89 : Ta famille pleure, et la fête est finie
Write by Gioia
***Océane AJAVON***
Papa n’avait pas besoin
de terrain mais je l’ai supplié et il a promis de me revenir au plus tôt. Le
plus difficile en revanche fut de calmer Elikem et jamais je ne l’ai vu aussi bouleversée.
J’ai conduit pour nous ramener à la maison et durant tout le trajet, elle ne
cessait de pianoter sur son téléphone, tout en se posant des questions rhétoriques
suivies de prières.
Je n’étais pas physiquement
présente lorsque sa sœur a été transférée ici pour se faire opérer suite à l’accident.
Je l’ai certes eu au téléphone mais elle n’arrivait pas à dire grand-chose. Le temps
que je la rejoigne, elle était déjà renfermée dans sa petite coquille. C’est la
première fois que je la vois sans moyens, en proie à la crainte et je comprends
enfin qu’elle aime vraiment ce gars. Pas que je n’y croyais pas avant mais en
tant que sa coloc j’ai déjà entendu certaines de leurs disputes et conclu que
peut-être ils s’étaient habitués l’un à l’autre, et aucun d’eux ne voulait arrêter
après tout ce temps. Mais non. Elle est vraiment amoureuse du gars et bien que
n’ayant pas d’amoureux depuis un moment, j’imagine un peu l’angoisse que je
ressentirais en apprenant que mon père ou Bobby se trouvait dans un endroit
aussi dangereux que la prison. Tant pis pour cette journée de travail, je n’irai
pas. Je ne peux pas la laisser comme ça. J’allais relancer papa quand ce
dernier m’a appelé. Je mets sur HP et nous entendons toutes les deux papa
confirmer qu’il peut préparer le transfert pour Elikem ce soir
— Merci tonton mais
pardon, c’est mieux que ça aille au Gabon, je vais te trouver un contact tout
de suite, elle saute presque sur mon téléphone pour dire
Avant même que papa n’ait
répondu, elle a déjà ressauté sur son téléphone, répétant tiens bon Ray. J’ai
repris mon père pour le remercier pour elle et promets de le rappeler.
— Denola ? Oui est-ce que tu as le numéro de ton père ?
— ….
— Quelqu’un va lui
transmettre le restant de l’argent tout de suite. Il devrait le recevoir dans…
— Trois à cinq jours
au plus, je lui réponds conformément à ce que m’a dit papa quand elle avait
sauté sur son téléphone
— Oui, c’est ça
trois à cinq jours. Comme celui que je t’ai fait. Il a promis qu’il le fera
aujourd’hui-même
-…..
— Non ne me remercie
pas, si seulement j’avais….
— ….
— Tu as raison, ce n’est
pas l’heure aux « si seulement », elle se reprend
— ….
— D’accord, je te
tiens au courant en temps et heure
Et hop, elle passe à un
autre appel. Je pense cette fois que c’est celui qui recevra l’argent.
— Bonjour
M Ekim, C’est Elikem
— ….
— D’accord. S’il
vous plaît, est-ce que je peux avoir le contact de l’avocat de Ray ainsi qu’infos
pour un transfert bancaire ?
— ….
— S’il vous plaît, ne
pleurez pas, on veut tous que Ray soit libéré
— ….
— D’accord, je vous
envoie mon mail par SMS tout de suite. Courage papa, on va s’en sortir
— ….
— Ton papa va le faire
aujourd’hui hein ? il a dit n’est-ce
pas ? elle me demande avec un air tristement
rempli d’espoir que j’en ai un pincement au cœur
— Bien sûr, je lui
ai très bien expliqué la gravité de la situation
— Oh merci, merci,
je vais t’acheter tout ce…
— Arrête Elie, on se
connaît depuis, tu ne m’as jamais rien demandé et je n’ai rien fait de grandiose
— Je te serais à
jamais reconnaissante merci, elle me dit tout en pianotant sur son téléphone. Je
suppose qu’elle envoie le mail en question au papa de Ray.
Le temps qu’elle fasse
ça, je vais en cuisine nous faire des pancakes. J’ai déjà pris mon petit-déj
mais elle rentre de garde donc un petit quelque chose lui fera du bien. Elle me
rejoint pendant que je verse le mélange dans un bol.
— Laisse je vais te
les faire comme ça tu t’habilles en vitesse pour le travail, elle me dit
— J’ai déjà call in
sick au travail. Et les pancakes sont pour toi
— Oh
— Tu ne penses quand
même pas que je vais te laisser seule dans cet état. On va attendre les bonnes
nouvelles et je retournerai travailler
— Oui les bonnes
nouvelles. J’ai appelé l’avocat de Ray qui a demandé que je le recontacte dans
une heure. On aura des bonnes nouvelles, s’encourage-t-elle
— Je compte sur toi
pour lui tirer les poils avec la pince à épiler comme vengeance pour nous avoir
fait peur comme ça hein. Je suis sortie de la maison avec une seule paire de
faux cils, je dis et elle sourit
— Après que je lui
ai cogné la tête pour ne pas avoir demandé qu’on me prévienne plus tôt. Je vais
bien le faire souffrir, elle dit avec un petit sourire. Un peu triste mais elle
sourit. C’est déjà ça.
Son téléphone sonne
encore. Au ton soulagé qu’elle prend en décrochant, je devine que c’est soit l’avocat,
soit Romelio. Après quelques minutes, j’en déduis que c’est le second.
***Andino EKIM***
Trois à cinq jours, on m’a
dit mais je ne cesse de vérifier mon compte bancaire depuis l’appel de cette petite.
On pourra dire que les choses me sont tombées dans la main parce que je ne m’attendais
pas du tout à ce que Ray soit transféré à la prison centrale. Mon plan initial
était juste d’épuiser un peu ses nerfs pour qu’il réclame sa copine. Pendant qu’il
se décidait, je me suis rendu au Nigeria, tout en laissant à son avocat la
consigne de m’informer dès qu’il a du nouveau. Et j’essayais aussi de rassembler
une partie de la caution, afin de garder ma crédibilité dans l’histoire. Bon cet
argent ne viendra pas aujourd’hui, je dois me résigner. Autant dormir mais
avant j’éteins mon téléphone parce que Marcelle ma femme ne cesse de m’appeler depuis
que Denola l’a informé. Un imprévu auquel j’aurais dû penser mais Deno m’a pris
au dépourvu avec sa question et je n’avais pas le choix que d’avouer. Heureusement,
les esprits étaient si troublé qu’il n’a pas eu le temps de me questionner sur
le pourquoi il n’était pas au courant. J’ai déjà une justification. Le bon
vieux « je ne voulais pas vous affoler
surtout que je m’occupais de tout ». La joie que
Ray soit dehors je le pense, sera plus important dans les esprits que mes fichues
explications. Et je suis prêt à parier que mon fils et sa copine sortiront plus
qu’amoureux et unis de cette épreuve. Pourquoi pas un enfant, j’ai envie d’être
papi depuis un moment. Et un héritier EKIM-Laré AW sonne très bien à mes
oreilles. Bon, je me couche.
Le sommeil fut long et
reposant. La première chose que je fais, c’est de vérifier mon compte bancaire.
Toujours rien. Mais j’ai deux courriels qui m’attendent dans ma boîte. Le plus
récent vient de la copine de mon fils. Elle demande si j’ai des nouvelles de l’avocat
parce qu’il n’a répondu qu’une fois et les autres non. Un fichier PDF aussi
était rattaché au mail. Une copie d’un transfert bancaire depuis ECOBANK, d’un
montant de cinquante millions. Le message suivant venait de Denola. Il me dit
qu’il attend une réponse de sa banque pour un prêt d’environ six millions CFA mais
qu’il a déjà envoyé huit millions et poussière venant d’Elikem. Je retourne sur
le message précédent. Cinquante millions, j’ai bien lu. Ce n’est pas tant le
montant qui m’émeut mais la rapidité avec laquelle elle a pu le trouver. Je ne
m’étais pas trompé. Ils sont bien plus aisés que nous, et surtout elle est
prête à tout pour Ray. Je n’ai même plus besoin de dépenser mes douze millions.
J’ai bien envie de dire à Deno d’annuler cette demande de prêt insensé mais lui
dire serait confirmer que j’ai déjà réuni la totalité. Et connaissant mon
dernier garçon, il s’empresserait d’annuler le transfert des huit millions et
poussière d’Elikem qu’il a déjà envoyé. Et hors de question que je perde ça. Déjà
que je compte me contenter de ça d’ici les trois années à venir. Du moins jusqu’à
ce qu’ils me donnent un petit-fils et je relancerai la proposition qu’elle
ouvre sa clinique ici.
Bon, commençons mes tâches
de la journée. Un upgrade de mon billet d’avion premium Economy à business. Je
réponds à Elikem, que l’avocat était au four et moulin hier, pour Ray donc j’ai
moi aussi eu du mal à l’avoir pendant plus de cinq minutes mais que très vite
il la contactera. Et j’en envoie une note tout aussi rassurante à Deno. Je veux
la paix donc hors de question que j’allume mon téléphone pour cette dernière
journée. Je la passe avec ma maîtresse chez qui je dors lorsque je veux de la
discrétion à Abuja. Chez ma famille, tout le monde aime fourrer son nez dans
les affaires des autres.
Elle s’occupe un peu trop
bien de moi, oubliant carrément que je suis quand même un homme de 54 ans
qui n’a plus la vitalité sexuelle que j’exhibais quand je l’ai connu sept ans
plus tôt. C’est le risque d’être avec une jeune mais bon passons. C’est à 16 heures
que je me rends à Nmadi Azikiwe pour prendre mon vol en direction de Libreville.
22 heures sonnent quand l’avion foule le sol gabonais. Le contrôle est vite
fait, les bagages récupérés, et au lieu que le chauffeur m’attende, c’est
plutôt Toni mon fils qui est là. Il prend mes valises, et je prends les
devants, lui expliquant brièvement ce qui s’est passé pendant qu’il nous ramène
à la maison. Au lieu d’ouvrir le grand portail après le klaxon de Toni, mon
gardien sort à la course par la petite porte tandis que Toni baisse les vitres.
— Bonne arrivée
patron. Y’a tonton Gervais qui est venu quand tu es parti à l’aéroport, il a
dit de vite venir au CHUL
Toni appuie sur le champignon
et nous voilà rapidement au CHUL. L’avocat est celui que je vois en premier.
— Qu’est-ce qui se
passe ici ? Gervais est où ?
— Il s’entretient
avec une infirmière actuellement sur le cas de votre fils M EKIM. On m’a dit à la
prison qu’ils l’ont trouvé en train de convulser…
— Comment ça
convulser ? Toni l’interrompt
— Justement, je suis
ici depuis et personne n’a le temps de me répondre. Mais nous allons définitivement…
Je me suis déjà élancé à la
suite de Toni, laissant cet incompétent d’avocat et ses inutiles phrases
derrière.
— Raymond EKIM, s’il
vous plaît, nous sommes sa famille, Toni informe une infirmière à la réception tout
en lui présentant sa carte d’identité
— Hmmm, fait-elle
tout en le cherchant. Attendez, s’il vous plaît, elle nous demande par la suite
avant de décrocher son téléphone. Nous nous éloignons juste un peu, le temps qu’elle
fasse le nécessaire
— Il est pour le
moment en salle d’opération, vous pouve…
— Et pour quelle
raison on l’a conduit en salle ? Il a quoi au
juste ? Toni me devance
— Allez-vous asseoir
M EKIM, on viendra vous informer très vite, elle réitère les lèvres fermées
On a plus le choix. Chacun
de nous se ronge les ongles tout en faisant des va-et-vient. Toni de temps en
temps interroge l’avocat et à chaque question, j’ai la peur au ventre que ce
dernier sorte une phrase totalement différente à la version que j’ai donnée à
Toni de l’affaire. Ce n’est pas le moment de…
— Enfin Tonton
Gervais, s’écrie Toni avant de se lancer aussi la course. Mes jambes refusent
de bouger. Mon cœur s’arrête de battre et ma respiration se fait difficile face
à la tête que Gervais secoue face à Toni. Mon fils recule comme si on venait de
le gifler. Puis avance et se met à secouer Gervais tout en criant des questions.
Je sens la main de l’avocat se poser sur mon épaule.
— Me… mes sincères… condoléances
M E….
Je n’arrive plus à déchiffrer
la suite de ce qu’il dit. Ce n’est pas vrai. Ray… Raymond n’a pas pu… il n’a
pas…. , le côté gauche de ma poitrine me fait subitement mal et fléchir le genou.
L’avocat me rattrape de justesse.
— M EKIM, soyez
fort, je l’entends qui dit m’encourager mais je ne peux pas le croire. Ray n’était
même pas malade. Comment on meurt en si peu de temps ?
***Gervais NDONG***
Qu’est-ce que ce garçon
vient de nous faire comme ça ? Je le voyais
moi-même la veille et aujourd’hui le garde m’appelle en panique qu’en entrant
lui apporter la nourriture, il l’a trouvé convulsant. Sans tarder, j’ai placé
quelques coups de fil pour qu’on autorise son transfert au CHUL et je suis
passé chez mon beau-frère avertir parce que je n’allais pas non plus sortir de
l’argent pour assurer les frais hospitaliers. Au lieu de s’accrocher à la vie,
il a préféré quitter. Selon le médecin, sa pression artérielle était très basse,
et en plus il avait des entailles à l’abdomen. Certaines de surface, d’autres,
profondes. Et vu l’état hygiénique dans lequel il est arrivé, il suppose que
ses plaies étaient probablement infectées, cause du choc septique qui a conduit
à son décès.
Bien triste sort mais
comme je dis, il ne voulait pas non plus s’accrocher, parce qu’il y’a des
prisonniers qui dorment là-bas depuis dix ans, après multiples bagarres et ne
sont pas morts. En tout cas, l’heure est à la consolation donc j’ai passé toute
la nuit au CHUL avec mon beau-frère et neveu. Pas le choix, vu qu’aucun d’eux ne
démontrait aucune envie de s’en aller après leur entretien avec le médecin qui
s’est occupé de Ray. Des questions et lamentations, c’est tout ce qui sortait
de leurs bouches, principalement Toni. Mon beau-frère semblait plutôt absent,
ce que je comprends, c’est son premier fils après tout.
Ce n’est qu’au lever du
soleil que je monte dans mon véhicule en direction de mon domicile. Avant même
d’ôter mes vêtements, je prends le soin d’informer le policier en charge de la
plainte collective contre Ray. Je ferais plus tard mon rapport aux clients qui
m’ont personnellement mandaté. Ah et bien sûr fermer la plainte que Ray a
ouverte avec moi. L’auteur n’étant plus, l’enquête ne mènera plus à rien.
***Océane AJAVON***
Je me réveille subitement
quand je sens mon corps glisser de sa couche. Ça me prend une seconde pour
comprendre le pourquoi je suis sur le sofa au lieu de mon lit. Plus de 24 heures
se sont écoulées depuis qu’Elikem m’a appelé. Cet avocat est vraiment
incompétent. La moindre des choses serait de tenir la personne informée, même
si c’est par message non ? Elikem n’a
pas cessé d’appeler. Ah oui je pense que les seules fois où elle a arrêté, c’était
pour prendre ses parents qui retournaient ses coups de fil. Elle a mentionné
son terrain vendu. J’imagine le savon qu’elle va se prendre par la suite, mais bon
on n’est pas encore là.
Chance que c’est le
weekend donc pas de travail pour moi. Elikem en revanche doit se préparer. Elle
commence à huit heures comme l’indique l’emploi du temps marqué sur notre frigo
mais au lieu de ça, elle est assise dans un petit coin du salon, nez collé à
son téléphone.
— Tu n’as même pas
essayé de dormir ?
— Si je…
— Arrête le mensonge
tu veux, je suis devant toi et je vois tes yeux. C’est pas bon ça Elikem, tu
fais des journées de douze à quinze heures à l’hôpital. En plus papa Eli t’a
promis que le responsable d’Interpol Gabon rentrera en contact avec le papa de
Ray non. Il n’y a rien à craindre
— Je ne crains pas,
je veux juste lui parler, savoir qu’il va bien, dit-elle pourtant d’une voix
que je trouve craintive. Je soupire et me dirige juste en salle de bain pour
pisser un coup. Je finissais de mettre mon dentifrice sur ma brosse quand j’ai
entendu la voix d’Elikem. Je sors donc pour entendre, espérant qu’enfin on puisse
libérer son cœur.
— Oui Mr l’avocat,
oui c’est bien moi Elikem, disait-elle avec le sourire. Enfin hein, ce n’est
pas trop tôt. Couper le cœur de l’humain pour rien comme ça. Je retourne en
douche finir ma chose quand j’entendais mon amie hurler plein de non donc je
sors à la hâte.
— Vous mentez ! Passez-moi Raymond ! elle continue à s’époumoner
— Mais qu’est-ce qui
se passe ? Je ne cesse aussi de lui
demander
— Nooonnnn, elle crie
en sanglots, laisse son téléphone tomber, et s’en va à la course dans sa chambre.
Je suis derrière toujours aussi perdue.
— Elikem, calme-toi
et explique-moi
— hdncdjnvfpnvfhsxsnoqxns,
elle répète tout en sortant en vrac de sa penderie. Elle tire une chaise, monte
dessus pour tirer ses valises en haut de sa penderie. En voulant descendre,
elle a un geste brusque. La chaise glisse, elle tombe avec la valise et se
prend le bord de son lit sur la mâchoire, me faisant crier autant qu’elle.
Je tombe au sol pour la
prendre et elle se recroqueville sur elle-même et se met à pleurer si fort que
mes larmes aussi tombent. Aussitôt, elle se tire pour se redresser et agrippe
la main de la valise qu’elle ouvre et y jette les effets dedans, en dépit de
ses lèvres ensanglantées.
— Ray n’est… pas m…ort,
je… c’est faux ! Je vais… à
libre… ville, elle s’écrie d’une voix douloureuse et je réprime un sanglot
Les minutes suivantes, j’ai
essayé de la raisonner, la toucher mais rien ne fonctionnait. Quand j’essayais
de la toucher, elle ne faisait que repousser ma main. Un côté de sa lèvre
commençait même à s’enfler et vu la coupure elle doit avoir un mal de chien
mais c’est comme si elle ne le ressent pas. Elle n’est occupée qu’à fouiner
partout à la recherche de son passeport. Je fais donc la chose qui me semble la
plus adéquate.
Je sors de sa chambre,
ferme sa porte, sors de la maison et verrouille la porte de l’extérieur, avec
son téléphone en main, ainsi que le sac qu’elle emmène au travail. Il contient son
trousseau de clés, dont celle de la maison et sa voiture. Notre porte ne peut
être ouverte qu’avec une clé, de l’extérieur comme de l’intérieur. Et j’ai son
portemonnaie ici dans le sac, au cas où elle essaierait de sortir par l’arrière.
Elle ne peut pas contacter de taxi et encore moins se rendre à l’aéroport.
Je n’ai pas compté jusqu’à
cinquante qu’elle criait mon nom mais j’ai résisté. Elle a attrapé la poignée
de la porte et s’est mise à la tourner avec force.
— Elikem calme-toi….
— Laisse-moi sortir ! Je dois aller à Libreville voir Ray, il a besoin
de moi !
— Je suis désolée,
je ne peux pas, tu n’es pas en état de…
Elle se met à scander en
hystérie au point que je prends peur qu’elle fasse une connerie donc j’ouvre et
mon cœur se brise en la trouvant couchée au sol. Je multiplie les tentatives
pour la consoler mais elle est anéantie. Ses parents ne sont sûrement pas au
courant sinon ils auraient déjà appelé. Je me dis que si les parents sont en
chemin pour Lomé, ce n’est pas judicieux de leur annoncer une nouvelle aussi
troublante. J’opte finalement pour Romelio mais j’appelle avec le numéro d’Elie.
— Bougnoule tu m’excuses
s’il, attend c’est qui qui pleure là ?
— Ro… melio, c’est Océ…
ane
– Qu’est-ce qu’Elikem
a ? il me demande d’une voix grave
— Ray…, il est
parti et Elie…, je sais pas quoi lui dire ou faire
— Ne fais ou dis
rien, il dit après un long silence. Reste proche d’elle autant que possible, si
tu peux. Tu peux me mettre sur HP ?
— Oui oui, un instant,
dis-je. Voilà, c’est fait
— Elikem, je serais
dans un avion en direction de Libreville le plus tôt possible, on va comprendre
tout ça, s’il te plaît ne nous abandonne pas
***Ida ADAMOU***
Ce n’est certes pas une
méthode réglo mais je n’avais plus le choix. Trois jours maintenant que Denola
a quitté en vrac mon appart et je n’ai aucun signe de vie. Il ne répond jamais
quand je frappe à sa porte. Les dernières nouvelles que Thierry a eues de lui
concernaient son frère, en prison, il semble. Sinon plus rien.
Alors un soir, je suis
allée trouver notre concierge avec une histoire si rocambolesque assortie de
larmes que ce dernier a accepté de m’ouvrir juste pour qu’on s’assure que Deno
n’était pas en danger dans son appart. Je ne dirai pas qu’on l’a trouvé en
danger mais il était sérieusement mal en point. Il semblait un peu désorienté mais
il m’a reconnu. J’ai essayé de lui prendre sa bouteille de Ciroc mais il s’est
faiblement dégagé, manquant de peu de tomber si son sofa n’était pas à côté
pour amortir sa chute. Je m’installe à côté, soucieuse tandis qu’il boit à même
la bouteille, puis rote après un haut-le-cœur.
— Qu’est-ce que tu
fais ici Ida ? bredouille-t-il
— Trois jours, sans
signe de vie, c’était inquiétant. Un souci avec ton frère ? je demande mais au lieu de ça il rigole. Un petit
rire que je trouve sarcastique puis il laisse sa tête retomber contre le dos du
divan
— Tu perds ton temps
à t’inquiéter pour quelqu’un comme moi. Je suis sûr que tu as mieux à faire
— C’est l’alcool qui
parle, tu es une bonne personne sur qui on peut compter et en plus de bonne
compagnie, dis-je et il rigole encore. Cette fois c’est d’ironie.
— Une bonne personne
c’est quelqu’un qui se plaît à insulter et accuser son frère de sang alors que
ce dernier est en prison ? Une bonne
personne c’est quelqu’un qui se permet de ressentir des sentiments pour celui
qui le prend pour un meilleur ami ? Tu es sûr ?
— Quoi ? dis-je décontenancée
— Mon frère est mort,
il ajoute comme s’il ne venait pas de me chambouler il y a une minute. Puis il
boit à goulot pendant une longue minute, au point de tousser et nettoyer ce qui
a coulé sur sa mâchoire. C’est là que je remarque qu’il pleure. Depuis qu’il me
parle, il pleurait ?
— Oui moi mon frère
est mort, il dit en se tapant la poitrine. 31 ans, il n’a rien construit, même
un burger je ne lui ai jamais acheté. Il est mort, tout seul, coupé de tous,
comme un rejeton.
— Je… je suis vraiment
navrée, mes condoléances, dis-je gauchement, mais attristée quand même
— Tiens regarde-le, regarde mon frère, il dit tout en tâtonnant la
recherche de son cell. J’étouffe un cri face aux photos du corps inerte. Tu vois,
mon frère si beau, plein de vie. Regarde ses joues creuses, regarde ses yeux…
— Tu te fais du mal Denola arrête, dis-je en couvrant l’appareil de ma
main
Tête baissée, ses épaules se mettent à trembler, signe que ses larmes sont
devenues des sanglots.
— Je ne… je ne voulais… voulais pas y croire, j’ai harcelé To.. Toni, de
me montr…er, regarde mon Raymond, Dieu, pourquoi ? Je sais que je suis mauvais, mais pourquoi ça ? On réunissait l’argent ? Raymond, nous y étions presque Ray, pardonne-moi,
il sanglote lentement
Je grimpe sur le sofa et j’enroule ses épaules de ms bras. Il se laisse
aller et dépose sa tête dans le creux de mon cou qu’il inonde sans tarder.
***Marcelle EKIM*** (la femme d’Andino)
Pourquoi Andino ne m’a pas averti ? Telle est ma
question depuis que j’ai appris le décès de Ray. Nous aurions pu faire quelque
chose, même si nous n’avions pas d’argent. Je connais un peu de monde quand
même. Mais bon, le mal est fait. Ma famille vient d’être grandement éprouvée et
bien que je ne voulais pas encore laisser Garcelle parce qu’elle me semblait
fragile, je ne peux plus rester à Lille. Nous avons à faire au pays et cette
journée est ma dernière avec ma fille. Je finissais les valises quand elle est
sortie à la course de la salle de bain, la mousse plein le corps et le visage
apeuré.
— Maman j’ai, c’est Ray, il a touché mon ép…aule, elle bégaie
— Pas encore Garcie, je t’ai dit d’avoir la foi et ses idées noires s’en
iront
— Mais jejeje… j’ai senti la main sur moi
— Aucune main ma chérie. On n’a pas bien dormi depuis que la nouvelle
est tombée donc c’est normal que tu sois à cran
— Maman je t’en supplie ne me laisse pas seule, je ne veux pas mourir,
elle pleure après s’être jetée dans mes bras. Je te jure que je n’ai jamais
voulu faire du mal à Ray
— Mais je sais…
— C’est papa qui m’a mis dedans. Il a dit qu’il était au contrôle et
je devais seulement être gentille avec Ray comme lui et sa copine étaient
fâchés
— De quoi tu parles ma fille ? demandai-je
tout en la détachant légèrement de moi
— Maman ne me déteste pas s’il te plaît, dit-elle les yeux larmoyants.
Papa a dit que la famille d’Elikem est nantie mais Ray n’allait jamais nous
faire bénéficier donc il a fait cambrioler la deuxième boutique ainsi que sa propre
marchandise.
Un scénario si glauque venir de l’homme avec qui je partage ma vie depuis
plus de trente ans ? J’ai du mal
à l’accepter, en le voyant là assis. Quatre jours maintenant que je suis
rentrée à Libreville. J’ai dû emmener Garcie avec moi parce qu’impossible de la
laisser là-bas dans cet état. Comme il y’a quand même urgence familiale, elle a
pris un congé au travail. Je n’ai vu Toni qu’une fois depuis mon retour. Andino
m’a dit qu’il s’est isolé dans l’ancienne maison de Ray. C’est pour Denola que je
m’inquiète le plus. Il est à distance et je sais que de tous les enfants, il était
le plus attaché à Ray.
C’est aujourd’hui que je vais voir le corps de Ray à la morgue et en
sortant de là, mon corps entier est révolté. Je fonce dans le bureau d’Andino
sans perdre une minute.
— Comment as-tu pu laisser Ray sombrer dans cet état Andino ?
— Maintenant ça suffit les accusations Marcelle ! Tu ne sais rien de ce que j’ai fait pour qu’il
sorte donc m’accuser…
— Oh tu m’arrêtes ça ! Je connais
tes messes-basses. Braquer ta marchandise ? Tu es tombé
si bas ?
Son regard devient courroucé mais avant qu’il ne réponde, on toque à la porte.
C’est le gardien qui annonce la visite de Gervais.
— Fais-le venir, il confirme au gardien
— On va en reparl….
— Assieds-toi Marcelle. Tu venais pour me demander des comptes, alors
nous allons les régler, il dit, tout en fouinant dans un tiroir
Gervais nous rejoint, s’installe et après salutations il attaque le sujet.
— Bon comme c’est une affaire familiale, je me suis dit que vous
informer était nécessaire. Le capitaine de ma division a exigé qu’on poursuive
l’enquête concernant la plainte de Ray
— Je sais, j’ai eu la visite du chef d’Interpol qui m’a longuement
questionné. Je suppose que c’est lui qui a placé la doléance à ton capitaine, répond
Andino. Je me tiens droite comme un i, le cœur battant à tout rompre, à cause
de l’affolement. Interpol ? Andino nous
a mis dans quoi ça ?
— Ah, bon comme tu sais alors…
— Et tu vas t’assurer de clore cette plainte avant que ce fameux chef ne
mette la main sur le dossier
— Pardon, je ne suis pas sûr de comprendre, réplique un Gervais perdu
qui m’observe aussi
Andino branche une clé à son ordi et après une minute, il tourne vers nous
l’écran sur lequel commence une vidéo. On y voit Adrien, mon neveu. Le fils de
Gervais et ma sœur Olga. Gervais se lève brusquement et lui demande furieux ce
que ça veut dire. Je suis tout aussi choquée qu’il ait en sa possession une
vidéo d’Adrien en plein ébat avec un garçon.
— Je vais faire plus simple. Tu fais ce que tu veux de ce dossier mais
il ne doit pas tomber entre les mains d’Interpol sinon Libreville ainsi que le
reste du monde verra comment ton fils aimait qu’on éjacule sur son visage.
— Comment oses-tu ? je m’indigne
— Oh j’ai ça pour toi, dit-il et joue maintenant un audio. Celui qui
me hante depuis que Denola il y a dix ans m’a avoué avoir fait une connerie. On
l’entend bredouiller comme quelqu’un qui n’a pas tous ses repères.
— Il était saoul. Il a commis une erreur ! C’est ton fils Andino, comment peux-tu me menacer ? je m’écrie les larmes aux yeux
— Et je veux être dans la vie de mon fils et non derrière les barreaux
donc ce que tu sais tu vas le garder pour toi sinon Libreville saura que Denola
demandait conseil à Adrien pour séduire Thierry. Tous vos amis, votre fameuse
église saura que vous avez fait des….
— Mon fils n’est pas gay et il n’a pas jamais demandé conseil pour
séduire Thierry ! Tu n’es qu’un
monstre. Après avoir détruit la vie de Ray tu veux maintenant bousiller celle
des autres ?
— En fait je comprends, dit Gervais qui jusque là, n’avait pas sorti
un mot. Pendant qu’on se fatiguait avec Ray, nous avions le coupable sous nos
yeux et tu t’assurais de jouer au papa impliqué pour l’enfant alors que tu l’as
envoyé là-bas
— Oh vous m’arrêtez vos fameuses prises de conscience hein. Marcelle,
tu as vécu dans cette maison avec nous et je peux compter sur les doigts le
nombre de fois que tu m’as parlé de Ray. Tu t’occupais de tes enfants et j’ai
pris en main Ray. Et toi Gervais, tu n’en ratais pas une avec ta femme pour couvrir
de railleries mon fils. Tu invitais sciemment Toni et Garcie aux célébrations
de vos enfants sans mentionner Ray. Et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres
donc gardez vos leçons
— Je n’ai certainement pas envoyé Ray là où il est, dis-je piquée au
vif qu’il me groupe avec lui. Je souffrais assez de cette infidélité dans mon
couple, donc oui je ne voulais en aucun cas que mes enfants côtoient ce garçon
qu’on m’a imposé. Ce n’est qu’avec le temps que je me suis détendue mais il
était déjà un adolescent. Très renfermé et impoli quand on essayait juste de le
questionner.
— Je ne l’y ai pas envoyé non plus merde ! Tu crois que je voulais voir mon fils mourir ? Il s’indigne et en plus paraît réellement affecté.
Les choses n’auraient pas pris une tournure si tragique si ta famille n’avait
pas fait durant les présentations. Et ta fille ! ta fille que tu as mal éduquée là ! Bref la
balle est dans votre camp. Si je me retrouve derrière les barreaux, vos secrets
que vous pensiez bien gardés seront dehors. Ne pensez pas être plus malins et
toi Gervais, j’ai davantage sur ta famille. À toi de voir
— Compris, Gervais siffle entre ses dents
Je ne fais qu’insulter Andino mais jamais je ne pourrais mettre mon fils en mauvaise posture. Et il le sait. Je ne me suis pas battu pour que Denola aille aussi loin qu’en Australie tout en lui refusant de revenir au pays pour que son abominable secret sorte aussi facilement. Dire que j’avais payé gracieusement celui qui avait enregistré mon fils. C’est ma sœur qui a envoyé des bandits faire peur à ses petits jeunes par la suite, pour s’assurer qu’aucun n’ose sortir cet audio. Andino, pour la première fois je regrette mon mariage.