96: Je veux ton amour, I don’t wanna be friends

Write by Gioia


***Thierry Henry NDOUO***

Plusieurs mois se sont écoulés depuis mon voyage impromptu à Libreville. Le froid de décembre est déjà bien installé. Pourtant mon esprit est toujours au pays, précisément sur la famille EKIM, bien je sois moi aussi en famille et il y’a beaucoup pour m’occuper ici. Lucille par exemple, amuse la galerie parce qu’elle fait le tour du salon des Adamou pour partage les morceaux de pomme dans son petit bol. Bientôt elle aura dix-sept mois et quand je pense aux révélations sur la famille EKIM, je n’ai qu’une conclusion qui s’impose à moi. Le père de Ray ne l’a jamais aimé. En tout cas pas comme il aimait ses autres enfants. Je sens une petite tape sur mon épaule et en levant les yeux, je tombe sur le regard d’amande de ma mère qui semble soucieuse.

– Tu manques de quelque chose?

– Non non, ça va

– OK, euh…, ton pè…, enfin Tao ne devrait pas tarder. En général, il ne travaille pas après le 15 décembre, mais il se fait que…

– ça ne me dérange pas, je t’assure

– OK…, Asad, tu veux bien emmener Thierry dans la bibliothèque pour lui montrer le nouvel aquarium?

– Je suis obligé? lui demande le garnement sans détourner la tête de la télé. Il a dû oublier qu’il a une maman africaine parce qu’un coussin atterrit sur sa face sans tarder et Lucille éclate de rire comme si c’était le jeu.

– Hooo, qu’est-ce que j’ai encore fait moi?

– Tu te lèves et que ça saute, petit fripon

– ça va, je vais plutôt t’aider avec ça, dis-je en essayant de lui prendre l’aspirateur qu’elle avait dans les mains mais elle m’en empêche

– Hors de question, c’est toi l’invité

– Ma mère ne dormirait pas paisiblement si ça parvient à son esprit que j’étais confortablement vautré pendant que tu passais l’aspirateur alors laisse-moi faire s’il te plaît

Elle me donne l’appareil non sans rechigner et prend ma place sur leur divan. Lucille qui croyait réellement qu’on a commencé à jouer attrape un coussin et veut attaquer Asad avec bien que je la rappelle à l’ordre. Ce dernier s’en va à la course, l’incitant à lui courir après et elle s’en va avec sa démarche incertaine là.

– Est-ce que la maman de Lucille se joindra à nous? Elle me demande pendant que je suis au travail

– Non, elle avait un programme avec son amie

– Ah d’accord, dit-elle d’une petite voix, puis marque une courte pause avant de recommencer quand je me lançais aussi dans une question

– Non vas-y, lui dis-je

– Non non je t’écoute

– Tu arrives à comprendre ces parents qui aiment un enfant plus qu’un autre? Je veux dire, je n’imagine pas aimer un jour celui ou celle qui suivra Lucille plus qu’elle mais la vie vient de me montrer que c’est possible. Comment peut-on en arriver à ça? Pour que je puisse l’éviter, parce que je ne veux jamais me retrouver dans une situation où je fais sciemment ou inconsciemment du tort à mon bébé, lui dis-je sincèrement

– Laisse cet aspirateur et viens ici, me répond-elle tout en se levant du divan

Je m’exécute, le temps qu’elle revienne avec une tablette puis me montre un site internet, qui porte mon nom.

– Quand on t’a perdu, j’ai arrêté d’exercer mon métier et pour m’occuper, j’ai décidé de me lancer dans la vente en ligne, de produits de soins corporels. Pour moi c’était évident que ma ligne devait porter ton nom et bien que les cinq premières années n’étaient pas rentables, jamais je n’ai eu l’idée d’abandonner, parce que pour moi c’était une façon de te garder en vie. Pendant longtemps, j’ai pensé t’aimer plus que Ida. Je…

– Je suis désolé, dis-je attristé par son récit

– Non chéri, je ne te raconte pas ça pour que tu culpabilises, surtout que ce n’est pas ta faute, réplique-t-elle en me caressant la joue. Donc je disais que j’ai même ressenti une grosse culpabilité en tombant enceinte de ton petit frère. Cette petite voix en moi me soufflait de temps en temps «te réjouir pour cette grossesse, n’est-ce pas une façon d’oublier Laith». J’ai même prié qu’Asad soit une fille, parce que bêtement, je ne sais pas, je me disais qu’une autre fille comme Ida c’était meilleur. On avait déjà l’expérience avec les filles. Mais un autre garçon qui t’aurait potentiellement ressemblé, c’était difficile à accepter pour moi. Tu connais la suite. Je ne considère pas que j’ai été une bonne maman pour Ida. Je l’ai délaissée à sa naissance, et quand j’ai pris conscience qu’un autre enfant avait aussi besoin de moi, je l’ai étouffée, par crainte qu’elle ne se pense pas aimée. Je ne peux remercier que Dieu pour la relation fusionnelle qu’il nous a permis d’avoir malgré mes manquements. Et il n’y’a qu’à lui encore que je peux témoigner ma gratitude pour la mère que j’ai réussi à être pour ton frère. Mon point c’est qu’on n’a pas la même relation avec tous nos enfants, puisque nous évoluons en tant qu’humains. C’est notre devoir en tant que parents de ne pas exprimer cet amour de façon si disparate que les enfants le ressentent. Et pour bien accomplir ce devoir, tu as la prière, tout comme tu travailles pour pourvoir à ces besoins physiques. Tu pries aussi pour que ton Dieu t’aide à être un père juste, aimant et bon pour tous tes enfants, indépendamment de tes émotions.

– Mais personne n’a prié plus que tata Marcie dans ce pays, lui dis-je dubitatif puis je lui raconte en détail ce qui s’est passé quand j’étais à Libreville

– Je vois. Mais tu conviens avec moi qu’on ne peut pas se fier à une expérience individuelle pour juger qu’une méthode entière ne fonctionne pas? Parce que je connais beaucoup aussi qui prient et sont heureux de leurs vies. C’est à toi de choisir en âme et conscience

– Hum, je me dis que c’est parce que le père de mon ami l’a eu hors mariage. Les enfants nés en dehors des unions semblent avoir les vies les plus difficiles

– Je ne te contredirai pas là-dessus, ayant expérimenté ce que tu dis

– C’est pour ça que je préfère faire tous mes enfants avec Vitalia, mais sa tête de haricot là fait comme si elle ne me voit pas quand je lui fais les yeux doux, parlai-je oubliant carrément en présence de qui j’étais. Euh…, bon je vais finir de passer l’aspirateur avant que Lucille ne revienne pour saccager le salon, dis-je en me levant prestement

– D’accord, dit-elle avec un sourire en coin

Papa ne rentrera que tardivement le jour là. Nous avons eu le temps de manger et jouer comme des fous. Asad ne respecte pas les gens hein. Moi son grand de plusieurs années, il m’a dominé dans notre partie multijoueur sur Rocket League. Heureusement sa mère était là pour lui couper un peu ses ailes de dragon avec lesquelles il volait trop haut là. On lui a rappelé que c’était son tour de remplir le lave-vaisselle et c’est en traînant des pieds qu’il s’est levé pour aller le faire. Nous sommes à Marseille depuis deux jours mais Lucille me sort une phase que je ne capte pas jusqu’à présent. Dès que sonne l’heure de sa douche de nuit, elle se met à me fuir, ou se battre contre moi. Mais dès que sa mamie lui présente la main, elle l’attrape et se comporte comme le petit ange de Jésus. Ce soir encore, elle a gagné. Elles se douchent entre filles. Et papa a demandé à me parler donc j’ai laissé pour cette fois, mais demain je l’attends.

– Excuse-moi pour aujourd’hui, je ne pensais pas que ça me prendrait autant de temps, me dit-il tout en revenant avec un dossier qu’il dépose sur la table à manger

– Pas de soucis, j’espère qu’il n’y avait rien de grave

– Pas vraiment, je change juste l’organigramme du cabinet donc il faut rencontrer chaque employé et passer en revue, ce qui sera ses fonctions désormais. Bref, j’ai une proposition à te faire. Nous comptions mettre la maison en location dans deux ans mais je me suis dit pourquoi pas toi? Bien sûr ce n’est qu’une proposition comme j’ai dit, rien ne t’oblige à l’accepter

– Vous la louez parce que vous déménagez?

– Non, ils partent en croisière ces vieux là sans penser à moi, me répond gaillardement mon frère avant de venir poser son menton sur le crâne de papa puis, il se met à masser ses joues

– Qui a dit qu’il ne voulait pas qu’on attende qu’il finisse le lycée avant de profiter de notre vie? Rétorque papa après lui avoir pincé les mains simultanément

– Détends-toi le daron, je déconnais, rigole le garnement

– Petit fêlé de la tête va, ironise papa

– Maman, il y’a ton mari qui m’insulte encore gratuitement

– Asad, tiens-toi bien là-bas sinon tu vas dormir direct, lui répond maman depuis leur salle de bain

– Jamais soutenu dans cette maison, vivement que j’aie le bac, il ronchonne bras croisés derrière sa tête. Je précise que le petit en question vient juste de débuter son collège

– Comme l’a dit le petit morveux, nous préparons actuellement un tour de l’Afrique étalé sur un an. Asad vivra avec les Boulder et s’il ne les a pas tués en un an, nous comptons faire aussi le tour de l’Asie pendant un an. Ça veut dire que tu auras la maison pour toi pendant deux ans. Et le premier tour n’est prévu que dans deux ans, le temps qu’on s’assure qu’Asad soit plus mature

– Rhooo, je connais le numéro de la police, le médecin, et en plus je sais faire les courses, rouspète le petit ce qui me fait rire

– Apprends à ne pas m’interrompre et on pourra reparler de ta maturité. Où en étais-je? Ah oui, nous attendons aussi qu’Ida finisse sa maîtrise, d’où les deux ans. Donc tu as du temps, si l’offre t’intéresse, pour chercher un emploi dans la région

– Je ne pense pas avoir les moyens pour assumer le loyer de cette maison. En plus, partir si loin revient à mettre davantage de distance entre elle et sa mère, ce que je ne veux pas faire

– Tu n’as pas à t’inquiéter pour le loyer, l’hypothèque a été levée il y a cinq ans. Tu n’auras que le gaz et l’internet à ta charge. Nous prendrons en charge le reste

– Mais vous ne louiez pas pour percevoir un revenu?

– Nous n’en avons pas réellement besoin. Notre premier objectif c’était d’avoir des gens sur place, pour prendre soin de la maison, le temps qu’on revienne

– OK je vois, dis-je quand même intéressé. Deux ans sans loyer, c’est une sacrée économie que je vais me faire. Je pourrais rehausser mon épargne et potentiellement devenir propriétaire en quittant cette maison? Je sais, je rêve mais c’est permis et gratis

– Tu es avec nous? me demande papa qui prenait Lucille des bras de sa femme

– Oui, je peux lui donner le bibi, ce n’est pas…

– ça ne me dérange pas, répond-il tout en prenant maintenant le bibi que lui donnait sa femme. Lucille m’amuse à tirer furieusement sur lui, tout en caressant la barbe de son papi. On aurait dû appeler cette fille Audace, parce qu’oser comme ça, sans crainte, n’est pas normal.

– Et si tu racontais à Thierry comment tu m’as séduit, chéri? Lui propose-t-elle  

– Hooo maman, un peu de tenue quand même

– Toi va te coucher

– Mais…

– J’ai dit d’aller te coucher, on ne va pas parler des choses de ton âge

– Je suis le plus incompris dans cette maison, bougonne-t-il tout en s’exécutant. Sa copine Lucille se désintéresse automatiquement du bibi, et bouge le cou comme un coq pour le suivre du regard

– Pa…, dit-elle en me pointant du doigt mon frère puis, Sad, elle rajoute avec un grand sourire. Le reste qu’elle babille là, je n’ai pas encore les compétences pour traduire en langage courant.

– Allez viens Lulu, laissent les se raconter leurs histoires inintéressantes là. On ne veut même pas entendre

Qu’est-ce qu’elle a compris, qu’est-ce qu’elle n’a pas compris, on ne sait pas. Ce qui est sûr, elle s’accroche à papa pour descendre et suit son compère, avec son bibi à la main.

– Tu veux que je raconte quoi au juste? Reprend papa

– Comment tu as réussi à me conquérir, minaude-t-elle en retour

– Je me suis mis nu et elle n’a pas pu résister

– Gros malade, réplique-t-elle en lui tirant l’oreille alors que je continuais à rire de la réponse de papa

– Plus sérieusement, je lui ai dit ce que je ressentais. Et comme elle en pinçait déjà pour moi, elle s’est empressée de cueillir le fruit mûr que j’étais

– Tu es franchement incorrigible, dit-elle d’une voix qui trahit l’affection qu’elle ressent pour son homme

– C’est comme ça que tu m’aimes, il lui retourne sur le même ton et porte à sa bouche sa main. Je pense néanmoins que la cohabitation a facilité les choses entre nous

– Vous aviez vécu ensemble avant de vous marier? Je demande

– Oui, je suis venue le retrouver ici en France, après un mensonge dans lequel je l’ai impliqué et dont je ne suis pas fière

– Je lui ai déjà parlé de cette partie chérie, commente papa

– Ah d’accord. Je dirais aussi que la cohabitation nous a aidés vu qu’il en a grandement profité pour m’exposer à son indécence et me corrompre, plaisante-t-elle

– Admets que si on devait faire les choses à ton rythme, nous aurions fait dix ans avant d’échanger un bisou. En plus je ne suis pas un homme patient, me dit-il avec le plus grand sourire au monde, comme s’il aimait particulièrement ce trait qui est pourtant considéré comme un défaut

Peut-être que c’est ça mon problème? Serais-je trop patient avec Vita, raison pour laquelle, elle fait mine de ne pas me comprendre?

– Une autre chose qui a aidé aussi, c’est le fait qu’il soit si disponible pour moi. C’était le premier homme à l’être autant. En plus il était si encourageant. Sans lui, jamais je n’aurais repris les études, parce que je me trouvais trop vieille

– Je ne m’attribuerai pas ce mérite. Elle n’avait connu que la racaille avant moi, donc dire que c’est ce qui l’a rendue folle de moi serait tiré par les cheveux. C’est le coup de la serviette, quand on la laisse tomber sans prévenir, ça fait monter l’ocytocine chez les femmes, me chuchote papa comme si sa femme n’était pas à côté de nous

– Vieux gâteux là, c’est toi qui ressens les choses à ma place?

– C’est toi qui m’as incité à raconter l’histoire, je donne ma version

– Bref, je n’ai même pas remarqué ce qu’il avait sous la serviette. Moi je te dis que c’est sa disponibilité qui m’a conquise. Et bon, j’avoue que sa beauté avait déjà piqué mon intérêt

– Voilà fils. Je te l’ai dit ou pas. L’état naturel de l’homme suffit amplement. Le reste ce sont les extras

– Tu sais que tu es lourd quand tu t’y mets, commente-t-elle en le lorgnant

– Et.. euh.., ça ne vous ai jamais arrivé d’avoir un moment creux? Genre un moment où vous avez douté l’un ou l’autre de vos sentiments? Comment avez-vous réussi à raviver la flamme? Demandai-je. Je trouve ça plus proche de ma réalité, vu que j’ai connu Vita dans la fougue

– Oui ça nous est arrivé, me dit papa, reprenant son sérieux. Nous nous sommes séparés pendant quatre ans, pour des broutilles

– Ce n’était pas une broutille Tao. Je souffrais de vaginisme, ce qui a rendu notre intimité difficile. Très difficile au début de notre couple, m’avoue-t-elle sans détour. J’ai appris d’Ida qu’elle fut sexothérapeute dans le temps, mais de là à ce qu’elle m’ouvre la porte à leur intimité comme ça me surprend. Et je suis au bord de la chaise, les oreilles dressées, prêt à tout enregistrer

– Mon avis personnel, c’est qu’au début de notre relation, nous n’avions que le béguin l’un pour l’autre, continue-t-elle. Tu dois savoir ce que c’est, la fougue des premiers instants, les découvertes, l’attrait de la nouveauté. Saupoudre le tout avec une grosse pincée d’attirance et d’attachement réciproque et tu as le portrait de ce que nous étions. Les premiers pépins se sont vite ramenés, sous la forme du vaginisme. Je considère aussi que ce fut la première fois que notre attachement fut éprouvé

– Maintenant que j’y pense, je dirai aussi que c’était notre première réelle difficulté. Entre essais, prises de bec, petites victoires, gros échecs, nous en sommes arrivés à la séparation. Honnêtement, elle aurait pris fin plus tôt si j’avais mis mon égo de côté mais je voulais la punir, parce que la décision est venue d’elle

– Ce n’est pas plus mal que ton égo t’ait bloqué. J’avais besoin de temps seule aussi, pour vaincre certains obstacles, prendre de l’assurance, bref, faire mon parcours aussi, parce que certains problèmes sont plus faciles à vaincre seule, quand tu n’as pas la pression de celui que tu aimes sur moi

– Je ne lui ai pas sciemment mis la pression. J’ignorais d’ailleurs que je le faisais à l’époque

– Ce n’est pas ta faute, tout était une pression pour moi à l’époque. Je voulais réussir, être une bonne femme pour lui, bref c’était une période décisive pour moi. Ce qui nous a ramenés ensemble, je dirai que c’est l’amour? Non? Parce qu’on n’a rien fait de spécial maintenant que j’y pense

– Elle a fait le premier pas que mon égo refusait de faire. Mais de mon côté j’ai tout simplement refusé de considérer une autre femme. Chose que je ne sais pas si je conseillerai à un autre, mais je ne voulais pas accepter que notre histoire ait pris fin alors qu’on n’avait encore rien vécu. Disons que je me suis accroché à l’amour que j’avais pour elle et dès qu’elle a réapparu, j’ai baissé la garde

– Après plusieurs jours à me faire tourner en rond aussi hein, précise-le, tu m’en as fait voir de toutes les couleurs cet homme

– Je devais te faire passer l’envie de recommencer, en plus tu savais très bien en me voyant que c’était gagné d’avance. Tu savais que mon cœur était tien, ce n’était qu’une question de temps pour que tu enlèves l’étau de colère autour et reprenne le contrôle dessus

– Ce n’est pas faux, dit-elle en souriant

– Et ça te plaît quand on je te dis ça hein, lui répond-il amusé

– Oh Tao arrête de me chatouiller, elle rigole de bon cœur

– Vous êtes vraiment chanceux

– Je te l’ai déjà dit, qu’en tant que mon fils, tu es plus chanceux que moi. Parlant de fils, je voulais normalement te remettre ceci. Ça vient de ton grand-père, il m’a fait promettre de te la donner, dit-il en me présentant une grande enveloppe kaki que j’ai récupérée, et n’ai lue qu’une fois seul au lit

«Mon cher Laith,

Si tu es en train de lire ce mot, je tiens en premier à dire, Alhamdulillah. J’ai toujours su que le Dieu que je sers est souverain et miséricordieux. Je me présente, Oumar Adamou, ton grand-père, qui n’a jamais perdu espoir. Un regret avec lequel je quitte ce monde, c’est celui de ne pas t’avoir revu, mais je me repose aussi dans l’assurance que tu es en vie, et je le crois en bonne santé. Que dire de moi? J’ai essayé de mon vivant d’être un bon père, et selon tes deux grands-mères, j’étais un papi gâteau. À 18 ans, j’ai intégré l’armée de terre et fais mon chemin jusqu’au poste de chef d’état-major, laissant ainsi mon ancienne position de Colonel, mais vu que j’ai fait énormément de temps à ce poste, je suis resté le colonel Adamou dans la bouche de beaucoup. J’ai eu beaucoup d’enfants mais j’avoue qu’avec ce que tes parents ont vécu, ton père et accessoirement toi avez accaparé toute mon attention vers la fin de ma vie. De ce fait, il se peut que tu aies l’impression de ne pas être bien accueilli à ton retour par tes oncles et tantes. Je t’en prie, essaie de ne pas leur en vouloir, car je suis en partie responsable. Si tu peux, je t’encourage vivement à leur donner une chance, tout en restant vigilant, parce que j’ai appris vers la fin de ma vie, que l’argent peut diviser même ceux qui s’aimaient énormément. C’est un triste constat, et je n’ai pu rien faire pour le corriger avant d’être rappelé par mon créateur. Dieu merci, ils ne sont pas tous comme ça. Je te laisse faire ta propre expérience et découvrir ceux qui sont sincères.

Étant un Adamou, je sais que tu ne seras pas un paresseux, donc sur ce plan je ne m’inquiète en rien. Concernant les femmes, je n’ai moi-même pas été un exemple. Des femmes j’en ai connu beaucoup, et j’ai appris que la jalousie n’est pas une bonne chose à encourager. Plus tu en as fiston, plus tu t’exposes aux affres des passions de l’âme, plus tu dépenses, plus tu t’égosilles pour rassurer. Et par la suite, il faudra faire face aux questions de tes enfants. Si tu en as deux ou trois très inquisiteurs comme ton père, et que tu n’es pas patient, tu risques d’user régulièrement de sévices corporels, ce qui n’est pas forcément bon. Un homme, c’est celui qui a une vision aussi bien pour son avenir professionnel que familial. J’aurais aimé le savoir, ça m’aurait évité bien de problèmes, mais dans sa grâce, Allah m’a donné une femme très compréhensive, qui m’a beaucoup pardonné. Je prie que tu aies la même grâce, toutefois, ne pense pas que c’est la permission pour en abuser, parce qu’à force de tirer sur une corde, elle risque de se casser.

L’alcool comme le dit notre religion est un interdit. Ayant moi-même bravé plusieurs fois cet interdit dans le passé, je ne vais pas te dire que le faire fait de toi un mauvais, mais l’interdit existe pour une raison. Efforce-toi de le respecter, tu n’en gagneras que davantage.

Tu trouveras dans l’enveloppe, une clé. Celle-ci donne l’accès à un coffre-fort logé à l’agence de la RBC au 1260 Bd Lebourgneuf à Québec. Ils te demanderont pour y accéder, une copie du passeport de ton père ainsi qu’une de tes photos. Tu devras aussi fournir tes empreintes digitales, par sécurité. L’existence de ce coffre est inconnue de tous, y compris ton père, donc ne sois pas étonné s’il est confus lorsque tu lui en parleras. Si tu n’as pas dix-huit au jour où tu accèdes à cette lettre, je te recommande vivement de n’en parler qu’avec ton père et la lui confier. Je te lègue l’entièreté du contenu espérant qu’avec tu pourras te construire une vie agréable et aussi prendre soin de tes parents. Je t’en prie, ces derniers ont énormément souffert, alors penses-y toutes les fois que tu voudras leur faire subir une crise d’adolescence. Je ne sous-entends pas qu’ils seront forcément les meilleurs parents, mais essaie d’être patients avec eux, parce qu’un être vil leur a retiré cette opportunité pendant un moment, donc ils devront se réadapter à toi.

Je te laisse avec cette dernière recommandation. Ne te laisse pas impressionner par le contenu de ce coffre-fort. L’argent peut acheter beaucoup mais jamais l’intégrité. Si tu le laisses te dominer et changer tes rapports avec les autres, tu seras l’unique perdant, parce que l’argent aussi grand qu’il soit finit, comme n’importe quelle source d’eau. Et lorsqu’il finira, aucune voiture ou vêtement luxueux ne te tiendra au chaud. Sois immensément béni, et puisses-tu faire plus que moi, mon petit garçon.

Ton papi, Oumar.»

Au bout de la troisième lecture, l’émotion que je ressentais, s’est transformée en quelques larmes. Je vais chercher son nom sur Google, tombe sur quelques photos et ressens un gros coup de fierté. Il était classe mon grand-père, et je retrouve facilement des airs de lui sur papa, ainsi que moi. Il n’y avait plus aucun doute en moi, concernant ma relation avec mes parents biologiques, mais cette lettre vient renforcer l’idée que j’avais déjà. J’ai été aimé autant chez les Adamou que les Ndouo. L’on dit aujourd’hui que l’amour ne suffit pas, pourtant c’est ce qui a maintenu cette famille dans l’espérance pendant de longues années. Si je veux l’amour de Vita, je dois lui montrer le mien en premier. Oui il n’y a pas d’autre solution.

***Farida ADAMOU***

Nous avions initialement prévu d’annuler les festivités de fin d’année à cause des récents évènements, mais nos amis nous ont encouragés à les maintenir, nous rappelant que lorsqu’eux aussi avaient mal pour nous dans le passé, pourtant ils ont continué à célébrer d’une certaine façon la vie. Donc nous sommes en comité réduit, soit juste nous et nos enfants. Bon il ne manque qu’Ida, ainsi que la mère et Vieira, le frère de Laith. Mais les trois nous rejoindront à la fin de leurs différentes activités scolaires et professionnelles.

Raconter notre histoire à notre fils hier fut une expérience si belle et émouvante pour moi, que je me suis levée ce matin avec la conviction qu’il me fallait lui offrir ce cadeau sans attendre. Ou peut-être l’impatience de Tao m’a contaminé, parce que Noël est proche, mais bref, je l’avais déjà en main et cognais à sa porte donc plus question de faire marche arrière. J’entre après qu’il l’ait permis et le trouve en train de changer la couche de sa fille. Quelques salutations et questions routinières sont échangées, puis je me lance en lui présentant l’écrin.

– Qu’est-ce que c’est? dit-il en le prenant

– Nous nous sommes beaucoup tourné autour ton père et moi, mais le soir où il m’a clairement fait part de ses intentions, il m’a offert cette alliance, tout en me disant qu’il me veut dans sa vie, en tant que sa femme. Un petit conseil si je peux me permettre. Je ne suis certes pas un homme, mais en tant que femme je sais qu’on préfère quand les hommes nous parlent clairement et avec des actes plutôt que des gestes vagues

Il l’ouvre et a une réaction à peu près similaire à la mienne quelques années plus tôt. Sa bouche reste ouverte et ses yeux écarquillés devant ma bague de fiançailles.

– Il a déposé un salaire de cinq ans dedans ou quoi? Je n’en ai jamais vu de si grosse

– En réalité, je n’en ai aucune idée, dis-je après un rire gêné. Il me l’a simplement présenté et je l’ai prise

– Mais je ne peux pas la prendre. Si c’est lui qui te l’a offerte, c’est qu’elle a de la valeur

– Oh elle aura plus de valeur pour moi, si elle t’aide à conquérir le cœur de celle que tu veux. Pour ma part, j’ai toute la valeur dont j’ai besoin dans ma maison, avec mon Tao. Mais je te recommande de ne pas mettre la bague en avant pour la conquérir. Il ne faut pas non plus t’exposer à une potentielle croqueuse de diamants

– Sur ce coup au moins, j’ai la conscience tranquille. Elle ne croque que mon respect, il me dit, ce qui m’amuse

– Bonne chance alors, j’espère vraiment que ça marchera pour vous

– Je peux te prendre dans mes bras? Il me demande alors que j’attendais un merci

– Oui bien sûr, dis-je et je me laisse enlacer. C’est la toute première fois depuis qu’on l’a retrouvée que j’ai un moment comme ça avec lui

– Merci maman, merci de ne pas avoir abandonné, merci pour ta compréhension, ton grand cœur, mais surtout merci pour ton amour. Je t’aime

Je fonds en larmes à la dernière phrase et le serre aussi fort que mes membres tremblent. J’ai tellement rêvé de ce moment, et j’attendais avec patience. J’aurais attendu toute ma vie s’il le fallait mais le recevoir si tôt est comme un miracle pour moi. Je ne cesse de lui répéter que je l’aime de toute mon âme et lorsqu’on se détache, ses yeux aussi sont mouillés. On ne se dit pas grand-chose. Il n’y a que le petit vacarme de Lucille qui nous berce, mais dans son regard, je me sens entièrement acceptée. J’ai enfin retrouvé mon bébé. Le procès de la coupable se déroulera au début de la nouvelle année mais elle l’attend sagement derrière les barreaux. Les miracles peuvent tarder, mais ils existent.

***Vitalia Andrade***

J’aurais aimé passé les fêtes de fin d’année avec ma Lulu, mais je me suis dit que donner la priorité à la famille biologique de Thierry était plus important. Les enfants sont la représentation physique qu’on se fait des anges, et comme ils sont rassembleurs, je compte sur notre fille pour tous les charmer et servir de sujet de conversation entre les Adamou, et les Ndouo.

Pour ma part, je suis en compagnie de Hadeya qui est là avec sa mère. Elle doit apparemment rencontrer celui qui sera son futur mari. Quand j’étais ado et je devais choisir entre m’acheter un nouveau rouge à lèvres et payer ma facture mobile, il m’est arrivé de me demander le pourquoi je ne suis pas née dans une famille. Mais quand j’entends ce que Hadeya me raconte sur sa vie, je me dis qu’être une personne lambda n’est pas si mal. Au moins j’ai la liberté de me faire niquer par qui je veux, et me marier quand j’en ai envie. Je me dirige aux Galeries Lafayette pour la rencontrer. Une fois là, je la texte sur Messenger, et elle m’indique de la retrouver à Jacquemus. Je la trouve sans difficulté, en train de coller sur son corps un joli pull marron chocolat.

– Qu’est-ce que tu en penses?

– Mignon. Elle n’est pas là ta mère?

– Chez Fauré le Page, avec sa copine, la procureure générale Asamoah, dit-elle en roulant des yeux

– Et comment ça avance? Tu as déjà rencontré le mec?

– Non, figure-toi qu’il n’a pas encore fini son stage au cabinet où il travaille à Nairobi, donc monsieur n’arrivera que la veille de Noël

– Le bon côté, c’est qu’au moins il travaille non, j’essaie pour alléger l’ambiance

– Ouais sauf que c’est lui qui a dit qu’on se retrouve ici trois jours après Noël. On va me dire qu’il ne connaissait pas son emploi du temps à cette époque?

– Hehe, les imprévus…

– N’essaie même pas! Elle me coupe sèchement. Un gros retardataire, c’est ce qu’il est pff. Tout ça en réalité c’est la faute d’Axel. Il se serait décidé à me faire la cour qu’on n’en serait pas là

– Qu’est-ce que ça aurait changé? Dis-je amusée

– S’il m’avait fait la cour, je n’aurais pas sollicité maman pour qu’elle leur rende visite quand il a perdu son père. Et c’est parce qu’elle m’a rendu ce service que maman a réussi à me faire venir ici. Mais j’attends le fils de son amie là, ce fameux Godson. Je vais tellement le dégoûter qu’il n’aura plus jamais envie de me voir en peinture

– Ne va pas non plus te créer des soucis là-bas han

– Je vais me gêner oui. En plus papa est de son côté, il n’a cessé de me dire qu’il me voit bien avec ce garçon. Je n’ai plus personne de mon bord donc je vais les faire chier avec ceci, dit-elle malicieusement en me présentant une carte bancaire

Et pour les faire chier, elle ne s’est réellement pas gênée. Il ne restait plus que 60 euros pour qu’elle franchisse les cinq mille après son ravage. Les dommages ont été faits chez Jacquemus comme La perla. Sous son incitation et après avoir doublement confirmé qu’elle ne se ferait pas tuer, je me suis permis de prendre «le bambino», un sac que je me réservais en cadeau après l’obtention de mon master. Et j’ai acheté dans mes propres sous, un ensemble sexy chez la Perla.

Elle allait foncer chez Fendi après ce premier round quand sa mère lui a fait signe, demandant qu’on la retrouve chez Balenciaga. Là, j’ai reçu la surprise de ma vie, quand sa propre mère m’a dit de prendre le sac autour que je ne cessais d’admirer. En tout cas, cette union doit l’enchanter parce qu’elle n’a pas sourcillé en voyant les sacs de Hadeya. Non, elle et son amie en ont juste rigolé avant de nous entraîner dans d’autres emplettes. Puis sur un coup de tête, j’ai décidé de prendre un dernier petit cadeau. Pas chez Balenciaga hein, je n’ai pas ce genre de moyens. J’ai pris un truc chez CK et nous nous sommes séparées par la suite. Je devais rentrer pour m’occuper du dîner comme pris à paï, mais je tire à Hadeya la promesse de me raconter comment se passera sa rencontre avec ce fameux mec.

Je rangeais en chantonnant mes achats de la journée quand un coup de fil m’interrompt. Il est de Thierry donc je le prends directement.

– Hey, ça va?

– Oui, tu fais quoi? Il me demande

– J’ai fini la cuisine, là je fais un peu de ménage dans ma chambre, pourquoi?

– Tu pourrais me rejoindre dans une heure à l’hôtel le Walt?

– Genre ici? À paris? Tu n’es pas à Marseille? m’étonnai-je

– Est-ce que tu peux me répondre d’abord?

– Euh dans une heure? Attends que je demande à paï s’il veut dîner seul

– OK, demande-lui et essaie de me confirmer dans une vingtaine de minutes s’il te plaît

Parce qu’il l’a demandé gentiment, j’accepte aussi gentiment, même si je ne capte pas ce qu’il fout ici. Paï me répond sur un ton déconcentré. Lui et son ami sont devant des rediffusions d’anciennes émissions à la télé et kiffent trop leurs vies, du coup je confirme par message à Thierry que je suis libre et lui demande si je dois apporter un truc pour Lulu.

– Apporte-toi uniquement, ça me va, je t’envoie un taxi dans une vingtaine de minutes. Ça te suffira pour te préparer?

– Mais qu’est-ce que tu trames? Je ne vais pas tomber dans un coup foireux là-bas hein

– Non mais on peut questionner comme ça? Apprête-toi tout simplement s’il te plaît. Il n’y’a aucun coup foireux en cours. Je te dirai tout sur place, et ce fut son dernier message bien que j’en ai envoyé trois autres. 

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