95: My cross to bear
Write by Gioia
***Elikem
AKUESON***
Papa m’a ramené
le téléphone de Ray, cadeau de Denola, qui m’avait prévenu par message qu’il me
l’enverrait. Je l’ai fouillé de fond en comble depuis que je l’ai. Certaines
conversations ne m’étaient pas inconnues vu que c’était les nôtres. Mais je
suis tombé sur ce que j’appellerai son jardin secret aussi. Des messages dans
les notes de son Samsung. La plus ancienne date d’une semaine après mon départ
de Libreville.
« Parfois je me demande pourquoi il a fallu que je tombe
sur toi ; que
ça soit toi que j’aime alors qu’il y’a une ribambelle de filles plus
disponibles pour moi à portée de bras. Pourquoi toi, ou c’est moi qui suis maso ? Parce qu’aujourd’hui je pense te
détester autant que je t’aime. Tu m’as déçu Perla. Si je m’écoutais, je
t’aurais tellement insulté, mais je ne trouve pas ça digne d’un homme, alors je
me retiens. »
Celle qui suit
est écrite environ quatre mois plus tard. « Si je t’avais en face je t’aurais demandé
pourquoi tu abandonnes si vite Perla. Quelques messages auxquels je n’ai pas
répondu et c’est fini, tu arrêtes ?
C’est tout ce qu’on mérite pour toi ? J’ai supporté beaucoup pour toi. La distance en
premier. Devoir me contenter d’un peu moins d’un mois parce que tu ne pouvais
pas me donner plus. OK, tu ne le faisais pas exprès, et tu ne m’as pas forcé.
Mais je n’ai pas supporté par plaisir. J’ai supporté par amour, parce que je ne
voulais pas nous abandonner. Je croyais fermement en nous. Tu peux en dire
autant ? »
Il en a écrit une
autre le même jour : « J’ai
relu nos messages bébé, tu as l’art de me faire sourire avec si peu, tu me
manques tellement, ça n’a pas de sens. Me voilà saoul dans ce lit, et je nous
trouve bien pathétiques. Toi un peu et moi beaucoup. Tu me diras que je peux y
remédier, mais n’est-ce pas encore une fois de moi que viennent les concessions ? Tu m’as tout pris Perla, ma tête, mon
cœur, alors il ne me reste que ma fierté. Il ne me reste que ça face à la fille
catégorique que tu es. Si je perds ça, tu me marcheras dessus et mieux vaut
mourir. »
La veille de mon
anniversaire aussi il en avait écrit une. « Joyeux anniversaire la petite-fille de
Zizèle, j’aurais aimé être avec toi, t’embrasser, te faire ton favori, un géant
brownie comme gâteau, et te faire l’amour. Qui sait peut-être qu’on aurait fait
un bébé ? Tu
imagines ça, quoi de mieux qu’un bébé pour sceller notre réconciliation après
autant de tumultes. J’aurais aimé te dire combien je suis impressionné et en
même temps fier de ta persévérance et témérité. J’aurais aimé me moquer avec
toi de ton collègue black là qui ne supporte pas qu’une bamboula (les Africains
venus directement du continent) poursuive la même spécialité que lui, mais en
plus a été accepté par le superviseur de postdoc qu’il visait contrairement à
lui. Mon costume de graduation est prêt hein, c’est cum laude qu’on mérite et
rien d’autre. Oui je sais, tu m’as déjà répété que ça n’existe pas vraiment au
niveau du doctorat, mais tu me comprends, si le podium de graduation n’a qu’une
place, c’est celle d’Elikem Perla Xena Akueson EKIM. Oui je t’aurais dit tout
ça et une fois rentrée de l’hôpital, je me serais encore glissé entre tes
cuisses pour te faire l’amour parce que tu ne me suffis jamais. Je t’aime
bebounette. »
Et sur Messenger,
il avait commencé à m’écrire un message qu’il n’a jamais envoyé ou fini.
« Je t’ai envoyé le sticker pour t’énerver et
te faire réagir Perla, pas pour que tu ailles me chauffer le cœur en te faisant
masser de cette façon. Toi aussi pourquoi tu as les mauvaises colères comme ça ? J’arr…. »
« Oh Ray pourquoi tu es si dur avec ton
frère ? », « OK, mais pourquoi ne pas donner une chance à ta
famille, on ne sait jamais, les gens font des conneries, mais s’ils veulent se
rattraper comment ils le feront si tu fermes la porte ? », telles sont les inepties que j’ai eu à sortir à
Ray durant notre relation. J’ai lamentablement échoué, comme un gouvernement
qui ne met plus le bien-être du citoyen au cœur de ses politiques. Finalement
je n’étais bonne que dans mes études. Le reste zéro pointé.
***Belle LARE
AW***
Un petit rire me
fait lâcher mon couteau et j’accoure au salon où ma fille est couchée depuis des
jours, sans volonté. Elle ne pleure plus, mais son visage porte les affres de
la désolation. Je veux y croire ; je
veux croire qu’elle ira mieux, mais quand je la vois si apathique, mon cœur de
mère me crie de la porter et la bercer jusqu’à ce que son chagrin passe et qu’elle
puise en moi du réconfort et de l’assurance pour retrouver le goût à la vie. Mais
malgré la volonté, mon corps de 56 ans n’a plus la même vitalité que dans
la vingtaine où je l’ai eu. Je m’approche, et prends sa bouteille posée sur la
table à café. Au moins, elle est vide, je constate avec soulagement. Elle a enfin
terminé aujourd’hui le smoothie que je lui ai fait hier matin.
– Non,
murmure-t-elle
– Non quoi ma
chérie ?
– Je disais
toujours non maman. Je lui ai dit beaucoup de non, je l’ai souvent insulté, je
l’ai…
– Tu te fais
du mal pour rien mon trésor, ce n’est pas comme ça que tu iras mieux. Et ce n’est
certainement pas de ta faute s’il…
– Non ? fait-elle d’une voix lourde de désarroi
en me regardant. Ce n’est pas ma faute tu crois ? Ce n’est pas parce que j’aime tout
contrôler que j’ai tout gâché ?
– J’en suis
convaincue, dis-je en câlinant sa tête
– J’aurais
pu tu sais, j’aurais pu faire autrement. J’aurais pu le retenir, j’aurais pu
rester avec lui. J’aurais pu accepter qu’on fasse notre bébé, ce n’est pas l’envie
qui me manquait, mais je…, je ne pensais qu’à mes études. Toujours les études,
je voulais être la meilleure, je voulais les honneurs pour moi, je voulais ça,
et parce que je le voulais, j’ai mis le reste sur la touche. J’étais là pour
tout le monde j’ai l’impression, mais pas pour lui. Je ne lui ai causé que de
la peine maman, je lui ai fait perdre son…
– Non, je t’interdis
de dire ça, lui dis-je fermement. Parce que le garçon avec qui j’ai plusieurs fois
parlé t’aimait profondément et même si la distance le pesait dans votre
relation, je ne l’ai pas entendu regretter le fait d’être avec toi. Il était comme
nous tous, derrière toi, pour ta réussite. Il te voulait parmi les meilleurs. J’accepte
que tu sois désemparée, perdue, et tout ce que tu veux, mais il est hors de
question que tu endosses la culpabilité alors que l’unique mécréant est encore
en vie. C’est à lui, et lui seul de porter cette croix
– D’accord,
dit-elle misérablement
Je me déplace
pour m’asseoir au bord du sofa et lui prends la main pour la porter à ma joue.
– Il y’a
toujours quelque chose qui nous échappe dans les relations ma fille. J’ai
insulté ton père, tout comme il l’a fait. Je vous insulte vous-même, mes
propres enfants, et même si vous ne m’avez jamais délibérément injurié, je sais
très bien que dans vos cœurs, il vous est arrivé d’être exaspéré à cause de mes
actes. C’est comme ça la vie, on n’a malheureusement de blueprint en la commençant
pour savoir que si on fait ci, on aura ça, ainsi de suite. Et concernant ton
choix de ne pas faire d’enfant, tu avais tes raisons. Peut-être il les trouvait
injustes ton refus, je ne vais pas dire que son ressenti était forcément
méchant, mais le connaissant, je sais qu’il ne t’en voulait pas pour ça
– Maintenant
je n’ai rien de lui, pas de bébé parce que je n’ai jamais lâché la
contraception, rien, c’est comme s’il n’a jamais existé, dit-elle avant de
fondre en larmes
– C’est faux.
Tu as le grand nounours qu’il t’a donné et avec qui tu dors, les cadeaux qu’il
t’a faits, son alliance que tu portes toujours, dis-je en prenant son doigt, et
le plus important ma chérie, les souvenirs. Les souvenirs ne meurent jamais,
lui dis-je avec conviction
Dans la famille,
je ne suis pas vraiment connue comme le parent qui rassure ; les enfants allaient naturellement vers
Eli avec lorsqu’ils se sentaient largués, parce qu’apparemment je panique pour
rien dès que quelque chose leur arrive. Mais Eli est allé faire les courses pour
nous et il en profitera pour passer chez sa famille qui vit dans la région. Alors
je n’ai pas le choix. Bien que je me meure à l’intérieur de la voir ainsi, je
prends sur moi et la fais se lever légèrement pour coller sa tête à mon torse.
***Garcelle EKIM***
Du commissariat
de Bellevue II c’est à la prison centrale qu’on a déféré mon papa,
pourtant il était sorti d’ici en me disant qu’il allait faire une course
rapide. Ce lieu infâme, infesté de rats et insalubre est le lieu où se trouve
mon père, l’homme qui m’a mis au monde. Celui qui a engendré Toni et Denola et
aucun d’eux a appelé depuis que je leur ai passé la nouvelle par message. Absolument
aucun. Toni se croit congolais et reste à Kinshasa. Denola, ce maudit, est au
Bénin. Il se peut même qu’il y soit avec Thierry et les deux se font des…, rien
que l’idée me donne la gerbe. En l’absence de papa, c’est à moi que revient la gestion
de ses affaires et je nous ai débarrassés de la seconde boutique. C’est l’acquisition
de cette dernière qui a engendré toute cette suite de malheur. De toute façon,
en accédant à la comptabilité de la boutique, j’ai appris que Ray n’avait pas
fini de payer cette boutique. J’ignore comment il a réussi avec 60 % de l’argent
à conclure cet accord de paiement échelonné sur deux ans avec la propriétaire. Probablement
il était le pompier de cette vieille. On les connaît comme ça dans cette ville.
La cinquantaine passée, mais elles ne laissent que les jeunes entrer dans leurs
lits et profitent de ça pour voler leur chance. Si on fouille bien, on peut
même trouver que c’est elle qui l’a envoûté et aussi à la cause de nos
malheurs. Bref, je lui ai expliqué que mon frère étant mort, nous ne pouvions respecter
les termes de leur accord. Elle n’a pas accepté de me rembourser tous les 60 %
que Ray lui avait versés, sous prétexte que je l’ai pris au dépourvu et il y’avait
des travaux à faire à cause du cambriolage. Ne voulant pas rester liée à une maudite,
j’ai accepté ce qu’elle proposait. Maintenant, c’est à l’assurance que je m’attaque,
parce qu’ils ne vont pas s’en tirer comme ça. Ils nous doivent des dommages et
intérêts. Mais en attendant, il y’a l’avocat de papa qui attend de me rencontrer.
La secrétaire de la boutique le fait entrer et il m’explique en quelques
heures, ce qu’il a prévu comme défense pour lui.
– Vous me
parlez d’une défense et vous voulez qu’il plaide coupable ? demandai-je énervé après ses
explications
– La police
a arrêté presque tous les suspects du crime demoiselle. Il suffit que deux ou
trois admettent leur culpabilité et fournissent un témoignage similaire pour qu’ils
aient assez contre votre père. Et je doute fort qu’ils tiennent face à la
police qui les harcèle depuis qu’Interpole s’est mêlé de l’histoire. S’il est
reconnu coupable, la peine qu’il encoure risque d’être longue et peut-être sans
possibilité de libération conditionnelle avant une vingtaine d’années voire
plus. Alors qu’admettre la culpabilité et mettre en avant la relation tumultueuse
entre père et fils peut être une porte de sortie intéressante
– Donc vous me
dites indirectement qu’il ne s’en sortira pas quoi ? On va vous payer pour rien, m’emportai-je
contre lui
– Je vous dis
qu’il faut mettre les chances de notre côté
– Faites
comme vous voulez, mais mon père n’a pas intérêt à faire plus d’un an dans
cette prison immonde, je vous préviens
– Mademoiselle,
je n’étais pas là quand il a commis son crime, mon travail n’est pas d’effacer
ses transgressions…
– Sortez d’ici ! Incapable va ! Vous l’avez vu faire quoi pfff ! je lui crie dessus. On a entendu ça où ? Je t’engage, je te paie tes honoraires,
et tu veux me parler de façon condescendante sous prétexte que ton client a
commis un crime, juste parce que tu l’as lu dans un dossier. La présomption d’innocence,
il ne connaît pas ?
Il me faut
trouver un autre avocat au plus tôt et c’est ce à quoi je dédie le reste de ma
journée. Il sonne un peu plus de 22 heures quand je rentre à la maison. Maman
était à son poste, soit son canapé, avec sa bible en avant et son téléphone
dans les mains.
– Tu rentres
tard, commente-t-elle
– Ça t’intéresse ? rétorquai-je sur un ton plus hargneux
que ce que je voulais
– Pourquoi tu
me parles sur ce ton ?
– Je ne sais
pas maman, peut-être parce que tu n’es jamais là ! Peut-être parce que je porte à bout de
bras cette famille pendant que vous les autres membres agissez comme des
électrons libres ! Tu
passes tes journées on ne sait où. Toni doit dormir dans une chatte à Kinshasa
alors que le père qui a fait de lui ce qu’il est aujourd’hui dort parmi les rats
et les odeurs infectes. Denola préfère s’occuper des préparatifs pour faire
évacuer un corps mort, plutôt que de porter secours à son père, un être vivant ! Dans la bible que tu serres contre toi
au quotidien, ce n’est pas écrit qu’on doit laisser les morts enterrer leurs morts ? Ou vous attendez que papa aussi crève
avant de réagir, ou pleurer comme des hypocrites ? Parce qu’on a tous vécu dans cette maison,
ne faites pas comme si vous aimiez trop Ray maintenant qu’il n’est plus. Toni n’en
ratait pas une pour se moquer de lui ; tu l’évitais prestement, Denola l’a plus d’une
fois insulté devant moi, mais comme c’est papa qui a commis une erreur, c’est
facile de faire de lui un bourreau non, m’écriai-je de douleur
Elle laisse son
téléphone, ferme doucement sa bible et me dévisage avec peine, ce qui décuple
ma rage.
– Tu as raison
sur un point Garcie. Nos réactions que tu considères comme hypocrites ne sont
pour certains, en tout cas moi, qu’une prise de conscience. Si tu veux appeler
ça de l’hypocrisie, je ne t’en voudrais pas. Je n’ai pas aimé ce garçon quand ma
belle-famille nous l’a imposé et je n’ai pas non plus voulu abandonner mon
foyer. La seule option que j’ai trouvée c’était de me concentrer sur vous, et les
petites choses que ton père faisait comme vous appeler mes héritiers tout en le
mettant de côté me sont passées dessus. J’ai eu beaucoup de mal avec lui, mais
le temps que je commence à l’apprécier, il s’était déjà constitué sa carapace.
C’est vrai que ton frère Toni aimait se moquer de lui et ça a souvent créé des
tensions entre eux, mais ce n’était qu’une façon maladroite de Toni d’établir
un petit lien avec Ray. Denola a insulté Ray, c’est vrai, mais ce n’était que
par exaspération à certains moments. Toutefois aucun de nous n’a sciemment
cherché à faire du mal à Raymond. Jamais nous n’avons essayé de lui nuire,
alors tu te trompes si tu penses que nous porterons la croix de ton père. Être une
famille ne veut pas dire qu’on se couvre quand on commet des fautes. Ce n’est
pas une preuve d’amour ; la
preuve, si j’avais interpellé ton père dans ses actions lorsque vous étiez plus
jeunes, peut-être il n’aurait pas alimenté la haine dans le cœur de son fils.
Peut-être nos relations familiales auraient été meilleures et la raison saugrenue
qui a poussé ton père à poser cet acte n’aurait jamais vu le jour. Dans la même
bible que je tiens, Dieu n’a pas épargné le roi David, celui qu’il appelle l’homme
selon son cœur, des conséquences du meurtre qu’il a commandité sur le mari de
la femme qu’il a convoité. Tu penses que ton père est au-dessus du roi David ?
– Je m’en
fous, je m’en fous, je m’en fous, répétai-je en sanglotant le cœur vide de
forces et d’espoir. Je tombe au sol et pleure de plus belle. Je suis fatiguée
de lutter, fatiguée que les choses s’accumulent comme ça sur nos têtes.
Fatiguée que les murmures se propagent dans la ville sur nous. Je la sens
bouger et elle est à mes côtés, essayant de m’aider à me relever
– Allez ressaisis-toi,
arrête de pleurer ma chérie
– Je ne veux
pas que mon papa meure, pleurai-je dans ses bras
– Rien ne
dit qu’il mourra, restons positives et dans la prière. Qui sait, peut-être que
ce séjour lui fera du bien, dit-elle en me câlinant la tête. Je veux y croire. J’essaie
tant, mais les mots de cet avocat m’ont miné l’esprit. Pourquoi la peine doit
être si lourde ? Ce n’est
pas comme s’il avait pris un couteau pour littéralement poignarder Ray non
plus. Non, je refuse d’abandonner mon père, quel que soit ce qu’il a fait.
***Mireille SANI***
Pourquoi ai-je
fait confiance à un gamin de vingt ans pour une tâche pareille ? Parce qu’à coup sûr c’est Ezra qui m’a livré
à ce vicelard d’Eben. Et par sa faute je me retrouve dans une galère d’où je ne
pense pas pouvoir sortir seule cette fois. Une semaine s’est écoulée depuis qu’on
m’a pris sur les faits. Pour me justifier aux garçons, j’ai avoué que jamais je
n’ai aimé Eben et le voir a réveillé ma douleur. J’ai joué la carte de l’amertume
causée par la trahison de Martin et prétexté qu’il savait et couvrait son
oncle. Et depuis que j’ai dit ça, Ezra ne me collait plus la paix, avec ses
incessants « pourquoi », « à quoi ça te servirait maintenant ? ». Il ne peut pas être choqué comme les autres et
rester dans son choc. Non il doit toujours questionner, creuser et ne s’arrête
que lorsqu’il a obtenu la réponse qu’il veut. Mais ce n’est certainement pas moi
qui allais lui donner gain de cause. Pour avoir la paix et aussi les effrayer,
j’ai quitté la maison avec pour seul indice un petit mot. « Je sais que vous me détestez, donc je vous
laisse, vous vivrez mieux sans loi ». J’ai
trouvé refuge à l’hôtel Ambassadors, et coupé ma ligne principale. Je n’utilise
que mon numéro d’urgence sur lequel Norbert peut me joindre à tout moment. C’est
à lui que je m’en remets pour la suite. Il est au courant de ma situation
actuelle. Avec un peu de chance, le mécréant d’Eben retournera d’où il vient,
et le temps aidera mes fils à oublier. C’est mon espérance du moins.
Je ne fais que
dormir, donc c’est avec un certain soulagement que je me lève du lit quand la
réception me prévient que j’ai de la visite. Comme il est encore remonté par ce
que je lui ai dit à mon passage dans son cabinet, Norbert ne monte jamais quand
il passe ici. Peut-être c’est le manque de cheveux qui pousse la colère à se
concentrer autant dans ses nerfs parce que je ne comprends pas comment on peut
autant se fâcher pour si peu. Ça se voit que sa vie n’a jamais été en danger,
pensais-je en descendant les dernières marches. Ce n’était pas lui dans le lobby,
mais Axel et Ezra. Le choc me gèle sur place et ils ont eu le temps de me voir,
donc impossible pour moi de fuir. Ils s’avancent d’un pas décidé et tous deux
le visage fermé.
– Comment
vous…
– C’est le
notaire Norbert qui nous a prévenus que tu perdais l’esprit et avait besoin de
nous. Montons, me dit Ezra tout dru
Ce n’est pas le
moment de faire un esclandre donc j’obtempère et nous voilà dans ma chambre.
– Dis-moi un
peu la manipulation tu l’as toujours appliquée ou c’est nouveau ? continue-t-il sur le même ton
– Pourquoi m’acculez-vous,
m’écriai-je et fonds en larmes sous le coup de l’émotion. Votre père a déjà
ruiné ma vie, mais ça ne vous suffit pas ? Vous voulez me voir à terre c’est ça ? Prenez donc un couteau et poignardez-moi,
qu’on en finisse une bonne fois pour toute
– C’en est
assez maman. En quoi c’est notre faute ou celle d’Eben que papa ait choisi de te
trahir ? me
reproche Axel
– Vous n’êtes
que des ingrats ! J’ai
aimé et souffert pour les hommes de cette famille et rien du tout, je n’en tire
rien aujourd’hui. Mes propres enfants que mon corps a produits veulent voir ma
déchéance. Me voilà traquée comme la pire des criminelles parce que j’ai eu un
moment de faiblesse et me suis laissé gagner par des idées noires. Dois-je
payer quand votre père n’a pas payé ? Quand il est mort en se moquant de nous ?
– Une
semaine, commence Ezra en s’asseyant sur mon lit
– Quoi ?
– Tu as eu
une semaine pour nous dire la vérité maman, mais tu as préféré la gaspiller en
nous rabâchant les oreilles sur la prétendue haine que tu éprouvais pour Eben
– Quelqu’un
qui ne t’a rien fait de son vivant, ce perroquet d’Axel se permet de compléter
– Même si on
acceptait que tu le détestes, qu’est-ce que tu gagnes à le tuer maintenant ? Tu l’as revu plusieurs fois pourtant, c’est-à-dire,
après l’enterrement. Nous étions déjà au courant de la double vie de papa. Pourquoi
tu n’as pas profité de ce moment pour te débarrasser de lui si ta haine était
si grande ?
– Ezra ce n’est
pas le moment d’évoquer ses souvenirs douloureux
– Axel, laisse-moi
arriver à mon point s’il te plaît. Alors, maman qu’as-tu à répondre à ça ?
– Dois-je te
rappeler que nous étions désemparés ? Dois-je te rappeler les circonstances du meurtre…,
je veux dire…
– Non le lapsus
était correct. C’était bel et bien un meurtre, et j’en ai longtemps tenu Jeanne
responsable. Mais avec le recul, et tes aveux, je commence à comprendre tes réactions
toutes les fois que je te faisais part de mes suspicions concernant Jeanne. Cette
manie que tu avais de minimiser mes dires, il n’y a qu’une personne qui veut en
couvrir une autre qui se compo…
– Je ne te
permets pas !! je
m’écrie en rage
– Non ? Alors si tu n’essayais pas de couvrir Jeanne
parce que tu lui as demandé de faire du mal à papa ?
– Ezra tu… tu
ne penses pas ce que tu dis, lui réponds Axel avec effroi
– Si j’y ai pensé,
j’ai une semaine pour ne penser qu’à ça en fait maman. Si tu peux essayer de
tuer Eben juste parce qu’il est complice et user de ce stratagème, quitte à me
mettre, moi ton propre fils en danger, je n’imagine pas la quantité de haine
que tu as ressentie envers papa. Et ton insistance à me dissuader toutes les
fois que je parlais de Jeanne m’a convaincu que je ne me trompe pas
– Tes frères
aussi t’en ont dissuadé ! Ça
veut dire qu’ils ont également mandaté Jeanne ?
– Axel m’en
a dissuadé, parce qu’il est pacifiste et faisait confiance à tonton Gaétan pour
régler l’affaire, c’est tout. Joshua partageait mon avis, et Allen était trop
retourné pour comprendre. En revanche, aucun d’eux n’a essayé de tuer Eben
maman. Aucun d’eux n’a essayé de priver un autre humain de sa vie, parce que
supposément ce dernier était complice de son défunt mari
J’ai le dos
littéralement contre le mur. Ce mensonge devait me servir à me tirer de cette
histoire, et non m’enfoncer dans un autre abîme. Que puis-je faire devant ces
regards accusateurs et lourds de sens qu’ils me portent.
– Il dit
vrai maman ? Tu
as fait ça ? Tu nous
as vu pleurer, et te lamentais avec nous, sachant pertinemment que tu étais la
responsable ? Tu
as été si pernicieuse ? me questionne
Axel
– Votre père
a emmené cette femme chez nous ! j’admets
d’une voix amère, et la tête baissée. Je les ai vus de mes propres yeux. Non
seulement il l’a emmené, mais en plus il se déplaçait sur des béquilles, alors
qu’il continuait à se servir de nous pour le porter, nourrir, et même faire ses
besoins. Comment pouvais-je garder mon sang-froid devant tant de méchanceté ?
– Donc tu as
demandé à Jeanne de le tuer ? dit
Ezra
Je refuse d’admettre
quelque chose, donc je tourne ma tête sans rien ajouter. On ne me fera pas
passer pour la grande criminelle parce que Martin est désormais décédé.
– De toute
façon, ce n’est plus important. Je venais personnellement te dire que je ne
veux plus rien savoir de toi
– Ezra je
suis ta mère ! me
vexai-je
– Tu l’aurais
été si je m’étais trompé de boîte et j’avais mangé ce qui était destiné à Eben ?
– Je… je n’ai
jamais voulu te faire du mal mon fils, je te jure que…
Il lève la main
et sort de la chambre d’un pas lent. Je reste avec Axel, qui ne cache même pas
cet air désolant.
– Tu vas toi
aussi le suivre et me tourner le dos ? Toi mieux que les autres sais combien je me suis
sacrifiée pour votre père après son accident. Tu vas me juger ?
– Si tu
avais autant mal pourquoi tu ne t’es pas confié à moi maman ? J’étais là, j’aurais pu t’écouter et te
soutenir
– Parce que
tu aurais pu effacer la rage qu’il m’a causée ? je m’écrie encore et efface mes larmes
dans un geste de colère
– J’ignore
si j’aurais pu y arriver, mais j’aurais essayé. Je t’aurais donné tout l’amour
que j’ai pour toi. Peut-être que le temps aurait réussi à diminuer ta haine,
mais tu as préféré laisser la noirceur te vaincre, dit-il calmement ce qui me
fait reculer. J’aurais pu ? J’aurais
dû me confier ? Est-ce
que ça aurait vraiment pu me calmer ? Je ne le saurais jamais. Le mal est fait
– Tu peux
encore m’aider Axel, dis à Eben de ne pas me dénoncer à la police, je.. je promets
que je vais changer, je vais…
– Je ne vais
pas empêcher quelqu’un de témoigner sa rage quand tu n’as pas eu de pitié à le
faire. En passant, il m’a chargé de te dire que sa recommandation n’a pas changé
et le délai reste le même. Il a dit que tu comprendrais comme ça
– Il veut me
prendre mon argent Axel, il me fait chanter
– Arrête de
raconter des bobards maman, tu as perdu toute crédibilité à mes yeux
– Ax…
– Et tu n’as pas intérêt à approcher
Allen pour lui insérer ton venin dans l’esprit, sinon on lui dira ce que tu as
admis, dit-il avant de lui aussi s’en aller
Je glisse lentement
contre le mur et pose la tête sur mes genoux. Je suis seule, je les ai perdus. Non,
non, il me reste Joshua. Lui ne me refusera pas.