Chapitre 10: Douleurs
Write by QueenDija
10 : Fils d’amour
*Emmanuelle Bankolé*
J’ai quitté la maison de mama Busara. J’ère dans la ville pendant longtemps pour oublier les assertions de la vieille mais non, cette peur est encore présente. Lorsque je suis rentrée, ma fille Mujinga et mon fils Makassi étaient occupé à jouer à un jeu de société tandis que Elikia, qui s’est installée à la maison depuis l’histoire avec Luis suit la télévision. Mes enfants sont si heureux là maintenant, je me demande ce que ma maison deviendra si les paroles de la vieille s’avèrent vraies. Je leur adresse à peine la parole et monte dans ma chambre. Dès l’instant où je ferme la porte, je sens une main contre ma bouche. J’essaie de résister mais un mouchoir contenant sans doute du chloroforme me freine. Serait-ce le début des ennuis ?
***
*Lagos, Nigeria*
*Fifa Bankolé*
Je ne fais que remuer ma salade depuis que mon ami m’a dit qu’une personne ressemblant à Christian Malonga a été vue près de Kimia. Je suis perdue dans mes pensées quand je sens une main sur la mienne. Comme brûlée par ce contact inattendu, je retire ma main renversant au passage un peu de salade :
-Vous êtes en permanence un brasier ? dit-il en riant
-Que faîtes-vous ici Mr Eke ? Vous me suivez ou quoi ? Dis-je en relevant la tête
-Hum. Je voulais m’excuser pour toutes mes remarques aujourd’hui sur vous ou votre agence et pour le calvaire que je vous ai fait vivre. Je suis désolé Mme. Dit-il en me regardant droit dans les yeux
Je regarde ses iris à la recherche du moindre indice pour prouver qu’il raconte des bobards mais rien. Je m’apprête à répondre quand il se met à trembler comme s’il avait froid.
-Vous allez bien Mr Eke ? Dis-je en me levant et en venant vers lui
-N’approchez pas ! hurle-t’il
Je me retiens de le toucher mais en voyant qu’il tremble davantage, je lui touche finalement l’épaule.
-Vous allez bien Mr ? Dis-je inquiète
-Je vous ai dit de ne pas me toucher. C’est à cause d’une chienne comme vous que je suis dans cet état. Partez et laissez-moi avant que je ne brise vos os. Dit-il avec le plus de haine possible
Je pars avec ma salade sans demander mon reste. Waouh un presque inconnu m’a affecté à un point que je ne saurais décrire. Je retourne travailler pour oublier cet homme et cette journée de merde en m’efforçant de ne pas laisser les larmes qui perlent à mes yeux s’échapper…
*Kelechi Eke*
J’ai appelé ma sœur Nneka, la seule femme en qui j’ai confiance sur cette terre pour venir me chercher. Cette fille croit qu’elle m’aura avec son numéro de femme au fort caractère mais sensible mais c’est mal connaître Kelechi Eke. Une femme comme cette fille m’a fait rêver avant de tout réduire en cendres. J’aurais aimé tué cette fille de mes propres mains mais elle est morte. Celle-là paiera pour les autres. Mes pensées s’estompent quand ma sœur me touche le bras :
-Kelechi, tu vas bien ? Tu n’as pas pris tes médicaments et tu as bu pas vrai ?
-Nneka, ramène-moi à la maison et épargne-moi les reproches.
Ma sœur m’aide à me lever et me conduit jusqu’à la voiture.
-Kelechi pourquoi fais-tu tout ça ? Tu ne m’aimes pas. Tu ne penses pas à moi en négligeant ta santé. Dit Nneka les larmes aux yeux
-Ma sœur, tu es bien la seule femme que j’aime mais il vaut mieux que tu t’habitues à mon absence. Au fond, je t’épargne de souffrir des années durant avec moi. Dis-je le regard vide
-Kelechi ne dit plus jamais ça. Tu n’es pas condamné. Tu es solide et fort. La médecine a fait des progrès considérables. J’entends même certain dire qu’ils ont survécu au VIH et ont eu une vie normale. Cesse de croire que c’est impossible mon frère.
-Laisse-moi Nneka. Je ne veux plus souffrir. Je préfère partir. Dis-je en me souvenant du doux visage de celle qui est la cause de mes malheurs
*Quelques mois plus tôt *
J’étais en Afrique du Sud pour la fashion week. Je visitais Pretoria quand je l’ai vu : petite, simple, des cheveux coupés courts. Elle avait le teint noir et portait de grands vêtements qui accentuaient sa maigreur excessive : Lelo. Elle semblait fragile . Je me suis approchée d’elle et là, j’ai croisé ses grands yeux bleus. Les premiers que je voyais. Elle était si différente des femmes que je côtoyais d’habitude et c’est d’ailleurs ce qui m’a attiré vers elle. Je suis revenu en Afrique du Sud pendant plusieurs mois juste pour voir son visage. Nous sommes restés au stade « amis » pendant un moment avant que je ne me décide à l’embrasser. Des lèvres pleines et douces comme elle. Je suis tombé amoureux de son calme qui devient parfois colère, de sa fragilité, de sa sensibilité, de ce physique et cette allure simpliste. Mais Lelo ne m’a rien donné à part la maladie.
Moi Kelechi Eke, infidèle et attirée par les femmes sophistiquées, j’ai aimé une femme douce et fragile. Qu’est-ce que j’y ai gagné ? Le Sida….
*
Chassant ce souvenir, je pense à la façon dont je vais détruire cette fille de l’agence.
Si une femme peut détruire un homme, pourquoi pas l’inverse ? Quoiqu’il m’en coute, je refilerai le Sida à cette fille…
***
*Kimia Costa Nzulu*
Ce soir, je sors avec Aboubacar Diop, mon beau sénégalais. Il m’a invité dans sa maison de Lomé vers Baguida. Je n’y suis jamais allée mais vu l’élégance qui se dégageait de l’homme, je suis pressée. Dire que je l’ai connu, il y a tout juste une semaine. Je me souviens encore de la façon dont il m’a poliment proposé de me ramener chez moi lorsque je galérais à trouver un taxi-moto. Il a été correct avec moi pendant tout le trajet et m’a ramené à la maison sans rien exiger de moi. C’est plutôt moi qui ai insisté auprès de lui.
Je m’arrête devant le fameux portail bleu qu’il m’a décrit. Je respire fort pour calmer ma nervosité et sonne :
-Bonsoir. Dis-je lorsqu’il ouvre le portail
-Bonsoir Kimia. Tu es sublime ce soir. Dit-il en me détaillant
-Bonsoir Aboubacar. Dis-je à mon tour en le détaillant
Il porte une de ces longues robes que les hommes musulmans portent souvent.
-Entre ma jolie. Dit-il
Je ne me fais pas prier davantage et entre dans la maison. Le jardin est si beau et bien réalisé avec en plus une mini fontaine. Une piscine et un bar rajoute à la beauté des lieux. A l’intérieur, tableau, et mosaïques subliment la pièce. Une table est joliment décorée et garnie de toute sorte de repas et de chandelles. Aboubacar me tend un bouquet de fleur avec à l’intérieur des bagues en diamant :
-C’est magnifique Aboubacar. C’est en quel honneur ? Dis-je en lui montrant mes 32 dents
-Un beau bouquet pour une belle femme. Dit-il en souriant
Il est tellement beau avec son teint noir ébène, ses cheveux crépus coupés courts, ses traits angéliques et ce corps sculpté. Je pose le bouquet sur la table et mon fessier sur la chaise qu’il a tiré pour moi :
-Alors, comment a été la semaine ? dit-il en me servant un verre de jus d’orange
-Pas mal, j’ai connu meilleure. Et la tienne ?
-Bien mais tu m’as manqué. Dit-il en m’enveloppant d’un regard charmeur
-On ne s’est vu qu’une fois et je t’ai déjà manqué Aboubacar. Sacré dragueur !
-Tu marques les esprits Kimia. Dès que je t’ai vu, je me suis dit « C’est elle ». Sérieusement Kimia, je n’ai pas pour habitude d’inviter chez moi une fille que j’ai rencontrée dans la rue mais toi, tu m’as tout de suite frappée. Dit-il en me regardant droit dans les yeux
J’avale un peu de jus pour calmer mon excitation avant de répondre :
-Humm. Je vois ça. Bon, sers-moi ce mafé sinon, je crois que je vais finir par mourir de faim.
-Gourmande en plus. J’aime ça. Dit-il
Le diner se poursuit ensuite dans une belle et chaleureuse ambiance.
Aboubacar se lève à la fin, contourne la table et se place devant moi. Il me prend la main et me regarde avec tendresse :
-Voilà, je sais que ça peut paraître précipité surtout qu’on dîne en tête à tête pour la première fois, mais je me lance. J’ai renoncé à l’amour depuis plusieurs années mais quand je t’ai vu ce jour-là, j’ai tout de suite été sublimé par ton beau visage. Je n’ai pas arrêté d’y penser au point d’avoir peur et de prier pour me libérer des waswas (soufflements de voix, tentations..) du Sheytan (Satan). J’adore, ton rire, ton sourire, ta façon d’être, ton regard, ta douceur. J’adore tout de toi et je sais que tu es la femme que je cherchais. Je suis littéralement fou de toi. Dit-il en émettant un rire nerveux.
Il met un genou à terre au moment où je mets ma main sur ma bouche :
-Kimia Costa Nzulu, me ferais-tu l’honneur de devenir ma femme ?
***
*Fifa Bankolé*
Je suis à la Catholic Assumption Church de Lagos. Après cette journée, j’avais vraiment besoin de rester dans un lieu où je me sentirais proche de Dieu. Assise sur un banc de l’église, je profite du silence et du calme du lieu. Je baisse finalement la tête et ressasse dans ma tête le film de mon existence.
Pourquoi m’as-tu envoyée sur cette terre si c’est pour me laisser vivre dans la souffrance et la maladie ? Tous les enfants jouaient, couraient partout mais tout le monde me disait « Non Fifa. Tu es malade, ce sera pire. ». Tout le monde s’est amusé durant sa jeunesse et a fait des folies mais moi, c’était l’hôpital et les médicaments. Fifa ne doit pas porter d’habit trop serré, Fifa doit éviter les avions, Fifa doit éviter les efforts, Fifa doit manger sainement. Pourquoi ne me rappelles-tu pas à la fin ? Pourquoi ? Pourquoi as-tu laissé Luis me faire autant de mal ? Pourquoi as-tu permis que je vive après ça ? Tu prétends vouloir nous sauver et soulager nos peines mais tu as permis que je tombe enceinte malgré le danger d’une grossesse pour moi. Et ce Kelechi Eke, tu l’as laissé ruiner ma journée et me rappeler que je suis un sac d’os qui survit. Reprends-moi si tu es vraiment Dieu. Prends ma vie et épargne-moi davantage de douleurs. Hurlai-je intérieurement au fur et à mesure que les larmes mouillaient ma robe.
Je suis là à implorer Dieu de me ramener auprès de lui quand je sens une main sur mon dos :
-« Soyez forts et courageux. N’ayez pas peur. Ne tremblez pas devant eux. En effet, le Seigneur votre Dieu marchera avec vous. Il ne vous lâchera pas. Il ne vous abandonnera pas » (Dt 31, 6) dit une voix féminine avec douceur
-Ah oui ? Il ne me lâchera pas. As-t ’il déjà été présent dans ma vie ? Où est la chose positive dans ma vie ? Dis-je en relevant la tête
-Le souffle de vie. Vous respirez ma sœur. Dit-elle
-Ah oui, respirez veut dire vivre ? Je préfère encore mourir que de vivre cette vie. Crachai-je
-Ne laissez pas vos peines vous aveugler ma sœur. Dieu vous aime. Il met ces épreuves sur votre route pour vous élever.
-Naître malade et être en permanence bourrée de médicaments ? Causer la séparation de deux personnes qui s’aiment ? Etre entourée de contraintes ? Violée ? Blessée ? Moquée ? Dîtes-moi ou est le bonheur dans ma vie si je la passe à souffrir et à survivre ? Dis-je en me mouchant
-Dieu vous a envoyé sur terre pour veiller sur les autres, pour montrer que même malade, vous pouvez beaucoup. Ne laissez pas ces souffrances apparentes vous éloignez de votre mission sur terre. D’ailleurs, les personnes qui souffrent le plus sont celles qui sont promises à de grandes choses. Dit-elle sereinement
-De grandes choses…
-Oui. Ayez la foi et faîtes toujours le bien. Si vous pensez tomber, déposez toutes vos larmes à l’Eternel et priez, louez-le et adorez-le. Ensuite relevez-vous et foncer. Dit-elle en se levant
Je reste là assise quelques minutes encore puis sors de l’église bien décidée à vivre. Je ressens subitement une douleur à la poitrine, un peu comme si quelque chose de mal allait se produire ou s’est produit. J’appelle mon frère Makassi à Kinshasa pour avoir des nouvelles de la famille :
-Kassi chéri. Dis-je quand il décroche
-Eh Fifa, c’est bien que tu décroches. Ici, tout va mal. Dit-il la voix déformée par des sanglots
-Que se passe-t’ il mon frère ? Dis-je inquiète
-Tout va mal Fifa. Elikia, maman, papa.
-Qu’y a-t’ il ?
-On a retrouvé maman par terre avec du sang sur la tête et le visage. La voisine a dit qu’elle a vu un homme masqué jeté maman par le balcon. On l’a amené à l’hôpital mais les docteurs disent qu’il y a peu d’espoir pour elle. Dit-il en pleurant davantage. Elikia a piqué une crise soudaine et inexplicable et depuis est dans le coma. Quant à papa, il est introuvable depuis. Dit-il en contenant difficilement ses larmes
Mon autre téléphone vibre et c’est un message de ma maman :
« Kimia est sortie depuis et n’a pas donné signe de vie. Elle est injoignable. Je crois qu’elle a des ennuis »
Seigneur, pourquoi tant de souffrances ?