Chapitre 1

Write by Annabelle Sara


 

Véronique

 

Circuler à Yaoundé à l’heure de pointe c’est vraiment une épreuve pour mes nerfs, entre les taximans qui font n’importe quoi sur la route sous prétexte qu’ils essayent de prendre le maximum de clients et les autres usagers qui ne savent pas s’ils veulent aller à gauche ou droite, j’ai toujours envie d’arracher ma perruque de ma tête lorsque je suis pressée à l’heure de pointe.

 Je déteste conduire à cette heure de la journée, quand tout le monde décide de sortir en même temps des bureaux et des maisons pour aller chercher de quoi se sustenter.

En même temps c’est à ce moment que moi je fais les meilleures chiffres pendant les jours ouvrables. Oui parce que mon restaurant le plus huppée, chic a la plus grande affluence à cette heure de la journée.

«  L’Issouck » c’est mon petit royaume, le petit bijou que j’ai bâtit avec ma sueur et mon sang, en construisant sa notoriété, sur un service impeccable, des plats raffinés de toutes les origines, un cadre de rêve tout pour faire de mon restaurant « the place to be » !

Je vous rassure je suis la propriétaire et gérante, surtout pas le chef ! Vous me mettez dans une cuisine vous êtes certains que je vais vous faire une arme à destruction massive. Mais il n’y a personne comme moi pour superviser le travail d’une armée.

Et comme il n’y a personne comme moi pour gérer une armée, je me retrouve dans la circulation impossible de Yaoundé pendant que c’est l’heure du coup feu ! Le service de la journée !

-         Dégages de là avec ta carcasse là !

Je pestais sur les conducteurs qui bloquaient le passage de mon 4X4, je devais arriver à « L’Issouck » dans 5 min sinon le chef ne pourra pas servir son plat du jour comme prévu. Je déteste les improvisations et les arrangements de dernières minutes et aujourd’hui encore mon personnel m’a prouvé que si je veux que les choses soient bien faites alors je dois les faire moi-même !

Mon téléphone vibrait, en jetant un coup d’œil j’ai vu le nom de mon chef de cuisine, il allait devoir attendre.

Forçant le conducteur devant moi à me céder le passage, j’ai appuyé sur l’accélérateur pour rejoindre le parking de service de mon restaurant. Situé dans l’un des quartiers les plus huppées de la ville où se retrouvaient, cadres administratifs, diplomatiques, chefs d’entreprises et agent internationaux, le restaurant était bondé.

A peine je garais qu’un de mes employés se dirigea vers la malle arrière pour faire sortir les éléments dont avaient besoin le chef pour terminer la mise en place de son plat du jour.

-         Je suis désolée…, commença Ernestine, mon assistante, celle qui était sensée superviser la livraison des produits et qui avait oublié de demander aux fournisseurs les gambas qui devaient accompagner le plat de Ndolè du chef Obam.

-         Désolé ne paie pas les factures Ernestine ! Rien de plus simple que de recevoir une livraison… même moi qui suis nulle en cuisine je sais que la base du Ndolè ce sont les gambas… La base ! Si je ne peux pas te faire confiance tu ne me sers à rien…

Elle baissa les yeux en voyant mon regard courroucé se poser sur elle, je ne déteste rien plus que les excuses et les explications lorsque je demande à quelqu’un de faire une tâche simple et précise.

-         Apportez ça au chef, ils ont été préparé selon son goût par les gars du vendeur… ils sont prêts… Ernestine, la salle ?

-         Pleine !, me répondit-elle.

-         Encore heureux ! Nous avons frôlé la catastrophe entre tes conneries et la circulation de Yaoundé… Bref !

En jetant un coup d’œil à la salle où s’activaient trois serveurs et deux serveuses pour entretenir les clients qui s’installaient, un sourire s’afficha sur mon visage en me rendant compte que j’avais été une fois encore assez rapide pour rattraper le mauvais pas d’Ernestine.

-         Viens on va voir si le Chef s’en sort ensuite tu iras superviser le bar… Ernestine tu traines le pas !

Avec moi c’est au pas de course même les mannequins ont une cadence à tenir et le mien est trois fois plus rapide.

-         Chef, alors ?

Le chef Obam est l’un des meilleurs chefs cuisinier avec lequel j’ai travaillé jusqu’ici. Son amour du détail, des goûts et des couleurs faisait de lui un artiste hors pair.

Il leva les yeux sur moi, Il avait toujours ce regard un peu froid, ce qui ne me dérangeait pas vraiment mais je ne pouvais jamais deviner à l’avance ce qu’il pensait.

-         C’est mangeable !, me répondit-il.

Pour Obam, mangeable veut dire que c’est un pur délice. Je sentis Ernestine souffler dans mon dos, elle avait fait n’importe quoi et j’ai dû rattraper son erreur, mais elle savait que si le chef est content et que le désastre est évité, je vais lui accorder la faute sans trop de vague.

-         Vous allez servir ?, ai-je demandé.

-         Oui… Les garçons vont passer ça au jus et dans dix minutes les premiers plats seront dehors…

-         Génial ! Merci, chef… Ernestine…

-         Le Bar ! J’y vais Madame !, lança la jeune femme avant de quitter la cuisine en courant.

Dix minutes, c’était le moment que je devais mettre à profit pour revêtir mon sourire social, m’assurer que chacun de mes clients se sentent bien, qu’ils ont ce dont ils ont besoin pour profiter de leur expérience culinaire chez nous. Avec un sourire, une petite attention, une petite conversation et le repas le plus délicieux qui existe vous faites la journée d’un client. Il garde en mémoire les odeurs, le goût, et surtout la relation privilégiée avec la proprio.

Voilà ce que je vends dans mon restaurant.

En générale, le repas de midi est plus familial, convivial et tout, vers 17h et plus ce sont des rencontres professionnelles, je ne peux compter le nombre de contrat et de partenariat qui ont été scellés et signés autour des tables de mon restaurant.

Et en bonne femme d’affaire, je dois vous avouer que j’ai participé à bon nombre de ces signatures. Je ne me contente pas seulement de m’assurer que la table est pleine de bonnes choses à manger et à boire, mais surtout je m’assure que je peux donner un ou deux conseils, comme quand on vient mettre une pincée d’épice à une assiette, pour rendre le plat mémorable. La petite touche qui change tout.

A la fin de la journée, le plus grand de mon travail commence, faire les comptes des différentes caisses, s’assurer que les notes sont enregistrées que les pourboires sont remis à chacun des membres du service. Quand on ne sert pas moins de 500 assiettes par jour ce n’est pas un travail simple à faire.

-         Ernestine s’il te plait, il faut gérer le taxi des gars de la cuisine !

-         C’est déjà fait Madame, me répondit-elle. La caisse du bar a été enregistrée aussi…

-         Ok, il n’y  a pas de retour négatif de ce coté ?, ai-je demandé sachant que notre barman est nouveau.

-         Non, Madame ! J’étais là donc j’ai supervisé !

-         C’est bien Ernestine !

Je me levais pour mettre la recette du jour dans le coffre fort de mon bureau quand mon téléphone sonna. En baissant les yeux sur l’écran mon regard s’assombrit. Je n’aimais pas beaucoup être dérangée lorsque je faisais la comptabilité en fin de journée.

J’ai renvoyé l’appel.

-         Les provisions de demain arrivent à quelle heure ?

-         7h30 Madame, répondit-la jeune femme. J’ai la liste j’ai appelé ce soir pour m’assurer que les fournisseurs ne se trompent pas avec les commandes.

-         C’est surtout toi qui a intérêt à ne pas faire d’erreur. Je ne veux pas être obligée de me débarrasser de toi… je crois que c’est compris ?

Ernestine est la quatrième assistante que j’embauche en trois mois. Je ne suis pas facile à vivre pour mes employés je leur demande de l’attention et je ne tolère aucune erreur stupide. Si je n’ai pas renvoyé Ernestine aujourd’hui pour la bêtise qu’elle a faite c’est parce qu’elle m’a appelé à temps pour me dire qu’elle avait fait n’importe quoi pour que je puisse rectifier le tire et aussi et surtout parce que c’est la fille d’une amie de longue date.

Sa mère traverse des difficultés financière en ce moment alors je l’épaule en lui enlevant la charge supplémentaire qu’est sa fille. Un jolie brin de fille qui à son arrivée ici il y’ a un mois ne savait absolument rien faire de ses deux mains. Alors je l’ai prise sous mon aile, je suis dure avec elle plus qu’avec le reste mais elle est plutôt réceptive.

-         Il y’a des bouteilles à ramener de la cave ?

-         Oui, voici la liste que je vous ai faite !, dit-elle en me tendant la liste pendant que je me rasseyais sur mon fauteuil.

-         D’accord, il se fait tard ! Tu vas rentrer parce que demain c’est toi qui réceptionne les livraisons. Moi je vais rester pour finir ce que j’ai à faire ici…

-         D’accord, fit Ernestine en se levant. Bonne nuit Madame !

-         Bonne nuit Ernestine !

Je la regardais sortir de mon bureau et je pensais à l’époque où j’étais à sa place. J’avais seulement 22 ans quand j’avais commencé à travailler, mais mon patron était un homme ! Mon mentor, un homme d’affaire féroce, Mr Kiniakos. Un grec qui possédait et gérait un bon nombre de commerce de Yaoundé.

Il était rude avec moi, à la limite de la méchanceté et même du racisme dans sa façon de me traiter, mais j’avais appris ! Grâce à ce qu’il m’avait inculqué, je suis où je suis aujourd’hui ! Une femme d’affaire qui ne recule devant aucun défi.

37 ans, mariée, 2 enfants, 12 et 8 ans mais je me définissais le plus souvent comme la propriétaire, de deux boutiques de prêt-à-porter, d’un institut de beauté et surtout de ce restaurant chic de renommée.

Mes business sont ce qui me tient debout, on me reproche de vivre pour faire de l’argent au lieu de faire de l’argent pour vivre. Mais de cela je m’en fiche ! Ce n’est pas le besoin qui me pousse à travailler parce qu’avec ce que mon mari gagne et ce que je gagne en rente des propriétés dont j’ai hérité de mon père avec ma sœur, je ne manquerais de rien.

Mais je suis une amoureuse du travail et des défis ! Alors je me lance toujours un objectif qui est de créer une structure prospère et rentable pouvant remplir les standards internationaux.

Ma drogue ce n’est pas l’odeur de l’argent, mais plus le parfum du succès ! Quand on parle de mes activités et de mes réalisations alors là, oui je suis au paradis.

Mon téléphone sonna encore, cette fois je ne pouvais pas renvoyer l’appel, alors j’ai décroché :

-         Salut chéri, ai-je dit en appuyant sur le haut parleur pour continuer mon travail en répondant au téléphone.

Sa voix grave emplit la pièce.

-         Salut ma belle… Je suppose que tu n’es pas encore dans la voiture ?

-         Non, mon cœur je suis encore au bureau, la journée a été super chargée !

Il soupira, je savais qu’il détestait rentrer à la maison et ne pas me trouver, il devenait encore plus ronchon quand je finissais après 22 heures. Mais il avait appris à composer avec, il sait que l’essence de sa femme c’est son travail.

-         Bébé, j’avais prévu passer la nuit devant un film avec toi ce soir…

-         Hum… Mr Nana… vous devenez fleur bleue !, me suis-je moquée avec un sourire en coin.

-         Ça fait un moment que nous n’avons pas profité l’un de l’autre… Ta chaleur me manque !, dit-il simplement

Il a raison, c’est la fin d’année et lui comme moi nous avons des emplois de temps surchargés qui ne coïncident pas toujours.

-         Humm… dit comme ça, j’ai encore plus envie de rentrer…

-         Alors je t’attends ?, demanda-t-il.

-         Je suis là dans une heure max, l’ai-je rassuré.

-         Cool ! A tout de suite mon cœur… Bisou !

Il avait raccroché et je me suis retournée vers mon bureau, je ne pourrais pas finir ce que j’avais à faire ici en moins d’une heure. J’avais cette mauvaise habitude de lui donner des heures même sachant que je ne pourrais pas être à la maison à ce moment précis.

Mais qui mieux que lui peut comprendre.

En sortant de mon bureau, mon téléphone sonna encore une fois. Je ne voulais pas renvoyer cet appel, encore une fois ! Je devais être ferme sur ma décision.

-         Armelle qu’est-ce que tu veux ?

-         Massa, Véronique tu ne réponds jamais au téléphone ?, me demanda ma sœur avec une voix irritée.

-         Quand c’est toi… je ne suis pas pressée de répondre, lui ai-je dis avant de continuer. Tu veux encore me parler de cette idée farfelue de vendre les terrains de Papa ?

-         Véronique, c’est une idée en or, pour ne pas dire en diamant…

Quand ma sœur croit tenir l’idée d’affaire du siècle elle ne lâche pas, elle va tout faire pour m’entrainer dans ces idées foireuses, mais moi je ne tombe plus dans ce piège. Deux fois elle m’a fait investir à perte, en affaire il faut toujours éviter de travailler avec une sœur hyper-enthousiaste qui n’étudie jamais son marché avant de se lancer.

-         C’est surtout une bêtise monumentale, on ne vend pas un bien non-amortissable comme la terre ma chère ! Donc comme c’était non hier et avant-hier c’est toujours non aujourd’hui !

Ma sœur ainé est têtue et tenace un peu comme moi mais dans le mauvais sens en ce qui concerne les affaires.

-         Véro… Je t’assure qu’avec cet argent on pourra acheter moins chères et surtout construire…

-         Non, me suis-je contentée de lui répondre. J’ai dit… Non… c’est tout ! Bonne nuit Armelle !

Si je ne raccrochais pas cette femme n’allait pas me laisser tranquille.  Faire le trajet entre le restaurant et ma maison me prit juste 30 minutes, étant donné que la circulation était dégagée dans la nuit. Le silence qui régnait dans la maison voulait dire que les enfants étaient endormis, Paul ne m’avait pas finalement attendu pour le film.

Normal j’arrivais à la maison 2 heures plus tard que prévu. Contrairement à moi qui peux me permettre d’aller au boulot selon mon bon vouloir lui il doit être dans sa boite à 8 heures pétantes. Il a beau être directeur marketing il reste un employé dans une entreprise qui doit faire du chiffre.

Il était endormi dans notre chambre et même les bruits que faisaient mes talons sur le carrelage ne semblaient pas le tirer de son sommeil. Je me suis apprêté pour la nuit avant de me glisser à ses cotés. Il me tournait le dos, et comme je n’avais pas d’énergie à dépenser dans une dispute nocturne je me suis retournée de mon coté.

14 ans de mariage, nous avons connu des hauts et des bas ! Mais le plus important c’est que nous savons que nous pouvons compter l’un sur l’autre.

J’éteignais la lumière lorsque mon téléphone illumina la chambre qui baignait dans l’obscurité.

Un message whatsapp, en l’ouvrant, j’ai instinctivement regardé par-dessus mon épaule pour m’assurer que mon voisin de lit était effectivement endormi. Il ronflait comme une locomotive de la Camrail.

J’ai reporté mon attention sur les messages qui arrivaient en cascade. Des photos que j’appréciais en silence. Les discussions nocturnes, je n’en étais pas fan mais j’étais prête à faire une exception cette nuit.

J’avais besoin de libérer la tension que mon travail posait sur mes épaules.

Et si demain mourrai...