Chapitre 10

Write by Meritamon

Diarri, Fouta-Djalon, jour 10.


Le soir tombait déjà lorsque Serena lança son râteau avec rage et prit la direction de la maison. Sa journée avait été éprouvante dans le potager, à travailler sous le soleil. Elle regarda avec consternation la terre coincée sous ses ongles, ses poignets éraflés par les ronces que le vieux jardinier qui la supervisait, l’avait obligée d’enlever sous les plants de légumes.

Déjà cinq jours qu’elle subissait les jérémiades du vieil homme qui lui fit savoir clairement qu’elle était une incompétente.

À ce souvenir, la jeune femme éclata de rire, méchamment. Elle, Serena Hann? Incompétente? Elle, qui était admise à l’une des universités les plus prestigieuses de ce monde? Qui avait fait les meilleurs pensionnats d’Europe? Qui était promise à un brillant avenir? Se faire dire qu’elle était incompétente par un pauvre paysan du fin fond d’un pays sous-développé. C’était ça, le comble! Un paysan qui gagnait à peine 1 dollar par jour. Le prix de son café à elle.

Sa fierté en prit un coup et elle lui fit savoir qu’elle démissionnait.

Combien de temps allait-elle supporter ce rythme? Être rudement réveillée à l’aube, s’entendre gueuler des ordres par Tahaa qu’elle détestait, filer dans le poulailler, avaler son déjeuner, faire le ménage de sa chambre et des parties communes et se rendre enfin au potager pour bêcher de la terre!

Son dos lui faisait atrocement mal à force de bêcher. Elle, qui n’avait jamais fait de travail physique de sa vie, la voilà à présent confrontée au labeur quotidien pour les trois prochains mois.

 

Combien de temps avant qu’elle craque pour de bon? Ruminait-elle en prenant sa douche.  Elle refoula ses larmes en pensant avec amertume à son ancienne vie aisée.

Pour la première fois, elle se sentit loin de chez elle.

La jeune femme enfila la première chose qui lui tomba entre les mains et n’eut pas l’envie de se maquiller, ni de se parer tant elle avait sommeil. Se parer pourquoi? Pour qui? Pour Tahaa?  Lui, qui lui gueulait ses ordres le matin, et disparaissait ensuite toute la journée dans ses plantations. Pourtant, il était au courant de tout ce qui se passait, puisqu’on lui rapportait ses faits et gestes. Serena ne devait jamais discuter et obéir sans rechigner à la tâche.

Sans compter qu’il l’ignorait la plupart du temps

  

Tahaa ne rentrait que le soir venu, lorsque les camionnettes revenaient des plantations. À travers sa fenêtre ouverte, Serena aperçut son bourreau qui donnait les derniers ordres à ses travailleurs. Il avait ôté sa chemise qui pendait négligemment à son épaule. Sa peau cuivrée jouait avec les derniers reflets du soleil. Ses lèvres gourmandes trahissaient une grande sensualité. Ses beaux yeux clairs aux sourcils fournis savaient percer les gens, les sonder jusqu’à les émouvoir. Tahaa Badr était beau comme un prince d’une époque lointaine. Et jamais Serena n’avait vu de si bel homme, aussi racé. Elle dut s’ôter brusquement de sa contemplation lorsqu’Inna entra dans la chambre pour savoir comment s’était passée sa journée.

La vieille dame s’approcha de la fenêtre et devina l’objet du désir de Serena. Inna sourit, malicieusement.

       -         Il fait de l’effet, n’est-ce pas ? dit-elle en parlant de Tahaa.

Troublée comme une enfant prise en faute, Serena se sentit confuse.

       -         Il n’a rien d’extraordinaire, mentit-elle, il ne m’impressionne pas.

 

***********

Une grande animation régnait dans la salle à manger ce soir-là. Quelques ouvriers, ainsi que le chef d’un village environnant avaient été conviés au repas. Les hommes discutaient du travail des champs, de la coopérative, du bétail. Les femmes parlaient des affaires sociales en cours, ou servaient les boissons.

Tahaa parcourut la table du regard à la recherche de Serena. Il ne la vit pas.

Où était donc cette sorcière?

Il regarda l’heure à sa montre, les talons au ventre, et se tourna vers Inna.

        -         Quand est-ce que l’on sert le repas?

Inna de répondre, en demandant à son petit-fils d’être patient.

       -         Nous attendons Serena. Elle est montée se préparer.

      -         Il est hors de question que je l’attende. Je refuse de mourir de faim quand cette gamine est en train de se bichonner! Lança-t-il, furieux.

Au silence gêné qui s’installa, il sut que Serena venait d’entrer et  créait l’émerveillement auprès des hommes. Par coquetterie ou provocation, elle portait une jolie robe fleurie d’été qui mettait en valeur sa poitrine, ses bras nus et ses jambes sans fin. Des bracelets dorés et des créoles complétaient le look.

La jeune femme s’assit sur la chaise libre qui, malheureusement, faisait face à son persécuteur, Tahaa Badr. Ce dernier ne manqua pas de lui adresser un coup d’œil réprobateur dû à son retard ainsi qu’à sa petite robe fleurie qu’il jugea indécente. La jeune femme avait relevé ses cheveux en un chignon d’où s’échappaient des mèches humides qui frisaient. Son voluptueux parfum flottait dans l’air, entêtant.

Pourquoi s’arrangeait-elle toujours à diriger l’attention sur elle? soupira Tahaa, agacé. Même Idy, qui d’habitude ne mangeait jamais avec sa famille, daignait se présenter désormais à cause de Serena.

Serena était une sorte d’objet curieux catapultée dans leur quotidien. Il y avait des codes de conduite qu’elle ignorait. Par exemple, il lui arrivait de parler fort, le plus souvent pour protester ou rechigner à la tâche. Elle jurait comme un charretier quand elle était en colère. Elle fixait sans ciller les gens dans les yeux, peu importe qui elle avait en face d’elle, que ce fut une personne âgée, un homme, ou un inconnu. Ce qui pouvait sembler impoli et déstabilisant dans sa culture à lui, surtout pour une femme. La fille fumait aussi. Cela agaçait Tahaa plus que tout. Il savait qu’elle le faisait exprès pour le provoquer.

 

         -         Sois patient avec elle, Tahaa. C’est avant tout, une invitée. Il y a des choses que tu ne peux pas lui imposer, lui disait sa grand-mère. N’oublie pas d’où elle vient et de qui, elle est la fille.

L’homme protestait.

          -         Il est important qu’elle participe activement à la vie à Diarri afin qu’elle s’intègre. Elle fait désormais partie d’une communauté et doit se conformer aux règles du groupe.

           -         Aux règles du groupe ou à tes règles à toi ? Demandait sa grand-mère avec un sourire mutin.

Grand-mère Inna n’ignorait pas l’effet que Serena provoquait chez Tahaa. Elle mit sa réaction excessive au compte de la frustration de ne pas la comprendre.

Surtout, ce qui fâchait le plus Tahaa, était la relation complice que la jeune femme avait vite nouée avec son frère Idy. Tahaa les voyait discuter ensemble, pouffer de rire, se taquiner, heureux de se retrouver le soir venu.

Combien de fois, depuis son arrivée avait-elle traînée, parfois tard la nuit, à écouter de la musique en compagnie de son frère ? À cette pensée, un sentiment vague, comme une jalousie s’empara de l’homme.

À table, Tahaa ne tarda pas à lancer les hostilités.

         -         Le jardinier m’a dit que vous lui aviez causé des problèmes ? Je veux des explications, lui demanda-t-il de façon abrupte au milieu des conversations des convives.

        -         Je ne veux plus travailler dans ce maudit potager. Trouvez-moi autre chose. Le travail est trop dur!

        -         Qu’est ce qu’on va faire de vous, Serena? Demanda l’homme consterné en secouant la tête.

        -         Elle a raison. Elle n’est pas faite pour ce travail, la défendit Idy.

Tahaa fusilla son frère du regard afin qu’il se taise. De quoi se mêlait-il?

Ensuite, il réfléchit un instant et annonça à Serena, lorsque le repas fut servi et qu’un gigot d’agneau trônait au milieu de la table.

   -         Puisque vous êtes incapable de vous occuper du potager, vous êtes mutée à la cuisine. Vous y démontrerez vos talents.

Des rires discrets se firent entendre au milieu des mastications. Zeinab en profita pour chuchoter, mais suffisamment haut pour que Serena l’entendit :

« Tu voudrais qu’elle nous empoisonne ? ».

 Humiliée, Serena essaya de se maîtriser. Cet homme voulait la ridiculiser. Il la provoquait alors qu’elle ne lui avait rien fait. Elle croisa le regard d’Inna, la grand-mère qui la supplia des yeux de ne pas réagir.

        -         Je ne cuisinerais pas pour vous, ni aujourd’hui, ni jamais. Votre vision du monde c’est les hommes aux champs et les femmes à la cuisine, c’est cela? Je refuse d’être cataloguée, répondit Serena.

Tahaa la pointa du doigt en prenant à témoin les convives à table, malgré le regard désapprobateur de sa grand-mère. Il ne voulait pas rater l’occasion de rabattre son caquet à cette fille.

        -         J’oubliais que je parlais à une "féministe"…  lança-t-il, sarcastique.

Zeinab de renchérir en pulaar à l’intention des convives.

       -         Être féministe est un luxe quand on a un bataillon de domestiques à son service et un père riche…

      -         Parce que ça me laisse le temps de faire autre chose de ma vie, faire des études par exemple, ou avoir des loisirs. Et non d’être préparée à servir un homme pour le restant de ma vie, rétorqua Serena.

Puis, excédée d’être attaquée sans raison, la jeune femme se leva de table.

      -         Rasseyez-vous! Ordonna Tahaa.

Serena ne l’écouta pas, s’excusa auprès d’Inna consternée et monta dans sa chambre.

L’homme ne tarda pas à la rejoindre. De son pied, il referma la porte qui claqua d’un bruit sec.

La jeune femme sentit son cœur battre anormalement. Toutes les fois qu’ils étaient seuls dans une pièce, cela arrivait. Elle essaya de garder son calme et le dévisagea avec insolence, lui qui n’aimait pas ça.

      -         Je voudrais que vous me laissiez en paix.

     -         Pas avant qu’on ait discuté. Qu’est-ce qui vous prends? Vous ne savez pas réagir à une plaisanterie?

Elle le toisa tranquillement.

     -         Je refuse qu’on s’amuse à mes dépends, surtout si cette pimbêche de Zeinab s’en mêle!

Il lui répondit.

    -         Vous pensez que le monde tourne uniquement autour de vous? Zeinab a été mariée quand elle avait seulement quinze ans, elle a été obligée de quitter l’école et de faire des enfants, très jeune. Elle n’a pas eu le privilège comme vous, de faire des grandes études, ou encore de mener un train de vie oisif.

Incroyable! Il défendait Zeinab, il défendait son amante… alors que c’est elle qui avait commencé ses insinuations.

      -         Elle est qui pour vous, Zeinab? Attaqua Serena.

      -         Qu’est-ce que vous voulez savoir exactement? Faites attention à ce que vous allez dire, Menaça l’homme.

Serena eut un sourire de mépris. Elle alluma une cigarette et tira une bouffée qu’elle expira avec satisfaction, observant le visage crispé de colère de l’homme qui avait du mal à s’habituer à ses manières désinvoltes de citadine.

     -         C’est une femme encore mariée et vous la sauter. Tout le monde est au courant de cela. Où est passée votre moralité?

 

Tahaa éclata de rire face à son culot. Cette petite peste avait vite fait de se renseigner.

     -         Ma moralité, vous dites? Je rêve ou je suis en train de me faire juger par une irresponsable qui a failli tuer ses meilleures amies ?

 

      -         C’était un accident! Comment pouvez-vous dire de pareilles choses, espèce de tyran ?

Et lui de continuer sur sa lancée, heureux de la déstabiliser, avec ses grands airs.

    -         Vous n’avez même pas eu de remords ! Qu’avez-vous pris cette soirée-là? On raconte que vous étiez intoxiquée, droguée. Je me suis renseigné avant de vous prendre sur mon domaine.

      -         Allez au diable, Tahaa !

Il s’était approché de Serena, lui avait saisi le poignet et s’empara de sa cigarette qu’il balança par la fenêtre ouverte.

Tahaa était si proche d’elle que la jeune femme faillit manquer un battement de cœur lorsqu’il plongea son regard en elle.

      -         Je vous interdis de me brusquer. Si mon père l'apprend, il vous jettera en prison!

     -         Pour info, votre père Malick Hann m’a donné « carte blanche » vous concernant. C’est comme si vous m’appartenez à présent. Je peux disposer de vous comme je le veux. Et, je vous avertis, je suis très exigeant.

Qu’était-il entrain d’insinuer?

Serena le souffle coupé, bouillonnante d’indignation, lui désigna la porte du bras.

     -         Sortez de cette chambre immédiatement!

Tahaa sourit sarcastique et avant de sortir, il ajouta :

     -         Toute chose ici finit toujours par m’appartenir…

Dehors, l’homme jubila de sa victoire. Il avait réussi à la choquer, à l’effaroucher même.

Serena quant à elle continuait de trembler d’indignation bien longtemps après qu’il fut parti. Elle revit son regard rempli de sous-entendus qu’il avait posé sur elle, comme si elle n’était qu’un morceau de viande, ses allusions à peine voilées…. Sa façon de se comporter en mâle conquérant. Dans ses yeux, il y avait une assurance et une chose qu’elle hésitait de nommer: Le désir qu’il avait pour elle.

Serena ne se rendit pas compte qu’elle triturait nerveusement sa bague, l’anneau de chasteté qu’elle avait au doigt.


 ******************************************************

Blabla de l'auteur: Coucou, les amis! Qu'en pensez-vous? Bisous.

L'histoire que vous lisez

Statistiques du chapitre

Ces histoires vous intéresseront

L' héritière