Chapitre 11

Write by Verdo


Depuis le jour où Sena a quitté la maison en laissant Trinidad et Koffi, ma vie avait pris une tournure que je n'avais jamais envisagée. Entre mes obligations professionnelles, mes responsabilités de père, et mes déplacements incessants entre Lomé, Aného, et Tabligbo, je me sentais comme un funambule tentant désespérément de ne pas perdre l'équilibre.



Chaque semaine, je faisais ces trajets fatigants, essayant tant bien que mal de maintenir une certaine stabilité pour mes enfants. Trinidad, du haut de ses six ans, comprenait plus de choses qu'elle ne le laissait paraître. Elle me posait des questions difficiles auxquelles je ne savais pas toujours répondre.


<<Papa, pourquoi maman ne vient plus nous voir ?>> me demanda-t-elle un soir, alors que je la bordais dans son lit à Aného.


Je marquai une pause, cherchant les mots justes. <<Maman a besoin de temps pour elle, ma princesse. Mais elle vous aime, toi et Koffi.>>


Elle hocha la tête, mais je pouvais lire dans ses yeux qu'elle n'était pas convaincue. Mon cœur se serra. Comment expliquer à une enfant ce que même un adulte avait du mal à comprendre ?


Quant à Koffi, il était encore trop jeune pour poser des questions. Mais ses pleurs constants me rappelaient à quel point il avait besoin de sa mère. Sena, cependant, était restée silencieuse. Ni un appel, ni un message. Rien. Sa famille également adoptait une position de passivité, comme si la situation n'avait rien d'inhabituel. Cela me rongeait, mais je me concentrais sur ce que je pouvais contrôler.


C'est alors que le pire arriva. Koffi tomba gravement malade. Une forte fièvre, des crises de pleurs interminables, et une faiblesse générale m'obligèrent à l'emmener d'urgence à la clinique de notre cité à Tabligbo. Les médecins diagnostiquèrent une pneumonie sévère. Pendant près de deux mois, je passai mes nuits sur une chaise à côté de son lit d'hôpital, après le boulot, guettant le moindre signe d'amélioration.


Ma mère, fidèle à elle-même, fut d'un soutien inestimable. Elle prenait soin de Trinidad pendant que je restais à l'hôpital avec Koffi. Un soir, épuisé, je lui confiai mes inquiétudes.


<<Maman, je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir tenir comme ça,>> lui dis-je, les larmes aux yeux.


Elle posa une main réconfortante sur mon épaule. <<Mon fils, Dieu donne les épreuves à ceux qui peuvent les surmonter. Tiens bon. Ces enfants ont besoin de toi.>>


Sur ses conseils, j'essayai de joindre Sena. Peut-être que, sachant que son fils était malade, elle viendrait à son chevet. Mais quand ma mère réussit enfin à la contacter, sa réponse fut glaçante.


<<Je ne peux pas venir. Ce n'est plus mon problème,>> avait-elle dit, selon ma mère.


Ces mots me transpercèrent. Comment une mère pouvait-elle être aussi indifférente au sort de son propre enfant ? Ce fut à ce moment-là que je compris que Sena avait définitivement tourné la page.



Après la convalescence de Koffi, mes parents décidèrent qu'il était temps de tirer cette affaire au clair. <<Nous ne pouvons pas laisser cette situation s'éterniser, Thierry. Nous irons voir la famille de Sena pour discuter,>> déclara mon père avec gravité lorsqu'il était en visite chez moi. 


Je savais que ce ne serait pas une tâche facile. La famille de Sena n'avait jamais montré beaucoup d'ouverture d'esprit, et les récents événements n'avaient fait qu'accentuer les tensions.


Le jour de la rencontre, nous nous rendîmes chez eux, ma mère, mon père et moi. Dès notre arrivée, l'atmosphère était tendue. La mère de Sena nous accueillit avec une froideur polaire, tandis que Yawavi, fidèle à son habitude, arborait un air de défi.


Nous prîmes place dans le salon, chacun visiblement sur ses gardes. Mon père fut le premier à prendre la parole.


<<Nous sommes venus pour parler de cette situation qui affecte nos deux familles. Nous devons trouver une solution, pour le bien des enfants,>> dit-il avec calme.


Mais avant que Sena ne puisse ouvrir la bouche, Yawavi s'interposa.


<<Il n'y a rien à discuter,>>lança-t-elle. <<Ma sœur n'était pas heureuse avec Thierry. Elle a décidé de rentrer en famille, et c'est son droit.>>


Je serrai les poings, tentant de contenir ma colère. <<Yawavi, laisse Sena parler. C'est elle que je veux entendre.>>


Mais Sena resta silencieuse, les yeux baissés. Sa mère, prenant le relais, ajouta : <<Sena n'a jamais été épanouie avec toi, Thierry. Peut-être qu'il est temps que tu acceptes cela.>>


Les paroles de ma belle-mère furent un coup de massue. Comment pouvait-elle balayer ainsi des années de vie commune, des sacrifices, des souvenirs partagés ? Malgré mes efforts pour rester calme, ma voix trahit mon agitation.


<<Alors, c'est tout ? Vous décidez pour elle ? Et moi, et les enfants, qu'en faites-vous ?>> << Après toutes les fois où elle m'a été infidèle ! >>


Le silence qui suivit fut assourdissant. Mes parents, visiblement choqués par l'attitude de la famille de Sena, tentèrent de ramener la conversation sur une note constructive. Mais il était clair que rien ne changerait. Sena, murée dans son silence, choisit de rester avec eux.


Sur le chemin du retour, mes parents et moi étions plongés dans un silence lourd. Ma mère finit par briser la glace.


<<Thierry, il est temps de tourner la page. Tu as fait tout ce que tu pouvais.>>


Je hochai la tête, mais au fond de moi, une douleur sourde persistait. Comment pouvais-je tourner la page alors que mes enfants, innocents dans cette histoire, allaient grandir dans une famille divisée ?


En arrivant chez moi, je trouvai Trinidad et Koffi endormis. Je les regardai longuement, une promesse silencieuse dans mon cœur : je ferai tout pour leur offrir une vie meilleure, malgré les épreuves.



Après cette journée éprouvante, je suis rentré chez moi, le cœur lourd et l’esprit embrouillé. La nuit suivante fut tout sauf paisible. Je me retournais sans cesse dans mon lit, incapable de trouver le sommeil. Chaque fois que je fermais les yeux, les scènes de ma vie défilaient comme un film. Mes souvenirs se heurtaient à ma réalité, et l’amertume ne cessait de me submerger.


Je me demandais encore ce que j’avais fait pour mériter tout cela. Où avais-je échoué ? Était-ce dans mon rôle de mari, de père, ou simplement d’homme ? Je revoyais les moments heureux avec Sena : nos éclats de rire, nos projets d’avenir, nos premiers jours en tant que jeunes parents. Ces souvenirs, aussi beaux qu’ils étaient, me lacéraient le cœur. Comment étions-nous passés de cet amour passionné à cette froideur glaciale ?


Cynthia m’avait conseillé de ne pas trop me torturer, mais comment faire autrement ? Mes enfants étaient tout pour moi, et je ne pouvais me résoudre à les laisser souffrir à cause de nos querelles d’adultes. Alors, en pleine nuit, après des heures d’introspection, j’ai pris une décision : je devais me concentrer sur Trinidad et Koffi. Ils étaient mon avenir, mon espoir.



Quelques jours plus tard, Cynthia, toujours pleine d’entrain et de bienveillance, m’avait proposé une sortie à la plage. Elle pensait, à juste titre, qu’un moment de détente en famille me ferait du bien. J’ai accepté sans hésitation.


Ce samedi-là, nous avons embarqué Trinidad et Koffi pour une escapade au bord de l’eau. Dès que nous sommes arrivés, Trinidad s’est précipitée vers le sable en poussant des cris de joie. Koffi, bien que trop jeune pour comprendre ce qui se passait, riait aux éclats dans mes bras. Cynthia, vêtue d’une robe légère, s’occupait de déplier les couvertures tout en me lançant un sourire réconfortant.


Nous avons passé un moment merveilleux. Trinidad courait dans les vagues, ramassait des coquillages et riait à gorge déployée. Je n’avais pas vu ma fille aussi heureuse depuis des mois, et cela me réchauffait le cœur. Cynthia, quant à elle, jouait son rôle à la perfection. Elle s’occupait de Koffi avec une tendresse que je n’avais pas vue depuis longtemps.


Après un moment, alors que Cynthia surveillait les enfants, je me suis assis à ses côtés.


<<Merci pour tout, Cynthia,>> ai-je murmuré en regardant mes enfants jouer.


<<Merci pour quoi, Thierry ? m’a-t-elle répondu avec un sourire.>>


<<Pour être là, pour moi, pour eux.>>


Elle m’a pris la main.


<<Tu es un bon père, Thierry. Ne laisse jamais personne te faire croire le contraire.>>


Ces mots simples m’ont touché plus que je ne saurais l’exprimer.



Quelques jours après notre sortie, Cynthia m’avait accompagné à Lomé. Je lui avais promis de lui montrer ma maison, et elle était curieuse de voir à quoi ressemblait l’endroit où j’avais construit tant de souvenirs.


<<C’est ici ? avait-elle demandé en descendant de la voiture, un air admiratif sur le visage.>>


<<Oui, c’est ici, avais-je répondu, un mélange de fierté et de mélancolie dans la voix.>>


Je lui avais fait visiter chaque pièce, lui racontant des anecdotes sur notre vie passée. Trinidad, qui nous accompagnait, était ravie de revoir sa chambre. Koffi, toujours aussi insouciant, gazouillait dans les bras de Cynthia.


C’est en discutant avec un voisin que j’ai appris que Sena était passée à la maison, accompagnée de Yawavi et de leur mère.


<< Elles étaient là ? avais-je demandé, surpris.>>


<<Oui, elles sont venues il y a quelques jours. Je ne sais pas ce qu’elles voulaient, mais elles avaient l’air sérieuses,>> m’avait-il confié.


Cette information m’avait troublé. Que faisaient-elles ici ? Cherchaient-elles à récupérer quelque chose ? Pour éviter toute surprise, j’ai pris une décision radicale : changer toutes les serrures de la maison.


********************************************************


Un an plus tard…


Le temps avait passé. Les jours, les semaines, et les mois s’étaient enchaînés, et la vie avait suivi son cours.


Koffi avait grandi sous l’œil vigilant de ma mère. C’est avec elle qu’il avait fait ses premiers pas, un moment qu’elle n’avait pas manqué de me raconter avec fierté.


<<Il marche, Thierry ! m’avait-elle annoncé un jour au téléphone, la voix pleine d’émotion.>>


Trinidad, quant à elle, avait commencé l’école. Elle s’y plaisait beaucoup et revenait chaque jour avec de nouvelles histoires à raconter.


De mon côté, je m’étais efforcé de maintenir un équilibre entre mon travail, ma vie familiale, et ma relation avec Cynthia. Elle était devenue un pilier pour moi, une source inestimable de réconfort et de stabilité.



Un après-midi, alors que je rendais visite à Monsieur Gervais, ce dernier m’avait appris des nouvelles surprenantes.


<<Tu sais que Yawavi s’est mariée ? >> m’avait-il demandé, un sourire en coin.


<<Mariée ?>> avais-je répété, incrédule.


Il avait hoché la tête.


<<Oui, avec un binguiste suisse. Ils ont même eu des triplés. Elle, que sa famille traite tous les jours de stérile. >>


Je ne savais pas quoi dire. Yawavi, qui avait toujours défendu sa sœur, avait finalement tracé sa propre route. Et Sena ?


Comme s’il avait lu dans mes pensées, Monsieur Gervais avait ajouté :


<<Sena ne vit plus chez Yawavi. Apparemment, elle ne voulait plus d'elle chez elle. Elle vit maintenant chez sa mère, dans la maison familiale. Elle aide à gérer les tâches ménagères. J'ai des yeux et oreilles partout.>>


Il avait également mentionné une tentative ratée de son pasteur amant pour lui obtenir des papiers pour le Canada. Une ironie du sort : Yawavi, qui avait pris sa défense à maintes reprises, ne voulait plus d’elle une fois qu’elle s’était mariée ? 


<<La roue tourne, Thierry, m’avait dit Monsieur Gervais avec sagesse. La roue tourne toujours. Garde juste les yeux ouverts. >>



Ce soir-là, en rentrant à Aného, je me suis arrêté un instant pour observer mes enfants. Trinidad jouait dans le salon avec Koffi, et leur innocence m’a rappelé pourquoi je me battais.


Ma vie était loin d’être parfaite, mais elle avait un sens. Et tant que je pouvais voir le sourire de mes enfants, je savais que tout irait bien.


Ce même soir, alors que je m’occupais de mes enfants à Aného, mon téléphone vibra sur la table. Le nom de Sena s’afficha sur l’écran. Je fus pris d’un mélange d’agacement et de méfiance. Pourquoi m’appelait-elle après tout ce temps ? Était-ce une nouvelle demande farfelue ? Malgré mes hésitations, je décrochai.


<<Allô ? dis-je d’un ton sec.>>


<<Thierry, c’est moi… Sena. Je… je voulais te parler, répondit-elle d’une voix hésitante.>>


<< Tu veux quoi encore, Sena ? lançai-je sans cacher mon irritation.>>


<<Je veux voir les enfants, murmura-t-elle.>>


Un rire nerveux m’échappa.


<<Tu veux voir les enfants ? Quels enfants ? Après tout ce que tu as fait ? Après les avoir abandonnés comme des vieilles chaussettes ? Tu te moques de moi ou quoi ?>>


<<Thierry, s’il te plaît, je sais que j’ai fait des erreurs, mais…>>


<<Des erreurs ? Tu appelles ça des erreurs ? Tu les as jetés à ma figure comme si c’étaient des objets, Sena ! Où étais-tu quand Koffi était malade ? Qui était là pour s’occuper d’eux ? Certainement pas toi !>>


Elle resta silencieuse un moment, mais je pouvais entendre sa respiration nerveuse à l’autre bout du fil.


<< Je veux juste les voir, Thierry. Je suis leur mère,>> dit-elle finalement, d’un ton suppliant.


<<Leur mère ?>> ironisai-je. Une mère absente qui ne sait même pas ce que ses enfants mangent ou portent ? Très bien, tu veux les voir ? Vas-y, rends-toi chez ma mère à Aného. C’est là qu’ils sont.


Je raccrochai sans attendre sa réponse. La colère bouillait en moi. Pourquoi fallait-il qu’elle choisisse maintenant pour réapparaître ?



Quelques heures plus tard, ma mère m’appela. Sa voix était tendue, et je compris rapidement pourquoi.


<<Thierry, devine qui vient de m’appeler ?>> lança-t-elle sèchement.


<< Sena, dis-je en soupirant.>>


<< Exactement. Elle a osé m’appeler pour demander si elle pouvait voir les enfants.>>


Je restai silencieux, attendant la suite.


<<Tu sais ce que je lui ai dit ? reprit ma mère, sa voix montant d’un cran. Je lui ai dit que si elle se croyait femme, elle n’avait qu’à mettre les pieds ici ! Elle a abandonné ces enfants, Thierry. Elle les a abandonnés, et maintenant elle se permet de réclamer des droits ?>>


Je pouvais imaginer la fureur dans ses yeux rien qu’en l’entendant parler.


<< Qu’a-t-elle répondu ?>> demandai-je finalement.


<< Rien ! Elle n’a rien osé dire, cette effrontée. Thierry, je te préviens : si elle ose se présenter ici, elle n’est pas la bienvenue.>>


Je ne savais pas quoi répondre. D’un côté, je comprenais la colère de ma mère, mais de l’autre, je savais qu’il faudrait bien, un jour ou l’autre, trouver une solution pour que mes enfants aient une relation avec leur mère.


Cette soirée se termina sur une note tendue, et je savais que ce chapitre de ma vie était loin d’être clos. Sena n’avait pas dit son dernier mot, et moi, je n’étais pas prêt à baisser la garde.


À suivre…


Écrit par Koffi Olivier HONSOU. 


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