Chapitre 1
Write by Rayassane
Il a hanté toute mon adolescence. Il a fait de moi ce que je suis aujourd'hui. Il n'est plus là, mais je lui en veux à mort...
-Madame vous êtes en état d'arrestation... (entendis-je derrière moi, assise à même le sol sur le corps de ma victime les mains parsemées de sang) vous avez le droit de garder le silence
-Si vous ne voulez pas exercer ce droit, tout ce que vous direz sera utilisé contre vous.
Ces mots me semblent dénués de sens, mais l'acte que je viens d'accomplir a au contraire tout son sens.
-Vous avez droit à un avocat pendant votre interrogatoire.
Pense-t-il peut-être que je plaiderai non coupable ?
-Si vous n'en avez pas les moyens, un avocat vous sera accordé d'office par la cour.
Je me mets à rire comme une folle lorsqu'on me prend la main pour être menotté. Ils diront peut-être que je suis folle ou que j'ai perdu la tête. Mais non, je suis au contraire plus lucide qu'avant.
-Avez-vous compris ce que j'ai dit ? Voulez-vous répondre à nos questions sans un avocat ?
Je reste muette. C'est donc sous le bruit luisant de la sirène que je suis conduite à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis.
Des jours plus tard.
Mon avocat : parle-moi ! Dis-moi quelque chose sinon tu seras enfermée ici pour toujours. Qu'est-ce qui s'est passé ?
Moi : qu'est-ce que ça changera ?
Mon avocat : enfin tu daignes me parler. C'est déjà ça. Je pourrais te faire sortir de là.
Moi : là où je me trouve, n'a plus d'importance pour moi.
Mon avocat : mais dites-moi quelque chose ?
Moi : j'ai trop de choses à dire.
Mon avocat : j'ai tout le temps devant moi
Moi : OK
Il prend son dictaphone. Et appuie sur le bouton "marche".
Mon avocat : Enregistrement du 27/11/92 je vous écoute mademoiselle .
Vingt ans plus tôt.
Depuis un moment il existait une certaine tension entre papa et maman. Je le sentais parce qu'ils se disputaient constamment. Une ambiance pesante résidait à la maison, on sentait bien qu'entre eux, c'était plus comme avant.
Un soir, papa est rentré dans ma chambre m'annonçant qu'il allait partir en voyage et qu'il ne reviendrait pas de sitôt. Je lui ai demandé si c'est parce qu'ils ne s'aiment plus. Car je me rendais compte que leur couple battait de l'aile. C'était devenu trop compliquer. Il m'a dit que je ne devrais pas m'inquiéter pour ça. Or en tant qu'enfant, on a mal, on souffre de ce genre de choses. On est incapable de réagir parce qu'on ne veut pas prendre parti. Mais on le sait lorsque les choses vont mal. J'ai ressenti comme un déchirement, comme si toute une époque de ma vie s'écroulait. Cela m'a été difficile de réaliser que mon père et ma mère ne seront plus ensemble, mais d'un côté j'étais soulagé de savoir qu'il n'allait plus se crier dessus pendant que je dors ou lorsque nous sommes à table.
Cette nuit-là papa à dormir près de moi me disant qu'il était désolé de la tournure qu'avait pris les choses, mais que c'était la meilleure des choses à faire. Il m'a lu une dernière histoire et le matin c'est un bisou sur le front que lui et moi nous nous sommes séparés. Quant à maman et lui, c'est une énième dispute qui a été leurs derniers au revoir. Ma mère s'est mise à tous casser sur son passage.
Deux jours après le départ de papa, ma mère a commencé à boire. D'abord, un verre à l'apéritif, en rentrant du travail le soir, puis le Midi, ensuite deux par repas et la spirale était lancée : avant de partir au travail, pendant et après. Elle cachait ses bouteilles dans des endroits insolites, elle rivalisait d'imagination pour me faire croire qu'elle n'avait pas bu alors que l'air et son haleine embaumaient l'alcool à 2m. À 10 ans je ne savais pas quoi faire dans cette situation je commençais à m'occuper du désordre que causait ma mère à la maison.
Mon enfance normale s'en est arrêtée là. L'alcoolisme de maman s'est aggravé. J'ai essayé de la faire réagir par la douceur au début. Je pensais que si je pleurais, elle réagirait. Mais non, rien n'y fit. J'ai essayé le chantage, de fuir, ou de faire appel aux services sociaux, et encore là rien. Je l'ai menacé de la tuer et me tuer après... Rien n'a fonctionné. Je ne savais pas qu'une dépression ne se réparait que par la personne malade, et que même voir son enfant suppliant ne servirait pas à faire changer les choses...
Je m'occupais de la maison après les cours, j'ai commencé à bricoler les repas avec les recettes en ligne sur le téléphone de maman. À l'école, je remplissais les dossiers administratifs destinés aux parents, les cahiers de charges fournis par les enseignants, en imitant sa signature. Elle buvait tellement qu'elle était incapable d'écrire ou encore moins de signer des papiers. Je faisais seul mes devoirs, je dormais quand je voulais, je jouais quand je le voulais. De ce fait, mes notes ont dégringolé.
Des mois plus tard elle a commencé à fréquenter des hommes. Ses choix n'ont jamais été judicieux en matière d'hommes, ceux-ci n'échappaient pas à ce terrible constat. Chaque nouvel homme du soir avait une attitude bizarre. Certain, ne m'aimer pas donc demandais à ce que je sois dans ma chambre avant leurs venues. D'autre venait jouer avec moi et quand je faisais mine de dormir il rentrait dans la chambre de maman pour faire cricri.
Parfois, elle venait dans ma chambre en pleurs parce qu'elle s'était disputée avec son nouveau petit copain et qu'il fallait donc la consoler et le lendemain je la voyais avec celui-ci rentrée dans sa chambre après une soirée arrosée. Les semaines qui ont suivi, elle a été reconnue en invalidité, et a perdu son travail à cause des dommages qu'avait commencé à causer l'alcool sur son corps. Ses nerfs étaient touchés, ses jambes flageolaient. Des béquilles lui furent données pour l'aider à se déplacer, 24h/24. Elle restait encore à la maison à boire... constamment à savoir que sa maladie ne la dérangeait pas.
Son chômage lui a donnée une nouvelle aire de jeu, elle ne cessait de m'angoisser en me disant que c'était la dernière fois que je lui parlais, parce qu'elle allait avaler une boîte de cachets et elle rentrait dans sa chambre. Fermant celle-ci à double tour.... Je tapais la porte en pleurant, mais elle ne ressortait que pour se moquer de moi, à chaque fois, c'était comme ça, je courais pour me rendre devant sa chambre, et me rendais compte que c'était encore une mauvaise blague de sa part. Après, non seulement je n'y allais plus, mais je ne la considérais plus dans la maison. Je m'en foutais qu'elle mette fin à sa vie ou pas. J'étais dorénavant énervé contre papa, d'être parti me laissant seul gérer ce genre de choses.