91:Emotions
Write by Gioia
***Oceane AJAVON***
Je ne suis vraiment pas
paperasse mais alors pas du tout. Pourtant il faut bien notifier l’hôpital où
Elikem travaille que leur interne ne peut pas reprendre le service maintenant,
et ce n’est pas maman Belle que je vais fatiguer avec ça. Toute son attention
est sur sa fille depuis son arrivée il y’a une semaine de ça.
Sinon, quelqu’un veut
bien dire aux États-Unis qu’ils ont une politique merdique en ce qui concerne
les conditions de travail de leurs employés. Un gros pays qui se vante d’être
la nation la plus riche et développé au monde, et sur toute l’étendue de leur
territoire, ils n’accordent que trois jours aux employés en cas de décès d’un membre
de la famille immédiate, et une journée pour la famille éloignée. Heureusement
les lois restent sujettes à interprétation. De longues heures sur les documents
à petite police là et sous la supervision du papounet d’Elikem, j’ai rédigé une
requête de FMLA que j’ai transmis à l’hématologue et chef du département où
elle complète son fellowship. Romelio m’a fait parvenir hier l’acte de décès de
Raymond.
Mon patron est
actuellement en congé, donc je fais office de gérante en son absence. Rien de
nouveau pour moi. C’est son habitude depuis l’an dernier mais au lieu de
m’accorder simplement la promo et le salaire qui va avec, il préfère de gaver
de compliments ou de multiples rabais sur nos services. De toute façon, je
cherche déjà ailleurs. C’est lorsque je vais poser ma démission qu’il essaiera
de s’accrocher à mon talon aiguille pour que je reste. Bref, comme chaque
matin, je fais le tour de nos réservations dans notre carnet de bord en ligne,
passe dans les différentes salles pour m’assurer de la propreté ainsi que de la
présence du personnel, puis je retourne au bureau, pour m’apprêter à la
rencontre avec une femme qui dit pratiquer l’ayurveda. Elle veut nous vendre
ses produits, chose courant quand on a un spa qui prodigue des soins. La
majorité des petites entreprises nous approchent régulièrement pour démarcher
leurs biens. Et chacun dit avoir la prochaine méthode miracle pour avoir une
belle peau, ou rajeunir de dix ans.
J’étais présente de corps
et écoutais de façon distraite, car le cœur n’est pas ici. Nous nous sommes
accordés sur une seconde rencontre, et le temps creux que j’avais avant de
poursuivre mes activités, j’ai décidé de faire signe à Romelio. Ce dernier m’a
appelé la minute suivante.
– Hello, je voulais
juste savoir s’il y’a du nouveau pour l’enterrement là-bas, je lui dis dès
qu’il prend
– Ils sont toujours
secoués ici donc aucune mention de date pour l’instant. Ça va là-bas ?
– Je ne sais pas.
Elle fait des jours sans rien dire et brusquement, elle se met à pleurer. Hier
elle s’est décidée à prendre sa douche après deux semaines sans. Maman Belle
est assise sur un tabouret devant la salle de bain, et brusquement, elle a
crié. Quand je suis arrivée, elle hyperventilait. Pourtant le matin là elle
semblait calme. Enfin je ne sais pas si c’est le mot approprié mais elle était
couchée silencieusement dans son lit. En plus il y’a aussi le fait qu’elle ait
rendu plusieurs fois ses petits smoothies qu’elle accepte au moins de prendre.
Sa mère lui a demandé si elle était enceinte mais elle ne réagit même pas
– Elle ne l’est pas
forcément. Quand sa grand-mère est décédée, elle sanglotait parfois avec tant
de force que son corps rendait le peu dans son estomac
– Mais si elle est
enceinte, je me dis que… au moins, tu vois, elle pourrait s’accrocher à ça ? dis-je sur un ton un peu optimiste, malgré la
peine qui m’habite
– Tu n’as pas tort,
mais ne lui parle pas directement de ça. En tout cas pas maintenant
– Qui a dit que…
– Depuis le temps on
se connaît Annie, comment ça vient dans ton esprit c’est comme ça que tu as
tendance à le dire. Et ce n’est pas le moment de lui donner des espoirs
infondés, parce que si elle ne l’est pas, c’est potentiellement un autre
tréfonds qu’elle peut toucher
C’est drôle de réentendre
Annie de lui. Depuis notre séparation il ne l’a jamais redit, et en dehors
d’Elikem, j’aimais l’entendre de lui. Bref, il y’a plus important.
– OK je ne vais pas
émettre cette option mais si elle l’est réellement, c’est risqué pour elle de
négliger sa santé. Et je n’exagère pas quand je dis qu’elle se néglige. Elle a
fait quatre jours, couchée sur notre parquet à pleurer et s’interroger malgré
mes tentatives pour la réconforter. Ce n’est que Maman Belle qui a réussi à son
arrivée à la tirer de là
– Primo, ne le
prends pas perso si elle ne réagit pas à tes tentatives. J’ai vécu ça avec elle
aussi. C’est un coup dur et traumatisant, tu sais. Je doute que son esprit
accepte la vérité actuellement. Secundo, je vais te faire une proposition
crado, mais si tu peux te faufiler avec elle dans les toilettes et récolter un
peu d’urine. Avec un peu de chance, vu qu’elle n’a pas toute sa conscience
actuelle, peut-être tu…
– Je vais le faire
et comme récompense pour bravoure tu me laisseras gentiment le titre de
marraine ainsi que le choix du second prénom du bébé. On s’entend maintenant
dessus et tu m’envoies une note vocale renonçant officiellement à tes droits
– Lol c’est bien que
tu aies encore de l’humour
– Si on ne se bouge
pas le cul pour sortir de la peine avant elle, comment on pourra la tirer de là ?
– Qu’est-ce qui
t’arrive là ? Tu es déjà trop sage
– Dois-je te
rappeler qu’on est dans la trentaine ? dis-je et le
petit ton gai que je m’efforçais à prendre s’envole comme une plume, au rappel
que Ray aussi n’avait que 31 ans. Mais lui n’est plus, contrairement à
nous.
Pour ne pas me noyer
dedans, je préfère lui raconter où j’en suis concernant la demande de FMLA pour
Elikem. The papounet m’a supervisé dans la rédaction de ladite requête, insistant
sur les points importants et il a aussi relu avant que je ne l’envoie. Parce
que le FMLA est accordé en général pour les congés de maternité, ou besoin de
soutenir un conjoint malade. Aucune mention de la situation actuelle qu’elle
vit, mais comme dit plus haut, les lois sont sujettes à interprétation et si
son papounet spécialiste en droit civil bien qu’à la retraite, s’est chargé de
cette demande, il ne me reste plus qu’à pratiquer la foi.
– Je vais aussi
t’envoyer des photos et quelques vidéos d’eux durant notre séjour à Libreville.
Au moins son chef verra qu’elle n’a pas inventé ses fiançailles et ça donnera
plus de chance à la requête d’être prise au sérieux
– Bien vu, je
n’avais pas considéré l’option qu’il pouvait remettre en cause les motifs
– Tu connais
certains employeurs, s’ils ne t’ont pas vu saigner, ils se chercheront toutes
les raisons possibles pour rejeter ta demande
– Heureusement que
tu es là, ça m’a complètement échappé
– Heureusement qu’on
est là, parce que son emploi m’était carrément sorti de la tête au début. Je
vais te laisser, tonton Eli est sensé arriver aujourd’hui donc je vais le
prendre à l’aéroport
– OK, j’attends les
photos et vidéos parce que j’ai déjà transmis la demande et je veux qu’on ait
la réponse au plus tôt. Au moins nos esprits seront tranquilles sur ce côté
– Tout à fait, je le
fais dès qu’on raccroche, bisous, il me dit et on se laisse
Comme entendu, je reçois
dans l’heure qui suit, 70 photos et dix vidéos. Il en avait des débuts de
leur relation jusqu’au milieu, parce qu’on voit la teinture blonde qu’Elie
arborait quand elle vivait en France. Puis sa perte drastique de poids, et le
retour au noir quand elle revient aux États-Unis. Des photos d’eux à Noël. Une
vidéo de quelques secondes de lui introduisant une petite cuillère dans la
bouche grande ouverte d’Elikem qui dormait et on pouvait l’entendre qui se
forçait pour ne pas éclater de rire, mais il perd, réveillant Elie. On entend
aussi Mally en arrière qui rigole jusqu’à étouffement tandis qu’Elikem
endormie, marmonnait des insultes à leurs égards. Encore des photos de lui et
Elikem, quand ils sont allés au Myrtle Beach Safari. Je me souviens bien de ce
trip, car je leur ai recommandé après l’avoir visité. On voit Ray qui tient
avec une appréhension dans le regard un bébé tigre et Elikem qui soulève le
sien comme un bébé. Une vidéo d’eux à la tour CN à Toronto. Décidément Romelio
a tous les dossiers d’Elikem. Si un jour elle se présente aux élections, elle
doit bien le corrompre pour qu’il emporte tout dans la tombe.
Je faisais partie du
convoi sur Toronto. Nous devions y aller avec Toni, c’était une tentative de
faire des activités entre couples mais Toni nous a faussé compagnie à la
dernière minute. J’ai refusé d’aller visiter la tour avec eux, pensant
qu’Elikem naturellement proposerait de rester avec moi. Ce qu’elle a d’ailleurs
fait, et ce fut une source de disputes entre eux. Je me souviens qu’à l’époque,
j’avais trop la haine contre Toni et je l’ai transféré aussi sur son frère
surtout que finalement Elikem et lui sont allés faire leur visite. J’ai même
boudé Elie pendant un bon moment pour m’avoir lâché. Je n’avais jamais vu les
photos de leurs visites. Sur l’une, ils sont dans une boutique de souvenirs et
on voit Elie derrière Ray avec une fausse hache faire la grimace de quelqu’un
qui attaque. Pendant ce temps, le gars sortait son plus beau sourire, une main
dans la poche. Et je me mets à rire bêtement, au fur et à mesure que les images
défilent et Elie continue de faire son actrice derrière le gars qui fait son
mannequin. La dernière vidéo commence et je sens mes yeux picoter. C’était
celle de la réception du mariage de maman. La première moquerie que j’ai
entendue avant de la fermer venait de Romelio, et il disait, « l’amour des autres oh ». Elle tenait telle une petite fleur contre le
corps du grand arbre qu’est Ray qui la couvrait de ses bras et les deux
évoluaient sur un slow tout en s’échangeant des baisers furtifs. Je ne peux pas
supporter. Je ferme la vidéo pour donner un peu de répit à mon cœur.
***Eben Ezer TOUNTIAN***
J’ai perdu le compte du
nombre de visionnages depuis que madame WANKE m’a transféré ces vidéos. Comme
je sais qu’elle déteste être questionnée, je n’ose pas outrepasser mes droits.
Mais j’ai l’impression de devenir fou bien que je sois bien portant et avec mes
habits sur le dos. Je revois ma tante Mireille se lamentant avec cet air brisé
du décès de mon oncle. Je revois les garçons l’entourant malgré leurs peines
individuelles. Bien que ça ne soit pas l’amour fou entre elle et moi, je me
rappelle avoir eu de la peine et j’ai même contribué à cet enterrement. Pas
juste parce que mon oncle fut bon envers moi, mais aussi qu’elle n’est qu’une
femme au foyer avec au moins deux enfants à charge. C’est aussi pour ça que
j’ai eu à cœur de faire autant que je peux pour leur famille. C’est la même
tante que j’ai vue, entrant d’un pas décidé dans la maison, le soir même où je
déposais mon oncle ? Et puis mon
oncle, c’est ce même individu qui se présentait comme un être inoffensif dans son
fauteuil roulant, qui ne se gênait pas pour embrasser une autre femme devant sa
maison ? et sur des béquilles de
surcroît ?
Quand je pense qu’Axel
s’était à un moment inscrit en salle de gym pour gagner en masse musculaire
afin de pouvoir porter tout seul son père et éviter à sa mère de se fatiguer.
Je me rappelle m’être moqué de lui quand il m’a raconté comment il a vomi après
la première séance avec le coach. Je me rappelle tout ce que ses enfants
faisaient à leurs niveaux pour non seulement s’adapter à leurs nouveaux
quotidiens mais en plus améliorer la vie de leurs parents. Du moins les trois
garçons, parce que je ne suis pas proche de Joshua.
Comment vont-ils prendre
cette nouvelle ? Non
seulement ils apprennent que leur père menait une double vie après son décès et
la seule figure parentale qu’il leur reste, leur mère doit aussi être mauvaise ? Comment je peux leur annoncer ça ? Une évidence que je retiens avec ces dernières
nouvelles, c’est que mon oncle a très bien pu abuser de Bijou. Le peu de
crédibilité que je lui portais encore s’est effondré et je le laisse reposer
avec les retombées des actions qu’il a posées durant son vivant.
Ça m’a pris une semaine
de lourdes réflexions pour décider de ma conduite. C’est avec Fabien qu’il me
fallait parler en premier donc j’attends qu’il ait fini sa journée avant de le
contacter.
– Allô ? C’est comment ?
– J’ai mal partout
je t’assure, depuis là j’ai pris ma douche mais m’habiller me dépasse
– Donc les gens avec
qui tu partages la chambre voient tes fesses velues là-bas ? je dis amusé
– Qu’ils n’ont pas
les poils eux ? bref, ils
sont de sortie pour draguer les petites
– Hum, tu as des
nouvelles de ta petite toi ?
– De quelle petite
tu me parles ? Celle qui n’attend pas qu’on
règle les choses et quitte la maison sans mon accord ? réplique-t-il irrité
– Tu pouvais aussi
l’appeler quand elle est partie non, tu l’as fait
– Regarde, tu m’as appelé
pour qu’on se fâche ?
– Fabien, j’ai
appelé pour te dire que tonton Martin n’est pas celui qu’on pensait. Ses fils
m’ont parlé de son autre famille dernièrement, et ils se bagarrent pour
l’héritage. J’avais encore des doutes concernant le viol mais des récents
éléments me font penser qu’elle disait vrai, ce qui est déplorable que ça
vienne au final de quelqu’un lié à nous
– La femme s’appelle
Germaine et le fils George ?
– Oui
– Tu sais où ils
vivent ?
– Euh non, pourquoi ?
– J’aimerais bien savoir,
si tu peux m’obtenir l’information
– C’est pour faire
quoi ? Je ne veux pas que tu fasses
de conneries, et le plus important c’est que tu retrouves Bijou afin que….
– C’est le plus
important selon toi ça. Occupe-toi juste…
– Non, je
l’interromps à mon tour. Ce n’est pas selon moi mais pour réparer le tort causé
à la fille. On ne lui en a certes pas fait, mais douter d’elle c’est aussi une
façon de raviver sa plaie. Surtout qu’elle s’était attachée à la famille
Fabien, c’est douloureux lorsque tu as vécu quelque chose quand tu prends le
courage pour en parler, on ne te croit pas. Je n’ai jamais subi d’abus physique
mais je parle par expérience, dis-je en souvenir de la fois où la femme de mon
oncle m’a accusé et bien que j’ai tant espéré que mon oncle me croit, il a
choisi son foyer
– Et je te dis que
je vais régler à ma manière, envoie juste comment je trouve la maison de ce
George
– Tu gagnes quoi à
être borné comme ça ? je m’emporte
contre lui et je le réprimande pour cinq bonnes minutes mais têtu qu’il est, il
signe qu’il va faire comme il veut
C’est tout son défaut ça.
On ne peut pas lui faire entendre raison dès qu’il a pris sa décision. Je n’ai
pas la force d’argumenter ce soir, particulièrement avec lui. Maman est celle
que je contacte par la suite et lui explique la même chose qu’à Fabien.
J’ignore si elle a compris vu le ton qu’elle employait, mais elle m’a toutefois
écouté jusqu’à la fin et n’a pas rechigné quand j’ai proposé qu’elle s’excuse
auprès de la fille. Ce qu’il me reste à faire, c’est descendre à Lomé, mais ça
sera aux prochains congés.
***Macy WIYAO***
On ne peut jamais avoir
un répit dans cette vie, c’est la vérité que je commence doucement à intégrer.
Elikem vit une autre tragédie et voilà l’autre là d’Elsie qui est de retour pour
me filer de l’urticaire. Oui je ne l’aime pas, et je ne vais même pas faire
genre que c’est uniquement à cause de la façon dont elle a rejoint notre
équipe. Oui je mélange tout, ce n’est pas professionnel je sais, mais je ne
vais pas non plus forcer mon esprit à arrondir les angles, quand ma bouche
s’est résignée à ne dire que le strict minimum sur Halo. Sinon, je vois aussi Norman.
Les deux s’agglutinent comme des mèches coiffées à la mousse depuis que Madame
« j’aime Paris so much » a rejoint l’équipe. Seb nous a dit qu’elle veut
aussi améliorer son français donc qu’on lui parle autant que possible mais faut
voir Norman lui parler anglais et caqueter avec elle dès que nous sommes dans
les parages. En tout cas, je reste dans mon coin, soit à la droite de Seb, mais
je garde les yeux ouverts.
Jeudi soir, c’est la
journée de réunion de l’équipe. Toutes les nouvelles ne sont pas mauvaises.
Cinq entreprises nous ont fait confiance et commandé Halo. Seb a décidé de nous
louer un bureau pour la circonstance, parce que selon lui, on doit évoluer. Je trouve
que l’évolution aurait pu attendre mais bon, depuis qu’il m’a sorti l’argument
de Macy la copine vs Macy l’employée, je fais attention à ce que je lui dis. En
effet, je n’ai rien investi comme argent dans son projet donc s’il le désire,
il peut même se louer un local dans l’enceinte de la tour Eiffel. Moi je me
pointerai pour faire mon travail, et le reste on gère dans notre couple.
Donc me voilà au local
pour pointer après ma journée de travail régulière. L’équipe administrative
composée de sept personnes est au complet. Seb introduit comme toujours et nous
informe qu’il nous apporte une merveilleuse nouvelle aujourd’hui. Il se lève et
nous montre sur l’écran de projection, ce qui ressemble à un logo.
– Voici, notre
nouvel emblème, annonce-t-il fièrement et les cinq minutes qui suivent on
entend les mouches voler chez les autres en dehors d’Elsie. Agoo je trouve que
ça fait plus original que Hello
– Not prononce comme
ça Seb, it’s Agoo, dit Elsie qui semble partager son excitation
– Autant pour moi,
il rétorque avant de se corriger. Alors qu’en pensez-vous ?
– Il y’avait un
problème avec l’ancien logo ? un courageux
demande. Moi je suis encore sous le choc de ce fameux changement qu’on n’a
annoncé à personne jusqu’à présent
– Pas assez original,
comme me l’a pertinemment soulevé Elsie. Agoo c’est en plus le hello des
Ghanéens. On se démarquera mieux comme ça
– Mais Seb, nous
avons déjà lancé le projet. Les gens se sont habitués au nom et nous commençons
enfin à nous faire connaître. Tu sais que beaucoup sont réticents au
changement, et leur apporter un nouveau logo brusquement comme ça va rebuter
les gens, un autre courageux lui pointe
– Je n’ai pas
développé mon produit pour des analphabètes mais la future relève africaine. Ce
n’est pas un changement de nom qui les refroidira. En plus, Elsie a travaillé
sur des projets qui ont subi régulièrement des changements et aucun n’a jamais
échoué
– Bien dit, l’appuie
sans surprise Norman, pourtant il était tout aussi surpris que nous il y’a
quelques minutes
– Je tiens juste à
préciser qu’elle n’a qu’une expérience américaine et les expériences ne sont
pas interchangeables. Surtout qu’on parle de l’Afrique, un continent en plein
essor, un autre courageux lui dit
– Tu as déjà
travaillé aux États-Unis toi ? il le
questionne
– Non mais….
– Mais rien. Quand
quelqu’un a une expérience plus utile que la tienne, on prête attention pour
écouter et apprendre au lieu de l’ouvrir pour partager des détails futiles.
D’autres aimeraient émettre des opinions constructives et visionnaires sur le
logo ? relance-t-il tout en mettant
l’accent sur les deux adjectifs
Je ne pipe pas un mot. Ça
se voit comme le nez en pleine figure que mon gars commence à prendre le melon
maintenant qu’il a l’Américaine. Mais dans notre couple il ne ramène pas ça
donc comme j’ai dit je fais aussi la distinction et ravale mon ressenti.
Mon pied foule à peine le
sol de mon appartement que les messages fusent. Ils viennent tous des membres
de l’équipe. Ils sont unanimes. Seb fout n’importe quoi et nous devons agir au
plus vite, sinon il fera couler le projet. Le pourquoi ils viennent chez moi
avec ça c’est ce que je ne comprends pas, parce que nous avons gardé notre
relation secrète pour éviter que certains pensent qu’il m’écoute davantage. J’ai
juste répondu qu’ils devraient lui écrire un mail en équipe s’ils ne sont pas
satisfaits.
***Seb LAVIGNE***
Je ne m’attendais pas à
voir Macy à la réunion de ce soir parce qu’elle a le moral dans les chaussettes
depuis un moment. Un problème familial de ce qu’elle m’a dit, mais la voir
plutôt gaie m’a donné envie de passer la soirée avec elle. En plus on ne s’est
pas fait de galipettes depuis je ne sais pas quand. Je suis en manque d’elle,
donc une soirée en amoureux s’imposait.
Je me rends chez elle
avec le double des clés qu’elle m’a remises, mais à mon arrivée, elle était
sous la douche donc je vais en chambre me changer et la rejoins. Elle est
d’abord surprise et bien sûr la nature décide de me faire chier en ramenant ses
menstrues le jour où mon envie était à son niveau culminant. Non seulement je
ne peux pas me la faire, mais en plus elle refuse de me branler sous prétexte
qu’elle n’a pas la tête à ça.
Je ressors frustré de sa douche, sèche mon
corps et je renfile mes vêtements. À défaut de la culbuter, on peut au moins se
câliner devant une pizza au poulet barbecue, un de ses favoris quand elle se
permet de manger des cochonneries. Et peut-être, les caresses la pousseront à
me toucher, donc je prends son téléphone pour commander vu qu’elle a
l’application Deliveroo et pas moi. Mais je tombe sur des messages qui font
bouillir mon sang au fur et à mesure que je les lis.
– Hey tu fais quoi
là ? elle dit et me retire si
rapidement le téléphone que je me demande d’abord quand elle m’a rejoint
– J’ai déjà pris ton
téléphone à ton insu peut-être ? Ne fais plus
jamais ça, elle continue
– Je rêve ou tu
essaies de me passer un savon ? Tu n’étais
pas dans le mood pour te faire toucher mais colporter dans mon dos oui ? Je t’ai dit quoi sur le fait de scinder Macy la
copine de mon employée ? je m’emporte
– Primo, celui qui a
haussé le ton ici c’est toi donc tu te calmes. Secundo, je n’ai pas demandé aux
gens de m’écrire. Si ça t’énerve, va les voir et dis-leur d’arrêter, elle réplique
tout en sortant son pyjama de la penderie
– Eux savent quoi à
ce que je fais pour venir me critiquer dans mon dos ? Je ne suis entouré que d’incapables et au lieu
de me le dire en tant que ma copine tu leur réponds ! Je ne te reconnais plus Macy
– Ah ! Maintenant tu ne veux plus que Macy la copine
soit à part de Macy l’employée ? me
nargue-t-elle
Au diable la soirée ! Je m’en vais vers une qui ne se laisse pas
guider par ses émotions comme Macy. Non mais franchement les filles, on ne peut
pas travailler avec elles dès qu’elles mettent les émotions en jeu et après ça
se plaint qu’il n’y a pas de parité homme-femme. Bref elles ne sont pas toutes
pareilles au moins. Pour toute la jalousie que Macy ressent envers Elsie, cette
dernière pourtant l’apprécie bien et c’est ce qui me désole. Enfin la jalousie
de Macy en soi ne me dérange pas autant. Ce n’est qu’une preuve additionnelle
de son amour pour moi mais le fait qu’elle ne se contrôle pas c’est ce qui me
saoule. Elle devait être mes yeux et oreilles dans cette équipe.
Elsie s’est pris un loft
dans le marais en Airbnb pour le mois qu’elle a prévu faire ici et maintenant
que j’y pense touche bientôt à sa fin. J’insiste au téléphone jusqu’à l’avoir.
Elle me dit être trop épuisée pour que je passe mais j’insiste encore et elle
accepte qu’on se fasse une virée demain, quand je lui mentionne qu’on ira dans
un des meilleurs endroits de Paris. Le lieu auquel j’ai pensé c’est l’Arc
Paris. Papa m’y avait emmené dîner avec maman, lorsque j’ai validé mon master 1
et elle a eu cinquante ans. Jusqu’à présent maman raconte avec passion la
soirée là. Je serre les doigts pour avoir une réservation en me rendant sur
leur site mais c’est mon ventre qui se tord devant les prix. Papa a vraiment
payé ça ? Mille euros pour une table
régulière en plus ? Je prends
mon doigt pour bien compter les zéros sur l’écran. On ne sait jamais, peut-être
la faim me fait divaguer mais non mille euros pour une table régulière, 2000
pour une VIP. Je remplis le formulaire mais jusqu’à la dernière minute en
allant me coucher, je me demande toujours si je suis en train de faire ça. Pour
une femme. J’aurais demandé à papa s’il n’a pas eu un rabais ou un tuyau sur
lequel me mettre pour alléger ma poche mais il est à Lomé et surtout, maman me
dit qu’il est dernièrement tendu. Ce n’est déjà pas évident pour maman de le
voir, donc je ne vais pas aller leur gâcher le moment avec mes questions.
Le lendemain, vers midi,
ils confirmaient ma réservation pour la soirée. C’est fait, plus de retour en
arrière. En contrepartie, je vais soutirer chaque euro de sa chatte avec ma
bite. C’était le plan du moins mais j’arrive chez elle et trouve Norman. En
plus il a l’audace de me dire « il paraît
qu’on va dîner à l’arc ». Si le
regard pouvait brûler, c’est que je l’avais calciné sur place.
***Denola EKIM***
Ils appellent leur
période de deuil « compassionate
leave » et ne donnent que deux jours aux
employés. Qu’est-ce que deux jours vont changer à ma vie ? Il m’a fallu presque dix jours pour trouver le
courage de mettre le pied dehors. Compassionate leave de mon cul. Me voilà
coincé ici, et j’ai la haine contre tous. Mon employeur qui m’a servi le
discours le plus diplomatique pour m’expliquer qu’il ne peut m’octroyer plus de
deux jours même si ma famille vit en Afrique. Je ne les voulais même pas payés.
Juste un congé, c’est tout ce que je demandais. Il a rajouté sur un ton
toujours diplomatique, que « malheureusement
j’ai déjà pris sept jours d’absence qu’il a comptés dans ce qu’il me restait de
mon annual leave, donc il ne me reste plus rien. » En gros je peux zapper le travail, mais ça comptera comme des absences
non justifiées et je risque de perdre mon poste. Sinon je peux jouer sur le
système pour obtenir un congé maladie, mais sortir du pays pendant ce temps peut
me causer des problèmes par la suite. Mon permis de travail n’est valide que
pour deux ans, renouvelable si je suis toujours en emploi, sinon je sors de
leur pays.
Putain de pays. Presque
dix ans ici à bosser comme un malade, sans loisir, avec l’espoir de rentrer
dans une de leurs catégories serrées pour devenir résident permanent. Mais mon
cerveau ne leur suffit pas. J’avais une autre option. Tremper assez dans une
fille pour qu’elle accepte de m’épouser ou à défaut me faire un enfant. Sur ces
deux plans aussi, je n’ai pas été fichu de réussir. Au final ma vie n’a été
qu’un échec ses dernières années. Je…. , je me dirige d’un pas pressé vers ma
porte quand j’entends les coups contre elle. Espérant voir Ida, j’ouvre sans
perdre une seconde mais c’est un visage que je n’ai pas vu depuis dix ans.
– Salut, me dit mon
cousin Adrien
Ça me prend je ne sais
pas combien de minutes pour capter qu’il est là, à Perth, au lieu de
Copenhague, où il habite. Il est là, alors qu’on ne devait jamais se voir.
C’était la consigne ferme que ma mère m’a donnée quand elle m’a mis dans
l’avion pour l’autre bout du monde.
– Qu’est-ce que tu
fais ici ?
– Je suis là, avec un
peu de retard, mais j’espère pouvoir corriger certaines choses
Je lui lance un air
confus. Il me regarde comme pour demander s’il peut entrer, ce dont je n’ai pas
du tout envie, mais vu qu’il est ici, je ne perds rien à écouter ce qu’il veut
donc je le laisse passer.
– C’est beau chez
toi
– Ton opinion sur ma
déco m’importe peu donc abrège, tu me veux quoi ?
– Je suis là pour
Ray. Mes parents ont des infos sur les origines de sa mort
– Pardon ? fais-je les yeux écarquillés pendant qu’il
s’assoit et croise ses jambes
– Enfin je suppose
qu’on a commandité sa mort, mais la partie concernant mes parents n’est pas une
hypothèse. J’ai entendu maman quelques jours plutôt se disputer violemment avec
papa au téléphone. Et dans ses dires, elle insistait que papa a intérêt à détruire
la plainte de Ray ou carrément brûler le commissariat s’il le faut mais elle
lui fera voir de toutes les couleurs si une certaine vidéo de moi ainsi qu’un
audio te concernant ne doivent pas se retrouver sur la toile. J’ai donc conclu
qu’ils se sont fait menacer avec
– Tu me fais marcher ? m’étonnai-je. Tu veux dire que ma tante… ,
tonton Gervais est impliqué dans….
– Je n’ai pas
sous-entendu ça, m’interrompt-il. Mais ils sont définitivement au courant de
quelque chose, ainsi que ta mère
– Adrien, je te jure
que si tu es là pour me jouer un de tes sales tours….
– Deno, je ne suis
plus le même que….
Mon poing se forme et
embrasse son torse avec toute la rage que je ressens. Il tombe à genoux mains
croisées sur son abdomen
– Relève-toi
salopard ! je lui gueule dessus avant de
le forcer à se redresser et j’aplatis son corps contre le mur. Tu as changé tu
dis ? Tu n’es plus ce minable à qui
je me suis confié parce que confus par mes sentiments et qui a trouvé ça
amusant de m’enregistrer ?
Il se permet d’arborer un
air attristé comme s’il était en grand désarroi. De quoi faire monter
l’agressivité dans mes veines. Je repousse violemment ses épaules contre le
mur, le faisant grincer de douleur.
– Je… je ne me sens
pas digne de te présenter mes excuses Deno, tu as tous les droits de me rosser mais
permets qu’on parle d’abord de Ra….
– Ne prononce pas le
nom de mon frère ! Et
d’ailleurs, sors d’ici, dégage ! Tu n’es pas
mieux que ton salopard de père, dis-je en le trainant par le col pour le foutre
dehors
Et sans perdre une
seconde, je vais réserver un billet pour Libreville. Au diable le travail,
l’Australie, au diable tout ! Je ne
fermerai pas l’œil tant que Gervais n’aura pas craché le morceau puis chacune
de ses dents par la suite.
***Ida ADAMOU***
J’ai mis la révélation de
Denola sur le compte de l’alcool parce que c’est trop farfelu et totalement
inconcevable que j’aie craqué pour un homme qui en retour aime mon frère. Rien
que l’idée me révulse. Et pour éviter le malaise entre nous, j’ai agi comme si
je n’avais rien entendu les jours suivants. Il n’a pas soulevé ça non plus donc
je suppose que ma théorie n’est pas fausse.
Oui, je vais toujours lui rendre visite parce
que l’idée de lui tourner le dos et m’occuper de mes affaires après l’avoir
trouvé si dévasté était inacceptable. En plus Thierry m’a littéralement mandaté
de veiller sur lui, le temps qu’il arrive dans notre lointain pays là.
Ce soir, j’ai fait un
velouté de maïs comme dîner. Je monte donc lui apporter un plat et tombe sur un
homme adossé à sa porte.
-Hi, are
you looking for Deno? Je demande
-Sorry, I
am not good in English, il me répond
– Oh je parle
français. C’est Denola que vous cherchez ?
– Non…, en fait si. Êtes-vous
sa copine ?
– Oh non non, juste
une voisine. Normalement il devrait être chez lui…
– Il est là, il m’a
juste jeté dehors. Pouvez-vous plaider pour moi, je vous en prie ? Dites-lui qu’après ça, je ne le dérangerai plus
jamais, mais je ne peux pas continuer tranquillement ma vie sans rembourser ma
dette envers Ray
– OK, je… je vais le
faire, dis-je hésitante avant de frapper
Il a mis du temps avant
d’ouvrir et toisé proprement le type à mes côtés avant de me laisser entrer
puis claquer la porte sur son nez.
– J’ai fait ça,
dis-je en lui présentant le tupperware
– Merci, mais je
t’ai dit que ce n’était pas une obligation, murmure-t-il
– On avait déjà
réglé cette partie. Explique-moi plutôt pourquoi tu laisses ce type dehors
– C’est là qu’est sa
place
– Il dit avoir….
– Non Ida ! il me dit fermement
– Mais tu ne sais
même pas ce que j’allais dire
– Tu allais me
pondre un discours qui vient directement de sa bouche, or tu ne connais pas ce
type. Je ne veux rien savoir de lui
– OK, dans ce cas,
je m’en vais
– Quoi ? Tu viens juste d’arriver
– Et je n’ai pas
envie d’être en compagnie d’un gars aussi têtu. J’ai mieux à faire
On se défie du regard, il
soupire et finit par ouvrir la porte au type qu’il fixe méchamment.
– Merci, je suis A…
– Elle s’en fout de
ton nom, lui gueule Deno
– Mais enfin, j’ai
une bouche non
– Et moi je te dis
qu’il n’en vaut pas la peine
– C’est quoi ce ton
autoritaire, j’ai un cerveau, je peux décider de moi-même
– ça te donne quoi
d’être si bornée ? Ce n’est pas
mignon je t’assure, il réplique agacé et on entend le gars se marrer
– C’est de qui tu te
moques toi ?
– Doucement le
taureau, je ne me payais pas votre tête, dit le gars. Je suis Adrien, le cousin
qu’on n’aime pas trop, à juste titre. Mais je ne suis pas là pour ce qu’on
pense de moi, continue-t-il sur un ton plus sérieux. Est-ce que je peux parler
du passé devant elle Deno ?
L’intéressé me fixe
longuement, provoquant des battements saccadés de mon cœur puis il hoche la
tête.
– La vidéo que mon
père doit cacher me concerne. Mais l’audio c’est celui que tu connais déjà. Et
j’en suis vraiment désolé. Je sais que ça arrive tardivement mais je ne t’ai
pas enregistré avec l’intention de te nuire. À l’époque maman me traitait de
larbin, tapette, tout en me comparant à toi parce que je n’étais pas selon
elle, un vrai homme. Et lorsque tu m’as approché avec ce que tu sais, je me
suis senti moins seul. J’ai eu l’idée malsaine c’est vrai mais sachant que tu
ne tiens pas du tout l’alcool, je t’en ai sciemment donné et encouragé à parler
de ce que tu sais. Je voulais juste prouver à maman que je n’étais pas moins
bien que son neveu. Mais je te jure que j’ignore comment cet enregistrement
s’est retrouvé ailleurs
– Tu jures ? Deno dit amèrement. Tu jures sur quoi ? Tu as quoi de cher dans ta vie pour me dire que
tu jures ? Je t’ai écouté me confier tes
secrets les plus intimes pendant des années et je t’ai couvert, au point les
gens m’assimilent à toi, racontent que je ne suis pas un vrai homme comme les
autres EKIM, que je suis la honte des miens. Mais jamais je ne t’ai tourné le
dos, parce qu’être efféminé n’est pas un crime, tu n’as pas demandé à naître
avec ton physique ni tes penchants. En dehors d’être ton cousin, je t’ai aussi
offert mon amitié. Je peux jurer sur ça. Je te répète, tu peux jurer sur quoi
toi ?
– Mon partenaire de trois
ans, Elvis Yaw Asamoah, que je n’aurais jamais rencontré sans l’intervention de
Ray et Elikem
– Tu connais Elikem ? Deno s’étonne
– La connaître est
un grand mot puisque je l’ai côtoyé très brièvement. Malgré ce court laps de
temps, les deux m’ont ouvert les yeux sur la vie pathétique que je menais tout
en me cachant derrière ma grande gueule et mon exubérance. Pour la petite
histoire, une fois à Copenhague je suis resté droit dans mes bottes et
concentré sur mes études pendant cinq ans. Cinq ans sans interaction sociale en
dehors des cours, parce que ma sœur me surveillait au grain, comme les parents
lui ont ordonné. Maman m’a même forcé dans une relation avec une fille. Bref au
bout des cinq années, ma sœur fut convaincue et elle a commencé à lâcher un peu
du lest. Mais cinq ans à me réprimer, m’a rendu vulnérable. Je ne savais pas ce
que je voulais, ou plutôt je voulais tant être aimé et pour moi, que
j’acceptais tout ce qui ressemblait à un semblant de relation. C’est comme ça
qu’un mec à qui je servais de sextoy vivant m’a invité à un voyage de groupe à
Aspen. Pour moi il assumait enfin notre relation au lieu des quelques heures
dans les allées sombres ou sa voiture qu’il me donnait à Copenhague. Il a fallu
qu’on aille dîner dans le bistro où travaillait Ray, détail que j’ignorais. Le
type avec qui j’étais, comment dire, c’était un salaud de première, avoue-t-il
embarrassé. Quoiqu’il en soit, le séjour avait bien commencé. Le reste du
groupe voulait faire d’autres villes mais j’avais vachement envie d’intimité
avec lui, et j’ai sauté de joie quand il a proposé qu’on finisse ensemble le
séjour à Colorado Springs. La joie s’est vite transformée en cauchemar le 22 décembre
quand je criais sous ses coups de poing. Il m’a laissé à demi conscient dans la
maison qu’on a louée pour le reste du séjour et c’est l’ambulance qui m’a
sauvé. Je me suis retrouvé au UCHealth Memorial et le 23 je racontais des
bobards à maman sur comment le séjour était passionnant, pourtant j’avais un
œdème à l’œil. C’est Elikem, l’interne, qui s’est occupée de moi, et le 24,
elle est passée bien qu’elle était congé. Je pense qu’elle a eu pitié de moi,
or j’ignorais même qu’elle parlait français quand je racontais mes salades à
maman. Bref elle est venue avec une carte et écharpe comme cadeau pour moi et
Ray était avec elle. C’est comme ça que je les ai rencontrés. Ils étaient
supposés être de passage mais finalement nous avons passé la nativité jusqu’aux
premières heures de Noël ensemble à se raconter des histoires. Et ton frère
bien qu’il se prêtait au jeu, n’oubliait pas de me rappeler qu’une fois au pays
j’avais intérêt à passer à la boutique acheter pour le rembourser de sa
gentillesse, tout ça sous les regards de travers que lui glissait sa femme,
comme il me l’a présenté, dit-il avec un sourire comme si les souvenirs
remontaient à la surface. Les voir si complices malgré ce que je savais de Ray
m’a ramené sur terre et fait accepter la réalité. Je me suis dit que si Ray
avait pu trouver une fille qui l’aimait avec son côté excessivement ronchon,
c’est qu’il y’a une chance pour moi d’être réellement aimé et non utilisé, même
si je suis efféminé. Je me suis rangé, j’ai attendu et le reste c’est une
histoire. Je ne suis pas fier de mon passé, mais je refuse qu’on force la main
à mon père avec mes conneries d’ado. Celui qui veut faire passer le décès de
Ray comme un fait divers n’aura pas mon accord. Mon plan c’est d’aller
rencontrer le supérieur de mon père pour lui en parler mais avant je voulais
t’avertir parce que peut-être cet audio risque de….
– On ne va pas voir
le supérieur de ton père. Le père d’Elikem a demandé à Interpole d’enquêter sur
le braquage du convoi de papa. Je vais te suivre et nous allons leur dire tout
ce qu’on sait. Vidéo, audio, je m’en fous. Qu’ils mettent en ligne ce qu’ils
veulent
Les révélations se sont
enchainées bien trop vite pour mon cerveau mais je retenais une chose. Bien
qu’il avait de l’alcool dans le système, il ne délirait pas quand il m’a fait
sa confession et je trouve ça vachement injuste que par la faute d’un lâche, les
deux doivent assumer en public, des détails intimes. Des choses qui
techniquement ne concernent qu’eux et leurs partenaires. Le cousin Adrien s’est
excusé un moment pour aller aux toilettes, donc me voilà seule avec Deno qui
s’excuse aussi en me disant qu’il doit appeler mon frère.
– Non tu ne vas pas,
dis-je en me rendant compte de ce qu’il comptait faire
– Je ne vais pas
laisser mon ami apprendre une nouvelle pareille sur internet comme tous les
autres
– Mais il risque
de…. ! Enfin c’est bizarre ! je m’insurge
et il rigole, d’un rire amer. Je… je ne voulais pas te juger, rajoutai-je
rapidement parce que je pensais l’avoir offensé
– Ce n’est pas
bizarre, c’est laid, et je vais probablement perdre mon ami, mais j’ai assez
fui ma réalité comme ça. Personne ne m’a envoyé d’aller ressentir une jalousie
inexplicable envers sa copine d’antan au point d’éprouver un grand soulagement
à leur séparation. Personne ne m’a dit d’aller questionner Adrien sur le comment
il sait qu’il aime un garçon. Si la justice de mon frère passe par le fait que
j’admette mes fautes sur la place publique, je ne vais pas fuir.
Non ce n’est pas juste,
c’est ce que je me répète encore sur mon lit le soir là. On ne pose pas tout le
temps des actes dont on est fier. Pourquoi quelqu’un devrait nous pousser à en
parler quand on n’est pas prêt ? Je sais que
je serais plus que mortifiée si mon entourage apprenait mon secret alors je me
sens mal. Si mal que j’en viens à pleurer comme si j’étais à la place de Deno.
Je me lève pour prier que tout se passe bien pour eux, et que mon frère n’en
veuille pas trop à son ami. Et le lendemain dès l’aurore je vais cogner chez
lui. Il m’ouvre les yeux remplis et la voix remplie de sommeil.
– Tu as encore du
mal à dormir ?
– Je voulais te dire
que… que, tu n’es pas seul. Si jamais l’audio sort, ne t’en veux pas trop d’accord.
On a tous nos secrets. Je…. je ne reste pas éveillée la nuit parce que j’ai du
mal à dormir, mais plutôt que je n’arrive pas à contrôler mes pulsions. Dès qu’il
fait sombre, un esprit en moi me dit de me masturber et plusieurs fois, j’ai
essayé de… de… me retenir, sans succès. Donc la nuit, je me force à regarder
des films, ou étudier, pour éviter de m’adonner à mon vice. Je n’arrive même
pas à prier quand je le fais parce que je me sens sale et une partie de moi sait
que bientôt je flancherai encore. Et c’est un cercle duquel je n’ai jamais pu m’extirper,
pourtant beaucoup dans mon entourage me voient comme la musulmane parfaite. Il n’y
a pas que toi qui as des zones sombres, je voulais que tu le saches, pour que
tu ne te sentes pas…, seul, ou comme si tu étais indigne, je lui avoue, le
visage noyé de larmes. C’est la toute première fois que je m’ouvre comme ça à
quelqu’un et pourtant je ne venais pas avec l’intention de tout lui dire. Je voulais
juste le rassurer, mais il a cette aura qui me met facilement en sécurité. Il nettoie
mes joues avec ses deux pouces et me prend doucement contre lui.