91:Emotions

Write by Gioia

 

***Oceane AJAVON***

Je ne suis vraiment pas paperasse mais alors pas du tout. Pourtant il faut bien notifier l’hôpital où Elikem travaille que leur interne ne peut pas reprendre le service maintenant, et ce n’est pas maman Belle que je vais fatiguer avec ça. Toute son attention est sur sa fille depuis son arrivée il y’a une semaine de ça.

Sinon, quelqu’un veut bien dire aux États-Unis qu’ils ont une politique merdique en ce qui concerne les conditions de travail de leurs employés. Un gros pays qui se vante d’être la nation la plus riche et développé au monde, et sur toute l’étendue de leur territoire, ils n’accordent que trois jours aux employés en cas de décès d’un membre de la famille immédiate, et une journée pour la famille éloignée. Heureusement les lois restent sujettes à interprétation. De longues heures sur les documents à petite police là et sous la supervision du papounet d’Elikem, j’ai rédigé une requête de FMLA que j’ai transmis à l’hématologue et chef du département où elle complète son fellowship. Romelio m’a fait parvenir hier l’acte de décès de Raymond.

Mon patron est actuellement en congé, donc je fais office de gérante en son absence. Rien de nouveau pour moi. C’est son habitude depuis l’an dernier mais au lieu de m’accorder simplement la promo et le salaire qui va avec, il préfère de gaver de compliments ou de multiples rabais sur nos services. De toute façon, je cherche déjà ailleurs. C’est lorsque je vais poser ma démission qu’il essaiera de s’accrocher à mon talon aiguille pour que je reste. Bref, comme chaque matin, je fais le tour de nos réservations dans notre carnet de bord en ligne, passe dans les différentes salles pour m’assurer de la propreté ainsi que de la présence du personnel, puis je retourne au bureau, pour m’apprêter à la rencontre avec une femme qui dit pratiquer l’ayurveda. Elle veut nous vendre ses produits, chose courant quand on a un spa qui prodigue des soins. La majorité des petites entreprises nous approchent régulièrement pour démarcher leurs biens. Et chacun dit avoir la prochaine méthode miracle pour avoir une belle peau, ou rajeunir de dix ans.

J’étais présente de corps et écoutais de façon distraite, car le cœur n’est pas ici. Nous nous sommes accordés sur une seconde rencontre, et le temps creux que j’avais avant de poursuivre mes activités, j’ai décidé de faire signe à Romelio. Ce dernier m’a appelé la minute suivante.

– Hello, je voulais juste savoir s’il y’a du nouveau pour l’enterrement là-bas, je lui dis dès qu’il prend

– Ils sont toujours secoués ici donc aucune mention de date pour l’instant. Ça va là-bas?

– Je ne sais pas. Elle fait des jours sans rien dire et brusquement, elle se met à pleurer. Hier elle s’est décidée à prendre sa douche après deux semaines sans. Maman Belle est assise sur un tabouret devant la salle de bain, et brusquement, elle a crié. Quand je suis arrivée, elle hyperventilait. Pourtant le matin là elle semblait calme. Enfin je ne sais pas si c’est le mot approprié mais elle était couchée silencieusement dans son lit. En plus il y’a aussi le fait qu’elle ait rendu plusieurs fois ses petits smoothies qu’elle accepte au moins de prendre. Sa mère lui a demandé si elle était enceinte mais elle ne réagit même pas

– Elle ne l’est pas forcément. Quand sa grand-mère est décédée, elle sanglotait parfois avec tant de force que son corps rendait le peu dans son estomac

– Mais si elle est enceinte, je me dis que… au moins, tu vois, elle pourrait s’accrocher à ça? dis-je sur un ton un peu optimiste, malgré la peine qui m’habite

– Tu n’as pas tort, mais ne lui parle pas directement de ça. En tout cas pas maintenant

– Qui a dit que…

– Depuis le temps on se connaît Annie, comment ça vient dans ton esprit c’est comme ça que tu as tendance à le dire. Et ce n’est pas le moment de lui donner des espoirs infondés, parce que si elle ne l’est pas, c’est potentiellement un autre tréfonds qu’elle peut toucher

C’est drôle de réentendre Annie de lui. Depuis notre séparation il ne l’a jamais redit, et en dehors d’Elikem, j’aimais l’entendre de lui. Bref, il y’a plus important.

– OK je ne vais pas émettre cette option mais si elle l’est réellement, c’est risqué pour elle de négliger sa santé. Et je n’exagère pas quand je dis qu’elle se néglige. Elle a fait quatre jours, couchée sur notre parquet à pleurer et s’interroger malgré mes tentatives pour la réconforter. Ce n’est que Maman Belle qui a réussi à son arrivée à la tirer de là

– Primo, ne le prends pas perso si elle ne réagit pas à tes tentatives. J’ai vécu ça avec elle aussi. C’est un coup dur et traumatisant, tu sais. Je doute que son esprit accepte la vérité actuellement. Secundo, je vais te faire une proposition crado, mais si tu peux te faufiler avec elle dans les toilettes et récolter un peu d’urine. Avec un peu de chance, vu qu’elle n’a pas toute sa conscience actuelle, peut-être tu…

– Je vais le faire et comme récompense pour bravoure tu me laisseras gentiment le titre de marraine ainsi que le choix du second prénom du bébé. On s’entend maintenant dessus et tu m’envoies une note vocale renonçant officiellement à tes droits

– Lol c’est bien que tu aies encore de l’humour

– Si on ne se bouge pas le cul pour sortir de la peine avant elle, comment on pourra la tirer de là?

– Qu’est-ce qui t’arrive là? Tu es déjà trop sage

– Dois-je te rappeler qu’on est dans la trentaine? dis-je et le petit ton gai que je m’efforçais à prendre s’envole comme une plume, au rappel que Ray aussi n’avait que 31 ans. Mais lui n’est plus, contrairement à nous.

Pour ne pas me noyer dedans, je préfère lui raconter où j’en suis concernant la demande de FMLA pour Elikem. The papounet m’a supervisé dans la rédaction de ladite requête, insistant sur les points importants et il a aussi relu avant que je ne l’envoie. Parce que le FMLA est accordé en général pour les congés de maternité, ou besoin de soutenir un conjoint malade. Aucune mention de la situation actuelle qu’elle vit, mais comme dit plus haut, les lois sont sujettes à interprétation et si son papounet spécialiste en droit civil bien qu’à la retraite, s’est chargé de cette demande, il ne me reste plus qu’à pratiquer la foi.

– Je vais aussi t’envoyer des photos et quelques vidéos d’eux durant notre séjour à Libreville. Au moins son chef verra qu’elle n’a pas inventé ses fiançailles et ça donnera plus de chance à la requête d’être prise au sérieux

– Bien vu, je n’avais pas considéré l’option qu’il pouvait remettre en cause les motifs

– Tu connais certains employeurs, s’ils ne t’ont pas vu saigner, ils se chercheront toutes les raisons possibles pour rejeter ta demande

– Heureusement que tu es là, ça m’a complètement échappé

– Heureusement qu’on est là, parce que son emploi m’était carrément sorti de la tête au début. Je vais te laisser, tonton Eli est sensé arriver aujourd’hui donc je vais le prendre à l’aéroport

– OK, j’attends les photos et vidéos parce que j’ai déjà transmis la demande et je veux qu’on ait la réponse au plus tôt. Au moins nos esprits seront tranquilles sur ce côté

– Tout à fait, je le fais dès qu’on raccroche, bisous, il me dit et on se laisse

Comme entendu, je reçois dans l’heure qui suit, 70 photos et dix vidéos. Il en avait des débuts de leur relation jusqu’au milieu, parce qu’on voit la teinture blonde qu’Elie arborait quand elle vivait en France. Puis sa perte drastique de poids, et le retour au noir quand elle revient aux États-Unis. Des photos d’eux à Noël. Une vidéo de quelques secondes de lui introduisant une petite cuillère dans la bouche grande ouverte d’Elikem qui dormait et on pouvait l’entendre qui se forçait pour ne pas éclater de rire, mais il perd, réveillant Elie. On entend aussi Mally en arrière qui rigole jusqu’à étouffement tandis qu’Elikem endormie, marmonnait des insultes à leurs égards. Encore des photos de lui et Elikem, quand ils sont allés au Myrtle Beach Safari. Je me souviens bien de ce trip, car je leur ai recommandé après l’avoir visité. On voit Ray qui tient avec une appréhension dans le regard un bébé tigre et Elikem qui soulève le sien comme un bébé. Une vidéo d’eux à la tour CN à Toronto. Décidément Romelio a tous les dossiers d’Elikem. Si un jour elle se présente aux élections, elle doit bien le corrompre pour qu’il emporte tout dans la tombe.

Je faisais partie du convoi sur Toronto. Nous devions y aller avec Toni, c’était une tentative de faire des activités entre couples mais Toni nous a faussé compagnie à la dernière minute. J’ai refusé d’aller visiter la tour avec eux, pensant qu’Elikem naturellement proposerait de rester avec moi. Ce qu’elle a d’ailleurs fait, et ce fut une source de disputes entre eux. Je me souviens qu’à l’époque, j’avais trop la haine contre Toni et je l’ai transféré aussi sur son frère surtout que finalement Elikem et lui sont allés faire leur visite. J’ai même boudé Elie pendant un bon moment pour m’avoir lâché. Je n’avais jamais vu les photos de leurs visites. Sur l’une, ils sont dans une boutique de souvenirs et on voit Elie derrière Ray avec une fausse hache faire la grimace de quelqu’un qui attaque. Pendant ce temps, le gars sortait son plus beau sourire, une main dans la poche. Et je me mets à rire bêtement, au fur et à mesure que les images défilent et Elie continue de faire son actrice derrière le gars qui fait son mannequin. La dernière vidéo commence et je sens mes yeux picoter. C’était celle de la réception du mariage de maman. La première moquerie que j’ai entendue avant de la fermer venait de Romelio, et il disait, «l’amour des autres oh». Elle tenait telle une petite fleur contre le corps du grand arbre qu’est Ray qui la couvrait de ses bras et les deux évoluaient sur un slow tout en s’échangeant des baisers furtifs. Je ne peux pas supporter. Je ferme la vidéo pour donner un peu de répit à mon cœur.

***Eben Ezer TOUNTIAN***

J’ai perdu le compte du nombre de visionnages depuis que madame WANKE m’a transféré ces vidéos. Comme je sais qu’elle déteste être questionnée, je n’ose pas outrepasser mes droits. Mais j’ai l’impression de devenir fou bien que je sois bien portant et avec mes habits sur le dos. Je revois ma tante Mireille se lamentant avec cet air brisé du décès de mon oncle. Je revois les garçons l’entourant malgré leurs peines individuelles. Bien que ça ne soit pas l’amour fou entre elle et moi, je me rappelle avoir eu de la peine et j’ai même contribué à cet enterrement. Pas juste parce que mon oncle fut bon envers moi, mais aussi qu’elle n’est qu’une femme au foyer avec au moins deux enfants à charge. C’est aussi pour ça que j’ai eu à cœur de faire autant que je peux pour leur famille. C’est la même tante que j’ai vue, entrant d’un pas décidé dans la maison, le soir même où je déposais mon oncle? Et puis mon oncle, c’est ce même individu qui se présentait comme un être inoffensif dans son fauteuil roulant, qui ne se gênait pas pour embrasser une autre femme devant sa maison? et sur des béquilles de surcroît?

Quand je pense qu’Axel s’était à un moment inscrit en salle de gym pour gagner en masse musculaire afin de pouvoir porter tout seul son père et éviter à sa mère de se fatiguer. Je me rappelle m’être moqué de lui quand il m’a raconté comment il a vomi après la première séance avec le coach. Je me rappelle tout ce que ses enfants faisaient à leurs niveaux pour non seulement s’adapter à leurs nouveaux quotidiens mais en plus améliorer la vie de leurs parents. Du moins les trois garçons, parce que je ne suis pas proche de Joshua.

Comment vont-ils prendre cette nouvelle? Non seulement ils apprennent que leur père menait une double vie après son décès et la seule figure parentale qu’il leur reste, leur mère doit aussi être mauvaise? Comment je peux leur annoncer ça? Une évidence que je retiens avec ces dernières nouvelles, c’est que mon oncle a très bien pu abuser de Bijou. Le peu de crédibilité que je lui portais encore s’est effondré et je le laisse reposer avec les retombées des actions qu’il a posées durant son vivant.

Ça m’a pris une semaine de lourdes réflexions pour décider de ma conduite. C’est avec Fabien qu’il me fallait parler en premier donc j’attends qu’il ait fini sa journée avant de le contacter.

– Allô? C’est comment?

– J’ai mal partout je t’assure, depuis là j’ai pris ma douche mais m’habiller me dépasse

– Donc les gens avec qui tu partages la chambre voient tes fesses velues là-bas? je dis amusé

– Qu’ils n’ont pas les poils eux? bref, ils sont de sortie pour draguer les petites

– Hum, tu as des nouvelles de ta petite toi?

– De quelle petite tu me parles? Celle qui n’attend pas qu’on règle les choses et quitte la maison sans mon accord? réplique-t-il irrité

– Tu pouvais aussi l’appeler quand elle est partie non, tu l’as fait

– Regarde, tu m’as appelé pour qu’on se fâche?

– Fabien, j’ai appelé pour te dire que tonton Martin n’est pas celui qu’on pensait. Ses fils m’ont parlé de son autre famille dernièrement, et ils se bagarrent pour l’héritage. J’avais encore des doutes concernant le viol mais des récents éléments me font penser qu’elle disait vrai, ce qui est déplorable que ça vienne au final de quelqu’un lié à nous

– La femme s’appelle Germaine et le fils George?

– Oui

– Tu sais où ils vivent ?

– Euh non, pourquoi?

– J’aimerais bien savoir, si tu peux m’obtenir l’information

– C’est pour faire quoi? Je ne veux pas que tu fasses de conneries, et le plus important c’est que tu retrouves Bijou afin que….

– C’est le plus important selon toi ça. Occupe-toi juste…

– Non, je l’interromps à mon tour. Ce n’est pas selon moi mais pour réparer le tort causé à la fille. On ne lui en a certes pas fait, mais douter d’elle c’est aussi une façon de raviver sa plaie. Surtout qu’elle s’était attachée à la famille Fabien, c’est douloureux lorsque tu as vécu quelque chose quand tu prends le courage pour en parler, on ne te croit pas. Je n’ai jamais subi d’abus physique mais je parle par expérience, dis-je en souvenir de la fois où la femme de mon oncle m’a accusé et bien que j’ai tant espéré que mon oncle me croit, il a choisi son foyer

– Et je te dis que je vais régler à ma manière, envoie juste comment je trouve la maison de ce George

– Tu gagnes quoi à être borné comme ça? je m’emporte contre lui et je le réprimande pour cinq bonnes minutes mais têtu qu’il est, il signe qu’il va faire comme il veut

C’est tout son défaut ça. On ne peut pas lui faire entendre raison dès qu’il a pris sa décision. Je n’ai pas la force d’argumenter ce soir, particulièrement avec lui. Maman est celle que je contacte par la suite et lui explique la même chose qu’à Fabien. J’ignore si elle a compris vu le ton qu’elle employait, mais elle m’a toutefois écouté jusqu’à la fin et n’a pas rechigné quand j’ai proposé qu’elle s’excuse auprès de la fille. Ce qu’il me reste à faire, c’est descendre à Lomé, mais ça sera aux prochains congés.

 

***Macy WIYAO***

On ne peut jamais avoir un répit dans cette vie, c’est la vérité que je commence doucement à intégrer. Elikem vit une autre tragédie et voilà l’autre là d’Elsie qui est de retour pour me filer de l’urticaire. Oui je ne l’aime pas, et je ne vais même pas faire genre que c’est uniquement à cause de la façon dont elle a rejoint notre équipe. Oui je mélange tout, ce n’est pas professionnel je sais, mais je ne vais pas non plus forcer mon esprit à arrondir les angles, quand ma bouche s’est résignée à ne dire que le strict minimum sur Halo. Sinon, je vois aussi Norman. Les deux s’agglutinent comme des mèches coiffées à la mousse depuis que Madame «j’aime Paris so much» a rejoint l’équipe. Seb nous a dit qu’elle veut aussi améliorer son français donc qu’on lui parle autant que possible mais faut voir Norman lui parler anglais et caqueter avec elle dès que nous sommes dans les parages. En tout cas, je reste dans mon coin, soit à la droite de Seb, mais je garde les yeux ouverts.

Jeudi soir, c’est la journée de réunion de l’équipe. Toutes les nouvelles ne sont pas mauvaises. Cinq entreprises nous ont fait confiance et commandé Halo. Seb a décidé de nous louer un bureau pour la circonstance, parce que selon lui, on doit évoluer. Je trouve que l’évolution aurait pu attendre mais bon, depuis qu’il m’a sorti l’argument de Macy la copine vs Macy l’employée, je fais attention à ce que je lui dis. En effet, je n’ai rien investi comme argent dans son projet donc s’il le désire, il peut même se louer un local dans l’enceinte de la tour Eiffel. Moi je me pointerai pour faire mon travail, et le reste on gère dans notre couple.

Donc me voilà au local pour pointer après ma journée de travail régulière. L’équipe administrative composée de sept personnes est au complet. Seb introduit comme toujours et nous informe qu’il nous apporte une merveilleuse nouvelle aujourd’hui. Il se lève et nous montre sur l’écran de projection, ce qui ressemble à un logo.

– Voici, notre nouvel emblème, annonce-t-il fièrement et les cinq minutes qui suivent on entend les mouches voler chez les autres en dehors d’Elsie. Agoo je trouve que ça fait plus original que Hello

– Not prononce comme ça Seb, it’s Agoo, dit Elsie qui semble partager son excitation

– Autant pour moi, il rétorque avant de se corriger. Alors qu’en pensez-vous?

– Il y’avait un problème avec l’ancien logo? un courageux demande. Moi je suis encore sous le choc de ce fameux changement qu’on n’a annoncé à personne jusqu’à présent

– Pas assez original, comme me l’a pertinemment soulevé Elsie. Agoo c’est en plus le hello des Ghanéens. On se démarquera mieux comme ça

– Mais Seb, nous avons déjà lancé le projet. Les gens se sont habitués au nom et nous commençons enfin à nous faire connaître. Tu sais que beaucoup sont réticents au changement, et leur apporter un nouveau logo brusquement comme ça va rebuter les gens, un autre courageux lui pointe

– Je n’ai pas développé mon produit pour des analphabètes mais la future relève africaine. Ce n’est pas un changement de nom qui les refroidira. En plus, Elsie a travaillé sur des projets qui ont subi régulièrement des changements et aucun n’a jamais échoué

– Bien dit, l’appuie sans surprise Norman, pourtant il était tout aussi surpris que nous il y’a quelques minutes

– Je tiens juste à préciser qu’elle n’a qu’une expérience américaine et les expériences ne sont pas interchangeables. Surtout qu’on parle de l’Afrique, un continent en plein essor, un autre courageux lui dit

– Tu as déjà travaillé aux États-Unis toi? il le questionne

– Non mais….

– Mais rien. Quand quelqu’un a une expérience plus utile que la tienne, on prête attention pour écouter et apprendre au lieu de l’ouvrir pour partager des détails futiles. D’autres aimeraient émettre des opinions constructives et visionnaires sur le logo? relance-t-il tout en mettant l’accent sur les deux adjectifs

Je ne pipe pas un mot. Ça se voit comme le nez en pleine figure que mon gars commence à prendre le melon maintenant qu’il a l’Américaine. Mais dans notre couple il ne ramène pas ça donc comme j’ai dit je fais aussi la distinction et ravale mon ressenti.

Mon pied foule à peine le sol de mon appartement que les messages fusent. Ils viennent tous des membres de l’équipe. Ils sont unanimes. Seb fout n’importe quoi et nous devons agir au plus vite, sinon il fera couler le projet. Le pourquoi ils viennent chez moi avec ça c’est ce que je ne comprends pas, parce que nous avons gardé notre relation secrète pour éviter que certains pensent qu’il m’écoute davantage. J’ai juste répondu qu’ils devraient lui écrire un mail en équipe s’ils ne sont pas satisfaits.

***Seb LAVIGNE***

Je ne m’attendais pas à voir Macy à la réunion de ce soir parce qu’elle a le moral dans les chaussettes depuis un moment. Un problème familial de ce qu’elle m’a dit, mais la voir plutôt gaie m’a donné envie de passer la soirée avec elle. En plus on ne s’est pas fait de galipettes depuis je ne sais pas quand. Je suis en manque d’elle, donc une soirée en amoureux s’imposait.

Je me rends chez elle avec le double des clés qu’elle m’a remises, mais à mon arrivée, elle était sous la douche donc je vais en chambre me changer et la rejoins. Elle est d’abord surprise et bien sûr la nature décide de me faire chier en ramenant ses menstrues le jour où mon envie était à son niveau culminant. Non seulement je ne peux pas me la faire, mais en plus elle refuse de me branler sous prétexte qu’elle n’a pas la tête à ça.

 Je ressors frustré de sa douche, sèche mon corps et je renfile mes vêtements. À défaut de la culbuter, on peut au moins se câliner devant une pizza au poulet barbecue, un de ses favoris quand elle se permet de manger des cochonneries. Et peut-être, les caresses la pousseront à me toucher, donc je prends son téléphone pour commander vu qu’elle a l’application Deliveroo et pas moi. Mais je tombe sur des messages qui font bouillir mon sang au fur et à mesure que je les lis.

– Hey tu fais quoi là? elle dit et me retire si rapidement le téléphone que je me demande d’abord quand elle m’a rejoint

– J’ai déjà pris ton téléphone à ton insu peut-être? Ne fais plus jamais ça, elle continue

– Je rêve ou tu essaies de me passer un savon? Tu n’étais pas dans le mood pour te faire toucher mais colporter dans mon dos oui? Je t’ai dit quoi sur le fait de scinder Macy la copine de mon employée? je m’emporte

– Primo, celui qui a haussé le ton ici c’est toi donc tu te calmes. Secundo, je n’ai pas demandé aux gens de m’écrire. Si ça t’énerve, va les voir et dis-leur d’arrêter, elle réplique tout en sortant son pyjama de la penderie

– Eux savent quoi à ce que je fais pour venir me critiquer dans mon dos? Je ne suis entouré que d’incapables et au lieu de me le dire en tant que ma copine tu leur réponds! Je ne te reconnais plus Macy

– Ah! Maintenant tu ne veux plus que Macy la copine soit à part de Macy l’employée? me nargue-t-elle

Au diable la soirée! Je m’en vais vers une qui ne se laisse pas guider par ses émotions comme Macy. Non mais franchement les filles, on ne peut pas travailler avec elles dès qu’elles mettent les émotions en jeu et après ça se plaint qu’il n’y a pas de parité homme-femme. Bref elles ne sont pas toutes pareilles au moins. Pour toute la jalousie que Macy ressent envers Elsie, cette dernière pourtant l’apprécie bien et c’est ce qui me désole. Enfin la jalousie de Macy en soi ne me dérange pas autant. Ce n’est qu’une preuve additionnelle de son amour pour moi mais le fait qu’elle ne se contrôle pas c’est ce qui me saoule. Elle devait être mes yeux et oreilles dans cette équipe.

Elsie s’est pris un loft dans le marais en Airbnb pour le mois qu’elle a prévu faire ici et maintenant que j’y pense touche bientôt à sa fin. J’insiste au téléphone jusqu’à l’avoir. Elle me dit être trop épuisée pour que je passe mais j’insiste encore et elle accepte qu’on se fasse une virée demain, quand je lui mentionne qu’on ira dans un des meilleurs endroits de Paris. Le lieu auquel j’ai pensé c’est l’Arc Paris. Papa m’y avait emmené dîner avec maman, lorsque j’ai validé mon master 1 et elle a eu cinquante ans. Jusqu’à présent maman raconte avec passion la soirée là. Je serre les doigts pour avoir une réservation en me rendant sur leur site mais c’est mon ventre qui se tord devant les prix. Papa a vraiment payé ça? Mille euros pour une table régulière en plus? Je prends mon doigt pour bien compter les zéros sur l’écran. On ne sait jamais, peut-être la faim me fait divaguer mais non mille euros pour une table régulière, 2000 pour une VIP. Je remplis le formulaire mais jusqu’à la dernière minute en allant me coucher, je me demande toujours si je suis en train de faire ça. Pour une femme. J’aurais demandé à papa s’il n’a pas eu un rabais ou un tuyau sur lequel me mettre pour alléger ma poche mais il est à Lomé et surtout, maman me dit qu’il est dernièrement tendu. Ce n’est déjà pas évident pour maman de le voir, donc je ne vais pas aller leur gâcher le moment avec mes questions.

Le lendemain, vers midi, ils confirmaient ma réservation pour la soirée. C’est fait, plus de retour en arrière. En contrepartie, je vais soutirer chaque euro de sa chatte avec ma bite. C’était le plan du moins mais j’arrive chez elle et trouve Norman. En plus il a l’audace de me dire «il paraît qu’on va dîner à l’arc». Si le regard pouvait brûler, c’est que je l’avais calciné sur place.

***Denola EKIM***

Ils appellent leur période de deuil «compassionate leave» et ne donnent que deux jours aux employés. Qu’est-ce que deux jours vont changer à ma vie? Il m’a fallu presque dix jours pour trouver le courage de mettre le pied dehors. Compassionate leave de mon cul. Me voilà coincé ici, et j’ai la haine contre tous. Mon employeur qui m’a servi le discours le plus diplomatique pour m’expliquer qu’il ne peut m’octroyer plus de deux jours même si ma famille vit en Afrique. Je ne les voulais même pas payés. Juste un congé, c’est tout ce que je demandais. Il a rajouté sur un ton toujours diplomatique, que «malheureusement j’ai déjà pris sept jours d’absence qu’il a comptés dans ce qu’il me restait de mon annual leave, donc il ne me reste plus rien.» En gros je peux zapper le travail, mais ça comptera comme des absences non justifiées et je risque de perdre mon poste. Sinon je peux jouer sur le système pour obtenir un congé maladie, mais sortir du pays pendant ce temps peut me causer des problèmes par la suite. Mon permis de travail n’est valide que pour deux ans, renouvelable si je suis toujours en emploi, sinon je sors de leur pays.

Putain de pays. Presque dix ans ici à bosser comme un malade, sans loisir, avec l’espoir de rentrer dans une de leurs catégories serrées pour devenir résident permanent. Mais mon cerveau ne leur suffit pas. J’avais une autre option. Tremper assez dans une fille pour qu’elle accepte de m’épouser ou à défaut me faire un enfant. Sur ces deux plans aussi, je n’ai pas été fichu de réussir. Au final ma vie n’a été qu’un échec ses dernières années. Je…. , je me dirige d’un pas pressé vers ma porte quand j’entends les coups contre elle. Espérant voir Ida, j’ouvre sans perdre une seconde mais c’est un visage que je n’ai pas vu depuis dix ans.

– Salut, me dit mon cousin Adrien

Ça me prend je ne sais pas combien de minutes pour capter qu’il est là, à Perth, au lieu de Copenhague, où il habite. Il est là, alors qu’on ne devait jamais se voir. C’était la consigne ferme que ma mère m’a donnée quand elle m’a mis dans l’avion pour l’autre bout du monde.

– Qu’est-ce que tu fais ici?

– Je suis là, avec un peu de retard, mais j’espère pouvoir corriger certaines choses

Je lui lance un air confus. Il me regarde comme pour demander s’il peut entrer, ce dont je n’ai pas du tout envie, mais vu qu’il est ici, je ne perds rien à écouter ce qu’il veut donc je le laisse passer.

– C’est beau chez toi

– Ton opinion sur ma déco m’importe peu donc abrège, tu me veux quoi?

– Je suis là pour Ray. Mes parents ont des infos sur les origines de sa mort

– Pardon? fais-je les yeux écarquillés pendant qu’il s’assoit et croise ses jambes

– Enfin je suppose qu’on a commandité sa mort, mais la partie concernant mes parents n’est pas une hypothèse. J’ai entendu maman quelques jours plutôt se disputer violemment avec papa au téléphone. Et dans ses dires, elle insistait que papa a intérêt à détruire la plainte de Ray ou carrément brûler le commissariat s’il le faut mais elle lui fera voir de toutes les couleurs si une certaine vidéo de moi ainsi qu’un audio te concernant ne doivent pas se retrouver sur la toile. J’ai donc conclu qu’ils se sont fait menacer avec

– Tu me fais marcher? m’étonnai-je. Tu veux dire que ma tante… , tonton Gervais est impliqué dans….

– Je n’ai pas sous-entendu ça, m’interrompt-il. Mais ils sont définitivement au courant de quelque chose, ainsi que ta mère

– Adrien, je te jure que si tu es là pour me jouer un de tes sales tours….

– Deno, je ne suis plus le même que….

Mon poing se forme et embrasse son torse avec toute la rage que je ressens. Il tombe à genoux mains croisées sur son abdomen

– Relève-toi salopard! je lui gueule dessus avant de le forcer à se redresser et j’aplatis son corps contre le mur. Tu as changé tu dis? Tu n’es plus ce minable à qui je me suis confié parce que confus par mes sentiments et qui a trouvé ça amusant de m’enregistrer?

Il se permet d’arborer un air attristé comme s’il était en grand désarroi. De quoi faire monter l’agressivité dans mes veines. Je repousse violemment ses épaules contre le mur, le faisant grincer de douleur.

– Je… je ne me sens pas digne de te présenter mes excuses Deno, tu as tous les droits de me rosser mais permets qu’on parle d’abord de Ra….

– Ne prononce pas le nom de mon frère! Et d’ailleurs, sors d’ici, dégage! Tu n’es pas mieux que ton salopard de père, dis-je en le trainant par le col pour le foutre dehors

Et sans perdre une seconde, je vais réserver un billet pour Libreville. Au diable le travail, l’Australie, au diable tout! Je ne fermerai pas l’œil tant que Gervais n’aura pas craché le morceau puis chacune de ses dents par la suite.

***Ida ADAMOU***

J’ai mis la révélation de Denola sur le compte de l’alcool parce que c’est trop farfelu et totalement inconcevable que j’aie craqué pour un homme qui en retour aime mon frère. Rien que l’idée me révulse. Et pour éviter le malaise entre nous, j’ai agi comme si je n’avais rien entendu les jours suivants. Il n’a pas soulevé ça non plus donc je suppose que ma théorie n’est pas fausse.

 Oui, je vais toujours lui rendre visite parce que l’idée de lui tourner le dos et m’occuper de mes affaires après l’avoir trouvé si dévasté était inacceptable. En plus Thierry m’a littéralement mandaté de veiller sur lui, le temps qu’il arrive dans notre lointain pays là.

Ce soir, j’ai fait un velouté de maïs comme dîner. Je monte donc lui apporter un plat et tombe sur un homme adossé à sa porte.

-Hi, are you looking for Deno? Je demande

-Sorry, I am not good in English, il me répond

– Oh je parle français. C’est Denola que vous cherchez?

– Non…, en fait si. Êtes-vous sa copine?

– Oh non non, juste une voisine. Normalement il devrait être chez lui…

– Il est là, il m’a juste jeté dehors. Pouvez-vous plaider pour moi, je vous en prie? Dites-lui qu’après ça, je ne le dérangerai plus jamais, mais je ne peux pas continuer tranquillement ma vie sans rembourser ma dette envers Ray

– OK, je… je vais le faire, dis-je hésitante avant de frapper

Il a mis du temps avant d’ouvrir et toisé proprement le type à mes côtés avant de me laisser entrer puis claquer la porte sur son nez.

– J’ai fait ça, dis-je en lui présentant le tupperware

– Merci, mais je t’ai dit que ce n’était pas une obligation, murmure-t-il

– On avait déjà réglé cette partie. Explique-moi plutôt pourquoi tu laisses ce type dehors

– C’est là qu’est sa place

– Il dit avoir….

– Non Ida! il me dit fermement

– Mais tu ne sais même pas ce que j’allais dire

– Tu allais me pondre un discours qui vient directement de sa bouche, or tu ne connais pas ce type. Je ne veux rien savoir de lui

– OK, dans ce cas, je m’en vais

– Quoi? Tu viens juste d’arriver

– Et je n’ai pas envie d’être en compagnie d’un gars aussi têtu. J’ai mieux à faire

On se défie du regard, il soupire et finit par ouvrir la porte au type qu’il fixe méchamment.

– Merci, je suis A…

– Elle s’en fout de ton nom, lui gueule Deno

– Mais enfin, j’ai une bouche non

– Et moi je te dis qu’il n’en vaut pas la peine

– C’est quoi ce ton autoritaire, j’ai un cerveau, je peux décider de moi-même

– ça te donne quoi d’être si bornée? Ce n’est pas mignon je t’assure, il réplique agacé et on entend le gars se marrer

– C’est de qui tu te moques toi?

– Doucement le taureau, je ne me payais pas votre tête, dit le gars. Je suis Adrien, le cousin qu’on n’aime pas trop, à juste titre. Mais je ne suis pas là pour ce qu’on pense de moi, continue-t-il sur un ton plus sérieux. Est-ce que je peux parler du passé devant elle Deno?

L’intéressé me fixe longuement, provoquant des battements saccadés de mon cœur puis il hoche la tête.

– La vidéo que mon père doit cacher me concerne. Mais l’audio c’est celui que tu connais déjà. Et j’en suis vraiment désolé. Je sais que ça arrive tardivement mais je ne t’ai pas enregistré avec l’intention de te nuire. À l’époque maman me traitait de larbin, tapette, tout en me comparant à toi parce que je n’étais pas selon elle, un vrai homme. Et lorsque tu m’as approché avec ce que tu sais, je me suis senti moins seul. J’ai eu l’idée malsaine c’est vrai mais sachant que tu ne tiens pas du tout l’alcool, je t’en ai sciemment donné et encouragé à parler de ce que tu sais. Je voulais juste prouver à maman que je n’étais pas moins bien que son neveu. Mais je te jure que j’ignore comment cet enregistrement s’est retrouvé ailleurs

– Tu jures? Deno dit amèrement. Tu jures sur quoi? Tu as quoi de cher dans ta vie pour me dire que tu jures? Je t’ai écouté me confier tes secrets les plus intimes pendant des années et je t’ai couvert, au point les gens m’assimilent à toi, racontent que je ne suis pas un vrai homme comme les autres EKIM, que je suis la honte des miens. Mais jamais je ne t’ai tourné le dos, parce qu’être efféminé n’est pas un crime, tu n’as pas demandé à naître avec ton physique ni tes penchants. En dehors d’être ton cousin, je t’ai aussi offert mon amitié. Je peux jurer sur ça. Je te répète, tu peux jurer sur quoi toi?

– Mon partenaire de trois ans, Elvis Yaw Asamoah, que je n’aurais jamais rencontré sans l’intervention de Ray et Elikem

– Tu connais Elikem? Deno s’étonne

– La connaître est un grand mot puisque je l’ai côtoyé très brièvement. Malgré ce court laps de temps, les deux m’ont ouvert les yeux sur la vie pathétique que je menais tout en me cachant derrière ma grande gueule et mon exubérance. Pour la petite histoire, une fois à Copenhague je suis resté droit dans mes bottes et concentré sur mes études pendant cinq ans. Cinq ans sans interaction sociale en dehors des cours, parce que ma sœur me surveillait au grain, comme les parents lui ont ordonné. Maman m’a même forcé dans une relation avec une fille. Bref au bout des cinq années, ma sœur fut convaincue et elle a commencé à lâcher un peu du lest. Mais cinq ans à me réprimer, m’a rendu vulnérable. Je ne savais pas ce que je voulais, ou plutôt je voulais tant être aimé et pour moi, que j’acceptais tout ce qui ressemblait à un semblant de relation. C’est comme ça qu’un mec à qui je servais de sextoy vivant m’a invité à un voyage de groupe à Aspen. Pour moi il assumait enfin notre relation au lieu des quelques heures dans les allées sombres ou sa voiture qu’il me donnait à Copenhague. Il a fallu qu’on aille dîner dans le bistro où travaillait Ray, détail que j’ignorais. Le type avec qui j’étais, comment dire, c’était un salaud de première, avoue-t-il embarrassé. Quoiqu’il en soit, le séjour avait bien commencé. Le reste du groupe voulait faire d’autres villes mais j’avais vachement envie d’intimité avec lui, et j’ai sauté de joie quand il a proposé qu’on finisse ensemble le séjour à Colorado Springs. La joie s’est vite transformée en cauchemar le 22 décembre quand je criais sous ses coups de poing. Il m’a laissé à demi conscient dans la maison qu’on a louée pour le reste du séjour et c’est l’ambulance qui m’a sauvé. Je me suis retrouvé au UCHealth Memorial et le 23 je racontais des bobards à maman sur comment le séjour était passionnant, pourtant j’avais un œdème à l’œil. C’est Elikem, l’interne, qui s’est occupée de moi, et le 24, elle est passée bien qu’elle était congé. Je pense qu’elle a eu pitié de moi, or j’ignorais même qu’elle parlait français quand je racontais mes salades à maman. Bref elle est venue avec une carte et écharpe comme cadeau pour moi et Ray était avec elle. C’est comme ça que je les ai rencontrés. Ils étaient supposés être de passage mais finalement nous avons passé la nativité jusqu’aux premières heures de Noël ensemble à se raconter des histoires. Et ton frère bien qu’il se prêtait au jeu, n’oubliait pas de me rappeler qu’une fois au pays j’avais intérêt à passer à la boutique acheter pour le rembourser de sa gentillesse, tout ça sous les regards de travers que lui glissait sa femme, comme il me l’a présenté, dit-il avec un sourire comme si les souvenirs remontaient à la surface. Les voir si complices malgré ce que je savais de Ray m’a ramené sur terre et fait accepter la réalité. Je me suis dit que si Ray avait pu trouver une fille qui l’aimait avec son côté excessivement ronchon, c’est qu’il y’a une chance pour moi d’être réellement aimé et non utilisé, même si je suis efféminé. Je me suis rangé, j’ai attendu et le reste c’est une histoire. Je ne suis pas fier de mon passé, mais je refuse qu’on force la main à mon père avec mes conneries d’ado. Celui qui veut faire passer le décès de Ray comme un fait divers n’aura pas mon accord. Mon plan c’est d’aller rencontrer le supérieur de mon père pour lui en parler mais avant je voulais t’avertir parce que peut-être cet audio risque de….

– On ne va pas voir le supérieur de ton père. Le père d’Elikem a demandé à Interpole d’enquêter sur le braquage du convoi de papa. Je vais te suivre et nous allons leur dire tout ce qu’on sait. Vidéo, audio, je m’en fous. Qu’ils mettent en ligne ce qu’ils veulent

Les révélations se sont enchainées bien trop vite pour mon cerveau mais je retenais une chose. Bien qu’il avait de l’alcool dans le système, il ne délirait pas quand il m’a fait sa confession et je trouve ça vachement injuste que par la faute d’un lâche, les deux doivent assumer en public, des détails intimes. Des choses qui techniquement ne concernent qu’eux et leurs partenaires. Le cousin Adrien s’est excusé un moment pour aller aux toilettes, donc me voilà seule avec Deno qui s’excuse aussi en me disant qu’il doit appeler mon frère.

– Non tu ne vas pas, dis-je en me rendant compte de ce qu’il comptait faire

– Je ne vais pas laisser mon ami apprendre une nouvelle pareille sur internet comme tous les autres

– Mais il risque de…. ! Enfin c’est bizarre! je m’insurge et il rigole, d’un rire amer. Je… je ne voulais pas te juger, rajoutai-je rapidement parce que je pensais l’avoir offensé

– Ce n’est pas bizarre, c’est laid, et je vais probablement perdre mon ami, mais j’ai assez fui ma réalité comme ça. Personne ne m’a envoyé d’aller ressentir une jalousie inexplicable envers sa copine d’antan au point d’éprouver un grand soulagement à leur séparation. Personne ne m’a dit d’aller questionner Adrien sur le comment il sait qu’il aime un garçon. Si la justice de mon frère passe par le fait que j’admette mes fautes sur la place publique, je ne vais pas fuir. 

Non ce n’est pas juste, c’est ce que je me répète encore sur mon lit le soir là. On ne pose pas tout le temps des actes dont on est fier. Pourquoi quelqu’un devrait nous pousser à en parler quand on n’est pas prêt? Je sais que je serais plus que mortifiée si mon entourage apprenait mon secret alors je me sens mal. Si mal que j’en viens à pleurer comme si j’étais à la place de Deno. Je me lève pour prier que tout se passe bien pour eux, et que mon frère n’en veuille pas trop à son ami. Et le lendemain dès l’aurore je vais cogner chez lui. Il m’ouvre les yeux remplis et la voix remplie de sommeil.

– Tu as encore du mal à dormir?

– Je voulais te dire que… que, tu n’es pas seul. Si jamais l’audio sort, ne t’en veux pas trop d’accord. On a tous nos secrets. Je…. je ne reste pas éveillée la nuit parce que j’ai du mal à dormir, mais plutôt que je n’arrive pas à contrôler mes pulsions. Dès qu’il fait sombre, un esprit en moi me dit de me masturber et plusieurs fois, j’ai essayé de… de… me retenir, sans succès. Donc la nuit, je me force à regarder des films, ou étudier, pour éviter de m’adonner à mon vice. Je n’arrive même pas à prier quand je le fais parce que je me sens sale et une partie de moi sait que bientôt je flancherai encore. Et c’est un cercle duquel je n’ai jamais pu m’extirper, pourtant beaucoup dans mon entourage me voient comme la musulmane parfaite. Il n’y a pas que toi qui as des zones sombres, je voulais que tu le saches, pour que tu ne te sentes pas…, seul, ou comme si tu étais indigne, je lui avoue, le visage noyé de larmes. C’est la toute première fois que je m’ouvre comme ça à quelqu’un et pourtant je ne venais pas avec l’intention de tout lui dire. Je voulais juste le rassurer, mais il a cette aura qui me met facilement en sécurité. Il nettoie mes joues avec ses deux pouces et me prend doucement contre lui.

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