80: Ah ils ont peur champi, ça tremble

Write by Gioia

 

***Axel Sani***

Je suis au comptoir pour régler le restant de la facture tandis que les autres font le show comme s’ils étaient dans leurs salons. Les sauvageons sont réellement de sortie, soupirai-je devant le spectacle de mes frères et ses amis qui se déchaînent sur la piste qu’ils ont créée un peu plus tôt. Il sonne minuit bientôt, nous sommes toujours au Snack «les petits mets de Jen» et l’alcool commence à sortir en pagaille. Ce n’est pas mon argent qui finance ça en revanche. Il paraît qu’avant son départ, Eben a glissé quelque chose à cet effet à la propriétaire. C’est également elle qui a autorisé les jeunes à bouger les tables pour se faire une petite piste de danse. Mais bien sûr après le départ des invités. Ezra a même connecté son téléphone aux haut-parleurs et c’est sur sa playlist qu’évoluent certains de leurs amis. D’autres sont debout de part et d’autre dans la salle et papotent. Parmi ceux qui papotent se trouve Macy. Elle est assez loin pour que mes yeux dessinent ses courbes sans me faire prendre et assez proche pour que je puisse lire de temps en temps sur ses lèvres pulpeuses, quelques mots qu’elle prononce.

Je prenais mon reliquat quand la musique est passée d’un rap cru à un zouk langoureux. Le mari de madame Jennifer qui était arrivé quelques minutes plus tôt entraîne sa femme sur la piste sous les acclamations de la petite foule. Elle qui protestait avec humour au début a posé sa tête sur le torse de son homme et les deux se sont mis à évoluer, tout en s’échangeant de temps en temps de légers bisous comme s’ils étaient seuls dans leur petit univers. D’autres aussi dansent sur «Ne rentre pas chez toi ce soir», mais c’est le couple Bemba qui me donne une envie qui n’a pas son pareil. On sent de l’amour adulte, de la maturité, de la complicité. Que c’est beau d’avoir et inspirant de partager une telle intimité avec un autre humain. J’ignore si mon regard cherchait celui de Macy mais il l’a croisé et l’envie que j’y aie lu m’a fait avancer avant de me questionner. Peut-être que j’ai même inventé cette envie dans son regard mais je suis déjà devant elle. Le pire qu’elle puisse faire c’est me dire non.

– Je ne suis pas un excellent danseur mais je promets d’éviter tes pieds si tu permets

– J’éviterai les siens aussi, dit-elle après un rire mélodieux

J’envoie une prière silencieuse à Axelito pour qu’il ne me foute pas la honte en essayant de se lever contre le bas-ventre de la fille de mes rêves. Je compte savourer cette danse, si c’est la seule que j’aurais d’elle.

***Macy Wiyao***

C’est dur de danser contre lui et ne pas le regarder. À chaque mouvement, je transfère ma tête d’une de ses épaules vers l’autre. Et il n’aide pas quand il bouge des fois juste après moi et sa barbe naissante me frotte la peau.

– Pour quelqu’un qui disait ne pas bien danser, tu évites bien mes pieds

– C’est parce qu’ils sont trop jolis pour que je marche sur eux, il me surprend en répondant

– Comme si tu les avais déjà vus, répliquai-je amusée

– Jolie comme tu es, tu ne peux qu’en avoir des mignons

– Axel, chuchotai-je, en détachant ma tête pour la mettre sur l’autre épaule, mais il retirait aussi la sienne. Résultat, je me retrouve enveloppée dans ses pupilles dilatées. Ça ne peut pas être l’effet de l’alcool non? Parce qu’il en a certes bu mais peu. Et moi qui ressens de sévères crampes dans le bas-ventre alors?

– Macy, il prononce tout près de ma face, me renvoyant une haleine légère de champagne et le temps que ses lèvres effleurent les miennes, le rêve se brise. Romelio d’une main sur mon épaule me ramène à la réalité. Alex est tout aussi confus que moi. Et je remarque que la musique n’est plus langoureuse. En fait il n’y en a même plus et certains nous observaient.

– Ta playlist de merde là devait finir maintenant? Il y était presque, dit un de ses frères et certains rigolent tandis qu’Axel les traite de cons tout en leur demandant de s’activer parce qu’ils vont rentrer.

Je suis juste mortifiée donc je ne demande pas mon reste avant de m’éclipser dans les toilettes et d’y rester assez longtemps pour qu’une des serveuses vienne m’apprendre que Romelio m’attendait pour rentrer.

Je ne pipe pas un mot sur le trajet, pendant que le couple discute de leurs affaires. Mes pensées sont mélangées et je me sens honteuse.

– Si tu es fâchée, je peux le frapper pour toi Macy, me dit Jen, me ramenant avec eux

– Fâchée?

– Si j’avais su qu’il allait intervenir c’est que je l’aurais retenu, s’explique-t-elle

– J’ai fait mon travail, Macy même le sait, fâchée ou pas

– Ton travail c’est de déranger les jeunes hein, je plains nos filles, rigole-t-elle

– Oui il faut les plaindre. On ne va pas les embrasser devant moi sans présentations officielles

– Parce que tu t’étais présenté à quelqu’un avant de m’embrasser toi?

– Ta tante et ton oncle me connaissaient bien. En plus ma foi, c’est toi qui ne pouvais pas rester loin de mes lèvres

– Regarde-moi le mensonge, dit-elle avec humour. En tout cas, je le tiendrai comme il faut la prochaine fois Macy, compte sur moi

– ça ne sera pas nécessaire, répliquai-je du bout des lèvres

J’avais fait un sac pour passer un peu de temps chez les Bemba Junior, donc je le sortais et m’apprêtais à filer dans la chambre d’amis quand Romelio m’a demandé une petite minute. En général c’est un bon blagueur mais quand il est sérieux, tu n’as pas besoin qu’on te le dise. Il a presque une aura de papa. Sa femme nous souhaite bonne nuit tout en montant dans leur chambre. Je m’installe comme un enfant qui a fait une connerie, tandis qu’il s’assoit sur leur table à café et croise les bras.

– Je voulais m’expliquer pour qu’il n’y ait pas de malentendus entre nous. Je sais que tu as des petits soucis de couple actuellement mais sauter sur un autre homme, même si ça semble tentant, ne fera que compliquer ton cas

– Oh non je t’assure, je n’allais pas lui sauter dessus, me défendis-je avec force

– C’est qu’il allait le faire Macy, l’un d’entre vous en tout cas allait sauter, il dit et le pire c’est que je ne peux pas le nier. J’ai bel et bien senti, ce désir charnel courir dans mes veines. Eh, je ne suis pas en train de te juger mais te prévenir, ajoute-t-il sur un ton doux, quand il me sent aux bords des larmes

– J’aime Seb, on a des pépins et actuellement j’essaie de lui donner une leçon mais c’est lui que j’aime. Je n’en ai jamais douté. Pourquoi tout d’un coup je suis attirée par un autre mec, au point de.. de…

– Chut, me berce-t-il en me prenant contre lui. C’est encore frais. Laisse-toi cette nuit, pour te reposer et demain tu pourras y songer à tête reposée. Tu en penses quoi?

La gorge serrée par la déception je ne peux que hocher la tête avant de me réfugier sous l’eau froide de la douche quelques minutes plus tard. La preuve de ma potentielle trahison était là dans mon string, et sous cette eau froide je suis en train de trembler. Pourtant je ne peux dire que c’est totalement à cause de la température. Une partie de mon corps frémit encore comme s’il était contre celui d’Axel. C’est quoi cette connerie?

***Axel Sani***

Je refuse que la honte me gagne même si elle lutte. Est-ce que M Bemba nous a interrompus parce qu’on allait se donner en spectacle ou qu’il ne veut pas que je sois proche de sa cousine? Tant de questions sans réponses. Heureusement, les jeunes ne m’ont pas saoulé à vouloir se rendre en boîte de nuit. Nous sommes rentrés en taxi à la maison et ils ont directement filé dans leurs chambres respectives. Lessivé comme j’étais, je n’ai pas fait mon tour habituel dans la chambre des parents pour m’assurer que papa n’ait besoin de rien. Il y’avait une boîte de pizza sur la table à manger, signe qu’il s’est gâté et je fais confiance à Eben de toute façon. Je m’endors comme un loir dès que mes fesses touchent le lit.

Je me lève toujours tôt le dimanche pour la messe donc ce ne fut pas différent cette fois. Je passe réveiller les roupilleurs mais aucun ne veut se magner du coup je vais chez papa mais il n’est pas au lit.

– Jeanne?

– Oui monsieur, répond-elle depuis le salon qu’elle arrangeait

– Où est mon père?

– Euh, je sais pas

– Comment ça tu ne sais pas? Il n’est pas dans son lit

– Euh… c’est que…, dit-elle nerveusement

– Eben l’a ramené hier oui ou non?

– Oui oui, il l’a ramené

– Alors? dis-je paniquant, et je me rue vers mon téléphone pour appeler mon cousin

– On a le temps que je pique une tête dans la piscine frangin avant le church? me demande Allen

– Ah va, lui dis-je nerveusement tout en pianotant le numéro de tonton Gaëtan en premier avant de demander à Jeanne si ce dernier était passé ce matin

– Personne n’est…

Un cri strident nous revient depuis l’arrière de la maison. Nous courrons ensemble et c’est mon frère qui essaie de tirer de l’eau un corps. Le corps de mon père. Je me jette dans l’eau sans réfléchir et tire papa avec lui. Les larmes m’embrument la vision tandis que Jeanne se met à crier qu’Allen le supplie et alterne compressions thoraciques ainsi qu’insufflations pour rétablir sa respiration.

La raideur de son corps, ses yeux mis clos et vitreux ainsi que son apparence physique me communiquent un message que mon cerveau refuse d’accepter. Ezra nous retrouve et lui aussi crie avant de s’empresser vers nous.

– Papa, Papaaaaa ouvre les yeux! les deux crient tout en le bougeant dans tous les sens

Tétanisé que je suis, je n’arrive pas à décoller mes yeux de son visage. Hier seulement il me conseillait. Juste hier. Je hurle ma douleur tout en le secouant aussi.

Trois heures plus tard, j’ai l’impression que le monde autour s’écroule. Nous avons conduit papa à l’hôpital où il était suivi et ils n’ont fait que confirmer mes soupçons. Martin Sani n’est plus. Il est mort par noyade. Comment je vais l’annoncer à maman? Elle nous l’avait confié en…

– Putain de merde où étais-tu? Ezra dit en tenant Jeanne par le col

Allen et moi bondissons pour le tenir mais il ne fait que se débattre, pendant qu’elle pleure et s’excuse.

– Nous n’aurions pas dû sortir hier, se blâme Allen

– Ce n’est la faute de personne ici les gars, nous allons…

– Non? fait Ezra en rage. Un homme qui se déplace en fauteuil roulant tombe dans une piscine tout seul?

– Ezra arrête, je t’en prie

– Merde à la fin! il sanglote avec haine et donne un coup dans le mur puis quitte en fracas la salle d’attente de l’hôpital où nous étions

Je ne peux y arriver seul, donc j’appelle tonton Gaëtan ainsi qu’Eben à la rescousse. C’est le dernier que nous trouvons en premier une fois à la maison.

– Mais il allait très bien quand je l’ai laissé hier. Oh Seigneur, mes condoléances Axel, prend courage, me console-t-il alors que je nettoie furieusement mes larmes

J’apprécie le fait qu’il ne m’ait pas demandé de raconter avant l’arrivée de tonton Gaëtan. Une fois que nous sommes ensemble incluant Jeanne, nous leur relatons les faits.

– Nous sommes rentrés ce petit matin vers une ou deux heures, et chacun s’est couché. Je pense m’être levé aux alentours de sept heures pour réveiller les autres afin qu’on se prépare pour la messe. C’est là que j’ai noté l’absence de papa. Allen voulait nager un peu et…

– Je suis arrivé dans la cour et le corps de papa flottait au-dessus de l’eau, complète mon frère d’une voix enrouée tout en nettoyant ses larmes avec le kleenex qu’Eben lui avait donné

– Eh Seigneur Jésus, c’est quel genre de malheur ça? Jeanne tu étais où quand tout ça s’est passé? l’interroge Eben

– Monsieur je… moi… je comprends pas s’il vous plaît. Monsieur s’est couché hier et je suis partie aussi dans la chambre. C’est le matin quand je faisais le ménage que patron Allen a crié et nous avons vu monsieur dans l’eau

– Je n’ai pourtant pas acheté de pizza à tonton hier, nous dit Eben

– C’est cette sale menteuse! Je vous ai dit qu’elle sait quelque chose, l’attaque Ezra

– Fiston, essayons de nous calmer, ça ne sert à rien de lancer les accusations fortuites, tonton Gaëtan essaie de le raisonner

– On l’a pris ici pour qu’elle s’occupe de mon père et voilà le résultat! J’exige des explications! insiste-t-il

***Jeanne Ekoue***

Je me jette à genoux et implore leur pardon, tout en suppliant du regard tonton Gaëtan de me sauver. Eh Monsieur Sani! Qu’est-ce qu’il est parti faire à côté de la piscine? En plus j’avais dit à George qu’on devait vite rentrer mais il voulait seulement me toucher les seins, donc je… je l’ai laissé faire un peu. Mais la peur d’être dehors à l’heure là ne m’a pas encouragé à le laisser aller plus loin. C’est d’ailleurs fâché qu’il m’a déposé avant de repartir. Voilà les problèmes qu’il a ramassés sur ma tête. Je n’ai pas osé dire la vérité aux garçons, par peur qu’ils m’accusent réellement.

Dieu merci tonton Gaëtan a réussi à les calmer un peu et j’ai pu me cacher dans ma petite chambre, le temps qu’il vienne me voir.

– Pardon tonton ne part pas, ils vont me tuer oh, je le supplie à genoux quand il me rejoint

– Au lieu de pleurer, redresse-toi et dis-moi tout ce que tu sais, sinon ce que tu crains risque d’arriver

– Hein… , c’est George tonton, moi je voulais pas, sanglotai-je. Il m’a dit que si j’aide son père à avoir un téléphone et l’appeler il va m’aider à voir mon fils. Tonton c’était pour mon garçon eh ah… hum, je ne voulais pas te doubler. Tu sais que je suis ta fille, pitié

– Tu vas voir ton fils comment? Il n’est pas au village?

– Maman l’a emmené en ville, m’informe-t-il ce qui me surprend. Modestine vit dans cette ville avec moi et continue à m’appeler chaque trois mois pour que j’envoie le lait, le sucre, l’huile et quelques conserves? J’envoyais donc tout ça à qui?

– Donc George t’a approché hein. Et quoi d’autre?

– Ça seulement je sais pas tonton. Il venait souvent avec une madame ici, sa maman je crois. Et puis hier là, quand Mr Eben est venu laisser tonton, il a appelé George que de venir. Il a dit qu’il veut manger pizza donc que je devais partir chercher ça pour lui. Maintenant quand je suis revenue, j’ai seulement déposé sur la table parce que j’étais fatiguée

– C’est tout? Tu n’as pas fait un tour là où se trouvait la piscine pour voir?

– J’ai éteint seulement… ah oui, il y’avait la lumière dans le couloir qui emmène à la piscine que j’ai fermée, et puis hein la piscine était fermée, dis-je soudainement quand l’idée me revient.

– Je suppose qu’elle ne l’était pas quand George est passé te prendre?

Je secoue vivement la tête.

– Et tu ne t’es pas dit qu’il fallait vérifier hein

Trop gênée pour lui avouer que George m’avait fatigué avec les caresses appuyées, je secoue uniquement la tête.

– En tout cas, voici ce qu’on va faire. Fais ton sac rapidement, je reviens

– Seigneur Merc…

– Haaa fais seulement ton sac au lieu d’appeler le Seigneur. Quand tu me mentais, tu ne connaissais pas son nom, me dit-il après un juron avant de sortir

 

***Gaëtan Ekoue***

C’est Mireille, j’en suis sûr. Je n’ai pas besoin de savoir comment elle s’y est pris, mais je donnerai ma tête qu’elle y est pour quelque chose. Et si elle a pu tuer le père de ses enfants avec autant de sang froid et précaution, ce n’est pas Jeanne qu’elle va rater, encore moins moi. Elle a peut-être tenté de me doubler, mais elle ne reste qu’une petite fille avec un enfant qui l’attend. Je ne veux pas de mort sur la conscience alors que je me suis lancé dans des affaires. J’arrive à convaincre les garçons de me laisser emmener Jeanne auprès de sa mère pour tirer cette affaire au clair. Ezra est le plus réticent et aurait probablement sorti les poings s’il était seul mais heureusement Axel était là pour le tempérer.

Je conduis Jeanne jusqu’au domicile où sa mère est supposée résider. Cette première affiche fièrement ses dents en voyant sa fille en premier puis le sourire s’évapore quand elle me voit en arrière. Le regard meurtrier qu’elle lance à sa fille par la suite ne passe pas inaperçu.

– Ce n’est pas ma faute maman, monsieur Martin est mort hier

– Yessouuuu! crie-t-elle les mains sur la tête

C’est là que je constate qu’elle a même un ventre. Celui d’une femme qui attend un enfant. Je prends place sur le tabouret qu’elle m’offre et Jeanne lui raconte l’histoire dans les moindres détails.

– Regarde-moi ça, ils ont sacrifié leur père pour l’argent et veulent maintenant le mettre sur ta tête. Gaëtan, dans quoi tu as mis ma fille?

– Tu vas me la fermer et que ça saute. C’est moi qui lui ai dit de se liguer avec Martin peut-être? D’ailleurs tu fais quoi ici et tu continuais à me déranger en quémandant de l’aide? Celui qui t’a mise enceinte ne peut pas prendre soin de toi?

– Quoi? Tu es enceinte maman? s’étonne sa fille

– Je ne suis pas enceinte, et ce que je fais ne te regarde pas Gaëtan

– En tout cas, j’ai fait ma part. Bonsoir à vous, leur dis-je avant de prendre congé des deux

Je montais dans mon véhicule quand j’ai reconnu M Attipoé Billy se garer devant cette concession avant d’y entrer. Il m’avait été présenté par des connaissances, parce qu’il voulait se lancer dans une affaire. Je lui avais proposé l’élevage de bovins, mais le monsieur a décliné, prétextant qu’il voulait des vraies affaires et non les choses des paysans. Je m’en suis éloigné, voyant que ce gars n’irait pas loin. Qui ne sait pas que l’élevage rapporte gros quand le financement est constant. Bref Modestine ne fera décidément rien de potable dans sa vie. Je ne préviens pas George et encore moins Ama. Ils ont décidé de faire leurs plans ensemble donc je me tiens à l’écart jusqu’à la fin. Je rentre chez moi et préviens Ama qu’elle ainsi que mon fils n’ont pas le droit de sortir sans ma présence désormais.

– Et pourquoi?

– Parce que je l’ai dit.

– Ah mais j’ai des choses à faire avec Jennifer et…

– Ama si tu veux mourir sort seule mais tu n’emmènes pas mon fils.

– Mais je vais mourir comment?

J’ai fini de parler. Je prends mon oreiller pour aller me coucher dans la chambre de mon fils. J’attends Mireille de pied ferme ici. Qu’elle ose seulement.

***Garcelle Ekim***

Thierry n’était pas à la maison non plus mais quelques affaires à lui avaient disparu donc sans tarder je me suis rendue chez tonton Firmin. C’est cette semaine que la tante de mon chéri a choisi pour voyager avec ses enfants donc j’ai dû rentrer, et poireauter chez moi à me faire du sang d’encre. J’ai même appelé Deno à l’aide mais il ne lui répondait pas aussi. J’ai souffert la misère pendant trois jours avant que le retour de la tante. Dès que j’ai vu cette dernière, j’ai su qu’elle était au courant.

– Donc comme ça c’est toi Garcelle qu’on a vu avoir les boutons d’adolescence qui se permet d’insulter ma sœur chez les gens hein? me dit-elle avec dédain

– Pas du tout tata! C’est la fille là qui se dit sœur de…

– Oh boucle-moi ton clapet au plus vite! Le diable est vraiment proche de nous. Dire que je ne t’ai jamais refusé mon soutien. Et que fais-tu à la première occasion? Tu essaies de piéger mon neveu pour qu’il rentre dans une famille contre son gré hein. C’est bien. Merci de t’être vite révélée

– Tata je t’en prie, toi-même tu as dit que tu me connais depuis l’adolescence. Est-ce que je peux te tourner le dos? Je ne voulais que bien faire mais jamais je n’aurais mal parlé de maman Lucie. Tu sais que vous êtes une famille pour moi, hein, je te demande pardon. Aide-moi, j’ai besoin de parler avec TH et lui expliquer

Elle a la mine toujours renfrognée mais au moins elle finit par décroiser les bras et baisse un peu le ton sur moi.

– De toute façon, je ne peux rien pour toi. Il m’a dit qu’il voulait être seul

– AH tata, plus il reste seul, plus il sera troublé. Il a besoin de moi

– Il n’aurait pas été dans cette situation si tu n’avais pas décidé de jouer aux manipulatrices. Vraiment, je te parle parce que je ne t’ai pas connu comme ça

– Pardon, s’il te plaît, je me suis laissée emporter par les histoires de la fille là, tu sais que mon cœur est mou

– Hum, va, je vais lui parler et te revenir

Je n’obtiendrai pas mieux, je le sais donc je bats en retraite avec la promesse de revenir camper devant sa maison. Si elle ne m’appelle pas, TH va sûrement se pointer chez elle tôt ou tard.

***Vita Andrade***

C’est la deuxième fois que Thierry demande à prendre Lucille d’affilée et cette fois je la lui dépose dans un motel. J’ai rempli son sac de tous les snacks possibles ainsi que des extras de tout, pour qu’elle ne manque de rien. Je monte directement à mon arrivée et sa tête me fait un peu tiquer quand il ouvre.

– C’est quoi cet air? On dirait que tu te remets d’une cuite

– En quoi ça te regarde, coucou mon amour, viens chez papa, il dit et la prend avant de la serrer fort. Je me sens presque de trop mais il faut bien que j’aborde la demande étrange de la mère de Hadeya avec lui donc je me lance

– Il y’a une dame là qui prétend te connaître. C’est la mère de Hadeya, celle chez qui j’étais à Lomé et qui a envoyé plein de cadeaux à la naissance de Bouba

– Encore des Togolais, tu t’y mets toi aussi, dit-il après un rire dérisoire

– OK? Donc je lui dis quoi?

– Je ne sais pas Vita, peut-être vous pouvez tous aller vous faire foutre, qu’en penses-tu?

– J’en pense que tu as l’air de délirer. Tu fous quoi dans cet hôtel d’ailleurs?

– Tu ne te mêles donc jamais de tes affaires? il me gronde, faisant peur à Lulu qui se met à pleurer

J’anticipe ses excuses avant qu’il ne les prononce et nous cajolons Lulu ensemble, qui au passage a déjà oublié sa frayeur. Maintenant, elle est occupée à essayer de se dégager des mains de son père pour explorer la chambre

– Bon j’y vais. Tu peux la garder pour la journée si tu veux, annonçai-je

– La journée? Tu me fais confiance comme ça?

– Fallait bien tôt ou tard non. En plus je prépare un concours donc je dois aller à la bibliothèque

– Ouais fallait commencer par la seconde raison, ça te ressemble mieux

– Hoo c’est que tu es ronchon aujourd’hui

– Tu serais comment si tu apprenais que la famille que tu aimais et regardais avec fierté ne s’avère pas être la tienne?

C’est tellement sorti de nulle part que je ne sais pas quoi répondre, donc j’écoute et me déplace tout doucement vers la chaise dans la chambre. Une heure de moins d’études ne me fera pas foirer le concours.

– Imagine que Lulu ne soit pas vraiment une Ndouo. Ou que tu te lèves un beau matin et qu’on te dit que paï n’est pas ton père

– J’en serais folle, c’est lui qui a forcé pour que je m’appelle Henrietta. Il a forgé mon identité depuis petite

– Tu me comprends toi, dit-il avec un air misérable. Je ne voulais pas rencontrer ses gens. Parce qu’une partie de moi s’accrochait fortement à l’idée que tout ceci n’était qu’une erreur grotesque. Mais pour une raison inconnue, ils se décident un beau matin de me vouloir dans leurs vies et je dois accepter? Je dois leur faire de l’espace quand ils n’ont pas trimé pour moi? En quoi c’est normal ou juste? Et tu sais le pire? Je l’ai vu cet homme, avec sa grosse barbe et malgré elle, je l’ai vu. Cette ressemblance était là. Et il paraissait secoué. Il s’est mis à pleurer et trembler comme si à tout moment il allait s’écrouler. Le petit air de ressemblance que je croyais avoir avec Henry Ndouo n’était que dans ma tête. C’est tellement décevant et énervant.

– Je suis désolée, dis-je après un long silence

– Tu es désolée que quoi? Est-ce qu’il y’a mort d’homme?

– J’essaie de te témoigner de la compassion au cas où tu ne l’aurais pas remarqué couillon va, je lui dis et contre toute attente il tombe sur le lit en riant

Lucille qui croit qu’il joue lutte pour tenir sa jambe et se mettre debout. Il se redresse et la porte sur ses jambes.

– Vita Henrietta, il n’y’a que toi pour témoigner de la compassion une seconde puis la suivante insulter les gens

– J’ai du mal à changer, admis-je avec un sourire

– Au moins tu le sais. Va réviser pour ton concours, je ne te retiens pas plus

– Euh tu es sûr? Tu n’as plus envie de parler?

– Pour dire quoi de plus? J’accepte à peine l’idée

 

***Thierry Henry Ndouo***

Elle dit s’en aller puis revient finalement sous prétexte qu’elle ne peut pas me laisser déprimé, comme si quelqu’un lui avait dit ici qu’il était déprimé. Elle est donc restée sur son ordi et ses bouquins, tandis que je jouais avec ma fille. Après avoir fui de Lille sans demander mon reste, j’ai filé chez moi, pris des affaires et loué une chambre dans l’hôtel que ma poche pouvait supporter. C’était ça ou attendre Garcelle à la maison et faire Dieu sait quoi. J’ai encore honte d’avoir serré le cou de cette fille. Je n’ai pas été éduqué ainsi et pap… Henry Ndouo se retournerait dans sa tombe s’il l’apprenait.

J’ai appelé ma tante le premier soir parce que j’avais l’impression d’exploser à l’intérieur avec toutes ses informations. Heureusement, Vita m’a emmené Lulu le jour là, et en une balade avec elle, j’ai réussi à retrouver un semblant de calme. Aujourd’hui encore, elle apporte le calme mais aussi une perspective. Vita est claquée dans son quotidien mais c’est une tête pleine quand il s’agit des études. Elle a toutes ses chances d’être retenue à ce concours et il est hors de question que je me repose sur mon cul pendant que maman offrira le ciel à Lucille. Oui c’est la compétition. Saine compétition. Je veux en faire autant pour mon enfant que sa mère et qu’elle me montre avec fierté à ses amis comme je le faisais avec…. papa… Henry.

– Quand est-ce que cette dame a demandé à nous rencontrer?

– Quoi tu veux y aller?

– Elle dit qu’elle se déplace pour moi principalement ou pas?

– Euh je lui ai dit que j’allais t’en parler en premier

– Je me dis que ça ne me tuera pas de l’entendre, si en plus elle est venue pour ça. Rien ne m’oblige à accepter ce qu’elle me racontera

– C’est toi qui décides Tee

– Tee? Qui t’a permis ça avec tes gros seins là

– Hey, Lucille aura un an bientôt et elle commence à comprendre certaines choses donc attention avec les crasses

– Et c’est la fille qui a les insultes en bouche qui met en garde hein

– Je ne suis pas responsable des choses que tu me pousses à dire

– C’est ça dédouanes toi bien, ironisai-je.

Je suis rentré chez moi le soir là après le départ de Vita et Lucille. Garcelle a presque sursauté quand j’ai ouvert la porte et ses lèvres tremblaient avant même qu’elle ne sorte un mot. Je me suis dirigé dans la salle de bain et c’est sous la douche qu’elle m’a rejoint, nue comme un vers.

– Mon amour, je sais que tu m’en veux, mais permets que je m’explique, je t’en prie

Je ne lui réponds rien. Elle s’avance et trace des arabesques sur mon ventre, avant de se mettre à me parsemer le torse de bisous.

– Je suis tellement désolée, Ida m’a dit que ses parents mouraient d’envie de te revoir et je ne pensais qu’à ton bien. Tu sais, ils sont riches Thierry. J’ai pensé à Vieira dont les charges reposent sur toi, et que tu ne peux envoyer qu’à Kinshasa parce que tu n’as pas les moyens de lui offrir une formation à l’école d’aviation. J’ai pensé à comment tu as souffert dans ce pays, dormant sur un petit canapé, et nettoyant la merde ce vieux chez ta tante. Je ne voulais que le meilleur pour toi. Punis-moi, je l’ai mérité, mais s’il te plaît ne te ferme pas à moi. Nous avons traversé tellement de choses. Je t’ai pardonné ta trahison et accepté ta fille par amour, parce que pour toi je suis prête à tout. S’il te plaît, chuchote-t-elle avant de se mettre à masser ma verge qui durcit entre ses doigts

Je pose ma main sur la sienne et la fait glisser sur ma verge avant de la retirer, puis je ferme le pommeau de douche.

– Je t’ai certes menti, mais te manipuler je ne l’ai jamais fait Garcelle. Je n’ai pas attendu le rond de ses gens avant de m’en sortir dans la vie. Nous sommes arrivés ici, nous les Ndouo par notre volonté et si tu crois qu’elle est à vendre, c’est qu’en réalité ce n’est pas moi que tu aimes. Si tu crois que m’exciter tout en me rappelant ma faute précédente me fera oublier, c’est que tu me connais mal. Très mal.

– Non je ne…

– Je n’ai pas fini. Tu as ouvert ta bouche pour aller raconter une histoire privée que je t’ai confiée parce que tu étais pour moi ma femme. Tu faisais partie de la famille! Mais tu n’as pas songé une seconde à cette famille avant d’aller révéler la vulnérabilité de la femme qui a grandement contribué à l’homme que je suis aujourd’hui. Tu m’as montré que je ne peux pas compter sur toi, et avant même qu’on ne parle d’amour, ce dont j’ai besoin c’est une femme sur qui je peux compter

– Thierry, les erreurs sont humaines, pleure-t-elle

– Certains actes ne sont pas d’erreurs, mais des traits qui révèlent ton caractère, je lui dis avant de quitter la salle de bain

Elle insiste au point où je quitte encore l’appartement et part dormir cette fois chez mon oncle Firmin. Deux jours plus tard, nous rencontrons dans un petit bistro, cette dame, madame Wanke, qui me montre des photos avant de commencer à parler. La ressemblance entre cet homme et moi est encore plus frappante quand je le vois jeune. Heureusement que j’avais appris la nouvelle plus tôt sinon qui sait comment j’aurais réagi maintenant.

– S’ils vous envoient, dites-leur que je préfère continuer ma vie dans mon coin

– Je suis ministre, femme d’un homme d’affaires. Je n’ai aucun mandat à recevoir d’un autre en dehors de mon mari et mon président, réplique-t-elle sur un ton hautain

– OK et que me voulez-vous dans ce cas?

– Savoir comment tu as grandi, car vois-tu j’ai été accusée à tort pour ton Kidnapping. Et tes parents m’ont jeté en prison à cause de ça. Je ne l’ai jamais digéré, et veux retrouver le réel coupable

– Kid… Kid… napper? balbutiai-je

– Qu’est-ce que tu sais sur tes origines au juste? m’interroge-t-elle

Je partage avec elle ce que je sais, et elle en fait de même. Kidnappé? À une fête? Par qui et pourquoi?

– Et pourquoi devrais-je vous croire quand ma mère m’a dit que j’ai été abandonné?

– Qu’est-ce que j’en à faire que tu me crois ou non? Le nom de la ville où tu as été laissé ainsi que le jour? continue-t-elle sur un ton imperturbable comme un policier qui interroge un criminel dont il se fiche complètement

– Je… je l’ignore, je vais demander à ma mère

– Fais donc ça au plutôt, la patience n’est pas une vertu que j’ai

– Euh OK madame

Kidnappé, pensai-je le soir là quand j’étais à table avec mon oncle et ma tante. Je ne peux pas imaginer ma vie si l’on devait kidnapper ma fille. Vita n’a d’ailleurs pas sorti une phrase sur le chemin du retour et dans le train, elle a versé une larme, sous prétexte qu’elle était trop triste. J’aurai 26 ans bientôt et apparemment j’ai été dérobé à deux ans. Vingt-quatre ans dans l’attente, c’est presque… inhumain, mais de l’autre côté, je n’aurais pas eu maman Lucille non plus. Je rallume enfin mon téléphone et reçois plein de notifications. J’ai d’abord besoin de parler à ma mère.

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