision d’enfiler un blazer vert.
Zoé était tellement impatiente que la journée s’écoule lentement.
Elle ressentait chaque seconde de chaque minute de chaque heure. Après avoir
levé les yeux vers l’horloge, un millier de fois, cette dernière afficha enfin
18h15. C’est à cette heure précise que Nicolas débarqua au poste de Zoé.
— Tu viens au pot de Djibril ce soir ? Tu ne manquerais pas
une occasion de le voir !
— Pardon ?!! Qu’est-ce que tu as dit ? demanda Zoé les yeux
écarquillés. « Il n’a pas osé » pensa-t-elle.
— Euh…j’ai dit tu ne manquerais pas une occasion de boire.
— Ah…j’avais mal compris, reprit Zoé en souriant pour calmer
le jeu. Oui oui je viens. poursuivit-elle. Vous partez maintenant ?
— Ouais on va pas tarder comme c’est au bout du monde ici.
— C’est juste à Paris. C’est nous qui sommes au bout du
monde ! Quand vous êtes prêts à partir tu me préviens.
Il approuva d’un léger signe de tête et tourna les talons pour
retourner à son bureau. Sentant le départ proche, Zoé partit dans les toilettes
se refaire une beauté. Elle se repoudra le nez, remit une couche de mascara, de
rouge à lèvres, resserra son push-up et se recoiffa. La jeune femme avait
littéralement caché un vanity beauté dans son sac à main.
Un quart d’heure plus tard, la petite équipe de Milagro convié au
pot de départ de Djibril démarra des locaux. Elle arriva au bar aux alentours
de dix-neuf heures. Le Studio Z était un temple du narcissisme à l’état pur.
Des centaines de miroirs revêtaient les murs du bar. De nombreux photobooths
avec des thèmes différents étaient mis à disposition pour se prendre en photo.
Chaque coin est agencé comme un studio photo professionnel avec des décors
irréels. Les coins sont tantôt bleus, puis verts, rouges et même roses. Dans
l’objectif du Studio Z, Zoé avait le sentiment d’être dans la peau d’un
mannequin. Elle retira son manteau et balaya la pièce des yeux à la recherche
de Djibril. Il était au bar, un cocktail à la main, en pleine discussion avec
deux mecs de sa boîte probablement. Il aperçoit l’équipe Milagro et se dirige
vers eux tout sourire.
— Nicolas, Zoé ! Je ne pensais pas que vous viendriez, ça fait
plaisir.
Il fit la bise à chacun d’eux. Elle huma la délicieuse odeur
boisée nichée derrière son lobe.
— Il y a deux cocktails sympas pour nous : un à base de gin,
Ginger beer et citron vert et pour ceux qui ne boivent pas d’alcool un virgin
mojito. Tout est au bar ! Profitez-en la première tournée est pour moi.
Il eut à peine le temps de finir sa phrase que Nicolas et les
autres membres de l’équipe se ruaient déjà vers le barmaid laissant Zoé et
Djibril seuls.
— Tu ne veux rien boire ? Je l’ai dit c’est moi qui invite.
— Hum je me laisserai bien tenter par le cocktail à base de ginger
beer.
— Je savais qu’il allait te plaire.
— …
— Est-ce que je l’ai pensé parce que t’es noire ? Oui j’avoue.
Mais je crois t’avoir entendue t’énerver contre le japonais qui ne t’avais pas
livré le gingembre avec le wasabi la dernière fois.
— Oh merde c’est vrai, avoua Zoé qui se cacha derrière sa main en
repensant à ce moment gênant.
— Je suis content que tu sois là, je n’étais pas sûre que tu
acceptes de venir. D’ailleurs, j’ai fait exprès d’inviter les autres pour que
tu ne sois pas gêné.
Zoé laissa échapper un léger sourire et regarda ses bottines.
— Bon bouge pas, je vais te chercher le cocktail.
Djibril revient quelques instants après un autre verre à la main. Zoé
en but une gorgée et fut immédiatement séduite. Il faut dire qu’elle voue un
amour inconditionnel au gingembre sous toutes ses formes.
— Pas mal hein ?!
— Putain ! Il est vraiment bon.
— On ne m’en a dit que des bonnes choses.
— Tu ne l’as pas goûté ?
— Non j’évite l’alcool.
— Hum, t’évites l’alcool ou tu n’en bois carrément pas ?
— Oui t’as bien compris, je n’en bois pas du tout.
— Allez juste une goutte, un petit verre de vin. C’est pas ça qui
t’empêchera d’aller au paradis. Qu’est-ce qu’ils peuvent être lourds parfois !
Ils ricanèrent tous les deux
— T’as tout compris ! Chez Milagro vous n’avez pas l’air d’être de
gros fêtards alors que chez VWC tout est bon pour se prendre une cuite. Les
chiffres, les afterwork, les pots…. Alors quand tu ne bois pas, il faut
constamment te justifier. C’est lourd à la fin.
— Je comprends ! Dieu merci pour les virgin mojito alors ! Tu peux
donner l’illusion au moins.
— Grave ! Sinon toi ça va ?
— Oui rien de fou dans ma vie, tu sais la routine quoi !
Métro-boulot-dodo !
— On a bossé ensemble sur un projet mais je me rends compte que je
ne sais rien de toi. Je ne connais même pas ton âge.
— Si tu sais que j’aime les croissants aux amandes, le gingembre…
— Ouais normal parce que je me renseigne toujours sur ce qui
m’intéresse.
— Est-ce que ça veut dire que je t’intéresse un petit peu ?
Djibril n’eût pas le temps de répondre. Un collègue de VWC,
visiblement éméché, enroula son bras autour de son cou.
— Hey Djibril, on va se faire un billard avec les mecs, ça te dit
?
— Non ça ira Ludo, merci !
Djibril tentait tant bien que mal de reculer sa tête afin d’éviter
l’haleine alcoolisée de son collègue. Une inspiration de celle-ci suffirait à
dépasser le taux d’alcoolémie autorisé.
— Allez fais pas ta mijorée. Maintenant que t’as gagné, tu ne veux
plus jouer t’as peur de te faire fumer ?
— Désolé Zoé mais j’ai une réputation à tenir. J’en ai pour dix
minutes. Tu ne t’enfuis pas hein ?
Zoé fit un léger signe de tête. Djibril et son collègue se
volatilisèrent dans la cohue. Zoé, esseulée au milieu du bar, regarda son
verre. La jeune femme avait littéralement descendu son cocktail. Elle rejoignit
ses collègues au bar pour s’abreuver de nouveau. Zoé jetait constamment un coup
d’œil à sa montre. Dix minutes passèrent et Djibril n’était toujours pas
revenu. Elle regarda de nouveau sa montre. Voilà vingt minutes qu’elle
attendait son retour et toujours pas de signe de lui. Ce ne fut qu’au bout
d’une heure qu’il réapparut, chemise déboutonnée. Il avait visiblement passé
soixante minutes à défendre un titre.
— Écoute, je ne vais pas tarder à rentrer j’habite assez loin et
je ne dois pas traîner.
—Attends, pas si vite, on n’a même pas eu le temps de finir notre
discussion.
— Tu m’avais dit dix minutes, t’es revenu au bout d’une heure. Je
suis crevée.
Zoé tenait déjà son sac à main au bras et avait enfilé son manteau
prête à partir.
— Reste plus longtemps et je te dépose chez toi !
— Dis pas de bêtises t’en aurais minimum pour deux heures
aller-retour !
—Si ça me permet de rester plus longtemps avec toi, pas de soucis
! Je pourrais même faire un Paris-Marseille dans la nuit.
Zoé fut touchée mais ne laissa rien paraître. Elle se contenta de
lâcher un petit rictus et retira son manteau. Ils restèrent trente minutes
supplémentaires à s’échanger les confidences entre grignotements et cocktails.
Les derniers survivants désertèrent peu à peu le bar. Heureusement, il ne
restait plus personne de Milagro et le reste des consultants bossant sur le
projet Talk était bien trop saouls pour remarquer que Djibril et Zoé repartaient
ensemble.
— Bon je te préviens direct, mes potes trouvent ma voiture pourrie
mais moi c’est mon petit bébé. C’est ma première voiture, je l’ai payée à la
sueur de mon front, c’est ma petite fierté.
— Pas de soucis, j’en ai vu des voitures pourries dans ma vie.
Djibril s’arrêta aux côtés d’une Citroen ZX rouge bordeaux. Malgré
son âge très avancé, elle paraissait en bon état.
— Elle n’est pas pourrie ta bagnole, souffla Zoé qui était quelque
peu rassurée.
— Ouais mais tu sais de nos jours dès que t’as pas une Audi ou une
merco ta voiture c’est de la merde.
Djibril paramétra le GPS. Il crut s’étouffer quand celui-ci
annonça plus d’une heure de route pour déposer Zoé chez elle.
La voiture se stoppa à un feu rouge. Djibril pencha sa tête du
côté droit et dévisagea Zoé. Elle se toucha le nez.
— Quoi ?
— Oui !
— Quoi oui ?!
— J’ai pas répondu à ta question tout à l’heure, alors je te
réponds maintenant. Oui tu m’intéresses. Et pas qu’un peu, avoua Djibril.
Le cœur de Zoé battait si fort qu’on en ressentirait les
pulsations à l’autre bout de la capitale. Elle ne lui répondit pas, affichant
un sourire béat qu’elle garda tout le long du trajet. Ils profitèrent de
l’heure de route pour en savoir davantage l’un sur l’autre. Lorsqu’ils arrivèrent
au bas du bâtiment 40, Zoé connaissait son âge, la ville où il avait grandi,
son amour pour GTO, ses samedis matin consacrés au match de foot avec ses potes
d’enfance. Il était garé depuis cinq bonnes minutes et Zoé n’avait aucune envie
de descendre de sa voiture. Ils se regardèrent en silence. Il caressa alors sa
joue, lentement, puis fit parcourir son pouce sur ses lèvres. Il s’approcha et
l’étreignit. Zoé retint son souffle et s’enfonça dans son siège à mesure que
son assaut se faisait plus pressant. La fragrance épicée qui se dégageait de
son cou enivra Zoé. Elle resterait des heures accrochées à son col pour humer
ce doux parfum. Djibril déposa ses lèvres sur les siennes et l’embrassa
langoureusement. Elle s’abandonna complètement dans ses bras. Elle sentit toute
force quitter ses membres un à un. Djibril relâcha son étreinte. Il lui donna
un baiser sur le front et s’adossa à son siège. Il tendit de nouveau sa main
pour glisser ses doigts sur ses pommettes. Zoé saisit sa main la pressa contre
sa joue et la retira.
— Il faut que j’y aille ! Vraiment !
Elle ouvrit la portière, s’apprêtant à sortir de la voiture.
— Zoé, l’interpella Djibril
Elle tourna la tête.
— Je veux te revoir, avoua-t-il.