Chapitre 1 - #4

Write by BlackChocolate

Les quelques minutes qui suivirent le premier coup de feu parurent interminables. Il y avait des bruits de pas dans le salon et des hommes qui criaient.


Les voix : Il est où? Il est où ?...

J’entendis ensuite des coups de feu, les cris de ma mère, les supplications de mon père... Moi j’étais en pleurs, cachée sous mon lit. C’était un vacarme étourdissant, ma tête bourdonnait, je me faisais toute petite sous le lit... Quelqu’un cria :

La voix : Taisez-vous sinon je vous tue tous.

Cet avertissement fut suivi d'une claque. Pendant quelques secondes je crus que c’était le maitre Gustave qui giflait un élève récalcitrant. Mais si j’avais pu entendre le bruit depuis l’endroit où j’étais, c’est que cette claque devait contenir bien plus de force et de violence que celle du maitre. Et comme par magie, un calme plat s’en suivit… Plus aucun bruit. La personne qui venait de menacer de mort les membres de ma famille se remit à parler de façon plus lente

- La voix : Monsieur le diplomate vous êtes combien dans ton joli château?

- Papa : Nous sommes tous ici, au salon...

Je reconnus immédiatement la voix de papa. C’était une voix tremblante, une voix sans assurance, mais je pouvais la reconnaitre entre mille autres.

- La voix : En es-tu sûr? Si je monte je ne trouverai personne? Si jamais je monte et que je vois quelqu'un, je serais très déçu et fâché je te préviens...

Mon père répondit à nouveau, sur un ton mal assuré comme tout à l’heure, mais en criant comme s'il voulait me passer un message

- Papa : Il n’y a personne en haut je vous jure.

Il y eut un rire cynique

- La voix (sur un ton ironique) : Ok ok. c'est ton jour de chance ; je ne crois pas les gens qui jurent

J'entendis des rires en saccade, ce qui me fit prendre conscience du fait qu'il y avait plusieurs hommes en bas...

La voix : Hey hey c'est bon calmez-vous. Fofana monte vérifier s'il n'y a personne en haut

- Fofana : ok boss

Aussitôt après, il y eut des bruits de pas dans les escaliers. J'avais peur… Mon cœur battait la chamade… J'avais l'impression d’entendre chaque battement résonner dans ma tête… J'avais la langue sèche, et j’avais de plus en plus de mal à respirer... Puis la porte s'ouvrit...

Deux bottes noires, un treillis militaire, et une machette rouillée qui pendait au bout d’une grosse main... C’est tout ce que je pouvais voir depuis ma cachette. Ça devait être lui, le fameux Fofana envoyé pour l’inspection des lieux. Il fallait donc être plus silencieux que jamais. Mais voilà qu’il se rapprochait du lit. J’avais l’impression que mon cœur allait arrêter de battre, ou que je n’allais pas pourvoir me retenir et crier...je sentis qu'il scrutait la chambre. Il ouvrit l'armoire violemment et donna des coups de machette dedans à tout hasard... Mon Dieu, quand je pense que j’avais envisagé de me cacher dans cette armoire quelques minutes avant. En ce moment même, je me serais faite trancher comme un pamplemousse par cette machette très aiguisée et couverte de sang séché.

Après cette exploration plutôt rapide, le nommé Fofana sortit de la chambre en prenant soin de fermer la porte violemment. Je poussai un ouf de soulagement, et je repris mon souffle tant bien que mal. Mon rythme cardiaque ralentit et alors que je pensais que le danger était loin, voici le rebelle qui rouvrit la porte avec autant de force que l’armoire il y a quelques instants avant même que j’eus le temps de comprendre ce qui se passait. Il traversa la chambre à toute vitesse et se dirigea vers le lit.. puis le souleva de toutes ses forces

- Fofana : Chef j'ai trouvé quelque chose.

Déjà qu’on me prenait pour une chose, j’allais probablement être traitée comme une chose. Mais à 10 ans, j’étais loin d’imaginer l’horreur de la guerre. En entendre parler, c’est une chose, mais vivre cela était un tout autre sujet.

Je me vis soulever de terre par les cheveux… Je me débattais, je criais, je pleurais... Oui, j’avais mal. Pour me peigner simplement ce n’était déjà pas facile avec mes cheveux crépus qui ne me facilitaient pas la tâche. Mais voilà que je me faisais carrément prendre par les cheveux. Fofana se rendit avec moi jusqu’au salon puis me jeta aux pieds d'un homme. Je levai les yeux et là je le vis. Même sans l’entendre, je pouvais sentir que c'est à lui qu'appartenait la voix menaçante que j'entendais depuis la chambre.

Il était noir, d'un noir huileux, un visage farouche, des yeux rouges, de larges narines et de grosses lèvres noires. Il me faisait penser à un de ses loubards que je voyais dans certains films nigérians. C'était lui le capitaine Madjou. Je regardai autour de moi. Ma mère était assise dans un coin du salon avec mes trois frères, tous aussi apeurés les uns que les autres. Quant à mon père, il était à genou, au milieu du salon. Je ne l’avais jamais vu dans une telle position de faiblesse. Lui si fort, mon super héros, celui qui pouvait protéger la famille de tous les dangers. Mais apparemment, ses « supers pouvoirs » ne pouvaient rien contre ces rebelles qui étaient une vingtaine dans le salon. Ils étaient sales, transpiraient à grosses gouttes, et ne sentaient pas la rose. L’odeur qui émanait d’eux était juste indescriptible.

Au premier coup d’œil, je remarquai que les plus jeunes étaient en possession de machettes, tandis que les rebelles plus âgés avaient des armes à feu. Leurs regards me glaçaient le sang. Dans tout ce « beau monde », je ne voyais le chauffeur nulle part. Où pouvait-il être? Je tournai mon regard dans tous les sens, et vers la porte, je vis l'horreur...Tonton Richard était étendu par terre, gisant dans son sang. Des larmes se mirent à couler sur mes joues. Cet homme, je le connaissais depuis ma naissance. Il m'achetait du yaourt ou des biscuits avec sa propre paie quand je travaillais bien à l'école. Au fil du temps, il était devenu un membre de la famille. Il y a encore quelques heures, dans la voiture, je riais comme une folle sur une blague de Toto qu’il venait de faire. Je me demandais comment on pouvait tuer un homme comme ça.. C’est certainement lui qui est allé ouvrir à ces malfaiteurs, et il a reçu les premiers coups de feu...mon père se précipita au pied du chef des miliciens

- Papa : je vous donnerez tout ce que vous voulez. S’il vous plait laissez-nous partir. Je vous donnerez de l'argent, tout ce que j'ai. Vous pouvez même garder la maison et la voiture.
Mais le capitaine Madjou ne semblait pas prêter attention aux supplications de mon père. Son regard était fixé sur ma mère. On dit que les yeux sont le reflet de l’âme, et dans les siens, je ne voyais que de l’horreur, la mort, la tristesse, la douleur. Il mit la cigarette qui était accroché à son oreille droite dans la bouche et craqua une allumette. Il tira une grosse bouffée, puis tordit les lèvres de côté pour rejeter la fumée. Quand il ouvrit la bouche, c’était pour dire ces mots à mon père :

- Madjou : Tu m'as menti monsieur le diplomate... je t'apprendrai à ne plus recommencer...
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